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Le propos du livre est d’approfondir les enjeux éthiques autour de l’Aide Médicale à Mourir (AMM) qui est légale depuis 2015 au Québec et depuis 2016 au Canada. L’A., prêtre et bioéthicien, ambitionne de mieux comprendre les fondements de la décision d’aider quelqu’un à mourir. Il cherche à démontrer qu’il serait périlleux de condamner sans précaution le geste d’aider quelqu’un à mourir. Il reconnaît dès les premières pages que sa réflexion se fonde sur ses expériences personnelles d’accompagnement de personnes en fin de vie, notamment de proches, et avoue volontiers l’évolution récente de ses propres convictions. L’ensemble du livre montre incontestablement sa grande expérience acquise dans l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Tout au long des dix chapitres qui composent le livre, l’A. pose de justes questions, légitimes et complexes, se plaçant parfois du côté des soignants, parfois du côté des patients. Du point de vue des soignants, les questions sont par exemple : « Jusqu’où les soignants peuvent-ils empêcher la décision libre et éclairée de quelqu’un qui entend finir ainsi sa vie souffrante ? » (p. 24). Prenant en compte l’autonomie de la personne souffrante, « doit-on accéder à la demande de quelqu’un traité en soins palliatifs qui veut qu’on mette fin à sa vie ? » (p. 74), ou : « Si quelqu’un estime que le temps qu’il lui reste ne vaut pas la peine d’être vécu et préfère sortir au plus tôt de ce monde, allons-nous accéder à sa demande ou la refuser ? » (p. 100) L’A. aborde aussi l’immense question de la souffrance : « Jusqu’où peut-on soulager la souffrance qui torture sans compromettre la vie de la personne ? » (p. 195) ou : « Est-ce si mal de libérer quelqu’un de sa souffrance absurde ? » (p. 77) Du point de vue des patients, les questions sont tout aussi fondamentales : « La personne qui souffre peut-elle réclamer le droit de ne plus souffrir et d’en finir au plus vite ? » (p. 197). Évoquant encore l’AMM, il se demande « pourquoi la personne malade y a-t-elle recours : est-ce en raison d’une peur de la solitude ? La permission que donne la loi permet-elle de se déculpabiliser de commettre ce geste ? » (p. 76).
Les réponses apportées par l’A. sont ancrées dans son expérience et enrichies par des histoires cliniques. Le livre donne ainsi une analyse extrêmement profonde et détaillée des enjeux éthiques des soins en fin de vie. En revanche, la réflexion autour de l’AMM apparaît souvent en fin d’argumentaire, ce qui peut donner l’impression que l’A. force la démonstration du bien-fondé moral de cette pratique légale au Canada et au Québec. Pour sa démonstration, il tord parfois les concepts et force l’argumentaire de manière légèrement artificielle, ce qui aboutit à un raisonnement parfois peu convaincant.
Dans le chapitre premier où il aborde la tension entre la vie et la mort, l’A. tente de démontrer que l’AMM n’est pas un meurtre, la différence se situant selon lui sur le volontaire : le meurtre va contre la volonté du tué, l’AMM va dans le sens de la volonté du patient. L’A. affirme qu’elle ne contredit pas l’interdit biblique de tuer qui ne concernerait que la « mise à mort injustifiée sur le plan moral » (p. 23). En montrant que la mort n’est pas toujours un mal, il en conclut que l’AMM pourrait être justifiée dans certains cas : « Si la mort est aussi un bien, en hâter la venue le serait également, comme une forme de complicité heureuse et bienfaisante avec elle. » (p. 49)
Dans le chapitre sixième sur le difficile concept de dignité, l’A. développe les différentes couleurs de ce mot fortement équivoque. La dignité reflète à la fois la qualité globale d’une personne, son statut social, ses performances, ses attitudes et ses comportements. L’A. met en évidence les liens que la dignité entretient avec la liberté, celle-ci étant plus le libre choix que la liberté en tant que bien déjà choisi. Les liens avec l’AMM apparaissent cependant légèrement artificiels, donnant l’impression au lecteur qu’il s’agit d’un ajout final sans réel continuum entre la belle analyse du concept de dignité et une prise de position raide et peu justifiée. C’est par exemple le cas ici : « Favoriser la dignité de la personne se réalise par des gestes concrets, tant dans les soins palliatifs que dans l’AMM » (p. 169) ou : « Mourir dignement se réalise donc dans l’AMM. » (p. 174) Pour justifier son point de vue, l’A. insiste beaucoup sur le respect du libre consentement de la personne en demande d’AMM en affirmant que la dignité est d’abord issue de la liberté : « C’est dans le respect de sa liberté que s’exprime celui de la dignité de la personne qui demande l’AMM. » (p. 166) N’est-ce pas ignorer que la raison fait partie intégrante d’une décision vraiment libre quand l’intelligence montre à la volonté où se trouve le bien réellement fait pour la personne ? Une décision d’AMM peut être issue d’un choix libre mais est-elle toujours raisonnable ? Du point de vue de l’A., la mort peut être un bien dans certains cas, mais donner la mort l’est-il, même lorsque la personne malade en fait la demande ? Il semble risqué de ne fonder la dignité de la personne que dans son autonomie, pire, de considérer cette autonomie comme sacrée (p. 271). En réalité, la dignité intrinsèque et inaliénable de chaque être humain se fonde dans le fait qu’il est créé à l’image de Dieu, c’est-à-dire avec une intelligence pour connaître et une volonté pour aimer le bien pour lequel il est fait.
L’A. joue sur une ambiguïté qui aurait nécessité quelques éclairages. L’AMM est tantôt vue comme un acte qui provoque la mort, tantôt comme un soin qui peut accélérer sa venue. La distinction subtile n’en est pas moins fondamentale. L’A. considère, comme un présupposé, que l’AMM est une « pratique de soin de fin de vie » (p. 7) ce que fait aussi la loi québécoise. On peut regretter que l’A. ne donne aucune définition du soin. Nous définissons un soin comme un acte technique effectué dans une relation humaine qui est elle-même soignante. L’AMM ne peut donc pas être un soin, et encore moins une option de soin parmi d’autres. Elle est même une absence de soin qui met fin à la relation, elle est un acte qui rompt définitivement la relation au moyen de la mort. L’AMM est une euthanasie, c’est-à-dire un acte qui provoque délibérément la mort d’une personne qui juge que sa vie est devenue insupportable. En revanche, certains soins pourraient accélérer la survenue d’une mort inexorable (mais cela reste à prouver) mais n’ont pas pour finalité de la provoquer. C’est le cas de la sédation palliative continue qui est un soin jusqu’à la mort qu’il peut hâter (mais les études récentes ont plutôt tendance à montrer l’inverse), notamment par l’arrêt de l’alimentation et la diminution de l’hydratation. L’A. crée une confusion malheureuse quand il affirme sans le justifier que la sédation palliative continue est « en réalité, une forme d’aide médicale à mourir » (p. 72). Il ne prend pas en compte le rôle fondamental de l’intentionnalité en tant que critère éthique. La sédation ne vise jamais la mort mais le soulagement des douleurs et de la personne souffrante par provocation de l’inconscience, tandis que l’AMM vise la mort directement.
L’A. tente une comparaison malheureuse en invoquant le principe de l’acte à double effet. Il explique tout d’abord que le pape Pie XII affirmait en 1957 dans un discours bien connu des éthiciens qu’il est conforme à la volonté de Dieu de vouloir échapper aux douleurs par des procédés qui ont comme effet inévitable d’accélérer la mort (p. 217). L’effet bon est ici le soulagement des douleurs et de la souffrance, l’effet mauvais (toléré mais non voulu) est le fait de hâter la survenue de la mort. Il faut préciser deux choses. Premièrement, Pie XII n’abordait pas directement la sédation mais plutôt la question de l’analgésie. Deuxièmement, une étude scientifique démontrait quarante ans plus tard que la narcose ne hâte pas la survenue de la mort. Cet article de Patrick Wall paru en 1997 dans la revue Pain fait depuis référence et n’a jamais été remis en cause. Cela, Pie XII ne pouvait le savoir. L’A. tente alors de transposer son raisonnement pour qui ne peut et ne veut pas se laisser écraser par le mourir dans la douleur et qui choisit l’AMM. Mais c’est ici méconnaître le principe de l’acte à double effet qui veut que l’action elle-même soit bonne ou indifférente en son objet (ce qui n’est pas le cas d’un acte qui provoque délibérément la mort) et que l’intention porte uniquement sur l’effet bon et nullement le mauvais. L’effet mauvais ne peut jamais être le moyen d’obtenir la fin bonne. Le principe de l’acte à double effet, qui fonctionne déjà mal à propos de l’analgésie, ne peut absolument pas être invoqué dans le cas de l’AMM.
L’A. joue sur une autre ambiguïté quand il considère que la « compassion active » (p. 10) est la justification fondamentale de l’AMM. Il affirme que « l’AMM est inspirée par une compassion active issue d’une bienveillance fondamentale à l’égard des souffrants » (p. 10) et que « l’euthanasie est l’acte de mettre fin à la vie d’une personne, par compassion, lorsqu’un processus de mort est déjà en cours, ou lorsque les souffrances sont devenues insupportables » (p. 76). Il va jusqu’à écrire que l’euthanasie est un « meurtre par compassion » (p. 76) qui procède « d’une démarche pleine de charité » (p. 77). C’est mal comprendre ce qu’est la vertu de compassion qui permet d’accompagner une personne qui souffre sans jamais considérer la mort comme un moyen de soulager ses souffrances. La distinction éclairante de E. Pellegrino entre la vraie compassion vertueuse, pleine de charité, et l’émotion de compassion aurait été utile ici.
L’A. va carrément trop loin à certains endroits. D’une part, il pose une analogie malheureuse entre l’AMM et le geste bienfaisant du chirurgien : « Le geste médical de donner la mort à un moribond peut se comparer à celui du chirurgien qui agresse et mutile le corps pour le libérer des parties cancéreuses ou gangrénées. » (p. 35) Il y a ici une confusion due à une mauvaise compréhension du principe éthique de totalité. Il aurait été heureux d’approfondir les raisons qui font que beaucoup de médecins refusent de pratiquer l’AMM car ils considèrent que ce geste contredit fondamentalement leur vocation de soignant, c’est-à-dire ce pour quoi ils sont faits, leur mission de soin, de soulagement et d’accompagnement des personnes qui souffrent. L’A. insiste souvent sur le respect de la conscience des malades en oubliant la conscience des professionnels de santé. D’autre part, il affirme que « l’AMM s’applique à réagir adéquatement (sic) à la vie vraie, faite de souffrances qui désorganisent le bonheur » (p. 19) jusqu’à transformer l’acronyme en « amour médical à mourir » (p. 33) qui délivrerait de la souffrance qui rend la vie détestable et insupportable. Il faut espérer ici une erreur de frappe ou d’inattention.
Dans ce livre, l’A., prêtre et théologien, tente de représenter la mort comme un don de Dieu libérateur en affirmant qu’elle est un cadeau pour la personne qui la souhaite et qui la provoque consciemment (p. 275). Il va jusqu’à affirmer que c’est Jésus qui désire la mort, et donc l’AMM, pour les personnes grandes souffrantes : « Jésus fut le guérisseur libérateur de la souffrance. Comment ne pas y voir un indice de son désir de faire cesser les souffrances emprisonnantes chez les grands malades ? » (p. 273) Finalement, il ose affirmer que ce n’est pas faire affront à la volonté de Dieu que d’être facilitateur de la fin (p. 286) et que l’AMM, qui aide les souffrants à bien mourir, peut même « devenir une occasion de vivre une expérience communautaire préparée avec soin, planifiée et partagée avec les proches, de manière à éviter la triste solitude du mourant au moment de sa mort » (p. 286-287). Il s’en fallait de peu pour qu’il affirme que l’AMM est une expérience d’Église. L’A. laisse ainsi le lecteur sur sa fin.