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Cet ouvrage nous présente la pensée de Thomas d’Aquin sur l’âme et le corps des ressuscités. Dans sa Préface, Gilles Emery, qui semble avoir été le directeur de thèse de Frezzato (voir les Remerciements, tout à la fin du livre), mentionne quelques appuis néotestamentaires et patristiques de la théologie de saint Thomas sur la résurrection. Il nous prévient que la ressource théorique principale d’Alexandre Frezzato vient de l’anthropologie (âme et corps) d’Aristote, utilisée par saint Thomas quoique modifiée d’une façon qui aurait bien surpris le philosophe péripatéticien.
Pour inviter à la lecture, Emery signale les quatre points suivants, qu’on trouvera dans la livre de Frezzato : premièrement, des fondements anthropologiques relevant de l’hylémorphisme ; deuxièmement, les apports d’Aristote et d’Averroès concernant la continuité et l’individuation du croyant ressuscité ; troisièmement, la corporéité de l’être humain ; et quatrièmement, les opérations des corps glorieux.
Dès son Introduction générale, l’auteur reconnaît que son étude se concentre sur la résurrection des justes et laisse pour un travail futur les dimensions ecclésiale et cosmique de la résurrection : « Notre propos se concentre en effet sur des questions liées à l’identité et la continuité de la personne humaine individuelle entre la vie présente, la mort et la vie ressuscitée » (p. 21 ; l’italique est de l’auteur, comme dans le cas d’autres citations reproduites dans cette recension).
Son étude se déploie en trois parties. La première considère l’identité « formelle » de la personne ressuscitée tandis que la deuxième porte sur son identité « matérielle ». C’est dire que la première partie considère la nature de l’âme rationnelle dans le composé humain, tandis que la deuxième porte sur l’hylémorphisme aristotélicien et averroïste que saint Thomas accepte tout en le remaniant en fonction de ses positions théologiques. Enfin, la troisième partie synthétise les résultats des deux premières parties – ce qu’elle fait en trois temps : le rôle de l’âme et la transformation du corps à la résurrection, la béatitude parfaite tant du corps que de l’âme, et les qualités et opérations des corps glorieux.
Nous avons trois réserves à l’égard de ce livre.
Premièrement, qu’on nous permette de déplorer l’absence de référence à l’important article de Louis-B. Geiger, o.p., intitulé « Saint Thomas d’Aquin et le composé humain », publié dans le numéro 35 de Recherches et Débats, chez Arthème Fayard en 1961. Cette absence est étonnante, étant donné que le frère Geiger enseigna à l’Université de Fribourg, c’est-à-dire à l’université même où le frère Emery, l’auteur de la Préface, enseigne depuis de nombreuses années, et étant donné que le frère Frezzato était étudiant en théologie à cette même université en 2021, au moment où son livre parut.
Deuxièmement, il importe, à notre avis, de ne pas considérer la position de saint Thomas sur la résurrection comme finale en théologie catholique. Dans sa note au bas de la p. 21, l’auteur écrit : « Notons que l’élaboration philosophique (anthropologie philosophique) de saint Thomas concernant la résurrection vaut aussi bien pour les damnés que pour les bienheureux. » (L’italisation est de l’auteur) Or cette affirmation est exacte pour saint Jean (qui parle de la résurrection et des bienheureux et des damnés), mais pas pour saint Paul (qui parle de la résurrection des bienheureux seulement).
Troisièmement, la conception thomasienne inclut uniquement la résurrection du corps, pas celle de l’âme ; aussi, pourquoi ne pas envisager la résurrection comme celle du corps et de l’âme, donc de toute la personne humaine, en suivant saint Paul à cet égard ?
Il reste que Frezzato, qui connaît bien tout le corpus thomasien, nous donne dans son livre une analyse adéquate des nuances de la pensée de Thomas d’Aquin sur la personne humaine ressuscitée. Il s’agit donc d’une belle contribution à cet aspect de la pensée du docteur angélique.