Corps de l’article

Introduction

L’image du bon pasteur, gardien de ses moutons[1], est une image parmi d’autres que l’on peut utiliser pour parler de leadership[2] ou de followership, selon que, dans l’utilisation de la métaphore, on focalise l’attention sur les bergers ou les moutons. Parmi les autres métaphores auxquelles on peut penser, il y a par exemple : (i) le leader comme artiste, artisan ou technocrate de la stratégie ou de la structure des organisations[3], (ii) le leader comme architecte du projet collectif entrepris[4], (iii) le leader comme capitaine de vaisseau, le guidant à bon port et, ultimement, vers sa destination[5], (iv) le leader comme tisserand responsable de fabriquer ou de réparer le tissu social qui lie les membres de son équipe ou de son pays les uns aux autres[6], etc.

Comme toutes ces autres images, celle du bon pasteur a pour but :

  1. de faire référence à différents aspects du leadership, ainsi qu’aux différents acteurs (les leaders et les followers) que l’exercice du leadership met en scène – c’est ce que nous appellerons la fonction référentielle de cette image ;

  2. de provoquer et donner des mots pour exprimer les différentes émotions que peuvent ressentir (i) des leaders, (ii) des followers ou (iii) des gens qui observent les uns ou les autres de l’extérieur, quand ils prennent conscience de certains aspects de ce que peut impliquer le fait d’être leader ou follower – c’est ce que nous désignerons ici comme la fonction expressive de cette image[7] ;

  3. de distinguer entre bons et mauvais dirigeants ou subordonnés, ainsi que d’identifier les compétences à posséder pour bien accomplir l’une ou l’autre de ces deux tâches, ce que la métaphore du bon berger exprime en évoquant comme repoussoir la figure du loup, qui rôde constamment autour des bergers et des moutons, les invitant constamment à devenir comme eux, c’est-à-dire : des loups pour l’homme – c’est ce que nous appellerons ici la fonction évaluative de cette image[8].

Dans cette contribution au numéro spécial de Science et Esprit sur les origines, l’utilité et la pertinence de la figure du bon pasteur appliquée au leadership, nous comptons mettre un peu de chair sur chacune de ces trois fonctions de la métaphore. Notre intention, ce faisant, n’est pas d’être exhaustif, l’espace et le temps faisant défaut. Plus modeste, elle consistera à donner au lecteur une vue d’ensemble de la richesse sémantique de l’image du bon pasteur et de ses moutons. Notre espoir est que la lecture de cet exposé soit suffisante pour renouveler l’appréciation qu’on peut se faire de cette image et, ainsi, ouvrir des pistes à travers lesquelles améliorer l’enseignement ou la recherche en matière de leadership.

1. La fonction référentielle de l’image du bon pasteur

Une des caractéristiques intéressantes de la métaphore du bon pasteur est d’être déclinable en plusieurs images différentes et à fonction référentielle variée. Cette métaphore, en effet, ne permet pas seulement de visualiser des bergers et des moutons dans une posture indifférenciée et générique, pour parler de leadership ou de followership. Elle se décline aussi en différentes variantes qui permettent chacune d’évoquer divers aspects : 

  • de leadership ou de followership entrepreneurial[9], en parlant de bergers et de bergères en train de constituer leur troupeau ou de rassembler un troupeau déjà constitué mais éparpillé au sein d’un pâturage ;

  • de leadership stratégique[10], en évoquant l’image de bergères et de bergers en train de guider leur troupeau vers de nouveaux pâturages (ou du bercail aux alpages) ;

  • de leadership managérial ou administratif[11], en faisant voir des bergers ou des bergères en train de prendre soin de leur troupeau ;

  • de leadership intérieur de soi sur soi, par lequel on arrive à s’autoriser à faire (ou ne pas faire) quelque chose qu’on n’avait pas pensé faire (ou cesser de faire) auparavant et/ou dont on ne se sentait pas l’autorité de faire de son propre chef. Cela conduira à parler de bergers et de moutons intérieurs[12], permettant ainsi d’élaborer une conception pastorale de ce qui n’est présentement abordé, dans la littérature, que sous l’angle de l’empowerment (et donc du pouvoir, power, plutôt que de l’autorité)[13].

L’espace faisant défaut pour traiter en détail de ce que permet chacune des variations de l’image du bon pasteur, nous n’en considérerons ici que deux caractéristiques génériques, communes à l’ensemble des déclinaisons possibles que nous venons d’évoquer.

a) L’image du bon pasteur ne nous fait jamais oublier les moutons

La première des deux caractéristiques que nous allons examiner ici est qu’à la différence des autres images utilisées pour parler de leadership, celle du gardien ou de la gardienne de troupeau ne nous laisse jamais oublier les subordonnés, coéquipiers ou followers (les moutons).

Ceci n’est le cas d’aucune des autres métaphores évoquées dans l’introduction. Les artistes, les artisans, les technocrates, les architectes, les capitaines de navire ou les tisserands peuvent avoir des apprentis ou des employés, mais ils pourraient ne pas en avoir que cela ne changerait rien à ce que l’image tente de signifier. Il est par contre impossible d’imaginer un berger ou une bergère qui n’auraient pas de moutons.

Le mot anglais shepherd, qui correspond à notre français berger, est particulièrement illustratif de cette caractéristique. Ce terme est en effet pénétré de part en part par ce que le pape François appelait l’odeur des brebis[14]. Sa première syllabe, shep, fait référence aux moutons (sheep) pris un à un, et la deuxième, herd, aux mêmes moutons considérés collectivement.

b) La relation entre le pasteur et ses moutons est une relation hiérarchique

L’autre caractéristique générique importante de l’image du bon pasteur est qu’à la différence des autres métaphores, elle ne cache pas la nature hiérarchique de la relation existant entre leaders et followers. Celle-ci disparaît, selon plusieurs théoriciens du leadership, quand on se la représente de façon horizontale plutôt que verticale, ou dans une opposition entre le centre et la périphérie plutôt qu’entre le haut et le bas ou l’avant et l’après. En réalité, ces relations sont toutes, par leur nature même, des modalités de type hiérarchique.

Le fait de ne pas dissimuler le caractère hiérarchique de la relation de leadership-followership est un quasi-corollaire du fait que la métaphore du bon gardien de troupeau ne cache pas l’existence des followers. Le seul fait de prendre conscience qu’il doit y avoir quelque chose qui suit (follow) quand il y a quelque chose qui conduit (lead) fait réaliser du même coup que la relation entre leaders et followers est de nature hiérarchique.

C’est cependant par d’autres signes aussi que l’imagerie du bon pasteur donne à voir le caractère hiérarchique de la relation qui s’exerce entre leaders et followers. Voici deux de ces signes, que nous ne développerons pas ici :

  • L’image fait voir les bergères et les bergers comme des êtres doués de parole (des humains) alors que les moutons en sont privés[15] ;

  • L’agir associé à l’activité des pasteurs est celui d’un acteur rationnel (homo oeconomicus[16]) alors que celui qui l’est à l’activité des moutons en est un d’acteur mimétique (homo mimeticus[17]) suivant son maître là où il va, en imitant dans ses gestes ce que son maître lui intime de faire[18].

2. La fonction expressive de l’image du bon pasteur

Le fait que cette l’imagerie du bon pasteur ne passe sous silence ni l’existence des followers ni la nature hiérarchique des relations entre leaders et followers explique probablement pourquoi :

  • c’est cette métaphore (et pas les autres) qui suscite autant d’émotions, quand on l’utilise en rapport avec le leadership ;

  • c’est à cette métaphore (et pas aux autres) que les anarchistes de gauche comme de droite[19] s’en prennent quand ils veulent critiquer la pertinence ou la légitimité de toute hiérarchie en critiquant la pertinence et la légitimité du pastorat[20].

L’espace nous manque pour examiner en détail les arguments de l’anarchisme contre la métaphore du bon pasteur. Nous nous limiterons à donner une idée un peu plus précise des émotions provoquées par celle-ci. Elles ne sont pas tant créées par l’image elle-même, bien évidemment, que par la relation de cette dernière aux phénomènes de leadership, de followership, de pastorat et d’ordre hiérarchique que cette métaphore – à la différence des autres utilisées à propos de leadership – ne cache jamais sous le tapis.

a) Les émotions positives provoquées par l’imagerie du pasteur et de ses moutons

Du côté des émotions positives, la métaphore du bon pasteur provoque et permet d’exprimer :

  • les sentiments de possession que les plus généreux des bergers ou des bergères ressentent à l’égard de leurs moutons, et qui relèvent plus nettement de la passion amoureuse que de la thésaurisation proprement dite, tant ces émotions sont fortes et témoignent d’une reconnaissance des moutons comme la chair de leur chair, plutôt que comme de simples étrangers sous leur charge[21] ;

  • le sentiment de bien-être que les followers peuvent éprouver quand ils se sentent guidés et gardés par un berger ou une bergère en qui ils ont totale confiance[22].

b) Les émotions négatives provoquées par l’imagerie du pasteur et de ses moutons

Du côté des émotions négatives, on trouve :

  • le mélange d’angoisse et de culpabilité que les moutons, les agneaux ou les brebis peuvent ressentir après avoir quitté le troupeau ou avoir été forcés de fuir leur gardien[23] ;

  • la colère que des followers peuvent éprouver à l’égard de leurs leaders s’ils en viennent à penser que ces derniers ont utilisé leur position d’autorité pour les exploiter, voire les détruire psychiquement[24] ;

  • le dépit de soi face à son propre appétit de servitude volontaire[25], de régression infantile[26] ou de mentalité de troupeau[27] ;

  • l’aversion a priori à l’égard de personnes qui se comportent comme des moutons[28] ou de simples « suiveux »[29] – alors même qu’on peut ressentir soi-même l’attrait de ces mêmes comportements quand on est en confiance, ou séduit par une idée ou un leader particulièrement inspirant ;

  • la crainte généralisée – puisque le pouvoir corrompt et qu’il faut rester critique face à lui – qu’« un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups[30] ».

Le manque d’espace nous impose d’arrêter ici notre inventaire. Celui-ci doit suffire pour soutenir les deux propositions suivantes.

  • Il n’existe probablement pas beaucoup d’autres images du leadership capables de susciter autant de réactions émotives dans toutes les directions que celle du bon pasteur.

  • Loin de constituer un argument à charge contre celle-ci, cette propriété de l’imagerie pastorale est au contraire un de ses atouts les plus importants pour enseigner le leadership. La diversité des émotions que l’image du leader comme gardien de moutons permet de provoquer et d’exprimer se prête en effet particulièrement bien au genre de jeu parabolique qui caractérisait la façon d’enseigner de Jésus. Sur le plan émotif, elle fonctionne en effet comme une espèce de test de Rorschach. Cette caractéristique de la métaphore du bon pasteur permet donc à qui s’en sert d’enseigner le leadership en provoquant intentionnellement ces réactions chez son auditoire. L’expression de ces réactions elles-mêmes pourra alors servir à élargir la palette émotive de chacun et à approfondir ce à quoi l’image parabolique fait allusion.

3. La fonction évaluative de l’image du bon pasteur

La troisième fonction à laquelle l’imagerie du bon pasteur peut servir, en rapport avec le leadership, consiste à fournir un critère d’évaluation :

  • pour juger si tel individu est vraiment un bon berger (un bon leader), ou un bon mouton (un bon follower) ;

  • pour identifier et définir les dispositions d’esprit et les compétences pratiques permettant le bon exercice de chacune de ces deux fonctions.

a. « Le » critère qui permet de distinguer entre bons et mauvais bergers et bergères, ainsi qu’entre bons et mauvais moutons

C’est par l’introduction de la figure du loup qu’est fourni le critère d’évaluation de la métaphore du bon pasteur.

  • Un bon pasteur, dit l’image, ne se transforme pas en loup quand on lui donne de l’autorité ou du pouvoir ou qu’il gagne par lui-même en autorité ou en pouvoir.

  • Un bon mouton, quant à lui, n’est pas rempli d’un tel degré de ressentiment à l’égard du rôle dans lequel il se trouve cantonné qu’il en vienne à rêver de devenir lui-même un loup, ne serait-ce que pour se protéger de façon préventive, dans sa crainte que les leaders, eux, ne le soient ou ne le deviennent[31].

Tentons maintenant de nommer plus précisément et sans images ce qui se cache derrière cette opposition entre les loups, d’une part, et, de l’autre, les bons pasteurs et leurs agneaux.

La clé est dans la cause qu’on attribue à la légitimité, c’est-à-dire à ce caractère des relations de pouvoir qui transforme la force en droit et l’obéissance en devoir, pour parler comme Jean-Jacques Rousseau[32].

  • Selon Max Weber, c’est l’habitude d’être dominé qui transforme les relations de pouvoir en relations d’autorité légitimes. Et ce sont ces relations de pouvoir ainsi transformées que Weber appelle des dominations[33].

  • Les penseurs grecs de l’Antiquité ne concevaient pas ainsi les choses. Ils croyaient que, parallèlement aux relations de pouvoir existant au sein de toute société humaine, les régimes politiques se caractérisent aussi par la présence de relations de confiance et d’amitié entre dominants et dominés. C’est ce dernier type de relations qui, pour eux, permettait de transformer en relations d’autorité légitime ce qui, sans la présence de cette confiance (en anglais trust) et de cette amitié n’aurait relevé que des relations de pouvoir et, dans le pire des cas, de la violence[34]. C’est la présence de ces relations de confiance, de souci de l’autre et d’amitié entre dominants et dominés qui, selon eux, éviterait à la monarchie de devenir tyrannie, à l’aristocratie de devenir oligarchie ou à la démocratie de devenir démagogie. Ajoutons à cela quelque chose qui se trouve implicite dans ce type de pensée : le pouvoir lui-même n’arrive pas à produire de la légitimité mais, au mieux, que de l’habitude. C’est l’amitié et la confiance, qui sont plus que la simple accoutumance, qui confèrent la légitimité et qui transforment la force en droit et l’obéissance en devoir véritable.

b. Le genre de compétence à posséder pour être bon berger ou bon mouton

Platon appelait courage ou vertu du coeur celle qu’il exigeait des gardiens de sa Kallipolis.

On se représente trop souvent cette vertu en termes de courage physique. Cela tient au fait qu’on envisage trop exclusivement les gardiens de Platon comme l’équivalent des Jedi de Star Wars, c’est-à-dire comme des soldats de la bonne cause, gouvernant leur peuple avec ce qui constitue peut-être le bon côté de la force, mais qui reste tout de même de la force. Or la coloration pastorale que donne Platon au concept de gardien dans Le Politique montre les limites importantes à ne concevoir le courage qu’en termes soldatesques. Car ce n’est pas sur le métier de soldat que Platon sent le besoin d’écrire un dialogue pour parler de ce mélange de savoir et de savoir-faire royal qui permet aux gardiens de sa Kallipolis d’être de bons gardiens. C’est plutôt sur le métier de gardiens de troupeaux – puis de tisserands de la laine des moutons – que disserte le philosophe. Cette façon d’envisager ce qui constitue un bon gardien a pour effet de faire évoluer la compréhension de ce qu’est pour Platon le véritable courage. Cette évolution doit s’opérer dans la ligne de ce qu’on appelle aujourd’hui le care, en empruntant ce terme à l’anglais pour désigner le souci d’autrui.

En ajoutant à ce concept de care l’idée commune à tant de cultures que l’ombre[35] de tout gardien de troupeau est le loup, notre idée du courage se radicalise encore davantage. Elle parle toujours d’une mobilisation de nos appétits irascibles (selon les termes de Platon) pour surmonter la peur ou l’apathie qui nous empêcherait autrement de lutter contre certains dangers extérieurs. Mais la peur et l’apathie contre lesquelles appelle à lutter l’image du bon pasteur, dans l’Évangile selon s. Jean, ne portent plus seulement sur ces dangers extérieurs. Elles portent aussi, sinon surtout, sur des désirs intérieurs de vouloir être des loups, et qui prennent la forme de ce fameux désir de toute-puissance dont parle la psychanalyse kleinienne, de concert avec l’envie et le ressentiment provoqués par l’incapacité de pouvoir l’exercer. Ceux de nos désirs intimes qui relèvent non pas de la toute-puissance mais de ce qui nous fait aimer l’Arcadie et son univers pastoral ne peuvent que s’indigner et se rebeller devant tout déploiement de ces appétits. Et ce qui cherche alors à être protégé, derrière cette indignation, c’est le foyer, la domus, la légitimité des relations de pouvoir et, derrière tout cela encore, la possibilité même de l’amitié et de la confiance, d’un minimum de paix véritable.

Cette conception particulière du courage qui semble exigé des vrais bergers se trouve formulée en des termes extrêmes dans l’évangile de Jean : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (10,11). La vertu du pasteur consisterait, dans ces cas extrêmes, à savoir se sacrifier lui-même plutôt que de voir sacrifiés autrui et la relation à autrui, plutôt que de devenir un loup pour l’autre. La vertu qui rend les pasteurs bons consisterait en somme à préserver d’abord les liens de confiance et d’amitié à l’égard d’autrui.

Qu’en est-il maintenant des compétences à posséder pour être, non plus un bon pasteur, mais un bon mouton, un bon disciple, un bon follower ? De nouveau, quelque chose s’en trouve suggéré dans l’Évangile, cette fois dans ce que rapporte Matthieu des instructions de Jésus à ses disciples lors de leur envoi en mission : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Montrez-vous donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes » (Mt 10,16)

Dans cette perspective, le vrai courage consisterait dans une combinaison des trois éléments suivants.

  1. Une acceptation courageuse de la condition humaine, selon laquelle le grand oui à la vie dont parle Nietzsche[36] ne saurait consister à dire oui à n’importe quel instinct ou à seulement accepter d’avoir été jeté là et condamné dès lors à ex-ister comme on peut et comme on veut[37]. Il s’agirait plutôt de savoir faire confiance à cette sorte particulière d’instinct qui pousse à accepter d’être un agneau parmi des loups – des loups qui sont tout autant autour de nous qu’en nous –, ce que l’Évangile appelle « avoir la foi ». Une acceptation de la condition humaine représentée ici par l’image du mouton qui accepte de vivre parmi les loups plutôt que de fuir dans un monde fantaisiste qui n’existe pas ou de nier le désir d’Arcadie tout autant que le désir de toute-puissance.

  2. Une façon d’avoir la foi[38] qui ne soit pas dépourvue de stratagèmes, quand il le faut, qui ne soit pas sottement naïve ou téméraire mais au contraire aussi rusée qu’il le faudra ainsi qu’empreinte de prudence et de sagacité.

  3. Une façon d’être rusé, prudent et sagace qui soit toute aussi innocente d’arrière-pensées mesquines que de « grandiosité » narcissique. L’image de la colombe est utilisée ici comme symbole de cette façon d’être rusé, prudent et sagace. La colombe, c’est en effet dans la Bible l’animal qui apporte la paix, la branche d’olivier qui signifie la fin du déluge et, avec cette sortie de catastrophe, la réconciliation et le pardon mutuel du ciel avec la terre, sous la forme de l’arc-en-ciel.

Conclusion

La métaphore du bon berger n’est qu’une métaphore parmi d’autres pour parler de leadership et de followership. Après en avoir relevé les avantages, évoquons brièvement en conclusion quelques-unes de ses limites.

  1. Comment créer les étincelles et les braises de légitimité sur lesquelles souffler, quand celles-ci semblent introuvables ?

  2. Comment faire face aux loups quand ils sont en si grand nombre ou d’une telle vigueur militante que, pour faire face à la situation[39], le travail du berger et les réflexes habituels des moutons ne fonctionnent plus ?

Dans le premier cas, les théories de la créativité et les métaphores du leader artiste ou architecte auront plus à nous apprendre que la métaphore du bon pasteur, tout comme des concepts philosophiques comme ceux d’événement ou de rencontre, pour ne parler que de ceux-là.

Dans le second cas, ce ne sont pas les conseils qui manquent. La science politique moderne s’est en effet presque constituée sur le refus machiavélien de l’éthique pour ne considérer le pouvoir et son exercice qu’à l’état pur, objectivement et froidement. Ceci est tout aussi vrai de ces questionnements de gauche de la pensée politique critique que du cynisme de droite auquel la théorie de la circulation des élites de Vilfredo Pareto a donné une expression classique.

La vérité est qu’aucune métaphore, et probablement aucun concept ou théorie, n’arriveront à rendre compte à eux seuls de la complexité de phénomènes humains comme ceux de leadership et de followership. Il faut savoir prendre son miel là où il se trouve, et sans s’imaginer que la ruche où l’on en a trouvé est la seule qui existe ou que le miel qu’on y a dégusté en est la seule sorte.

Cette réflexion n’avait pas comme but d’encourager à prendre parti pour la métaphore du bon pasteur à l’encontre d’autres images, théories ou concepts qui peuvent aussi être employés pour parler symboliquement du leadership. Son objectif était plutôt d’attirer l’attention des spécialistes en études du leadership sur les richesses d’une métaphore qu’ils ont trop souvent tendance à négliger ou à rejeter trop rapidement du revers de la main.