Corps de l’article

Un ensemble de variables liées à la problématique de l’usage à risque des benzodiazépines (BZD) chez la population âgée de plus de 65 ans sera passé en revue. Nous expliquerons aussi pourquoi la manière traditionnelle de définir et d’évaluer la dépendance aux BZD selon les critères du DSM-IV n’est pas adéquate pour cette population et présenterons un compte rendu des recherches menées sur la prévalence de ce phénomène ainsi que quelques données sur le sevrage chez ces dernières. Nous ferons ensuite un survol des phénomènes de la surprescription et de la polymédication chez les aînés. Les effets des BZD sur la santé des personnes âgées et les facteurs de risque susceptibles d’induire chez celles-ci une dépendance, de même que les particularités pharmacologiques et psychosociales reliées à la consommation des BZD chez cette population seront aussi explorées. Enfin, la discussion portera sur des considérations méthodologiques afin de dégager des pistes de recherche permettant de cerner adéquatement cette problématique chez les personnes âgées. Les banques de données Current Content, Medline et Psych-info de 1970 à 2002 ont été consultées. Les mots — ou groupes de mots — suivants (en anglais) ont été entrés dans la recherche : benzodiazépines, effets secondaires, facteurs de risque, personnes âgées, prévalence, psychotrope, utilisation prolongée, phénoménologie, approche qualitative.

Définition et évaluation de la dépendance et de l’abus des BZD

Sous les rubriques d’abus et de dépendance à substance psychoactive, le DSM-IV (APA, 1994) cible les drogues illicites, l’alcool et trois types de psychotropes dont le potentiel de développement d’une dépendance est reconnu (anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques). En l’occurrence, les critères servent à identifier des comportements problématiques autour d’une consommation dont la responsabilité incombe à l’individu. Conséquemment, ils ne couvrent qu’un aspect de la problématique chez les aînés puisque ces derniers font souvent un usage à risque d’une pharmacopée licite qui s’étend au-delà des substances visées par le DSM-IV, qui est obtenue par voie de prescription et dont la posologie est sous contrôle médical (Collin, 2001 ; Kushnir, 1988).

De fait, aucune définition de la dépendance aux BZD chez les personnes âgées n’a encore obtenu de consensus parmi les chercheurs. Certains auteurs suggèrent de cibler l’évaluation de l’usage prolongé de BZD plutôt que les symptômes de la dépendance (Withcup et Miller, 1987 ; Morgan et al., 1988 ; Egan et al., 2000). Ce type d’étude utilise l’étude rétrospective des dossiers d’ordonnances où sont examinés les types, la fréquence et le nombre de prescriptions sur une période donnée afin de détecter les consommations inappropriées de BZD (Withcup et Miller, 1987 ; Morgan et al., 1988 ; Egan et al., 2000). Egan et al. (2000) proposent de substituer le terme « dépendance » aux BZD par « utilisation à long terme » et suggèrent comme critère « l’usage prolongé et de façon continue » du médicament, qu’ils définissent par une consommation du médicament durant un minimum de 135 jours sur les 180 jours suivant sa prescription initiale. Tamblyn et al. (1994) réduisent à 30 jours la limite critique entre l’usage approprié et l’usage prolongé, suggérant ainsi que ni la dépendance ni l’utilisation à long terme ne semblent avoir fait l’objet d’une entente au sujet des critères à appliquer pour l’évaluation de la consommation inappropriée.

L’évaluation clinique de l’abus et de la dépendance à des fins de recherche chez les personnes âgées porte principalement sur les symptômes physiques de tolérance et de dépendance ainsi que sur les comportements liés à la consommation, comme la prise de doses croissantes pour obtenir le même effet, les tentatives répétées pour réduire la consommation ou le fait de passer beaucoup de temps à tenter de se procurer la substance (Holroyd et Duryee, 1997 ; Withcup et Miller, 1987). Or, les critères diagnostiques, qui s’appliquent par ailleurs aux adultes vis-à-vis l’abus ou la dépendance aux substances, ne semblent pas correspondre au problème manifesté par les personnes âgées. Chez ces dernières par exemple, les symptômes physiques de sevrage lors du retrait seraient ressentis de façon moins intense que chez les adultes (Schweizer et al., 1989). Également, le critère visant le temps et l’énergie déployés pour trouver la substance convient à une clientèle qui consomme des substances illicites ou de l’alcool, lorsque la fréquence de consommation est contrôlée par le client. Or, les aînés qui font un usage à risque de médicaments n’ont souvent pas cette préoccupation puisque ces derniers sont obtenus aisément grâce à une prescription médicale (Collin, 2001). Le critère diagnostique concernant le désir de contrôler ou de diminuer la consommation peut aussi ne pas s’appliquer étant donné que ce désir peut être occulté par le fait que la consommation est cautionnée par une autorité médicale (Collin, 2001 ; Mishara et Legault, 2001).

Selon Pérodeau et al. (2001), une autre façon d’appréhender la problématique de l’usage à risque de psychotropes, en particulier leur utilisation chronique, est de le définir comme un problème social plutôt que médical. Selon ces auteurs, rechercher chez les aînés un syndrome physiologique médical expliquant le malaise psychosocial ressenti par ces derniers serait révélateur d’une société impuissante à leur venir en aide (Pérodeau et al., 2001).

Plusieurs chercheurs intéressés à l’évaluation de la santé mentale des personnes âgées s’entendent pour affirmer que les aînés expriment leur détresse en termes somatiques plutôt que psychologiques et que ce phénomène complique davantage la tâche d’évaluation (Serby et Yu, 2003 ; Mulsant et Ganguli, 1999 ; Gottfries, 1998 ; Tannock et Katona, 1995 ; Steiner et Marcopoulos, 1991). Or, ce phénomène est présenté dans les écrits comme un fait immuable, une réalité avec laquelle il faut composer. De fait, alors qu’elle pourrait soulever un questionnement, cette réalité est plutôt offerte en réponse pour expliquer la difficulté dans l’évaluation de la détresse psychologique chez les personnes âgées. Toutefois, le fait d’aborder ce phénomène comme une réponse plutôt que de l’explorer comme un problème à résoudre contribue à perpétuer le hiatus entre la détresse psychologique vécue par les aînés et son identification par les professionnels de la santé en ne permettant pas d’accéder directement à la détresse psychologique des aînés.

Il faut aussi noter que les personnes âgées forment la portion de la population la moins souvent évaluée en regard des troubles d’usage à risque de médicaments. Une étude révèle que seulement 10,7 % des personnes âgées dépressives de plus de 70 ans avaient fait l’objet d’une évaluation pour le trouble d’abus de substance alors que cette investigation avait eu lieu chez 30 % des adultes dépressifs âgés entre 18 et 49 ans (Mallin et al., 2002). Pourtant, les données sur la co-morbidité entre la dépression et les troubles d’usage à risque de médicaments indiquent que la co-occurrence de ces troubles est plus fréquente chez les aînés que dans toute autre portion de la population (Grant, 1995).

Prévalence de l’usage prolongé de BZD chez les personnes âgées

Les taux de prévalence de l’usage prolongé des BZD retrouvés dans la littérature varient selon les critères utilisés. Ainsi, les études rétrospectives des dossiers d’ordonnances rapportent des taux plus élevés que ceux fournis par les études utilisant les critères diagnostiques de la dépendance. Tamblyn et al. (1994) rapportent que sur 65 349 dossiers médicaux examinés au Québec en 1990, 36 % des personnes âgées de 65 ans et plus avaient reçu des ordonnances de BZD pour plus de trente jours consécutifs. Egan et al. (2000) ont examiné la prévalence d’utilisation des BZD pendant au moins 135 jours sur les 180 jours suivant le début de la consommation, dans un échantillon de personnes âgées de 65 ans et plus et vivant dans la communauté et ont obtenu un taux de 19,8 %. Golden et al. (1999) ont examiné les dossiers médicaux de 2193 participants de plus de 60 ans et rapportent un taux de consommation de BZD s’élevant à 41,6 %. Morgan et al. (1988) ont mis en évidence une augmentation significative du taux de prévalence de la consommation de BZD à des fins hypnotiques selon l’âge des personnes âgées. Dans un échantillon de 1042 individus vivant dans la communauté, cette prévalence passe de 13 % chez les personnes âgées de 65 à 74 ans à 20 % pour les personnes âgées de 75 ans et plus. Quant au taux de prévalence de la dépendance, Holroyd et Duryee (1997) ont trouvé un taux de 11,4 % en utilisant les critères du trouble d’abus de substance du DSM-III-R chez des patients âgés de plus de 60 ans recrutés dans une clinique externe en psychiatrie.

Étendue de la problématique de l’usage à risque de médicaments

Parallèlement à la dépendance et l’abus, la problématique de l’usage à risque de médicaments chez les personnes âgées revêt d’autres aspects, notamment la surprescription et la polymédication.

Surprescription des médicaments

Plusieurs auteurs ont identifié la surprescription de médicaments comme un problème important dans la mesure où ils peuvent contribuer au déclin des capacités physiques et/ou cognitives des personnes âgées (Garnier et Marinacci, 2001 ; Pérodeau et al. 2001). Alors que de 5 % à 10 % des adultes d’âge moyen utilisent des psychotropes, cette proportion augmente à près de 30 % chez les aînés (Collin, 2001 ; Morgan et al. 1988 ; Préville et al., 2000). Collin (2001) rapporte qu’entre 42 % et 75 % des aînés font l’usage de psychotropes sans pour autant avoir reçu de diagnostic psychiatrique. On ne retrouverait pas une telle proportion de prescriptions de psychotropes sans diagnostics chez les adultes (Collin, 2001). Une autre étude décrit la proportion de prescriptions inappropriées en fonction du dosage, de la durée, de la duplication, ainsi que des effets d’interaction drogue-drogue et drogue-maladie, selon des critères établis par un panel d’experts des États-Unis et du Canada. Selon cette étude, un individu sur cinq (âgé de plus de 68 ans et vivant dans la communauté) aurait reçu au moins une prescription de médicament inappropriée (Hanlon et al., 2002). Nous reviendrons sur ce sujet dans la section portant sur les facteurs de risque.

La polymédication

La polymédication est un autre phénomène pouvant être problématique chez les aînés. Environ 20 % des consommateurs de médicaments, âgés de plus de 65 ans, en utiliseraient plus de 5 quotidiennement (Boyer et al., 1993) et ce, en dépit du manque de documentation clinique à ce jour sur les effets d’interaction entre plus de trois médicaments (Hanlon et al., 2002). Or, ce potentiel d’interaction entre les médicaments est élevé chez les personnes âgées à cause des changements physiologiques qui surviennent avec l’âge et qui peuvent prolonger le temps que le médicament passe dans l’organisme (Julien, 1999). La polymédication peut ainsi entraîner des réactions indésirables dont les symptômes peuvent nuire à l’état de santé des personnes âgées et même compliquer davantage l’évaluation d’un trouble psychologique ou organique (Julien, 1999).

Particularités pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des BZD chez les personnes âgées

La dépendance aux BZD peut être davantage problématique pour les personnes âgées chez qui la tolérance aux agents chimiques diminue avec l’âge. L’administration répétée et prolongée de BZD à demie-vie longue (> 24 heures) ou courte (< 24 heures) peut provoquer une accumulation du médicament dans le métabolisme de la personne âgée (Hering et al., 1995). L’augmentation de la masse graisseuse qui survient souvent avec l’âge peut contribuer à augmenter le volume de distribution des composés les plus lipophiles comme le Diazépam et diminuer la vitesse d’élimination de la substance (Julien, 1999). En conséquence, le déséquilibre plasmatique ainsi obtenu accentue les effets indésirables des BZD.

Il se pourrait également que la sensibilité du système nerveux central de la personne âgée s’accroisse avec le vieillissement, ce qui la rendrait plus vulnérable aux effets indésirables des BZD. Cet état serait causé par des modifications de l’affinité des récepteurs centraux à la présence des BZD, ainsi que par une augmentation de la perméabilité de la barrière hémo-encéphalique (Julien, 1999).

Effets des BZD chez les personnes âgées

Les BZD prescrites à faible dose ont un effet anxiolytique et myorelaxant mais à mesure que les doses augmentent, des réactions de désinhibition, un effet sédatif et un effet hypnotique sont observés (Julien, 1999). Les conséquences négatives des effets des BZD sur le système nerveux central, et sur la santé des personnes âgées feront l’objet des prochains paragraphes.

Effets au niveau moteur

La co-occurrence de l’effet sédatif et myorelaxant peut entraîner de graves conséquences, par exemple, la somnolence diurne jumelée à la relaxation musculaire entraîne des pertes de coordination motrice, des sensations d’ébriété et de vertige et des épisodes d’ataxie (Julien, 1999). Ces états augmentent les risques de chutes avec fracture de la hanche (Leipzig et al., 1999 ; Salzman et Lebowitz, 1991). Ce type d’accident est menaçant pour les personnes âgées, à cause des complications qui en découlent et qui peuvent mener au décès (Herings et al., 1995 ; Ray et al., 1987). Thomas (1998) a constaté que les effets sédatifs et myorelaxants nuisent aussi à la conduite automobile, augmentant ainsi les risques d’accidents chez cette population. L’effet dépresseur central des BZD, en altérant le fonctionnement du système respiratoire, augmente les risques de complications pour les personnes souffrant d’insuffisance respiratoire modérée comme la bronchite chronique et l’emphysème (Danion, 1990). La voie métabolique des BZD est aussi prédictive de l’incontinence urinaire (Landi et al., 2002).

Effets au niveau cognitif

La littérature révèle que l’usage prolongé de BZD occasionne un affaiblissement des fonctions cognitives (Egan et al., 2000 ; Foy et al., 1995). En outre, on observe des manifestations d’amnésie antérograde (Julien, 1999), des épisodes de confusions mentales qui peuvent ressembler à une démence (Larson et al., 1987) et l’aggravation de la démence chez les individus qui en démontrent des signes précurseurs (Holroyd et Duryee, 1997). D’ailleurs, la préexistence d’une détérioration mentale non diagnostiquée peut se révéler à la suite de la consommation de BZD (Julien, 1999). Le risque de développer un delirium augmente lorsque certains facteurs de risque, par exemple, l’âge avancé, la présence d’un cancer ou d’un diagnostic au niveau du système nerveux central, sont combinés à l’usage de BZD (une dose quotidienne équivalente à plus de 5 mg de diazépam) (Foy et al., 1995).

La consommation continue et prolongée de BZD peut renverser l’effet désiré, produisant anxiété, attaques de panique, agoraphobie et insomnie (Patten et Williams, 1996). Des changements aux niveaux de l’humeur, du sommeil et de l’appétit peuvent aussi survenir (Bisserbe et al., 1992 ; Lader, 1988).

Dans la population des personnes âgées, tout comme dans la population en général, les BZD peuvent entraîner des symptômes de dépression chez les utilisateurs à long terme (Miller et Gold, 1990).

Le sevrage

Les aînés supportent le sevrage des BZD aussi bien que les adultes (Schweizer et al., 1989). Il peut cependant s’avérer plus long à cause du ralentissement du métabolisme chez les personnes âgées (Miller et al., 1991). Deux études expérimentales ayant procédé au sevrage des BZD chez des personnes âgées confirment qu’un sevrage réussi en une semaine seulement est possible en substituant la BZD par un hypnosédatif (lormetazepam) (Petrovic et al., 2002 ; Petrovic et al., 1999).

Facteurs de risque associés à l’utilisation prolongée des BZD

Caractéristiques des personnes âgées

La difficulté à obtenir un consensus concernant l’utilisation à long terme des BZD peut expliquer le fait que l’étude des facteurs de risque n’en est qu’à ses débuts. Plusieurs auteurs rapportent que l’âge avancé et le sexe féminin sont des facteurs de prédiction importants pour l’utilisation à long terme des BZD (Egan et al., 2000 ; Van Hulten et al., 1997 ; Finlayson, 1995 ; Isacson et al., 1992 ; Mant et al., 1988). Une faible santé, la consommation d’autres psychotropes que les BZD et un état de détresse psychologique sont aussi reconnus pour favoriser le développement de la dépendance (Finlayson, 1995 ; Mellinger et al., 1984). Finlayson (1995) rapporte que la dépression en co-morbidité avec une pathologie somatique chronique, notamment cardio-vasculaire et rhumatismale, augmente le risque d’utiliser les BZD à long terme. On peut toutefois reconnaître parmi ces facteurs de risque une responsabilité des médecins face à la prescription des médicaments, notamment en ce qui concerne la prescription de plusieurs médicaments, le sexe et l’âge des consommateurs.

Certaines croyances des aînés peuvent contribuer à l’utilisation chronique des BZD. Le fait que les BZD ne soient pas des somnifères leur confère parfois un statut bénin, une aide douce dont il est possible de se passer mais dont les bienfaits surpassent les inconvénients (Rouleau et al., 2001). En outre, selon Pérodeau et al. (2001, 103), les BZD sont considérés par les aînés comme « un tonique (permettant de se tenir en forme), un carburant (permet à la personne de remplir ses fonctions […]) ou carrément de la nourriture (sans le médicament la personne ne peut pas faire face à la vie) ».

Habitudes de prescription

Les habitudes de prescription semblent constituer un facteur de risque important impliqué dans la dépendance aux BZD. À la suite d’une revue de la littérature sur la prescription des psychotropes chez les patients âgés, Frémont (1999) met en lumière le manque de formation en gériatrie des professionnels de la santé. Selon cette étude, les médecins fonderaient les motifs de leurs prescriptions autant sur les conditions de vie rapportées par le patient que sur sa pathologie. Appuyant ces données, 42 % à 75 % de personnes âgées ayant reçu une ou plusieurs prescriptions de psychotropes, ne s’étaient pas vu attribuer de diagnostic psychiatrique pour étayer ce traitement (Aparasu et al., 1998 ; Tamblyn, 1996). Par ailleurs, Taylor et al. (1996) ont comparé l’utilisation des BZD de la période de 1982-1983 à celle de 1989-1991 et ils ont constaté que malgré une campagne d’information, menée en 1988, destinée à réduire les prescriptions de BZD, le pourcentage d’utilisateurs de plus de 65 ans n’est passé que de 12.8 % à 11,36 % tandis que celui des utilisateurs à long terme est passé de 61 % à 70 %.

Garnier et Marinacci (2001) ont étudié les représentations et les pratiques de prescription des médecins surprescripteurs et non surprescripteurs et ont remarqué que la formation des médecins, fortement axée sur la prescription de médicaments, comptait pour beaucoup dans le consensus existant entre ces deux groupes quant à leurs représentations du médicament. Ces auteurs soulignent l’importance d’élargir le champ d’investigation pour cette problématique afin d’élaborer un modèle où tous les acteurs sociaux en jeu dans l’usage à risque des BZD sont impliqués (Garnier et Marinacci, 2001).

Discussion

Importance du contexte de la consommation

Le contexte psychosocial de l’utilisation à long terme peut être défini comme l’environnement où interagissent les facteurs sociaux, culturels et interpersonnels susceptibles d’influencer la consommation du médicament. Certains auteurs ont mis en lumière les préjugés et stéréotypes entourant le vieillissement, capables de nuire au pourvoir des soins de santé. En outre, la croyance selon laquelle le déclin cognitif serait le fruit d’un processus normal du vieillissement ferait obstacle à la reconnaissance d’un trouble iatrogène (Collin, 2001 ; Rouleau et al., 2001). Collin (2001) souligne que la socialisation, connue comme un processus lent où l’individu assimile les modes de pensée, les valeurs et les comportements caractéristiques de sa société, contribue à encourager la consommation chronique et à long terme des psychotropes. Aussi, la portion âgée de la population entretiendrait des préjugés face à la maladie mentale, ce qui orienterait chez ses membres l’expression de la détresse psychologique en plaintes de type somatique (Smith et al., 1995). Ce stéréotype serait maintenu par l’acte de prescription des BZD qui, comme le rapporte Green (1978), atténue la possibilité d’un problème psychologique en attribuant les symptômes à un trouble organique. Par ailleurs, trop de croyances populaires et préjugés persistent à l’égard de la vieillesse, ce qui entrave les voies d’accès aux réalités liées au vieillissement (Green, 1978 ; Nakanishi et al., 1998). Par exemple, l’opinion que les aînés auraient moins besoin de sommeil et qu’il serait donc normal de voir diminuer avec l’âge les heures de sommeil nécessaires à la récupération reste une croyance non confirmée empiriquement (Cappeliez et al., 2000). Un trouble de santé mentale comme la dépression, l’anxiété ou l’insomnie pourrait échapper à une identification correcte à cause du maintien de telles croyances (Morin et al., 2000). De plus, l’aîné qui observe chez lui une diminution des heures de sommeil peut se résigner à ne voir là qu’une conséquence normale de son âge avancé, alors qu’il est possible que ce phénomène soit davantage relié à un autre facteur. À cet égard, une participante de 76 ans consommant des BZD depuis plus de cinq ans, interviewée dans le cadre d’un projet de recherche mené par les auteurs, a révélé qu’elle ne s’inquiétait pas pour ses problèmes de mémoire puisqu’il est normal de la perdre avec l’âge (données non publiées). Ces quelques considérations permettent d’entrevoir la complexité du phénomène de l’usage à risque des BZD et nous enjoignent de cesser de faire porter la responsabilité aux aînés. Au contraire, il apparaît de plus en plus qu’ils doivent être consultés afin de comprendre leur vision des choses.

L’approche qualitative nous offre justement un moyen pour redonner une voix aux personnes âgées. Cette approche permet en outre d’accéder à des informations ancrées dans la réalité de la population étudiée et elle peut révéler de nouvelles variables tels que les besoins, les croyances et les valeurs qui contribuent à moduler les modèles de consommation des BZD chez les aînés.

Cette approche permet aussi d’établir un lien de confiance avec le participant, facilitant l’ouverture d’une fenêtre sur la détresse émotionnelle de ce dernier et autorisant le chercheur à questionner son apparente alexithymie. Par exemple, une autre participante a exprimé son malaise à « faire perdre son temps » au médecin en lui parlant de ses inquiétudes au sujet des BZD. De plus, elle dit ne pas vouloir déranger ses enfants « avec ça ». Enfin, elle explique qu’elle a trop peur de perdre son autonomie si elle se plaint trop (données non publiées). Ces quelques énoncés tirés d’une seule entrevue font voir la richesse des informations pouvant être obtenues grâce à l’approche qualitative.

Dans la perspective d’un développement d’un programme de soutien au sevrage des BZD, de telles informations pourraient permettre de mettre à jour l’aide offerte en fonction des réalités de la population en cause.

Conclusion

Notre revue souligne l’importance de considérer les personnes âgées comme une population distincte en regard de la dépendance aux BZD. Elle révèle notamment l’importance des aspects psychosociaux dans le maintien des habitudes de prescription et de consommation chez cette population. De plus, elle permet de suggérer l’utilisation de l’approche qualitative pour mieux faire face à la complexité du phénomène sous étude. Cependant, cette recension se limite aux études directement reliées à notre objet d’étude. Elle ne nous permet pas de formuler de recommandations au sujet du sevrage à cause du peu de recherches effectuées sur ce sujet. Elle ne nous autorise pas non plus à identifier les différences entre les personnes âgées et les personnes d’âge moyen au sujet de la dépendance, à cause de l’absence d’instruments adaptés pour étudier cette dernière chez la population âgée.