Résumés
Résumé
Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, le monde rural a subi de profondes transformations. Ces changements ne se sont pas effectués partout de la même façon ni avec la même intensité. Au nombre de 282 au recensement de 2011, les petites localités du Canada atlantique ont particulièrement été affectées par ces mutations. Déjà fragilisés en raison de leur faiblesse démographique, plusieurs de ces milieux sont également aux prises avec la fragilisation de leur tissu socio-économique. L’objectif de cet article est double. Il consiste, d’une part, à caractériser la fragilité des petites localités rurales de l’Atlantique et à examiner en quoi elles constituent la catégorie de milieux la plus susceptible de souffrir de fragilisation rurale. Sur le plan méthodologique, l’analyse des résultats est effectuée en considérant, sur une période de 30 ans, quatre dimensions structurelles de la fragilité: la structure de peuplement, la démographie, l’économie et les niveaux de revenus. Il s’en dégage une dégradation inquiétante de la situation socio-économique des petites localités de l’Atlantique nécessitant la mise en oeuvre d’une vigoureuse politique de développement rural orientée vers le redressement de leur démographie, la stimulation de leur économie et la réduction de la pauvreté.
Mots-clés :
- fragilité,
- fragilisation,
- ruralité,
- petites localités,
- développement
Abstract
During the second half of the twentieth century, the rural world has undergone profound changes on many levels. All these changes were not made anywhere in the same way or with the same intensity. There were 282 small rural communities in Atlantic Canada identified in the national census of 2011, they have been particularly affected by these changes. Already vulnerable because of their demographic weakness, many of these communities are also struggling with the weakening of their socio-economic situation. The objective of this paper is twofold. It consists, first, to characterize the fragility of the small rural communities of the Atlantic region and to determine why they are the category of rural areas most likely to suffer from instability. In terms of methodology, research results will be analyzed over a period of thirty years considering four structural dimensions of fragility: population structure, demography, economy and income levels. The results suggest a worrying deterioration in the socio-economic situation of small rural communities in the Atlantic region requiring the implementation of a strong rural development policy oriented not only to the recovery of their population and their economy, but also towards reducing poverty.
Keywords:
- rurality,
- small communities,
- fragility,
- destabilization,
- development
Corps de l’article
Introduction
Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, le monde rural a subi de profondes transformations (Jean, Desrosiers et Dionne, 2014; Vachon, 2011). Parmi les principales manifestations que nous avons observées, soulignons la dissociation entre le fait rural et agricole, la diminution du poids de la population rurale parmi la population totale, un éclatement entre lieu de travail et de séjour en raison de l’amélioration des moyens de transport provoquant du coup l’élargissement des zones résidentielles, l’effacement du village comme élément structurant de la ruralité, l’émergence de nouveaux enjeux (entre autres sur les plans touristique et environnemental) concernant l’usage de l’espace rural et la fin de l’autonomie des milieux ruraux (Simard, 2003; Dugas, 1996; Houée, 1992).
Si ces transformations ont contribué à modifier le kaléidoscope du fait rural, ces changements ne se sont pas effectués partout de la même façon, ni avec la même intensité (Dugas, 1996). C’est particulièrement le cas des petites localités rurales de l’Atlantique, éloignées des villes et dont l’économie repose simultanément sur l’exploitation de deux ressources (notamment la forêt et la pêche). Déjà fragilisés en raison de leur faiblesse démographique, plusieurs de ces milieux n’ont pas été en mesure d’assurer leur transition occupationnelle. Ainsi, dans le cas particulier de l’Atlantique, plusieurs localités de petite taille sont difficilement parvenues à effectuer le passage d’une économie gravitant autour de la mise en valeur des ressources forestières, agricoles et halieutiques à une autre tournée soit vers une agriculture productiviste, une industrie forestière à haut rendement, la villégiature, le tourisme ou vers les services à la personne (Dubé et Polèse, 2014). En outre, ces transformations se sont répercutées encore plus fortement sur ces petits milieux en raison de leur plus grande vulnérabilité aux aléas de la conjoncture économique globale.
Hormis nos propres travaux qui se sont attardés sur la situation québécoise (Simard, 2002, 2003, 2006), il existe peu de recherches ayant porté sur l’étude des petites localités rurales en Atlantique analysée sous l’angle de la fragilité et de la fragilisation rurale, d’où l’aspect novateur du présent article dont l’objectif consiste, d’une part, à caractériser la fragilité de cette catégorie particulière de milieux ruraux et à examiner en quoi elle est le plus susceptible de souffrir de fragilisation.
Notre contribution s’organise en quatre parties. Dans la première, nous exposons notre cadre théorique. La deuxième est consacrée à la méthodologie. La troisième partie porte sur l’analyse de nos résultats. Nous identifions, dans un premier temps, les principales caractéristiques de la fragilité des petites localités et, par la suite, nous verrons en quoi elles sont plus enclines au processus de fragilisation. Enfin, dans la quatrième partie, nous esquissons les grandes lignes d’une éventuelle politique de développement qui tient compte de la réalité particulière des milieux ruraux de petite taille démographique en Atlantique.
1. Cadrage théorique
1.1. Les provinces atlantiques: éléments de définition et de caractérisation
L’Atlantique englobe les quatre provinces de la côte est du Canada, à savoir : le Nouveau-Brunswick (NB), la Nouvelle-Écosse (NÉ), l’Île-du-Prince-Édouard (ÎPÉ) ainsi que Terre-Neuve-et-Labrador (TNL). Le tableau 1 fait état des principales disparités que l’on observe entre les provinces atlantiques, chacune de celles-ci et le Canada pris dans son ensemble.
Sur le plan démographique, nous constatons la faiblesse du poids de ces quatre provinces par rapport à la population canadienne. La proportion des personnes âgées de 65 ans y est plus est aussi plus élevée notamment en NÉ. À l’inverse, les moins de 24 ans sont proportionnellement moins nombreux en Atlantique en raison d’une plus faible natalité (Simard, 2011a)[1].
Sur le plan économique, l’Atlantique bénéficie d’un potentiel biophysique (poisson, vent, forêt, mines, etc.) riche et diversifié, mais dont l’exploitation repose essentiellement sur l’extraction et la première transformation des ressources comme en témoigne le plus fort contingent de travailleurs affectés au secteur primaire comparativement au Canada. La mise en valeur des ressources, conjuguée à l’apport du tourisme au sein de l’économie, contribuent à générer de nombreux emplois saisonniers entraînant une proportion plus élevée du revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux et un niveau de revenu moins élevé en comparaison à la moyenne canadienne. L’Atlantique est aussi désavantagé par une base manufacturière faiblement diversifiée et peu productive. Déjà, en 1993, Savoie et Winter mettaient en exergue la faiblesse de l’appareil industriel, ce qui illustre bien l’aspect structurel de cette dimension de l’économie d’une part et la difficulté pour l’Atlantique à la restructurer de l’autre (Campbell, 2014; Savoie, 2006; Savoie et Winter, 1993).
En outre, eu égard aux autres provinces, celles de l’Atlantique se distinguent par une plus faible superficie[2], une structure de peuplement asymétrique et déséquilibrée qui se manifeste, entre autres choses, par la faiblesse de l’armature urbaine, une forte dispersion de la population et l’éloignement d’un grand nombre de localités les unes par rapport aux autres ainsi qu’en fonction des principales villes (Simard, 2014)[3], la prédominance du fait rural par rapport au monde urbain, l’absence d’une ville en mesure de polariser l’ensemble de l’activité économique provinciale, interprovinciale ainsi qu’à l’échelle de l’Atlantique, des courants migratoires extraprovinciaux importants occasionnant un solde migratoire négatif[4], un affaiblissement des pôles d’intégration et de croissance (à l’exception de Moncton, d’Halifax et de St. John’s) (Desjardins, Polèse et Shearmur, 2013) ainsi par une faiblesse de la proportion d’immigrants internationaux parmi la population totale[5].
Par ailleurs, bien qu’elles présentent plusieurs points en commun sur le plan de la géographie, de la démographie et de l’économie, les quatre provinces atlantiques se différencient aussi sur plusieurs aspects notamment en ce qui concerne la diversité liée à la mise en valeur des ressources, l’histoire, la vie fonctionnelle et relationnelle, la nature des passages humanisés, la culture, et la langue autant de facteurs qui influent directement sur leur potentiel de développement.
1.2. La ruralité et les petites localités
Pendant longtemps, la ruralité a été étroitement associée aux activités économiques relevant du secteur primaire (Jean, 2014). Or, elle accueille aujourd’hui une variété impressionnante de fonctions et d’activités, si bien qu’il n’est plus possible de la définir uniquement par la nature de ses emplois et encore moins par sa structure sociale (Simard, 2003; Jean, 1997; Dugas, 1996). En fait, les différentes définitions du fait rural retenues ces dernières décennies traduisent essentiellement les mutations profondes qui ont marqué cet espace géographique qui avait, dans le passé, été fortement influencé par les activités à caractère agro-sylvo-pastoral (Vachon, 2011, 2014; Dugas et Vachon, 1991). À cet égard, une définition de l’espace rural comme une seule et même entité est insatisfaisante. Ce qu’on appelle espace rural est la représentation d’une multitude de micro-milieux juxtaposés avec leur mode d’organisation et de fonctionnement, leurs structures et leurs objectifs spécifiques. Les nombreuses typologies élaborées par les spécialistes de la ruralité rendent bien compte de cette diversité (MAMROT, 2008; Jean 1997; Leroy, 1997; Kayser, 1990). Si la notion est malaisée à définir d’un point de vue qualitatif en raison de sa diversité, il n’est pas plus facile de proposer une définition statistiquement opérationnelle. Au Canada, SC s’est donné une définition normative de la ruralité basée sur la taille démographique et la densité de population. Selon l’agence fédérale, est considéré comme rural, tout territoire situé en dehors des « centres de population », ces derniers étant définis comme une « concentration géographique d’au moins 1 000 habitants et une densité de population d’au moins 400 habitants par kilomètre carré » (SC, 2012 : 115). Suivant cette définition, les quatre provinces de l’Atlantique ne comporteraient que 30 villes excluant les deux agglomérations urbaines les plus populeuses à savoir Halifax (390 096 habitants) et St. John’s (106 072 habitants), mais aussi des villes comme Miramichi (17 811 habitants), Edmundston (16 032 habitants) ou Bathurst (12 275 habitants) dont la densité démographique est inférieure à 400 habitants par km2. Dès lors, force est de reconnaître que la définition de SC s’applique mal au contexte géographique de l’Atlantique qui se caractérise par la très forte dispersion de sa population. Pour cette raison, il nous est apparu plus approprié de considérer comme rurales les entités géographiques dont la population est inférieure à 2 500 habitants, une délimitation couramment utilisée dans les travaux de différents chercheurs qui s’intéressent au fait rural (Simard 2011a; Dugas, 1996).
En interrelation avec des espaces géographiques plus vastes, les localités de petite taille démographique représentent une composante à part entière la ruralité. Par ailleurs, comme il n’existe pas de critère quantitatif pour définir ce qu’est une petite localité, la question qui se pose ici est de déterminer à quel seuil une localité est petite. Dans le cadre de cet article, on entend par « petites localités » les subdivisions de recensement possédant le statut de lots, de réserves indiennes, de communautés, de municipalité de paroisse, de villages, de subdivisions non organisées et de régions dont la population est inférieure à 500 habitants (SC, 2012; Simard, 2003).
1.3. La structure de peuplement
La notion de « structure de peuplement » a été introduite dans les travaux du géographe Clermont Dugas. L’auteur la définit comme étant :
la répartition de la population par localité, la distribution spatiale des localités les unes par rapport aux autres et en regard des voies de communication et des principaux accidents géographiques et la taille démographique des localités. Elle intègre aussi les notions de distance, de densité et de dispersion et fait également référence aux diverses formes de l’oekoumène.
Dugas, 1990 : 55
L’organisation de cette structure est le résultat d’une multiplicité d’interventions humaines. Parmi les principaux éléments qui, en Atlantique, ont contribué à sa formation, signalons : la localisation des ressources et des industries dans l’espace, le cadastre, le tracé des routes, les acteurs sociospatiaux (mouvements de colonisation de l’État et de l’Église), l’appartenance culturelle et ethnique, certains faits historiques, etc. Le fait linguistique a aussi exercé un rôle majeur dans sa formation. Ainsi, dans le cas du NB, la population francophone a tendance à se localiser dans le nord-ouest, le nord-est, le sud-est ainsi que dans la péninsule acadienne. En NÉ, le Cap-Breton et la côte sud de la province abritent un fort contingent de francophones. Le comté de Prince et la région Évangeline à l’ÎPÉ englobent aussi plusieurs francophones alors que ceux-ci sont davantage disséminés dans le cas du Labrador avec, par ailleurs, une certaine concentration dans le nord de la province, dans la péninsule de Port-au-Port à l’ouest, à St. John’s et dans la péninsule d’Avalon à l’est.
1.4. La fragilité
Au sens étymologique, la fragilité est une disposition à être brisée, c’est-à-dire changée, transformée, une tendance à l’instabilité (Simard, 2003). Au sens figuré, le concept est étroitement lié à celui de disparité (Lafontaine et Thivierge, 1999). Il a largement été utilisé par de nombreux géographes et sociologues français (Mignon, 2001; Houée, 1998; Bontron, 1994). Il a également été appliqué au cas abitibien par Hervé Gumuchian (Gumuchian, 1990), puis repris dans le cadre de nos travaux (Simard, 2003). Il exprime une ou des carences relatives d’une situation par rapport à une autre. Celles-ci s’observent tant sur les plans géographique, historique, économique, social, culturel qu’au niveau politique. Dès lors, la fragilité réfère à l’existence de problèmes socio-économiques, culturels, politiques et géographiques qui caractérisent plus spécifiquement, mais non exclusivement, les localités de petite taille démographique, problèmes qui réfèrent à la fois à des situations héritées et à des dynamiques actuelles. Parmi ces problèmes, le maintien des services de proximité et l’exode de la population (à la fois des jeunes et des personnes âgées) figurent parmi les thèmes qui ont particulièrement retenu l’attention des spécialistes en développement régional au cours des dernières années (Simard., 2015; Gucher, 2014; Pachocenski et Henderson, 2014; Walsh, 2012; Markey, Storey et Heisler, 2011).
Si la fragilité n’est pas le fait exclusif des petites localités, celles-ci peuvent néanmoins, du seul fait de la faiblesse de leurs effectifs démographiques, être considérées comme fragiles, ce qui les rend plus vulnérables aux soubresauts de la conjoncture et à tout événement extérieur (Simard, 2003). Par ailleurs, le concept de fragilité n’est pas synonyme de « dévitalité ». Par exemple, une localité peut présenter certains signes de fragilité (insuffisance de services, vieillissement de la population, etc.) tout en étant en stabilité, voire en relative croissance sur le plan démographique. En outre, une localité peut être fragile sur le plan socio-économique tout en faisant preuve d’un dynamisme local se traduisant par une amélioration de l’habitat, la présence d’associations ou d’organismes communautaires, l’implication de nombreux bénévoles, un capital social fort, etc. (Simard, 2011b). Par ailleurs, si la fragilité ne constitue pas nécessairement un frein au développement des petites localités rurales, elle est néanmoins susceptible d’en réduire la portée.
1.5. La fragilisation
Une relecture de la littérature fait apparaître un usage plutôt restreint de la notion de fragilisation dans les domaines des sciences régionales et de la géographie rurale (Jean, Desrosiers et Dionne, 2014; Jean et Périgord, 2009). En fait, les chercheurs utilisent beaucoup plus fréquemment les termes « marginalisation », « dévitalisation », « déstructuration » et même « désertification » pour désigner des espaces géographiques en marge du développement. Non seulement ces notions comportent une forte connotation péjorative, mais surtout, elles traduisent, dans bien des cas, l’existence d’un phénomène quasi inéluctable. Pour les fins de notre analyse, la notion de « fragilisation » nous apparaît beaucoup plus appropriée. Elle référera au processus par lequel un milieu tend à se dégrader en raison de facteurs économiques, géographiques, historiques et sociaux tels que l’éloignement des pôles de développement, la dispersion de la population, la pauvreté des sols et du potentiel biophysique en général, l’épuisement ou la mauvaise gestion des ressources naturelles, la décroissance démographique, la perte de services et d’emplois, les fluctuations économiques, etc.
La fragilisation comporte ipso facto une dimension temporelle. Contrairement au concept de fragilité, elle ne fait pas que refléter le présent, mais elle engage aussi l’avenir puisqu’elle implique la perte et l’amenuisement de facteurs de développement tant physiques, humains, tangibles qu’intangibles. En raison de leurs caractéristiques géographiques et économiques, les petites localités sont davantage enclines à souffrir de fragilisation, bien que le processus ne soit pas exclusif à ces milieux. Par ailleurs, il est susceptible de miner très sérieusement le potentiel de développement des milieux concernés ainsi que le renforcement des capacités d’apprentissage (Jean, 2015; 2012). Par conséquent, il peut influencer négativement les facteurs intangibles du développement local tels que le leadership, l’entrepreneuriat, le capital social, l’empowerment, la gouvernance et la capacité de résilience (Jean et Epanda, 2004).
2. Méthode d’analyse
L’analyse de la fragilité et de la fragilisation est effectuée, dans le cadre de cet article, en considérant la taille démographique des localités de façon à mettre en exergue leurs diverses modalités évolutives et à identifier les particularismes des petites localités. Une attention particulière est accordée aux caractéristiques socio-économiques des milieux les plus touchés par le processus de fragilisation. L’analyse est réalisée en considérant quatre dimensions structurelles de ce processus à savoir : la structure de peuplement, la démographie, l’économie et les niveaux de revenus. En ce qui concerne la démographie, nous examinons l’évolution des effectifs ainsi que les phénomènes de dépeuplement continu et de vieillissement. Quant à l’aspect économique, le taux de chômage, l’évolution du nombre d’emplois, les transferts gouvernementaux et les niveaux de revenus constituent les principaux paramètres qui serviront aux fins de notre démonstration. Ceux-ci sont issus des différents recensements de Statistique Canada (SC). Ils feront l’objet d’une analyse typologique et cartographique réalisée à partir des logiciels Excel® et MapInfo®. Parce qu’il procure une excellente vue d’ensemble de la distribution spatiale des indicateurs de fragilité et de fragilisation, nous accorderons une attention particulière à l’outil cartographique comme méthode d’analyse. Cet outil permettra aussi d’établir des interrelations entre ces mêmes indicateurs et diverses composantes de la structure spatiale en particulier la taille démographique des localités et la distance par rapport aux villes.
Le modèle de Christaller montre bien le rôle exercé par les différents milieux géographiques en fonction de leur taille démographique et de leur hiérarchisation au sein de la structure spatiale (Chignier-Riboulon, Semmoud Cicéri, Marchand et Rimbert, 2012). Cet effet de taille exerce, entre autres choses, une influence considérable sur l’étendue et la densité de l’espace construit et habité, sur la quantité, la diversité et la qualité des services disponibles, sur la nature des occupations – notamment en ce qui concerne les emplois du secteur tertiaire – sur la vie relationnelle, politique, communautaire, sur la culture locale ainsi que sur la dynamique entrepreneuriale (Simard, 2014). La taille démographique des localités agit aussi sur le niveau et la composition du revenu des ménages. Les différences de taille influent, en outre, sur la capacité d’attraction des territoires (Dumont, 2012; Chignier-Riboulon, Semmoud Cicéri, Marchand et Rimbert, 2012).
De son côté, la distance par rapport à la ville constitue une variable structurelle majeure dans l’analyse de la fragilité rurale (Simard, 2003). Elle influe sur la vie socio-économique, les comportements des ruraux et sur leur qualité de vie. En outre, cette notion de distance a toutes sortes d’implications que ce soit au niveau du degré de dispersion des unités d’habitats, de la densité et de la qualité des axes de communication, des modes d’affectation du sol et de diversification économique (Simard, 2003). En effet, une localité peu accessible limite considérablement son potentiel de développement économique. Si la proximité d’une ville ne constitue pas une condition sine qua non à la relance économique des petites localités rurales, elle contribue au gonflement des revenus d’une tranche importante de la population rurale. Enfin, la distance par rapport à la ville exerce un rôle déterminant sur les perspectives d’avenir et sur le choix des moyens d’intervention à retenir dans le cadre de l’élaboration d’une politique de développement rural (Dugas, 2002).
Il va de soi que la subdivision de recensement est l’échelon géographique qui a été privilégié. La période retenue est celle comprise entre 1981 à 2011 (pour notre analyse démographique) et entre 1981 et 2006 (pour celle à caractère économique)[6]. Cette dernière nous apparaît suffisamment longue afin de dégager certaines tendances de fond.
En dépit de l’aspect novateur de notre contribution, force est d’admettre que notre méthodologie comporte certaines limites. En effet, l’analyse des données socio-économiques issues des recensements nationaux ne permet de refléter qu’une partie de la fragilité et de la fragilisation rurale. Dans le but de pallier cette lacune, il s’avérerait essentiel d’effectuer des enquêtes sur le terrain et des études de cas. Le couplage d’une approche quantitative et qualitative permettrait certes d’obtenir une vision plus nuancée de ces deux phénomènes et surtout de mieux cerner le potentiel de développement des milieux concernés en particulier en matière de renforcement des capacités.
3. Analyse des résultats
3.1. La fragilité
3.1.1. La structure de peuplement
L’examen des principales composantes de la structure de peuplement en Atlantique permet de mettre en exergue la fragilité des petites localités rurales. Ainsi, nous constatons au tableau 2 et à la figure 1 que les petites localités représentent plus du tiers de la structure spatiale en Atlantique. À TNL, elles composent plus de la moitié du tissu de peuplement. Le NB est la seule province où les localités de petite taille ne constituent pas la plus forte proportion de l’organisation territoriale.
Avec en moyenne 50,1 habitants par km2, la faible densité démographique des petites localités contribue à fragiliser la structure de peuplement en Atlantique en particulier à TNL. La densité de population est inférieure à un habitant par km2 dans 36 petites localités. Hormis Dumbarton, North Lake, Tabusintac 9, Lac Baker et McAdam au NB, toutes les autres se retrouvent à TNL. Se situant en moyenne à plus de 42 km d’une ville, ces milieux ont perdu le tiers de leurs effectifs entre 1981 et 2011. Un actif sur cinq occupe un emploi dans le secteur de l’exploitation des ressources. Étant donné que celui-ci est assujetti à une forte saisonnalité du marché du travail, il s’ensuit un taux de chômage élevé, ce dernier se chiffrant à 30,2% en 2006. Le revenu moyen des familles qui y résident atteint 53 449$ ce qui, par ailleurs, se rapproche à celui de l’Atlantique. À l’autre bout du spectre, sept petites localités ont une densité de population supérieure à 300 habitants par km2. Celles-ci abritent exclusivement une population autochtone. Leurs effectifs démographiques ont plus que doublé en l’espace de 30 ans. Bien que plus du tiers de la main-d’oeuvre active oeuvre dans les services, le tertiaire représente, à bien des endroits, un secteur de refuge pour plusieurs travailleurs ne pouvant trouver un emploi dans les autres sphères de l’activité économique. Le revenu familial moyen des familles se chiffre à 48 283$, ce qui ne correspond qu’à 87% de celui de l’Atlantique.
Un autre signe de fragilité des petites localités eu égard à la structure de peuplement réside dans leur éloignement par rapport aux villes, leur distance moyenne s’établissant à 38,8 km. Cette moyenne se situe entre des extrêmes oscillant entre 2 km (pour la localité de St. Basile 10 dans le Madawaska) et 209,6 km (pour celle de Makkovik dans la Division No 11 à TNL). Dans cette dernière province, 12 petites localités se situent à plus de 100 km d’une ville. Cet isolement se double d’une précarité économique, leur taux de chômage moyen s’établissant à 36,8%. Elles ont perdu 3 025 habitants en l’espace de 30 ans, ce qui représente une diminution de 49,4% de leur population.
3.1.2. Situation socio-économique
Plus que toute catégorie de milieux ruraux, ceux de petite taille démographique, au Canada atlantique, se distinguent par la présence de fortes disparités. Nous observons, au tableau 3, l’existence de nombreuses relations associatives entre la taille démographique des localités et certains indicateurs géo-socio-économiques (effet de taille), les problèmes socio-économiques ayant tendance à s’amplifier avec la réduction de la population. Ces disparités se traduisent aussi par la difficulté des petites localités à suivre les trajectoires évolutives du monde rural dans son ensemble, voire du fait urbain, ce qui est un autre signe de leur fragilité.
Les petites localités constituent la catégorie, toutes localités rurales confondues, dont la proportion de jeunes est la plus faible parmi la population totale. À l’inverse, les personnes âgées y sont proportionnellement plus nombreuses. Comme les milieux de petite taille démographique sont situés plus loin des villes, leur taux de migrations pendulaires est plus faible, un phénomène qui s’inscrit en porte à faux à la tendance générale que l’on observe en Atlantique notamment celle du Big commute vers l’Ouest canadien (Markey, Storey and Heisler, 2011).
Sur le plan économique, les petites localités abritent un plus fort contingent de travailleurs affectés au secteur primaire. Elles se caractérisent par un taux de chômage élevé et un taux d’activité plus faible. En raison de la faiblesse de leur infrastructure de services et de leur éloignement par rapport aux villes, une proportion moins élevée de la main-d’oeuvre active occupe un emploi au sein du secteur tertiaire. Le revenu moyen des familles figure parmi le moins élevé et ce, toutes catégories de localités rurales confondues. Tributaire de l’exploitation des ressources, leur économie génère des emplois saisonniers entraînant une plus forte partie du revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux. La structure de leur économie explique aussi le fait qu’elles disposent d’une plus faible propor- tion d’individus détenteurs d’un diplôme d’études universitaires.
3.2. La fragilisation
En examinant l’évolution de certains indicateurs sur un intervalle de temps de 25 ou 30 ans, nous observons, au tableau 4, que les petites localités de l’Atlantique semblent particulièrement affectées par le processus de fragilisation. Celui-ci se manifeste à différents niveaux que ce soit sur le plan géographique, démographique, économique ainsi qu’en ce qui concerne les niveaux de revenus.
3.2.1. La structure du peuplement
Comme en témoigne le tableau 5, non seulement les petites localités constituent la catégorie de milieux ruraux dont le poids dans l’organisation territoriale de l’Atlantique est le plus important, mais celui-ci ne cesse de s’accroître d’un recensement à l’autre, ce qui constitue un premier signe de leur fragilisation. Ainsi, de 230 qu’elles étaient en 1981, les petites localités sont passées à 282 en 2011 faisant passer leur part dans la composition de la structure de peuplement de 29,4 à 36,1%.
3.2.2. La démographie
3.2.2.1. Évolution de 1981 à 2011
Nous avons vu que les petites localités constituaient la catégorie de milieux ruraux dont la population avait le plus régressé entre 1981 et 2011. Cette dernière est effectivement passée de 114 442 à 74 716 personnes, ce qui représente une diminution de 34,7%. Plus des trois quarts des petites localités rurales de l’Atlantique ont été en décroissance démographique entre 1981 et 2011 alors que seulement 22% ont connu la trajectoire inverse. La figure 2 illustre l’évolution démographique des petites localités rurales au cours de la période 1981-2011. La décroissance oscille entre 0,6% à Millville, dans le comté de York au NB, à -98,7% pour celle de Baker Brook dans la même province. Les cas de décroissance tendent à se concentrer à TNL qui englobe 116 des 220 petites localités en déclin. On en dénombre 60 qui ont perdu plus de la moitié de leur population entre 1981 et 2011. À elle seule, TNL en abrite 53. Ces milieux à très forte décroissance souffrent également de fragilité géographique en raison de leur éloignement par rapport aux villes (elles s’en retrouvent à plus de 46 km), mais aussi de leur faible densité (qui s’établit à 26,6 habitants par km2). Ils se caractérisent aussi par un sous-emploi à l’état quasi chronique, leur taux de chômage atteignant 36,2% en 2006. Un peu plus de la moitié de leur population active travaille au sein du secteur tertiaire et près du quart occupe un emploi dans la mise en valeur des ressources. Le revenu moyen des familles s’établit à 48 795$, ce qui correspond à 97,9% de celui de l’Atlantique. Mentionnons que la population a fléchi de 75,1% et plus dans 10 petites localités identifiées par leur toponyme à la figure 2.
Il semble se dégager de nombreuses corrélations entre l’évolution démographique et certaines caractéristiques socio-économiques comme le montre le tableau 6. Ainsi, la taille démographique des localités se rétrécit en fonction de l’intensité du dépeuplement. De même, les milieux les plus enclins à la décroissance démographique sont également ceux qui comportent le plus fort contingent de personnes âgées parmi la population totale. Pour cette raison, nous observons l’existence d’une relation parfaitement linéaire entre l’acuité de la décroissance démographique et la proportion du revenu provenant d’une autre source, comprenant notamment les pensions de vieillesse.
3.2.2.2. Le dépeuplement continu
Si les petites localités sont davantage sujettes à la décroissance démographique, plusieurs souffrent également de dépeuplement continu, c’est-à-dire d’une diminution constante de leurs effectifs au cours des sept recensements compris entre 1981 et 2011. Une petite localité sur cinq est affectée par une telle situation, ce qui en fait la catégorie de milieux ruraux la plus affectée par ce phénomène. Comme l’indique la figure 3, TNL concentre la majorité des petites localités en dépeuplement continu. On y retrouve 57 des 62 municipalités de petite taille aux prises avec la décroissance incessante de leur population. Trois, en l’occurrence, Lot 47, St. Louis et Miminegash, se situent à l’ÎPÉ alors que le NB en abrite deux, à savoir Alma et Colborne. Nous avons identifié par leur toponyme celles en dépeuplement continu et dont la décroissance a été supérieure à 50%. Situées en moyenne à 43,8 km d’une ville, plusieurs de ces petites localités souffrent de fragilité géographique. Elles sont assujetties à une forte précarité économique comme en fait foi leur taux d’activité moyen qui ne s’établit qu’à 50,6%. Le sous-emploi a pour corollaire un taux de chômage très élevé, ce dernier s’établissant à 34,5%. Il est même supérieur à 50% dans 12 de ces milieux en dépeuplement. Le quart de la main-d’oeuvre active occupe un emploi au niveau de l’exploitation et de l’extraction des ressources alors que le secteur de la transformation retient 24% des actifs. Il ne reste donc qu’un peu plus de la moitié de la population active oeuvrant dans le domaine des services. Les petites localités en dépeuplement continu se caractérisent aussi par un faible niveau de revenu. Se chiffrant à 48 633$, le revenu moyen des familles ne correspond qu’à 87,6% de celui de l’Atlantique. Il est supérieur à ce dernier dans seulement sept petites localités en dépeuplement. La proportion des individus n’ayant pas atteint le seuil de la 9e année s’établit à 15,3% au sein de ces milieux alors que 8% de la population est détentrice d’un diplôme d’études universitaires.
3.2.2.3. Le vieillissement
Les milieux de petite taille démographique figurent parmi la catégorie de localités la plus affectée par le vieillissement autant « par le bas » que « par le haut »[7] (Dumont, 2005a, 2005b). Dès lors, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus parmi la population totale est passée de 9,6% en 1981 à 19,4% en 2011. On dénombre 19 petites localités dont la proportion d’aînés s’est accrue de 20,1 points ou plus entre 1981 et 2011. Nous les avons identifiées par leur toponyme à la figure 4. À l’exception de Cole Harbour 30 en NÉ, elles se concentrent exclusivement à TNL. Ces milieux fortement vieillis ne font en moyenne que 190 habitants. Ils ont perdu près de la moitié de leur population en l’espace de 30 ans. Par conséquent, ils sont affectés par le dépeuplement. Ils se situent aussi à plus de 52 km d’une ville. Cet isolement géographique peut s’avérer lourd de conséquences pour les aînés résidant au sein de ces milieux dont l’infrastructure de services se réduit au strict minimum (Simard et al., 2015). Ce même groupe de petites localités souffre aussi de malaises profonds sur le plan économique. Leur taux d’activité n’est que de 45,1% alors que le chômage affecte plus du tiers de la population active. Le secteur primaire retient 17,9% des actifs contre 46,5% pour tertiaire. Le niveau de revenu des familles atteint 45 528$, ce qui est nettement inférieur à la moyenne de l’Atlantique[8].
Mais c’est surtout la diminution de la proportion de jeunes qui a contribué à accélérer le processus de vieillissement au sein des petites localités. Celle-ci est passée de 49% en 1981 à 28,3% en 2011, ce qui représente une baisse de 25,2 points. En fait, hormis Aroostook, Fort Folly 1 (NB), la Division No 5, Subd. C (TNL) ainsi que Cambridge 32 et Glooscap 35 (NÉ), toutes les petites localités ont été concernées par le vieillissement « par le bas ». Le phénomène devient particulièrement alarmant dans 12 milieux de petite taille démographique à TNL dont la proportion de jeunes a fléchi de 40,1 points ou plus entre 1981 et 2011. Les milieux concernés ont été identifiés par leur toponyme à la figure 5. Abritant en moyenne 207 habitants, ces subdivisions ont perdu 45,8% de leur population en l’espace de 30 ans. Trois (Lushes Bright-Beaumont-Beaumont North, Coachman’s Cove et Morrisville) sont en décroissance démographique continue depuis 1981. Distantes en moyenne de 56,8 km d’une ville, ces petites localités sont isolées dans la trame de peuplement. Plus du tiers de la population active recevait des prestations d’assurance-emploi en 2006. L’exploitation et la première transformation des ressources accaparent plus de la moitié de la population active. Leur revenu, qui se chiffre à 44 374$, ne correspond qu’à 79,9% de celui de l’Atlantique. Les problèmes économiques de ces milieux se reflètent aussi à travers leur revenu d’emploi qui ne compose que la moitié du revenu total.
3.2.3. L’économie
La fragilisation des petites localités rurales se manifeste aussi sur le plan de leur activité économique. L’examen concernant l’évolution du taux de chômage, du nombre d’emplois, des transferts gouvernementaux et des niveaux de revenus permettra de mesurer l’ampleur du processus.
3.2.3.1. Le taux de chômage
De 1981 à 2006, les petites localités rurales de l’Atlantique ont enregistré une croissance de 16,9 points de pourcentage de leur taux de chômage. Il s’agit de la plus forte augmentation toutes catégories de localités confondues. En fait, seulement 39 milieux de petite taille ont connu une trajectoire inverse. Les entités les plus touchées par l’accroissement de leur taux de chômage se retrouvent à TNL. En effet, 25 des 26 localités dont le taux de chômage s’est accru de 40,1 points ou plus se situent dans cette province. Ces milieux ont été identifiés par leur toponyme à la figure 6. Au cours de la période à l’étude, ils ont accusé un déficit net de 665 emplois dont 380 relèvent du secteur secondaire et 155 du primaire. Ils abritent une faible population, leur taille démographique moyenne n’atteignant que 197 personnes en 2011. Au surplus, leurs effectifs ont décliné de 28,4% en l’espace de 30 ans. Situés en moyenne à plus de 40 km de toute agglomération urbaine, ces milieux ont une économie qui repose essentiellement sur la pêche et la transformation du poisson. Le secteur secondaire compose 29,7% de leur structure occupationnelle. Leur revenu moyen des familles s’établissait à 46 904$ en 2006, ce qui équivaut à 84,5% de celui de la province. Les paiements de transferts gouvernementaux composaient 35,1% du revenu total.
3.2.3.2. L’évolution du nombre d’emplois
Alors que toutes les autres catégories de milieux ruraux enregistraient un gain, les petites localités ont accusé une perte nette de 3 590 emplois entre 1981 et 2006. Ces pertes sont en partie imputables aux difficultés du secteur de la transformation des ressources qui a affiché une diminution de 3 460 emplois. Au nombre de 960, le secteur primaire a aussi été affecté par des pertes considérables d’emplois. Quant au secteur tertiaire, il s’est caractérisé par un gain de 830 emplois. La figure 7 illustre l’évolution de l’emploi au sein des petites localités de l’Atlantique entre 1981 et 2006. Nous avons identifié par leur toponyme les 28 subdivisions qui ont perdu 75 emplois ou plus au cours de cette période. Les provinces maritimes n’en comptent que quatre dont trois au NB. TNL s’accapare du reste. Dans cette province, certaines de ces localités souffrent carrément d’isolement géographique parce que situées à plus de 70 kilomètres de toute agglomération urbaine. C’est le cas notamment de Parson’s Pond, de Daniel’s Harbour et de Hawke’s Bay. D’une population moyenne de 304 habitants en 2011, la diminution du nombre d’emplois s’est répercutée inévitablement sur le taux d’activité qui, au sein de ces milieux, a décru de 12,6 points de pourcentage ente 1981 et 2006. En corollaire, leur taux de chômage a augmenté de 20,7 points. En 2006, celui-ci se chiffrait à 33%. Ces milieux, dont l’économie s’est considérablement précarisée en 25 ans, souffrent aussi de décroissance démographique, leur population ayant régressé de 46,7% entre 1981 et 2011. Nous notons, par ailleurs, de fortes disparités en ce qui concerne le niveau de revenu de ces milieux à problèmes économiques sérieux. De fait, le revenu moyen des familles oscille entre 30 514$ pour la localité la plus pauvre (Lushes Bright-Beaumont-Beaumont Nord) à 72 151$ pour celle la plus riche (Annapolis Subd. A) pour une moyenne atteignant 49 593$. En 2006, 17,4% de la population résidant au sein de ces localités n’avait pas terminé la 9e année.
3.2.3.3. Les transferts gouvernementaux
Les petites localités représentent la catégorie de milieux ruraux dont le revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux a augmenté entre 1981 et 2006. Pareille situation est non seulement symptomatique des nombreuses difficultés auxquelles sont assujettis ces petits milieux, mais ils traduisent aussi une dégradation de leur situation économique. En fait, c’est plus de la moitié des petites localités, soit plus précisément 68 sur 127 pour lesquelles la donnée est disponible[9], qui se sont distinguées par un accroissement de leur revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux. Les petites localités identifiées par leur toponyme à la figure 8 correspondent à celles dont la proportion du revenu sous forme de transferts s’est accrue de 20,1 points de pourcentage ou plus entre 1981 et 2006. Au nombre de 15, elles longent toutes la côte terre-neuvienne. Abritant une moyenne de 325 personnes, leur population a fléchi de 36,9% entre 1981 et 2011. L’éloignement géographique est le lot de la quasi-totalité de ces milieux puisque seulement deux, en l’occurrence Flower’s Cove et Anchor Point, se situent à moins de 20 km d’une ville. Au total, elles ont perdu 590 emplois de 1981 à 2006 tant et si bien que leur taux de chômage, en hausse de 23,4 points, s’établissait à 30,9% en 2006. La moitié de la population active occupe un emploi au sein des services alors que les secteurs primaire et secondaire se partagent les deux quarts restants. Le revenu moyen des familles s’établissait à 42 978$, ce qui équivaut à 75,8% de celui de l’Atlantique. Dans ces milieux, le revenu provenant d’un emploi ne compose que 49% du revenu total.
3.2.3.4. Les niveaux de revenus
L’augmentation du revenu moyen des familles entre 1981 et 2006 a été supérieure ou égale à celui de l’Atlantique dans seulement 21 petites localités, sur un total de 141 pour lesquelles les données sont disponibles. Nous avons identifié par leur toponyme, à la figure 9, les neuf subdivisions de petite taille démographique qui ne sont pas parvenues à doubler leur niveau de revenu au cours de ces 25 années. À l’exception de la réserve de Pomquet and Afton 23 (NÉ), ces localités se concentrent toutes à TNL. Leur relative proximité par rapport à une ville – 5 se situent à moins de 20 km – ne semble pas avoir influencé l’évolution de leur niveau de revenu. Il faut dire que ces villes, dont la population moyenne est de 6 466 habitants, sont non seulement de très petite taille démographique, mais quatre sur cinq ont aussi été affectées par la diminution de leur population entre 2006 et 2011, ce qui explique leur faible polarisation. D’une population moyenne de 342 personnes en 2011, ces petits milieux souffrent de décroissance démographique, leur population ayant régressé de près du tiers entre 1981 et 2011. Ils sont aussi aux prises avec une déprise économique préoccupante. Celle-ci se matérialise par un accroissement de 20,6 points de pourcentage de leur taux de chômage. Au total, elles ont perdu 275 emplois entre 1981 et 2006, si bien que leur taux d’activité s’établissait à 44,3% en 2006. Le secteur primaire retient 23,7% de la main-d’oeuvre active contre seulement 59,5% pour le tertiaire. En 2006, leur revenu familial moyen ne correspondait qu’à 71,6% de celui de l’Atlantique. De toute évidence, ces localités, à l’exception d’Anchor Point, figurent parmi les plus pauvres de l’est du Canada.
En considérant comme pauvres les localités rurales dont le revenu était inférieur à 75% de celui de l’Atlantique en 2006, 62 subdivisions se retrouvaient dans cette situation dont la moitié appartient à la catégorie des petites localités. Suivant ce même critère, l’Atlantique englobait, en 1981, 90 municipalités pauvres. Parmi celles-ci, on dénombrait 55 petites localités. Dès lors, nous constatons une certaine amélioration de la situation des familles résidant au sein de ces milieux en l’espace de 25 ans attribuable en partie à une conjoncture économique plus favorable. Il n’en demeure pas moins que les petites localités totalisent la moitié des milieux ruraux pauvres de l’Atlantique et ce, tant pour 1981 que pour 2006 (figures 10 et 11). Cette embellie comporte toutefois des exceptions. C’est le cas en particulier des neuf petites localités, souffrant de pauvreté structurelle, qui figurent parmi les deux listes et que nous avons identifiées par leur toponyme à la figure 11. Étant donné que ces milieux possèdent un fort contingent de population autochtone, ils ont globalement augmenté leurs effectifs démographiques de 62% entre 1981 et 2011. Seulement trois ont connu une trajectoire inverse. Ces localités pauvres sont assujetties à un fort taux de chômage s’établissant à 33,3%. Bien qu’ils se situent relativement près d’une ville (26,7 km), ces milieux n’affichent un taux de migrations pendulaires que de 26,4%. Les paiements de transferts composent 37,4% du revenu total comparativement à 60% en ce qui a trait au revenu provenant d’un emploi. La proportion d’individus détenteurs d’un diplôme d’études universitaires n’est que de 7,3%.
La comparaison entre la proportion de localités rurales et l’évolution de certains indicateurs socio-économiques par strates de taille démographique conforte le processus de fragilisation des petites localités rurales en Atlantique. Ainsi, comme en témoigne le tableau 7, les petites localités sont proportionnellement plus nombreuses à souffrir de décroissance démographique, laquelle se manifeste notamment par le dépeuplement continu de leurs effectifs, et à être aux prises avec le vieillissement accéléré de leur population. Plus du tiers d’entre elles se sont caractérisées par une diminution de leur taux d’activité entre 1981 et 2006, ce qui en fait la catégorie de localités la plus affectée à ce chapitre. La baisse du taux d’activité s’est traduite par une évolution négative de l’emploi dans 56% des cas et par une augmentation de la proportion du revenu perçu sous la forme de transferts dans plus de la moitié des petites localités. Enfin, le fait que celles-ci représentent la catégorie de milieux ruraux la plus touchée par l’accroissement de la proportion d’individus possédant moins d’une 9e année, couplée à une diminution de la part des individus détenteurs d’un diplôme universitaire, peut constituer un signe tangible d’exode de la population instruite vers les grands centres.
Néanmoins, bien que les petites localités soient sujettes à la fragilisation, ce ne sont pas tous les indicateurs qui témoignent de ce phénomène. Par exemple, les milieux de petite taille démographique constituent la catégorie de milieux ruraux la moins concernée par la diminution du taux d’activité entre 1981 et 2006. Ils sont aussi proportionnellement moins nombreux à avoir enregistré une augmentation de leur taux de chômage au cours de la même période. Ils se sont distingués par la plus forte augmentation du revenu moyen des familles, toutes catégories de milieux (ruraux et urbains) confondus au cours de ces mêmes 25 années[10]. Enfin, ils se sont caractérisés par la plus forte diminution de la proportion d’individus possédant moins d’une 9e année en l’espace de 25 ans.
Force est aussi de constater que plusieurs localités de petite taille démographique ont suivi une trajectoire inverse aux tendances générales que nous avons mises en exergue dans le cadre de cet article. Par exemple, 62 petites localités ont enregistré une croissance de leurs effectifs démographiques entre 1981 et 2011. Si le vieillissement « par le bas » est le lot de la majorité des petites localités, quatre de celles-ci (en l’occurrence Aroostook, Fort Folly 1, la Division No 5, Subd. C, Cambridge 32 et Glooscap) se sont caractérisées par une augmentation de la proportion des moins de 24 ans au cours de la même période. De même, la proportion d’aînés a fléchi dans 21 petites localités. Sur le plan économique, le taux d’activité a décru dans 154 localités de petite taille démographique entre 1981 et 2006. On dénombre 41 petites localités dont le taux de chômage a décliné en l’espace de 25 ans. Douze petites localités ont accusé un gain de 100 emplois ou plus durant ce même intervalle de temps. Le revenu moyen des familles a quadruplé dans 10 petites localités entre 1981 et 2006. Enfin, la proportion du revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux a régressé dans 60 localités de petite taille démographique.
Finalement, plusieurs subdivisions, qui ne font pas partie de la catégorie des petites localités, sont aussi assujetties au processus de fragilisation. C’est le cas en particulier de celles dont la population oscille entre 500 et 999 habitants, mais aussi de subdivisions faisant partie des autres strates démographiques. Par exemple, parmi les 67 localités qui ont perdu plus de la moitié de leur population entre 1981 et 2011, quatre ont entre 500 et 999 habitants et une appartient au monde urbain. De même, deux localités, dont la population oscille entre 500 et 999 habitants, se sont caractérisées par une augmentation de 20 points de pourcentage ou plus de leur proportion d’aînés au cours de la même période. Des 96 subdivisions de recensement dont la proportion de jeunes a décru du tiers entre 1981 et 2011, 24 ne sont pas des petites localités. Parmi les 125 subdivisions souffrant de dépeuplement continu entre 1981 et 2011, 21 correspondent à des villes. En outre, on dénombre 25 localités appartenant à la strate des 500 à 999 habitants dont le taux de chômage a augmenté de 25 points de pourcentage ou plus entre 1981 et 2011. Deux localités de cette même catégorie se sont distinguées par une diminution de plus de 50% du nombre d’emplois entre 1981 et 2006. Au cours de cette même période, trois subdivisions, dont la proportion de transferts gouvernementaux a augmenté de 20 points de pourcentage ou plus, avaient plus de 1 000 habitants. Parmi les 14 localités qui ne sont pas parvenues à doubler leur revenu familial moyen entre 1981 et 2006, cinq avaient entre 500 et 999 habitants. Enfin, 11 des 20 subdivisions souffrant de pauvreté structurelle, tant pour 1981 que pour 2006, ne sont pas des petites localités. Toutes ces exceptions illustrent bien la très grande diversité qui particularise le monde rural.
4. Quelques pistes en vue de l’élaboration d’une politique de développement rural orientée vers l’atténuation des disparités territoriales
Parce que les petites localités constituent la catégorie de milieux la plus fragilisée de l’espace rural en Atlantique en raison de leurs nombreux malaises structurels et qu’elles semblent davantage enclines à la fragilisation, elles devraient faire l’objet d’une intervention particulière de la part des diverses instances impliquées en matière de développement. Ainsi, le principal objectif d’une politique de développement rural devrait tendre à réduire les disparités qui persistent entre les petites localités rurales de l’Atlantique et les autres catégories de milieux ruraux. Il s’agit de promouvoir un développement plus respectueux de la personne humaine, c’est-à-dire qui cherche à améliorer les conditions de vie des individus à tous les niveaux, peu importe leur localisation dans l’espace. La lutte à la fragilisation doit aussi être accompagnée d’actions visant à renforcer les capacités d’apprentissage des résidents des petites localités et ce, dans le but de stimuler le développement local (Jean, 2012; Klein, 2008).
Une politique à l’intention des petites localités rurales devrait, nous semble-t-il, graviter autour de mesures agissant sur quatre dimensions du développement à savoir: l’aménagement du territoire et la mise en valeur des ressources; la structure de peuplement, la démographie et l’économie (Desjardins, 2005). En ce qui concerne les mesures en lien avec l’aménagement du territoire et la mise en valeur des ressources, les actions mises en oeuvre devraient s’articuler autour d’une exploitation rationnelle et polyvalente des ressources dans l’optique de favoriser un développement territorial durable (Vachon 2014; Jean, 2012). De manière plus spécifique, il s’agit de promouvoir :
une diversification de l’activité économique en mettant l’accent sur la deuxième et à la troisième transformation des ressources dans le but d’atténuer les effets de la concurrence internationale notamment celle en provenance des pays émergents (Savoie, 2006; Savoie et Winter 1993);
la mise en valeur des aménités locales (identification de produits niches) de façon à faciliter l’intégration des milieux de petite taille au sein du système-monde (Proulx, 2011; Porter, 2009);
le maintien des services de proximité (Pachocenski et Henderson, 2014; Simard, 2003);
l’amélioration de l’accès aux réseaux routiers et autres types d’infrastructures (systèmes d’eau, d’égout, télécommunications) pour les petites municipalités isolées dans la trame de peuplement (Datar, 2004);
une meilleure planification des infrastructures stratégiques dans le domaine des communications (Conseil économique des provinces atlantiques, 2006);
la mise en valeur des ressources immobiles liées au territoire (cohésion et capital social, innovation, sentiment d’appartenance, esprit communautaire, etc.) de façon accroître la capacité d’apprentissage des ruraux qui résident au sein des petits milieux (Leblanc, Jean, Lafontaine et Marceau, 2007; Jean et Epanda, 2004);
une gouvernance territoriale respectueuse des diverses fonctions présentes en milieu rural fragile dans une perspective d’acceptabilité sociale (Fournis et Fortin, 2014).
La faiblesse de l’armature urbaine constitue un handicap majeur au développement de l’Atlantique. Selon Houée, « l’organisation de l’armature urbaine est décisive pour le développement territorial : c’est la ville qui structure son espace; c’est l’articulation des différentes fonctions urbaines qui détermine principalement le dynamisme du développement régional » (Houée, 1998 : 46). Dans cette optique, toute stratégie visant à favoriser un aménagement plus harmonieux et mieux équilibré de l’espace rural en Atlantique passe nécessairement par le renforcement et la consolidation des centres de services existants. Par conséquent, il importe de procéder à une restructuration du tissu de peuplement en vue de renforcer le rôle des dispensateurs de services des petites villes et de mieux équilibrer leur positionnement dans l’espace géographique afin de maximiser leur effet polarisateur et de promouvoir une occupation plus harmonieuse du territoire (Desjardins, Polèse et Shearmur, 2013; Dugas, 2002). En fait, il s’agirait de créer un réseau de petites villes ayant une portée régionale et ce, dans le but de favoriser une meilleure accessibilité des services aux populations des petites localités et de consolider la structure de peuplement.
Sur le plan démographique, nous avons vu que l’Atlantique était particulièrement affecté à la fois par le vieillissement « par le haut » et « par le bas ». Dans ce contexte, il importe de mettre en oeuvre des actions à l’intention des jeunes et des personnes âgées de façon à stimuler l’économie résidentielle, c’est-à-dire une économie qui dépend de la présence sur son territoire de personnes (résidents qui travaillent sur un autre territoire, pensionnés, touristes, etc.) dépositaires de revenus générés ailleurs (Davezies, 2009) et à favoriser la rétention à la fois des jeunes et des aînés. En ce qui concerne plus spécifiquement ces derniers, les diverses stratégies à concevoir doivent tendre vers l’amélioration de leur qualité de vie. À défaut de posséder un conseil de seniors, tous les conseils municipaux de l’Atlantique devraient avoir en leur sein au moins une personne qui représente la voix des aînés. À plus long terme, il n’est certes pas illusoire d’envisager que la quasi-totalité des municipalités de l’Atlantique soit en mesure de s’intégrer au réseau VADA, comme c’est le cas au Québec (Paris, Garon, Chapon, Laliberté et Veil, 2013). Quant aux jeunes, il importe de consolider les programmes visant à contrer l’exode (du type « Je reviens, j’y reste ! »)[11] et de développer de nouvelles mesures destinées à leur rétention. Nous pensons à des stratégies publicitaires qui mettraient en exergue les avantages associés à la poursuite d’études postsecondaires en Atlantique de façon à accroître la clientèle étudiante, à des programmes destinés à promouvoir l’attractivité des milieux ruraux, à des initiatives visant à rapatrier les jeunes qui travaillent à l’étranger ou ailleurs au Canada. Les jeunes ménages ne doivent pas non plus être en reste. Dans cette optique, il importe d’envisager l’élaboration d’une politique nataliste incluant des crédits d’impôt pour les familles avec plusieurs enfants, des mesures favorisant la conciliation travail/famille, des congés parentaux et l’implantation de garderies subventionnées par l’État (Lazzari-Dodeler et Tremblay, 2013).
Bien que l’État central, de par sa mission sociale qui consiste à assurer une certaine équité territoriale dans une perspective d’égalité des chances, exerce un rôle crucial dans la mise en oeuvre de cette politique, son élaboration ne relève pas uniquement des instances supérieures. Il importe, dès lors, de favoriser la concertation entre les différents intervenants impliqués en matière de développement régional en particulier avec les acteurs communautaires et les gouvernementaux locaux qui connaissent mieux que tout autre instance les problèmes auxquels leurs milieux sont confrontés.
Quelques États se sont notamment démarqués en ce qui a trait à l’élaboration d’une politique de développement rural. Au Québec, la Politique nationale de la ruralité (2001-2015), et en particulier le Plan d’action gouvernementale à l’intention des municipalités dévitalisées, a été considérée comme l’une des plus performantes à l’échelle des pays de l’OCDE (OCDE, 2010). Bien que cette politique n’ait pas permis d’infléchir les tendances lourdes liées à l’économie, à la géographie et à la démographie auxquels les milieux ruraux fragiles sont assujettis, elle a contribué au démarrage de nombreux projets, au renforcement du capital socioterritorial, à la consolidation du sentiment identitaire en plus de s’avérer un outil précieux de concertation et de décentralisation régionale[12]. Supporté par des groupes d’action locale, le programme Leader (Liaison entre acteurs de développement de l’économie rurale) local a aussi favorisé le développement de zones rurales fragiles en Europe notamment dans les domaines des services de proximité, de tourisme, de l’agriculture et de l’entrepreneuriat (Simard, 2006). À l’instar de la Politique nationale de la ruralité, Leader mise sur le renforcement des capacités des populations rurales dans la prise en main de leur développement.
Conclusion
Au terme de cet article, force est de reconnaître que le développement rural en Atlantique semble rendu à la croisée des chemins. En cette matière, Donald Savoie, l’une des sommités en sciences régionales, se fait plutôt pessimiste quant à l’avenir de la ruralité au Canada atlantique (2014). Notre analyse ne fait que corroborer ses inquiétudes. Formant plus du tiers de l’organisation de la structure territoriale de l’Atlantique, les petites localités rurales représentent une composante fondamentale de la structure de peuplement en Atlantique. Bien que ces milieux de petite taille démographique se distinguent par la très grande variété de leur situation, ils possèdent plusieurs points en commun, ce qui en fait des entités fragiles sur le plan socio-économique. D’abord, ils représentent la catégorie de localités la plus nombreuse en Atlantique. Ensuite, ayant une faible densité de population eu égard aux autres catégories de milieux ruraux, les petites localités se situent généralement plus loin des villes. Troisièmement, les personnes âgées composent une plus forte proportion de leur structure démographique. À l’inverse, les jeunes y sont moins représentés. En quatrième lieu, les petites localités possèdent un plus faible taux de migrants pendulaires. Cinquièmement, étant donné que leur économie est davantage tournée vers l’exploitation ou la première transformation des ressources naturelles, elles abritent un plus faible contingent de travailleurs oeuvrant dans le domaine des services et d’individus détenteurs d’un diplôme d’études universitaires. Toujours sur le plan économique, les milieux de petite taille démographique souffrent de sous-emploi, ce qui se manifeste par un faible taux d’activité, un taux de chômage élevé et une plus grande dépendance des familles à l’égard des paiements de transfert gouvernementaux. Enfin, leur revenu moyen des familles est inférieur à celui de l’Atlantique.
Au surplus, les petites localités représentent la catégorie de milieux ruraux la plus sujette à la fragilisation. Ce dernier phénomène se traduit par un poids démographique qui tend à s’accroître d’un recensement à l’autre, une évolution démographique négative entre 1981 et 2011, une plus forte propension au dépeuplement continu des effectifs démographiques, un vieillissement accentué de la population et ce, tant en ce qui concerne l’évolution des 65 ans ou plus que celle des moins de 24 ans, une économie moribonde se traduisant par un taux de chômage en augmentation et une diminution du nombre d’emplois au cours de la période 1981-2006.
Par ailleurs, la fragilisation n’est pas le fait exclusif des petites localités puisque chaque catégorie de milieux ruraux abrite des entités géographiques qui évoluent dans un sens comme dans l’autre reflétant l’extrême diversité de l’espace rural. En outre, plusieurs petites localités ne souffrent pas de fragilisation. Néanmoins, au final, il se dégage de notre analyse des résultats similaires à ceux que nous avions obtenus dans le cadre de notre thèse doctorale qui portait sur la situation du Québec, mais à des niveaux de difficulté nettement supérieurs notamment pour ce qui est des petites localités de TNL qui, en raison de l’état avancé du processus de fragilisation, devraient revoir le statut de « zone prioritaire d’intervention ». De telles similitudes mettent bien en exergue le poids des facteurs structurels en présence ainsi que la prépondérance de l’effet de taille dans la persistance des problèmes qui affectent les petites localités rurales.
Les malaises structurels des petites localités, qui en font des milieux fragiles, conjugués à leur tendance à la fragilisation nécessitent la mise en oeuvre d’une vigoureuse politique de développement rural orientée vers le redressement de leur démographie et de leur économie, l’aménagement du territoire et la réduction de la pauvreté dans une perspective d’atténuation des disparités territoriales. L’élaboration d’une telle politique, qui interpelle l’ensemble des intervenants socio-économiques, doit également s’effectuer dans le souci de favoriser une plus grande équité territoriale et d’améliorer la qualité de vie des individus qui habitent ces petits milieux.
Parties annexes
Notes
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[1]
En 2009-2010, le taux de natalité du Canada atlantique s’établissait à 9,1‰ comparativement à 11,2‰ pour l’ensemble du pays. Source : Statistique Canada. CANSIM, tableaux 051-0004 et 051-005. http://www.statcan.gc.ca/pub/11-402-x/2011000/chap/pop/tbl/tbl08-fra.htm (consulté le 23 octobre 2014).
-
[2]
Les quatre provinces de l’Atlantique ne représentent que 5,6% de la superficie totale du Canada. Source : Statistique Canada. Recensement de 2011. http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/dp-pd/hlt-fst/pd-pl/Table-Tableau.cfm?LANG=Fra&T=101&S=50&O=A.
-
[3]
Au dernier recensement de 2011, parmi les 143 villes de l’Atlantique, 63 avaient moins de 5 000 habitants alors que la population oscillait entre 5 000 et 9 999 personnes dans 47 agglomérations urbaines. Dès lors, il ne restait plus que 33 villes dont la taille démographique excèdait 10 000 habitants. Six en avaient plus de 50 000. Seulement deux agglomérations urbaines, en l’occurrence Halifax (NÉ) et St. John’s (TNL), avaient une population supérieure à 100 000 habitants.
-
[4]
Entre janvier et septembre 2012, le solde migratoire des quatre provinces de l’Atlantique était de - 4 590 personnes. Source: Statistique Canada. Estimations trimestrielles de la population et des facteurs de l’accroissement démographique, perspective provinciale. Cat. No 91-002-X. http://www.statcan.gc.ca/pub/91-002-x/2013004/t329-fra.htm (consulté le 23 octobre 2014).
-
[5]
À titre d’exemple, au recensement de 2011, 1,9% de la population de l’Atlantique n’était pas composé de citoyens canadiens contre 6% pour l’ensemble du pays.
-
[6]
Les modifications méthodologiques apportées au recensement de 2011 ne permettent plus de comparer les données socio-économiques à l’échelle des subdivisions de recensement en raison de leur manque de fiabilité.
-
[7]
On entend, par vieillissement « par le bas », la diminution de la proportion du groupe des 0 à 24 ans parmi la population totale au cours d’une période donnée. Pour sa part, le vieillissement « par le haut » correspond à l’augmentation de la proportion du groupe des 65 ans ou plus parmi la population totale au cours d’une période donnée.
-
[8]
À noter que la proportion d’aînés est demeurée inchangée à Rocky Point 3 et à New Pelican alors qu’elle a régressé dans 21 autres localités. Ces dernières se situent majoritairement à l’ÎPÉ (qui en compte 9) et au NB (8). La NÉ en renferme deux alors que TNL en abrite une seule. En général, ces milieux ont une situation socio-économique nettement meilleure que les localités enclines au vieillissement. Par exemple, celles-ci ont affiché une croissance démographique de 35,7% entre 1981 et 2011. Leur taux de chômage s’établit à 18,5%. Près des trois quarts des actifs sont affectés au secteur tertiaire. Cette forte proportion est en partie imputable au fait que plusieurs de ces petits milieux se retrouvent à proximité d’une ville. Six de ces 19 entités se situent effectivement à moins de 12 km d’une agglomération urbaine. Bien que leur revenu (50 244$) soit inférieur au revenu moyen de l’Atlantique, il demeure supérieur à celui des localités fortement vieillies.
-
[9]
Pour des raisons de confidentialité, SC ne fournit pas les données relatives au revenu pour les localités inférieures à 250 habitants.
-
[10]
En fait, le revenu moyen des familles a plus que triplé dans 27 petites localités dont 13 se situent à l’ÎPE. Ces dernières se sont enrichies de 515 nouveaux emplois dont 350 relèvent du secteur tertiaire. La croissance de leur niveau de revenu serait donc imputable à une restructuration de leur structure économique.
-
[11]
Il s’agit d’un programme qui a été mis en place en 2004 par la Corporation au bénéfice du développement communautaire (CBDC) de la péninsule acadienne. L’initiative vise à rapatrier les jeunes de 18 à 35 ans originaires de cette région du NB. De nombreuses activités, qui se déroulent le temps d’une fin de semaine, sont organisées dans le but de mettre en valeur les diverses opportunités dont recèlent la région et de favoriser le réseautage. Parmi celles-ci, mentionnons des conférences, des ateliers, des outils favorisant le démarrage d’entreprise et la recherche d’emploi ainsi que des repas-causeries avec des gens d’affaires, des entrepreneurs et des professionnels.
-
[12]
À cet égard, des enquêtes que nous avons menées auprès d’acteurs locaux dans le territoire du JAL, trois localités du Témiscouata considérées comme dévitalisées eu égard à l’indice de développement du Ministère des Affaires municipales des Régions et de l’Occupation du territoire et qui ont valeur de symbole et d’exemplarité au Québec pour la mobilisation historique de leurs résidents, ont révélé que la décentralisation des enveloppes budgétaires via les pactes ruraux, figurait parmi l’une des réalisations les plus réussies en matière de développement régional au cours des 30 dernières années (Simard, 2015).
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