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Ce dossier sur l’évolution des arts acadiens depuis 2000 prend le relai des réflexions et des discussions tenues lors de la Journée d’étude Arts et littérature, qui s’est déroulée le 12 août 2014 au campus d’Edmundston de l’Université de Moncton, dans le cadre du colloque multidisciplinaire L’Acadie dans tous ses défis, au moment du 5e Congrès mondial acadien.
S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions ou même émettre des hypothèses sur les directions que prendront les arts acadiens au XXIe siècle, les collaborateurs à ce dossier se rejoignent dans l’observation du maintien de l’innovation esthétique chez les artistes acadiens actuels, malgré un contexte institutionnel toujours fragile. D’une part, il s’agit de rendre compte de la spécificité et de l’originalité des trajectoires créatives individuelles, tout en dégageant des tendances d’époque. Comment les pratiques artistiques se reconfigurent-elles au vu des modifications du paysage culturel acadien, entre la consolidation de Moncton comme capitale culturelle et l’affirmation artistique des régions comme la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse ? Comment les artistes oeuvrant dans les années 2000 laissent-ils leur marque sur les pratiques (thèmes, registres de langue ou motifs) privilégiées en Acadie ? D’autre part, les contributions du dossier éclairent les défis institutionnels entourant les arts en Acadie, autant ceux qui sont constitutifs d’un petit milieu culturel (exiguïté du public, rapport asymétrique à l’institution québécoise, etc.) que les défis propres à la période. En particulier, comment le milieu culturel se restructure-t-il après la perte de certaines institutions-clés, comme les Éditions d’Acadie, la revue de création éloizes et l’espace de critique artistique « Tintamarre » de l’Acadie Nouvelle ?
L’artiste visuel Rémi Belliveau, un participant de la Journée d’étude, propose en page couverture Portrait de Joseph Broussard dit Beausoleil (2014), une oeuvre réalisée dans le cadre de l’exposition « Acadie mythique » de la Galerie d’art de Saint Mary’s University de Halifax, dont Harlan Johnson était commissaire. Les artistes devaient puiser dans les collections acadiennes des musées et proposer une oeuvre à partir d’objets historiques. Cette intervention de l’art contemporain sur l’artéfact muséal encourage l’observateur à établir des liens inédits, obliques avec le patrimoine. Le premier article du dossier, « “À l’ombre d’Évangéline” : réimaginer un lien entre arts, littérature et culture populaire », revient sur une autre initiative visuelle à s’intéresser aux liens entre le passé et le présent, revisitant cette fois la référence qu’est la figure d’Évangéline. L’examen des propositions individuelles des artistes qui y ont contribué, de 1997 à 2011, permet à Pierre Dairon de dégager des différences dans la réappropriation ou la déconstruction du mythe, selon l’appartenance à l’une de trois générations artistiques.
De son côté, Ariane Brun del Re examine, dans « France Daigle, héritière de Gérald Leblanc : de Moncton mantra à Petites difficultés d’existence », les rapports entre les oeuvres d’auteurs appartenant à une même génération. Explorant un morceau manquant de l’examen de la construction et de la représentation littéraire de Moncton comme capitale culturelle acadienne, Brun del Re montre comment Daigle s’inscrit dans la filiation de Leblanc, participant au même projet littéraire, tout en explorant une sensibilité différente de celle de son prédécesseur, notamment dans la projection d’une vision utopique de l’avenir de la ville sur le plan linguistique. Cet article témoigne aussi de l’action performative de la littérature acadienne, à laquelle Leblanc et Daigle ont largement participé et qui a mené à la consolidation de Moncton en tant que capitale culturelle, ce qui constitue l’un des deux phénomènes institutionnels majeurs du tournant du siècle en Acadie.
L’autre est l’émergence de la Baie Sainte-Marie comme région d’avant-garde artistique acadienne. Les trois contributions suivantes du numéro se consacrent à rendre compte d’aspects de cette nouvelle réalité, qui tournent autour de la reconnaissance de l’apport culturel des formes de l’oralité. Dans l’article de Joëlle Papillon, « Les quatre saisons d’Alma : une lecture écoféministe d’Alma de Georgette LeBlanc », la proposition féministe du « conte » de LeBlanc est examinée dans la perspective d’un rapprochement avec la nature. La valorisation de l’environnement naturel par la protagoniste lui permet en retour de renégocier les rapports de force genrés traditionnels de son environnement social. Dans « Radio Radio à Montréal : “ la right side of the wrong ” », Catherine Leclerc prend certes la trajectoire de Radio Radio comme objet principal, tout en faisant intervenir celles d’autres auteurs-compositeurs-interprètes ou groupes de musique acadiens – Lisa LeBlanc, Les Hay Babies et Joseph Edgar –, témoignant du succès de la musique acadienne au Québec ces dernières années. Par son analyse de la controverse québécoise (voire montréalaise) autour de la langue des artistes, un débat ravivé par la réception enthousiaste du public québécois pour les propositions linguistiques hybrides et la veine festive de la musique acadienne, Leclerc situe l’action de la périphérie acadienne sur le centre québécois. Enfin, dans une note de recherche intitulée « Contes, légendes, blagues, anecdotes et mystifications : la tradition orale de Pubnico », Carmen d’Entremont examine les transformations et les poursuites de la littérature orale en période contemporaine. Sa proposition méthodologique d’élargir la portée de la collecte traditionnelle permet à l’ethnologue de rendre compte de la richesse de formes moins étudiées de la littérature orale.
En clôture de dossier, deux contributions sont issues de tables rondes tenues lors de la Journée d’étude, regroupant avant tout des acteurs du milieu culturel. En amont de l’oeuvre littéraire, les agents culturels qui ont contribué au texte « Les défis de l’édition en Acadie » explorent les dynamiques changeantes de l’industrie du livre, relevant à la fois du contexte acadien et de leur place dans le milieu éditorial : celle des Éditions Perce-Neige pour Serge Patrice Thibodeau, celle des Éditions Bouton d’or Acadie pour Marie Cadieux, celle des Éditions Tintamarre pour Clint Bruce ainsi que celle du Regroupement des éditeurs canadiens-français (RÉCF) pour Catherine Voyer-Léger. Face à un cumul de contraintes dûment constatées, il n’en reste pas moins que de nouvelles possibilités surgissent. En aval de l’oeuvre artistique, trois critiques (Ariane Brun del Re, Benoit Doyon-Gosselin et Pénélope Cormier) et l’auteure d’un ouvrage sur la critique, Catherine Voyer-Léger, font état, dans « Pour ajouter à tout ce “Tintamarre” : les défis de la critique en Acadie », des répercussions sur le milieu artistique acadien de la perte, en 2013, de l’espace de critique artistique « Tintamarre » de l’Acadie Nouvelle, animé pendant près de 20 ans par David Lonergan. L’analyse de cette conjoncture fait miroiter un espace où les initiatives novatrices ont le champ libre.
Suite à ce parcours du dossier, il est évident que, depuis les années 2000, les perspectives critiques sur les arts en Acadie s’éloignent des dichotomies « faciles » – entre nature et culture, entre patrimoine artistique et art contemporain, entre artistes consacrés et artistes émergents, entre centre(s) et périphérie(s), etc. – longtemps privilégiées (mais de moins en moins) par la recherche. En ce sens, les collaborateurs à ce dossier emboîtent le pas aux artistes qu’ils observent, commentent et interprètent.
Ce numéro de la Revue de l’Université de Moncton a permis de continuer la réflexion et les échanges sur les arts acadiens actuels qui ont animé la Journée d’étude Arts et littérature du colloque L’Acadie dans tous ses défis, tout en contribuant à assurer l’héritage scientifique du 5e Congrès mondial acadien. À cet égard, nous remercions l’Université de Moncton, campus d’Edmundston, ainsi que les nombreux partenaires qui ont rendu possible la tenue du colloque. Pour la réalisation du dossier, il faut souligner les contributions diverses de l’équipe de la Revue de l’Université de Moncton, du comité organisateur du colloque L’Acadie dans tous ses défis, de la Chaire de recherche en études acadiennes et milieux minoritaires (Université de Moncton) et de la Chaire de recherche en études acadiennes et transnationales (Université Sainte-Anne).