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Un bon nombre d’études portant sur l’ajustement conjugal montrent que le contexte social dans lequel les partenaires de couples interagissent exerce un rôle important dans le développement et le maintien de la relation des couples hétérosexuels. Généralement, le soutien offert par le réseau social semble avoir l’effet d’augmenter le bien-être, de diminuer la détresse et d’amortir les effets négatifs du stress chez l’individu et dans la relation conjugale (Cohen et Willis, 1985 ; Procidano et Smith, 1997 ; Julien et al., 2000). Toutefois, le réseau social d’un couple peut agir à la fois comme source de soutien et comme source d’interférence dans le couple (Julien et Markman, 1991 ; Julien et al., 1994). Par exemple, l’interférence parentale, mesurée au début des relations pré-maritales, augmente la probabilité de détérioration de la relation, alors que le soutien des parents envers la relation est positivement associé à l’engagement des enfants dans leurs relations amoureuses et à la stabilité des jeunes couples à travers le temps (Johnson et Milardo, 1984 ; Parkes et al., 1988). Le type de soutien offert par le réseau dépendrait aussi de l’identité du soutenant. En effet, bien que les parents et les amis proches soient généralement tous perçus comme offrant du soutien par des couples en conflit, le rôle des parents est perçu comme étant plus ambivalent : ils sont une source importante de soutien, mais aussi souvent une source de critique (Klein et Milardo, 2000). Ces données empiriques ont été obtenues auprès de couples hétérosexuels et on ne sait pas si elles se généralisent aux couples de même sexe.

Les couples de même sexe se distinguent des couples hétérosexuels par le fait qu’ils se développent dans un contexte social hétérosexiste et qu’ils sont souvent reçus avec hostilité dans leur entourage social. L’hétérosexisme est définie par Herek (1991) comme un système idéologique qui dénie, dénigre et stigmatise toute forme non hétérosexuelle de comportement, d’identité, de relation ou de communauté. Bien qu’il y ait eu un grand nombre de changements sociaux et légaux au Québec en ce qui concerne la reconnaissance des droits des couples de même sexe au mariage et à la parentalité, il demeure que les attitudes sociales et culturelles envers les minorités sexuelles restent généralement négatives. Il est donc possible qu’en l’absence du soutien social et culturel dont profitent les couples hétérosexuels, la fragilité des liens avec l’entourage social immédiat affecte l’adaptation conjugale des partenaires homosexuels. De plus, on sait que la divulgation de leur orientation (coming-out) représente une caractéristique unique aux gais et lesbiennes qui pourrait influencer le soutien de leur famille d’origine. En effet, en ne dévoilant pas la nature de leur orientation sexuelle, les gais et lesbiennes sont privés de l’opportunité d’être soutenus dans leur relation conjugale par leur entourage social. Par ailleurs, chez ceux qui ont fait leur coming-out, une réaction négative à une telle divulgation pourrait influencer négativement la qualité de la relation entre un individu et son partenaire de couple.

La plus grande visibilité des couples homosexuels permet de vérifier si les relations observées chez les couples hétérosexuels se généralisent aux couples de même sexe, ainsi que d’examiner les variables uniques à l’ajustement des couples dans cette population. La présente étude vise donc à examiner l’impact du soutien social de la famille d’origine et du coming-out sur l’adaptation conjugale des couples lesbiens.

L’ajustement des couples homosexuels

Peu de recherches empiriques existent sur les couples homosexuels. Comparativement à l’ensemble des études sur les relations conjugales, les recherches sur l’ajustement conjugal de ces couples et sur les liens entre la relation conjugale et le réseau social des partenaires demeurent encore rares. Pourtant, les résultats de recherche sur les personnes gaies et lesbiennes vont à l’encontre du stéréotype voulant qu’elles ne soient impliquées que dans des liaisons occasionnelles. En général, les couples de même sexe sont plus semblables aux couples hétérosexuels à plusieurs niveaux. En effet, de manière similaire aux hétérosexuels, les personnes homosexuelles ont des relations conjugales stables et rapportent des niveaux de satisfaction semblables (Peplau et Gordon, 1983 ; Peplau et al., 1996 ; Green et al., 1996 ; Kurdek, 1988, 1995). De même, les facteurs associés à la satisfaction conjugale chez les couples gais et lesbiens sont comparables à ceux que les couples hétérosexuels identifient (par exemple, percevoir que la relation apporte beaucoup d’avantages et peu de coûts, accorder une grande valeur au partage d’activités et à l’unité du couple, entretenir peu de croyances irrationnelles face à la relation, avoir un niveau élevé de confiance mutuelle, manifester de bonnes habiletés de communication et de résolution de problèmes, percevoir un pouvoir équivalent et être satisfait par rapport au soutien social) (Kurdek, 1995 ; Peplau, 1991). Les couples de même sexe développent le sentiment amoureux de manière similaire, allant de la passion à la sécurité et la confiance (McWhirter et Mattison, 1984) et ils ont des degrés comparables d’intimité (Gentile, 1987). Lors de conflits, les couples de même sexe et les couples hétérosexuels consultent pour des motifs semblables, soit des difficultés de communication, la gestion de la distance entre les partenaires, les différences de valeurs, le pouvoir, les finances, le travail, la sexualité, la jalousie ou la possessivité et les difficultés rencontrés avec les membres de la famille d’origine (Peplau et al., 1996 ; Bepko et Johnson, 2000). Enfin, les partenaires vivent des relations comparables aux hétérosexuels suite à un séparation de couple (Kurdek, 1991) et suite aux événements stressants (Julien et al., 1995).

Toutefois, la divulgation de l’orientation sexuelle à l’entourage est une caractéristique unique des gais et lesbiennes qui peut avoir un impact sur la qualité de leur relations conjugales. Il est généralement accepté que la non-divulgation de l’orientation sexuelle par les personnes homosexuelles peut avoir un effet négatif sur leur ajustement psychologique. Dans la mesure où l’incapacité ou la non-volonté de divulguer son orientation sexuelle (coming-out) reflète un certain niveau de négation ou d’inconfort avec sa propre orientation sexuelle, les études dans le domaine ont établi des liens entre le coming-out et un grand nombre de variables d’adaptation psychologique (Jordan et Deluty, 1998 ; Rosario et al., 2001). En effet, les personnes homosexuelles ayant un niveau peu élevé de coming-out rapportent des niveaux plus élevés de dépression et d’anxiété, ainsi que des niveaux plus faibles d’estime de soi (Ayala et Coleman, 2000 ; Jordan et Deluty, 1998). Le degré de coming-out peut aussi influencer l’adaptation conjugale des couples homosexuels puisque la non-divulgation indique une certaine dévaluation des individus envers eux-mêmes et leur couple. La nécessité de maintenir le secret de leur orientation sexuelle et de leur statut de couple pourrait constituer un stress additionnel pour ces couples (Berzon, 1988).

Par ailleurs, le fait de vivre ouvertement leur homosexualité est un autre facteur qui ouvre des possibilités d’influences directes du réseau sur le couple. Le coming-out est un facteur à double tranchant pour les personnes homosexuelles. En effet, la divulgation de l’orientation sexuelle ou d’une relation homosexuelle offre l’opportunité au réseau social de soutenir le couple dans sa relation, mais elle peut aussi constituer un risque d’exposition à des réactions sociales négatives. Les études d’échantillons non probabilistes auprès des jeunes gais et lesbiennes indiquent qu’environ 70 % d’entre eux divulguent leur homosexualité à leur mère, 29 % à 50 % la divulgue à leur père et environ 60 % à leur fratrie (D’Augelli et al., 1998). Cependant, il est important de noter que les études non probabilistes sur-estiment fréquemment les taux de coming-out puisque la participation à de telles études requiert un certain degré de coming-out. D’autres études ont démontré que la divulgation de l’orientation sexuelle est positivement associée à l’adaptation conjugale. En effet, les hommes gais et les femmes lesbiennes sont plus heureux en couple lorsque tous les membres de leur famille sont informés de leur orientation sexuelle (Chartrand et Julien, 1996 ; Jordan et Deluty, 2000). Ces données montrent l’importance, pour ces individus, de vivre ouvertement leur homosexualité au sein de leur famille. Les partenaires qui affichent leur relation de couple au même titre que les couples hétérosexuels laissent ainsi aussi la possibilité d’être renforcés dans leur identité de couple par les membres de leur famille.

L’adaptation conjugale des mères lesbiennes

Bien qu’un certain nombre d’études aient été réalisées dans ce domaine, aucune n’a pu, jusqu’à présent, tenir compte du fait que les individus en couples hétérosexuels étaient souvent parents mais que les individus en couple homosexuel l’étaient rarement. Selon le Recensement canadien de 2001, environ 0,5 % des couples de l’étude se sont identifiés comme des couples de même sexe. Parmi ceux-ci, 45 % sont des couples de femmes lesbiennes, dont 15 % vivent avec des enfants, soit 5 fois plus que les couples masculins qui sont seulement 3 % à vivre avec des enfants (Statistiques Canada, 2002). De façon similaire, une analyse des données de l’Enquête Santé Québec (1998) confirme que 21 % des femmes lesbiennes québécoises sont mères biologiques d’un enfant (on obtient un plus grand nombre si on inclut les femmes impliquées auprès d’un enfant d’une conjointe) alors que 6.9 % des hommes gais sont pères biologiques d’un enfant dont ils ont la garde (Julien et al., soumis). Bien que le développement psychosexuel et social des enfants issus de familles homoparentales ait été examiné dans plusieurs études (Patterson, 1996 ; Golombok et al., 2003), les facteurs influençant l’adaptation conjugale des couples homosexuels ayant un enfant n’ont pas encore été explorés. La présence d’un enfant dans toute famille risque de modifier l’effet et l’importance des variables susceptibles d’influencer l’ajustement conjugal (Erel et Burman, 1995). Ainsi, le fait d’avoir un enfant pourrait augmenter l’importance du soutien familial ou l’impact d’un manque de soutien pour les mères lesbiennes ou les pères gais. Par exemple, les grand-parents en particulier jouent un rôle important auprès de leurs enfants et petits-enfants. Ils sont une source d’influence et de soutien pour la famille sur une base quotidienne, et ceux-ci peuvent jouer un rôle de protection contre les effets négatifs de situations difficiles ou de crises familiales ou lors de périodes de transition, comme une grossesse (Tinsley et Parke, 1984 ; Cherlin et Furstenberg, 1992 ; Eggebeen, 1992 ; Zarit et Eggebeen, 1995). Le statut parental des couples gais et lesbiens pourrait aussi influencer le niveau de coming-out du couple, puisque le fait d’avoir un enfant et de vivre en famille peut rendre l’orientation sexuelle d’un individu plus visible auprès des institutions (hôpital, école, etc.) et vraisemblablement auprès de sa famille d’origine.

Le présente étude vise à évaluer le lien entre le coming-out, le soutien familial et l’adaptation conjugale de mères lesbiennes vivant en couple. On retrouve une variabilité importante dans le type de familles homoparentales lesbiennes. Ces familles sont souvent classifiées selon l’orientation sexuelle de la mère à la naissance de l’enfant. On retrouve de cette façon deux grands types de familles : celles où l’enfant est né d’une mère ex-hétérosexuelle qui a fait sont coming-out après la naissance de son enfant, et celles où l’enfant est né d’une mère qui s’identifiait comme lesbienne au moment du projet parental. Les familles lesbiennes ex-hétérosexuelles ont souvent vécu un divorce du père biologique de l’enfant, une période d’adaptation à la divulgation de l’orientation sexuelle et, dans bien des cas, la recomposition de leur famille avec une nouvelle conjointe. La multiplication des sources de stress pourrait rendre les familles lesbiennes ex-hétérosexuelles particulièrement vulnérables et pourrait accroître l’importance de soutien de la famille d’origine ou de son rejet. Pour cette raison, et pour minimiser la variabilité intra-groupe dans les types de famille, cette étude s’intéressera plus particulièrement au cas des familles lesbiennes ex-hétérosexuelles.

Nous émettons l’hypothèse selon laquelle le degré de coming-out et le niveau de soutien familial au couple seront positivement associés (hypothèse 1), et qu’ils seront chacun positivement associés à l’ajustement conjugal (hypothèse 2 et 3). De plus, nous nous attendons à ce que le lien entre le coming-out et l’ajustement conjugal soit médiatisé par le soutien familial ou, en d’autres mots, que le lien entre le coming-out et l’ajustement conjugal soit en partie expliqué par le soutien social (hypothèse 4).

Méthode

Participantes

Les participantes de cette étude ont été recrutées dans divers groupes de soutien pour mères lesbiennes à travers le Canada et grâce au bouche à oreille dans le cadre d’une étude canadienne sur les familles lesbo-parentales (Julien et Chamberland, CRSH). L’échantillon total recruté de cette façon est composé de 252 familles lesbo-parentales représentant une grande variété de structures familiales. Pour la présente étude, 55 mères biologiques présentement en couple avec une femme et mères d’au moins un enfant né dans le contexte d’une relation hétérosexuelle avant le coming-out de la mère ont été retenues. Ces mères sont présentement en relation conjugale avec une femme depuis en moyenne 4.69 ans (ET = 3.62) et sont mères biologiques d’en moyenne 1.8 enfants (ET =.86). Les participantes proviennent de plusieurs provinces à travers le Canada, soit le Québec (32.7 %), l’Ontario (27.3 %), la Colombie-Britannique (12.7 %), l’Alberta (10.9 %) ou d’une des autres provinces ou territoires (17.4 %). Soixante-seize pour cent d’entre-elles vivent dans des villes de moyenne ou grande taille et 24 % dans des petites villes ou de villages. La majorité des mères sont d’origine nord-américaine ou européenne (93 %) et ont en moyenne 39.51ans (ET = 5.5). Cinquante-cinq pour cent d’entre-elles ont complété un diplôme universitaire.

Procédure

Les mères ont d’abord été contactées par téléphone ou courriel. Toutes les mères, qu’elles soient seules ou en couples, mères biologiques ou co-mères, étaient invitées à participer à une étude sur les familles homoparentales. Les questionnaires, une lettre d’introduction et d’instruction, un formulaire de consentement et une enveloppe de retour pré-affranchie étaient ensuite envoyés à toutes les mères intéressées à participer. Les questionnaires comprenaient des questions sur un grand nombre de variables conjugales, parentales et psychosociales des mères lesbiennes et de leurs enfants. Seules trois variables on été utilisées dans la présente étude (coming-out, soutien social et ajustement conjugal). À la réception du questionnaire complété, chaque participante a reçu une rétribution de 35$ en guise de remerciement.

Mesures

Divulgation de l’orientation sexuelle (coming-out)

Ce questionnaire est inspiré d’un instrument développé par Otis et al. (1999). Pour une liste de membres de la famille, amis et collègues et autres personnes dans l’entourage des mères (exemple, mon père, ma mère, la majorité de mes ami(e) s), on demande à la participante jusqu’à quel point chacune de ces personnes est au courant de son orientation sexuelle. Le choix de réponse, traduction de D’Augelli (1991), comprend quatre énoncés : 1 « je suis certaine qu’il (elle) le sait et nous en avons parlé », 2 « je suis certaine qu’il (elle) le sait mais nous n’en avons jamais parlé », 3 « probablement qu’il (elle) le sait ou s’en doute », 4 « il (elle) ne le sait pas ou ne s’en doute pas ». Dans cette étude, la moyenne du niveau de coming-out aux différents membres de la famille (mère, père, fratrie, famille élargie) est utilisée.

Soutien au couple

Le questionnaire sur le soutien au couple, inspiré du Social Reaction Index (Lewis, 1973), évalue le soutien au couple par l’entourage social (famille et amis). Le soutien des membres de la famille, est évalué avec cinq questions de soutien (par exemple, « à quelle fréquence êtes-vous invitée avec votre partenaire par les membres de votre famille pour un repas ou autre réunion familiale ») et une question d’interposition au couple (« à quelle fréquence les membres de votre famille critiquent votre partenaire »). La participante répond aux questions au moyen d’une échelle de type Likert allant de 1) jamais à 5) très souvent. Une première étude montre une cohérence interne et une validité convergente satisfaisante (Chartrand et Julien, 1996). Une analyse factorielle de cet instrument révèle l’existence de 3 facteurs, dont un premier contenant des items de soutien positif de la part de la famille (5 items), un deuxième contenant des items de soutien positif de la part des amis (4 items) et un troisième contenant des items de soutien négatif de la famille et des amis (5 items). Dans cette étude, seuls les items de soutien positif de la famille sont utilisés. Cette échelle a une cohérence interne satisfaisante (alpha = 0,75).

Adaptation conjugale

La qualité relationnelle est mesurée à l’aide d’une version adaptée du Marital Adjustment Test (MAT ; Locke et Wallace, 1959). Il comprend une question d’ajustement global, huit questions mesurant des zones possibles de désaccords et six questions mesurant la résolution de conflit, la cohésion et la communication. Le test possède un niveau de consistance interne élevé et une validité prédictive bien étayée dans le domaine de recherche sur le couple, y compris auprès de la population québécoise. Aux fins de son application auprès de la population homosexuelle, la formulation des questions a été modifiée de manière à neutraliser les différences de genre. De plus, les scores de l’item 10 ont été modifiés comme suit : dans la version hétérosexuelle, un score 1 est donnée à la conjointe et un score 2 est donnée au conjoint lorsqu’il rapporte être la personne qui cède lors de désaccord dans le couple. Dans la version homosexuelle, un score de 2 est donné à l’un ou l’autre partenaire qui cède. Une première étude des qualités psychométriques de l’instrument avec les couples hétérosexuels montre un degré acceptable de validité convergente avec les données d’observation d’interactions de couples américains (IDCS ; Julien et al., 1989) et québécois (SODI : Chartrand et Julien, 1994 ; Julien et al., 1991). La version homosexuelle montre un degré élevé de cohérence interne (alpha de Cronbach de 0,79) et un bonne validité convergente avec une mesure observationelle de communication conjugale (Julien, 1995).

Résultats

Nous avons d’abord examiné les distributions des trois variables d’intérêt. Les données de la variable « coming-out » n’étant pas normalement distribuées, elles ont été regroupées en deux catégories comprenant respectivement un premier groupe de participantes ayant divulgué leur orientation à 100 % des membres de leur famille (62 %) et un second groupe ayant tout autre niveau de divulgation (38 %). De même, la variable soutien social de la famille (M = 4,28 ; ET = 0,77) n’étant pas normalement distribuée, les scores ont été inversés et transformés en obtenant la racine carrée de chaque valeur. La variable d’adaptation conjugale est normalement distribuée et est gardée dans sa forme initiale (M = 112,9, ET = 25,4). Le tableau 1 présente les moyennes et écarts types du soutien social de la famille et de l’ajustement conjugal selon l’appartenance au groupe ayant fait complètement ou partiellement leur coming-out.

Tableau 1

Moyennes et écarts-types du soutien social de la famille et de l’ajustement conjugal en fonction du coming-out

Moyennes et écarts-types du soutien social de la famille et de l’ajustement conjugal en fonction du coming-out
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p < 0.05

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Dans le but de tester les hypothèses de médiation, nous avons retenu les critères de médiation de Baron et Kenny (1986). La première étape du test de médiation consiste à s’assurer que les corrélations entre les trois variables sont significatives. Le cas échéant, on peut ensuite évaluer si l’association entre la variable indépendante et la variable dépendante est réduite à zéro ou diminue significativement lorsque la variable médiatrice est introduite dans le modèle.

La première condition (hypothèse 1) stipule l’existence d’un lien positif entre le niveau de coming-out à la famille d’origine et le soutien social de la famille d’origine. La corrélation bivariée (test unicaudal) entre ces deux variables a été calculée. Les analyses montrent une corrélation significative (r = 0,45, p < 0,05). La première hypothèse est donc confirmée.

La deuxième condition (hypothèse 2) stipule l’existence d’un lien positif entre le soutien social de la famille d’origine et le niveau d’adaptation conjugale. La corrélation bivariée (test unicaudal) entre ces deux variables a été calculée. Les analyses montrent une corrélation significative (r = 0,23, p < 0,05). La deuxième hypothèse est donc confirmée.

La troisième condition (hypothèse 3) stipule l’existence d’un lien positif entre le niveau de coming-out et le niveau d’adaptation conjugale. La corrélation bivariée (test unicaudal) entre ces deux variables a été calculée. Les analyses montrent une corrélation non significative (r = n. s) entre les deux variables. La troisième hypothèse n’est donc pas confirmée.

Puisque l’hypothèse 3 n’est pas confirmée, nous ne pouvons procéder au test de médiation. L’hypothèse 4 stipulant l’effet médiateur du soutien social sur le lien entre le coming-out et l’ajustement conjugal n’est donc pas confirmée.

Discussion

Cette étude avait pour but d’évaluer le lien entre le soutien social, la divulgation de l’orientation sexuelle (coming-out) à la famille d’origine et l’ajustement conjugal dans un groupe de mères lesbiennes. Puisque la famille d’origine ne peut offrir de soutien au couple que si elle est au courant de l’existence de ce couple, nous nous attendions à ce que les mères qui rapportent un niveau plus élevé de coming-out à leur famille d’origine rapportent aussi un niveau plus élevé de soutien social familial. Les résultats sont en accord avec notre hypothèse. De plus, les couples rapportant un niveau élevé de soutien social au couple de la part de leurs familles rapportent un plus haut niveau d’adaptation conjugale. Ces données sont cohérentes avec celles d’études menées auprès de populations hétérosexuelles (Julien et al., 1994 ; Johnson et Milardo, 1988). Il est probable que le soutien au couple renforce le développement et le maintien d’une identité conjugale, et facilite une meilleure gestion des difficultés conjugales chez l’ensemble des couples. Il faut cependant noter que la taille d’effet de cette association est relativement faible (r = 0,23) dans notre échantillon. Ceci pourrait être dû à un manque de variance dans les scores puisque les taux rapportés de soutien social (M = 4,28) et d’ajustement conjugal (M = 112 avec une moyenne de 100 dans la population générale) étaient très élevés dans cet échantillon. Il serait intéressant d’examiner la contribution du soutien au couple en conjonction avec d’autres variables conjugales mesurant les processus de la dynamique intra-dyadique.

La troisième hypothèse stipulait un lien entre le coming-out et l’adaptation des couples de mères lesbiennes. De nombreuses études ont démontré l’effet positif du coming-out sur divers indices de santé psychologique tels l’anxiété et la dépression (Ayala et Coleman, 2000 ; Jordan et Deluty, 1998). Cependant, jusqu’à présent, seules deux études ont tenté d’évaluer le lien entre le coming-out et un indice d’ajustement conjugal. Ces études ont démontré l’existence d’une association positive entre le niveau de coming-out et la satisfaction conjugale (Berger, 1990 ; Jordan et Deluty, 2000). Contrairement à ces études toutefois, notre étude ne rapporte aucun lien entre le niveau de coming-out et l’adaptation conjugale. Il est possible qu’en l’absence de divulgation à la famille d’origine, les mères s’entourent d’une « famille d’adoption » composée d’amis qui joueraient le rôle attendu des familles d’origine. Des études antérieures montrent en effet que le réseau social commun aux partenaires de couples de même sexe est plus grand que celui des couples hétérosexuels (Julien et al., 1999) et que, chez les couples de même sexe, le réseau d’amis est le plus important soutien au couple, suivi de celui du partenaire et ensuite de celui de la famille (Kurdek, 1988). Il faudrait donc examiner à nouveau la contribution du coming out à la variabilité de l’adaptation conjugale en considérant le réseau social élargi des partenaires de couple, c’est-à-dire une caractéristique de réseau social propre aux couples de même sexe. Toutefois, comme les mères recrutées pour cette étude rapportent un niveau d’adaptation conjugale supérieur à la moyenne de population, il est aussi possible que la faible variabilité des mères de cet échantillon explique cet absence de convergence des résultats avec ceux d’autres études.

Alternativement, il est aussi possible que le coming-out ne soit pas un bon indice d’adaptation conjugale. Certains chercheurs ont d’ailleurs avancé que la symétrie entre les deux membres du couple dans leur comportement de coming-out est un facteur plus important de santé conjugale (Roth, 1985). En d’autres mots, le manque de divulgation ne serait pas nécessairement problématique si les deux membres du couple démontrent cette tendance. Par contre, les couples démontrant un niveau élevé d’asymétrie dans leurs comportements de divulgation témoigneraient d’une certaine différence d’acceptation du leur lesbianisme, ce qui pourrait entraîner des tensions dans le couple.

L’objectif final de cette étude consistait à tester un modèle voulant que le coming-out ait un impact sur l’adaptation conjugale des mères lesbiennes par l’entremise de son association avec le soutien social. Ainsi, les mères qui font plus de coming-out profitent d’un plus grand accès au soutien à leur couple, et ce soutien a un effet positif sur l’adaptation conjugale. Comme les règles de médiation élaborées par Kenny et Baron (1986) n’ont pas été satisfaites, il était impossible de tester ce modèle. Cependant, le lien existant entre le coming-out et le soutien social, ainsi qu’entre le soutien social et l’adaptation conjugale laissent supposer que le modèle de médiation proposé comporte une certaine validité. En effet, le soutien au couple de la part des familles d’origine contribue à l’adaptation conjugale, et les individus qui ne dévoilent pas leur identité de couple sont privés de ce soutien. Murphy (1989) a d’ailleurs démontré qu’une réaction positive envers le couple lesbien de la part des parents avait pour effet d’améliorer la qualité de la relation conjugale. Toutefois, comme nous l’avons vu, il est aussi vraisemblable que les couples qui ne divulguent pas leur orientation homosexuelle à leur famille d’origine puissent contrer le manque de soutien de celle-ci avec un plus grand soutien social de la part de leur réseau d’amis.

Les résultats de cette étude doivent être interprétés avec prudence. Notre échantillonnage de convenance mène à une sur-représentation de participante qui vivent en relation de couple stable et relativement bien adaptée, et qui ont des niveaux de soutien social et de coming-out élevés. Il est probable que le rôle du soutien au couple est doublement important pour des mères vivant un niveau de détresse psychologique plus élevé ou une relation de couple en difficulté. De plus, la nature corrélationnelle des données implique aussi une certaine prudence dans l’interprétation des données. Il est donc vraisemblable que le coming-out mène à un plus grand soutien de la part de la famille d’origine, mais que la perception de soutien de la part de la famille d’origine encourage le coming-out de la part des couples.

En dépit de ses limites, cette première étude sur les facteurs associés à l’adaptation conjugale des mères lesbiennes offre des pistes de recherche sur cette population. Plus particulièrement, les études futures devraient considérer le rôle du soutien par le réseau d’amis et le rôle du niveau de symétrie dans le comportement de coming-out des mères lesbiennes vivant en couple.