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Présentation
Le texte qui suit provient de la version qui fait maintenant autorité, publiée dans le volume II de The Essential Peirce, sous la direction du Peirce Edition Project, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press, 1998, pp. 300-324. Il correspond au manuscrit 517 et a d’abord paru dans les New Elements of Mathematics (NEM 4 : 235-263), sous la direction de Carolyn Eisele, La Haye, Mouton, 1976. Il a sans doute été écrit au début de 1904, comme prologue à un livre que Peirce entendait rédiger sur les fondements des mathématiques. À la manière de Leibniz, Peirce non seulement a laissé une oeuvre colossale mais il a en outre élaboré toute sa vie des projets tous plus ambitieux les uns que les autres destinés à dresser à diverses échelles les plans des édifices du savoir humain et ces “prolégomènes à une mathématique raisonnée” s’inscrivent dans une longue série, que prolongent encore de nombreuses tentatives d’ordonnancement des sciences et de classification des signes.
Il s’agit, selon Max Fisch, de sa “meilleure présentation à ce jour de sa théorie générale des signes”. Rédigé au début de la dernière période très productive que Peirce ait connue, à un moment où sa théorie des signes prenait une forme plus élaborée que jamais auparavant, ce texte constitue un exposé très dense de sa sémiotique, dont la puissance unificatrice se montre à ce qu’il intègre des considérations métaphysiques, cosmologiques, logiques et même sociales. La plupart des très nombreuses définitions que Peirce y propose de son vocabulaire fondamental peuvent être considérées comme définitives et refléter un état achevé de sa pensée. Quoi qu’il en pense, le propos se déroule de manière quasi-euclidienne, mais, comme il en est coutumier, il arrive que Peirce suive une dynamique d’écriture relativement libre et passe de l’examen de principes sémiotiques à des exercices d’exemplification et à des dérives parfois percutantes (on appréciera entre autres l’association de la genèse des graphes existentiels à l’intuition du “big bang”). Par sa pénétration conceptuelle, l’ampleur de sa visée, la synthèse sémiotique qu’il réalise, de même qu’une qualité d’écriture exceptionnelle (difficile défi pour la traduction), ce texte figure au premier rang des plus grandes réalisations de Peirce.
François Latraverse
Université du Québec à Montréal
Καινα στοχεια (Nouveaux éléments)
I
J’estime utile de dire quelques mots sur ce texte.[i] Il y a un certain nombre d’années, j’ai écrit un livre intitulé “New Elements of Mathematics”.[ii] Il s’agissait d’un livre qu’avait été en mesure d’écrire, en lui consacrant une année entière, un homme doué d’une aptitude naturelle considérable pour la logique et les mathématiques et qui avait consacré l’essentiel de son temps pendant quarante ans à l’étude de la première et de tout ce qu’on a écrit sur elle, sans non plus négliger les secondes. Si l’auteur avait été allemand, il aurait partagé les conceptions approximatives de la logique qui sont naturellement associées au subjectivisme et n’aurait par conséquent pas pu écrire le même livre, mais l’eût-il fait qu’il y a longtemps qu’il aurait été publié. Il le présenta néanmoins en l’état à trois éditeurs,[iii] dont un lui avait demandé de le rédiger. Tous trois étaient des hommes très humbles, qui ne prétendaient pas connaître grand-chose d’autre que les éléments des mathématiques. L’un était à l’époque l’éditeur d’un traité de géométrie qui entendait montrer comment inscrire, à la règle et au compas, un polygone régulier à n’importe quel nombre de côtés dans un cercle. Les deux autres ont publié des traités de géométrie aux prétentions tout aussi étonnantes. Aucun n’a approuvé mon livre, parce qu’il place la perspective avant la géométrie métrique et la géométrie topique avant les deux. C’était là le défaut du livre, à savoir qu’un éditeur aussi versé dans les éléments des mathématiques n’a pas été convaincu que cet arrangement était logique, bien qu’il ait apporté le livre chez lui et y ait jeté un coup d’oeil pendant la soirée. En Amérique, quelqu’un qui écrit sur la logique des mathématiques doit satisfaire aux exigences américaines.
Personnellement, je regrette que ce manuscrit ait été perdu,[iv] car il témoignait d’un travail très minutieux de la pensée. Je ne pourrai jamais le reproduire, car il était écrit dans le style mathématique le plus strict et j’ai perdu avec les ans la capacité d’écrire sur la logique dans ce style, alors que cela m’était naturel quand j’étais jeune. En perdant cette capacité, j’ai en même temps perdu l’admiration que j’avais pour ce style. Je demande la permission de présenter une critique du style mathématique en logique.
Je dis “en logique” parce que ce n’est que dans le but de présenter la logique du sujet que les mathématiciens ont recours au style d’Euclide. Quand ils veulent simplement résoudre des problèmes difficiles, ils l’oublient totalement. Je dis qu’il est d’Euclide parce que le premier livre des Éléments d’Euclide est le modèle le plus ancien et le plus parfait de ce style. Dans une certaine mesure, Euclide le conserve dans ses autres écrits, mais ce n’est que dans le premier livre des Éléments qu’il est poli avec un soin et une pensée sans limite. On voit au premier regard que ce style trouve son origine dans l’esthétique des Grecs. Tout ce qu’ils ont fait en littérature et en art montre l’ampleur de leur horreur du “trop”. Peut-être cette horreur était-elle due à l’irrépressible activité des esprits grecs et à l’intolérance qu’ils ont par conséquent développée pour ce qui est des considérations inutiles, de même qu’aux coûts élevés en énergie de toutes sortes que représentaient à l’époque les procédés mécaniques de l’écriture et de la lecture. Ils tenaient pour acquis que le lecteur allait penser activement et les phrases de l’auteur ne devaient servir que de jalons lui permettant de suivre le cours de sa pensée, alors que le livre moderne, que je ne mentionne que pour l’opposer à l’autre, doit, pour être accepté, l’être aussi par une jeune femme à l’épaisse stupidité et à l’ineffable indolence, qui le feuillette en regardant par la fenêtre pour être admirée. Si on veut donner à une idée une forme telle qu’elle ne puisse manquer de la saisir, la première exigence est que cette idée occupe un certain nombre de lignes et la deuxième est que même la plus petite étape ne soit laissée à une quelconque activité intellectuelle.
L’idée directrice d’Euclide en rédigeant son premier livre était simplement que les premiers éléments de géométrie ne peuvent être appréhendés que si l’on comprend la structure logique de la doctrine, mais, dans son horreur du trop, du début à la fin, il ne dit pas un seul mot de la logique. Il commence par quelques douzaines de “définitions”, qui sont suivies de cinq “postulats”, lesquels sont suivis de nombre d’axiomes ou “notions du sens commun”, mais il ne nous dit jamais ce qu’une “définition”, un “postulat” ou une “notion commune” sont censés être et ce qu’il entendait par ces mots a été dans les trois cas très mal compris. Les quarante-huit propositions du livre sont formulées et disposées d’une manière qui révèle une compréhension profonde de leurs relations logiques. C’est là que réside la valeur principale de ce travail et la seule valeur qu’il ait encore. Cette connaissance est cependant si bien dissimulée qu’il faut la même connaissance pour la détecter.
Ce travail profond se retrouve dans les mains de garçons qui ne sont pas grecs, et sont suralimentés et apathiques. Ils rencontrent des difficultés qu’ils soumettent à un enseignant beaucoup plus incompétent qu’eux puisqu’il ne sait rien de la structure logique qui est le sujet sous-jacent du livre et qu’une longue fréquentation de ce sujet l’a rendu incapable de percevoir les difficultés que ses élèves peuvent, au moins, percevoir. La vieille méthode pédagogique consistant à battre les garçons jusqu’à ce qu’ils comprennent était au moins efficace comme antidote à leur surconsommation de boeuf. Depuis que cette méthode a été abandonnée, il est devenu nécessaire de renoncer à l’usage pédagogique de ce livre.
II
Il est devenu extrêmement difficile d’exposer clairement et complètement la logique des mathématiques dans le style d’Euclide, car cela exigerait qu’on ne dise strictement rien de la logique. Étant un logicien exact, j’approuve toutefois qu’on s’adresse selon l’ancienne méthode à un lecteur dont l’intelligence est active, au moyen, premièrement de définitions, deuxièmement de postulats, troisièmement d’axiomes, quatrièmement de corollaires, cinquièmement de diagrammes, sixièmement de lettres, septièmement de théorèmes, huitièmement de scolies. On peut aussi conserver la distinction entre une proposition générale (laquelle, s’il s’agit d’un postulat, est souvent fallacieusement appelée “axiome”) et une proposition indéfinie (pour laquelle, si elle est indémontrable, on réserve en allemand le mot “Postulat”).
Une définition est l’analyse logique d’un prédicat dans des termes généraux. Elle a deux branches, l’une qui affirme que le definitum est applicable à tout ce à quoi la définition est applicable, l’autre (comportant habituellement plusieurs clauses), qui affirme que la définition est applicable à tout ce à quoi le definitum est applicable. Une définition n’affirme pas que quoi que ce soit existe.
Un postulat est une hypothèse initiale formulée dans des termes généraux. Il peut être accepté arbitrairement, pourvu (les définitions étant acceptées) qu’il n’entre en conflit avec aucun principe de possibilité substantive ou postulat déjà accepté. Par principe de possibilité substantive, j’entends, par exemple, qu’on ne saurait postuler qu’il n’y a pas de relation, quelle qu’elle soit, entre deux points ou formuler la proposition que rien n’est vrai sans exception, car, sans contenir de contradiction, ce que cela signifie est en contradiction avec le fait même que cela est affirmé.
Un axiome est une vérité évidente en elle-même, dont l’affirmation est superflue quant au caractère concluant du raisonnement et qui sert seulement à montrer un principe impliqué dans le raisonnement. C’est en général une vérité d’observation, comme l’affirmation que quelque chose est vrai.
Un corollaire, au sens où j’utiliserai ce mot, est une inférence tirée en termes généraux sans l’usage de quelque construction[*].
Un diagramme est une icône ou une image schématique incorporant la signification d’un prédicat général; et de l’observation de cette icône nous sommes censés construire un nouveau prédicat général.
Une lettre est une désignation définie arbitraire, adoptée spécialement pour identifier un objet singulier quelconque.
Un théorème, au sens où j’utiliserai ce mot, est une inférence obtenue en construisant un diagramme selon un précepte général et, après l’avoir modifié comme l’ingéniosité le dicte, en y observant certaines relations et, montrant qu’elles doivent subsister dans tous les cas[**], en retraduisant la proposition en des termes généraux. Un théorème commence normalement par – un – l’énoncé général. Suit – deux – un précepte pour un diagramme, dans lequel des lettres sont employées. Vient ensuite – trois – l’ecthèse, qui affirme [que] ce qu’il suffira de montrer doit, dans tous les cas, être vrai en ce qui a trait au diagramme. Le quatrième article est la construction subsidiaire, par laquelle le diagramme est modifié d’une manière dont la possibilité a déjà été montrée. Le cinquième article est la démonstration, qui établit les raisons pour lesquelles une certaine relation doit toujours subsister entre les parties du diagramme. Finalement – et sixièmement – il est indiqué, par une expression comme le οπερ εδει δειξαι d’Euclide, ou l’habituel Q.E.D., ou autrement, que c’était tout ce qu’il fallait montrer.
Un scolie est un commentaire sur la structure logique de la doctrine. Cette préface est un scolie.
III
1. Je vais maintenant expliquer la différence entre une proposition théorique et une proposition pratique, avec les importantes distinctions parallèles entre défini et vague, et individuel et général, notant en même temps quelques autres distinctions qui sont connectées avec elles. Un signe est connecté à la “Vérité”, c’est-à-dire l’Univers entier de l’être ou, comme d’aucuns disent, l’Absolu, et ce, de trois manières distinctes. En premier lieu, un signe n’est pas une chose réelle. Il est d’une nature telle qu’il existe dans des répliques. Regardez une page imprimée : chacun des le que vous voyez est le même mot, chaque e est la même lettre. Une chose réelle n’existe pas ainsi en réplique. L’être d’un signe est simplement d’être représenté. Être réellement et être représenté sont très différents. En donnant au mot signe toute la portée qui lui revient en toute raison à des fins logiques, un livre entier est un signe et sa traduction est une réplique du même signe. Une littérature entière est un signe. La phrase “Roxane était reine d’Alexandre” est un signe de Roxane et d’Alexandre, et bien qu’il y ait un accent grammatical mis sur le premier terme, d’un point de vue logique le nom “Alexandre” est autant un sujet que le nom “Roxane” et les personnes réelles que sont Roxane et Alexandre sont des objets réels du signe. Tout signe assez complet réfère à divers objets réels. Tous ces objets, même s’il s’agit de la folie d’Hamlet, font partie d’un seul et même Univers de l’être, la “Vérité”. Mais dans la mesure où la “Vérité” est simplement l’objet d’un signe, c’est simplement sa Matière aristotélicienne qui en est un. En plus de dénoter des objets,[v] tout signe suffisamment complet signifie des caractères ou qualités. Nous avons une connaissance directe d’objets réels dans chaque réaction expériencielle, qu’elle soit de Perception ou d’Effort (l’une théorique, l’autre pratique). Ceux-ci sont directement hic et nunc. Mais nous étendons la catégorie et parlons d’innombrables objets réels avec lesquels nous ne sommes pas en réaction directe. Nous avons aussi une connaissance directe de qualités de sensation, périphérique et viscérale. Mais nous étendons cette catégorie à d’innombrables caractères dont nous n’avons aucune conscience immédiate. Tous ces caractères sont des éléments de la “Vérité”. Tout signe signifie la “Vérité”. Mais ce n’est que la Forme aristotélicienne de l’univers qu’il signifie. Le logicien n’a rien à faire de quelque théorie métaphysique que ce soit et, si cela est possible, le mathématicien encore moins, mais il est très commode de nous exprimer dans les termes d’une théorie métaphysique, et nous ne nous engageons nous-mêmes pas plus à l’accepter que nous ne le faisons quand nous utilisons des substantifs comme “humanité”, “variété”, etc. et en parlons comme s’il s’agissait de substances, au sens métaphysique. Mais, en troisième lieu, chaque signe est destiné à déterminer un signe du même objet avec la même signification ou le même sens. Tout signe B, qu’un signe A est apte à déterminer ainsi, tout en respectant sa finalité (de A), c’est-à-dire en accord avec la “Vérité”, même s’il (B) ne dénote qu’une partie des objets du signe A, et ne signifie qu’une partie des caractères de A, je l’appelle un interprétant de A. Ce que nous appelons un “fait” est quelque chose qui a la structure d’une proposition, mais que nous supposons être un élément de l’univers même. La finalité de tout signe est d’exprimer un “fait” et, en étant joint à d’autres signes, d’en venir aussi près que possible à déterminer un interprétant qui serait la Vérité parfaite, la Vérité absolue, et en tant que tel (nous pouvons au moins utiliser ce langage) qui serait l’Univers même. Aristote cherche à l’aveuglette une conception de la perfection, ou entéléchie, qu’il ne parvient jamais à rendre claire. Nous pouvons adopter ce mot pour désigner le fait même, c’est-à-dire le signe idéal qui serait tout à fait parfait et ainsi identique – de l’identité qu’un signe peut avoir – à la matière dénotée unie à la forme même signifiée par elle. L’entéléchie de l’Univers de l’être, l’Univers en tant que fait, sera cet Univers sous son aspect de signe, la “Vérité” de l’être. La “Vérité”, le fait qui n’est pas abstrait mais complet, est l’interprétant ultime de tout signe.
2. Des deux grandes tâches de l’humanité que sont la Théorie et la Pratique, la première provient d’un signe d’un objet réel avec lequel elle est en accointance, passant de cela, qui constitue sa matière, à des interprétants successifs qui incorporent de plus en plus sa forme, avec pour souhait dernier d’atteindre une perception directe de l’entéléchie, tandis que la seconde, provenant d’un signe signifiant un caractère dont elle a une idée passe de cela, comme sa forme, à des interprétants successifs qui réalisent de plus en plus précisément sa matière, avec pour espoir dernier d’être capable de faire un effort direct produisant l’entéléchie. Mais de ces deux mouvements, la logique préfère très justement suivre celui de la Théorie comme mouvement premier. Elle parle de l’antécédent comme de ce qui, étant connu, permet à quelque chose d’autre, le conséquent, d’être aussi connu. Dans nos manières de parler courantes, ce dernier est erronément appelé conséquence, mot que la terminologie précise de la logique réserve à la proposition qui exprime la relation de tout conséquent avec son antécédent, ou au fait que cette proposition exprime. La conception de la relation de l’antécédent et du conséquent revient alors à une confusion de la pensée entre la référence d’un signe et son sens, le caractère qu’il attribue à son objet, et son recours à un interprétant. Mais c’est le premier terme qui est le plus essentiel. La connaissance que le soleil s’est toujours levé environ une fois toutes les vingt-quatre heures (en temps sidéral) est un signe dont l’objet est le soleil et dont une partie de la signification (si elle est bien comprise) est que le soleil se lèvera demain matin. La relation d’un antécédent à son conséquent, dans sa confusion de la signification avec l’interprétant, n’est qu’un cas particulier de ce qu’il se passe dans toute action d’une chose sur une autre, modifié de manière à n’être qu’une question d’être représenté plutôt que d’être réellement. C’est l’action représentative du signe sur son objet, car chaque fois qu’une chose agit sur une autre elle détermine en elle une qualité qui autrement n’y aurait pas été. Dans nos manières de parler courantes, nous disons souvent que l’effet est une “conséquence”, parce que ce qui est réellement peut être représenté correctement mais nous refuserions d’appeler “effet” un simple conséquent logique, parce que ce qui est simplement représenté, si légitimement que ce soit, ne peut être dit réellement être. Si nous disons d’une argumentation qu’elle “produit un grand effet”, ce n’est d’aucune manière à l’interprétant lui-même que nous référons, mais seulement à sa réplique particulière qui se produit dans les esprits de ceux à qui l’on s’adresse.
Si un signe B ne signifie que des caractères qui sont des éléments (ou le tout) de la signification d’un autre signe A, on dit alors que B est un prédicat (ou une partie essentielle) de A. Si un signe A dénote seulement des objets réels qui sont une partie ou le tout des objets dénotés par un autre signe, B, on dit alors que A est un sujet (ou une partie substantielle) de B. La totalité des prédicats d’un signe, de même que la totalité des caractères qu’il signifie sont chacune indifféremment appelées sa profondeur logique. C’est le terme le plus ancien et le plus commode. Des synonymes en sont la compréhension de Port-Royal,[vi] le contenu (Inhalt) des Allemands, la force de Morgan, la connotation de J. S. Mill. (Cette dernière est discutable.) La totalité des sujets et aussi, indifféremment, la totalité des objets réels d’un signe s’appellent la largeur logique. C’est le terme le plus ancien et le plus commode. Des synonymes en sont l’extension de Port-Royal (improprement appelée étendue par certains logiciens français modernes), la sphère (Umfang) des traducteurs de l’allemand, la portée (scope) de Morgan, la dénotation de J. S. Mill.
En plus de la profondeur et de la largeur logiques, j’ai proposé (en 1867[vii]) les termes information et surface pour dénoter la totalité de fait (vraie ou fausse) qu’un signe comprend dans un état de connaissance donné.
3. D’autres distinctions dépendent de celles que nous avons tracées. J’ai dit des relations réelles que ce sont des réactions. On peut se demander jusqu’à quel point je veux vraiment dire que toutes les relations réelles sont des réactions. Il est rare qu’on tombe sur un sujet aussi fascinant pour la pensée que l’analyse de ce problème dans toutes ses ramifications, mathématiques, physiques, biologiques, sociologiques, psychologiques, logiques et par là de nouveau mathématiques. On ne saurait donner une réponse satisfaisante en quelques mots, mais elle se trouve cachée sous la vérité évidente que toute nécessité exacte peut être exprimée par une équation générale, et rien ne peut être ajouté à un membre d’une équation générale sans une addition égale à l’autre membre. La nécessité logique est la nécessité qu’un signe soit vrai pour un objet réel, de sorte qu’il y a une réaction logique dans toute relation dyadique réelle. Si A est dans une relation réelle à B, B est dans une relation logiquement contraire à A, c’est-à-dire dans une relation immédiatement inverse et en contradiction avec la relation directe, car nous parlons ici non d’un signe vague de la relation mais de la relation entre deux individus, A et B. Cette relation même en est une dans laquelle A seul est en rapport à quelque individu et cela avec B seulement. Il y a toutefois des relations dyadiques dégénérées – dégénérées au sens où deux lignes coplanaires forment une conique dégénéré – dont cela n’est pas vrai. Plus précisément, ce sont des relations individuelles d’identité, comme la relation de A à A. Toutes les simples ressemblances et relations de raison sont de ce genre.
Les signes ont deux formes dégénérées différentes. Mais bien que je leur donne ce nom peu flatteur, elles sont de la plus grande utilité et servent des fins auxquelles des signes authentiques ne peuvent servir. Celle des deux formes qui est la plus dégénérée (comme je vois les choses) est l’icône. Celle-ci est définie comme un signe dont le caractère qui le fait devenir un signe de l’espèce qui est la sienne se trouve inhérent en lui simplement comme une qualité qu’il a. Par exemple, une figure géométrique dessinée sur le papier peut être une icône d’un triangle ou d’une autre forme géométrique. Si on rencontre un homme dont on ne connaît pas la langue et qu’on a recours à des sons et à des gestes imitatifs, ceux-ci donnent une idée de ce qu’est une icône. La raison pour laquelle ce ne sont pas des icônes pures est que l’accent est mis sur leur finalité.[2] Une icône pure est indépendante de quelque finalité que ce soit. Elle sert comme signe seulement et simplement en exhibant la qualité qu’elle sert à signifier. La relation qu’elle a à son objet est une relation dégénérée. Elle n’affirme rien. Si elle transmet de l’information, ce n’est qu’au sens où l’objet qu’elle sert à représenter peut être dit transmettre de l’information. Une icône ne peut être qu’un fragment d’un signe plus complet.
On appellera index l’autre forme de signe dégénéré. L’index est défini comme un signe qui est apte à jouer ce rôle du fait d’être dans une réaction réelle avec ses objets. Une girouette, par exemple, est un tel signe. On peut la considérer comme un index du vent parce qu’elle est physiquement connectée à celui-ci. La girouette transmet de l’information, mais elle le fait parce qu’en faisant face au côté d’où souffle le vent elle ressemble à cet égard au vent et se trouve ainsi connectée à une icône. À cet égard, ce n’est pas un index pur. Un index pur attire simplement l’attention vers l’objet avec lequel il est en réaction et place l’interprète dans une réaction médiate avec cet objet mais il ne transmet aucune information. Prenez comme exemple l’exclamation “Oh !”. Les lettres attachées à une figure géométrique fournissent un autre cas. On ne doit pas s’attendre à trouver des exemples qui appartiennent absolument à l’une ou l’autre des formes dégénérées. Tout ce qui est possible est de donner des exemples qui tendent suffisamment vers ces formes pour suggérer ce qu’on entend. Il vaut d’être remarqué qu’alors que ni une icône pure ni un index pur ne peuvent affirmer quoi que ce soit un index qui force quelque chose à être une icône, comme le fait une girouette, ou qui nous force à le considérer comme une icône, comme le fait la légende sous un portrait, fait une assertion et constitue une proposition. Cela suggère la vraie définition d’une proposition, question qui est l’objet de grands débats actuellement. Une proposition est un signe qui indique séparément, ou indépendamment, son objet. Aucun index ne peut toutefois être une argumentation. Il peut être ce que de nombreux auteurs appellent un argument, c’est-à-dire une base d’argumentation, mais il ne saurait être un argument au sens d’un signe qui montre séparément quel interprétant il vise à déterminer.
On observera que l’icône est parfaite pour ce qui est de la signification, amenant son interprète face à face avec le caractère même qui est signifié. Pour cette raison, c’est le signe mathématique par excellence.[3] Mais pour ce qui est de la dénotation elle est déficiente, car elle ne donne aucune assurance qu’il existe réellement un objet tel que celui qu’elle représente. De son côté, l’index y parvient le plus parfaitement, en fournissant réellement à l’interprète l’expérience de l’objet même qui est dénoté. Mais il est déficient pour ce qui est de la signification, à moins qu’il ne comprenne une partie iconique.
Nous en venons maintenant au signe authentique, pour lequel je propose la désignation technique de symbole, suivant un usage de ce mot qui n’est pas rare chez les logiciens, y compris chez Aristote. Un symbole est défini comme un signe qui est apte à jouer ce rôle simplement parce qu’il est ainsi interprété.
Pour récapituler,
Une icône |
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Un index |
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Un symbole |
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Le langage et toute pensée abstraite, comme celle qui appartient aux esprits qui pensent en mots, sont de nature symbolique. De nombreux mots, bien qu’ils soient à strictement parler des symboles, sont iconique dans la mesure où ils sont aptes à déterminer des interprétants iconiques ou, comme on dit, à susciter des images vivantes. Sont de ce genre, par exemple, les mots dont on imagine qu’ils ont une ressemblance avec les sons associés à leurs objets, les mots qualifiés d’onomatopées. Il y a des mots qui, bien qu’ils soient des symboles, agissent à peu près comme des index. C’est le cas des pronoms personnels, démonstratifs et relatifs, auxquels les lettres A, B, C, etc. sont souvent substituées. De même, un Nom Propre, qui dénote un seul individu, que le locuteur et l’auditeur savent exister, ne diffère de l’index que par ce qu’il est un signe conventionnel. D’autres mots font référence indirectement à des index. Il en va ainsi de “yard”, qui réfère à une barre donnée qui se trouve à Westminster et n’a aucune signification à moins que l’interprète ne soit, directement ou indirectement, en réaction physique avec cette barre. Les symboles sont particulièrement éloignés de la Vérité elle-même. Ils sont abstraits. Ils ne montrent pas les caractères signifiés comme les icônes le font, ni ne nous assurent de la réalité de leurs objets comme les index le font. De nombreux dictons expriment cette faiblesse, comme “Les mots ne prouvent rien” et d’autres du même genre. Les mots ont néanmoins un grand pouvoir, dont les signes dégénérés sont dépourvus : eux seuls expriment des lois. Ils ne sont toutefois pas limités à cet usage théorétique. Ils servent à susciter ce qui est conforme à la raison et à la loi. Les mots justice et vérité, dans un monde qui néglige habituellement ces choses et se moque ouvertement de ces mots, sont néanmoins parmi les plus grands pouvoirs que le monde contient. Ils créent des défenseurs et leur confèrent de la force. Il ne s’agit pas ici de rhétorique ou de métaphores : c’est un fait important et solide dont le logicien a intérêt à tenir compte.
Un symbole est le seul genre de signe qui puisse être une argumentation.[***]
4. J’ai déjà défini l’argument comme un signe qui montre séparément ce qu’est son interprétant visé et la proposition comme un signe qui indique séparément [ce qu’est] son objet et nous avons vu que l’icône seule ne peut être une proposition alors que le symbole seul peut être un argument. On voit qu’un signe ne peut être un argument sans être une proposition quand on essaye de former un tel argument. “Tullius, c’est-à-dire [4] un Romain” affirme à l’évidence que Tullius est un Romain. Les raisons en sont claires. L’interprétant est un signe qui dénote ce que dénote le signe dont il est l’interprétant. Mais s’il est un symbole, un signe authentique, il a un sens (signification) et représente par conséquent l’objet du signe principal comme possédant les caractères que lui, l’interprétant, signifie. On observera qu’un argument est un symbole qui montre séparément (d’une manière ou d’une autre) l’interprétant qu’il vise. Du fait qu’un symbole n’est essentiellement un signe qu’en vertu de ce qu’il peut être interprété comme tel, on ne peut en détacher entièrement l’idée d’une finalité. Le symbole, de par sa définition même, a un interprétant en vue. Sa signification même est visée. En fait, la finalité est précisément l’interprétant d’un symbole. Mais la conclusion d’un argument est un interprétant montré de manière particulière, singularisé au nombre des interprétants possibles. Il est par conséquent singulier de par sa nature, bien qu’il ne soit pas nécessairement simple. Si nous effaçons d’un argument toute monstration de sa finalité spécifique, il devient une proposition, habituellement une proposition copulative, composée de plusieurs membres dont le mode de conjonction est du genre exprimé par “et”, ce que les grammairiens appellent une “conjonction copulative”. Si d’un symbole propositionnel nous effaçons l’une ou plusieurs des parties qui dénotent séparément ses objets, le reste est appelé un rhème, mais je prendrai la liberté de l’appeler terme. Si de la proposition “Tout homme est mortel”, nous effaçons “Tout homme”, dont on voit qu’il dénote un objet du fait que s’il est remplacé par un symbole indexical comme “cela” ou “Socrate” le symbole est retransformé en une proposition; nous obtenons ainsi le rhème ou le terme “_______ est mortel”. La plupart des logiciens diront que ce n’est pas un terme. Le terme, diront-ils, est “mortel”, alors que j’ai aussi retenu la copule “est”. Or, bien qu’il soit vrai que dans l’un de ses mémoires[viii] Aristote dissèque une proposition en sujet, prédicat et verbe, il n’en demeure pas moins que si le grec était la langue que ces logiciens avaient en tête aucune importance n’y était attachée au verbe substantif “est”, parce que le grec en permet l’omission. Ce n’est pas avant l’époque d’Abélard, quand le grec fut oublié et que les logiciens avaient le latin en tête, que la copule fut reconnue comme une partie constitutive de la proposition logique. Pour ma part, je ne considère pas les usages de la langue comme un fondement satisfaisant des doctrines logiques. Pour moi, la logique est l’étude des conditions essentielles auxquelles les signes doivent se conformer afin de fonctionner en tant que signes. Il ne s’agit pas de savoir comment la constitution de l’esprit humain force les hommes à penser et le recours à la langue ne me semble être rien de mieux qu’une méthode insatisfaisante consistant à établir des faits psychologiques qui n’ont aucune pertinence pour la logique. Mais si on y a recours (ce que les logiciens font en général et leur doctrine de la copule en particulier semble ne reposer que sur cela), ils devraient considérer les langues humaines en général et ne pas se limiter au petit groupe très particulier des langues aryennes. Sans prétendre avoir moi-même une connaissance étendue des langues, je crois que la majorité des langues non aryennes n’utilisent généralement pas un verbe substantif équivalent à “est”. Certaines utilisent un pronom démonstratif ou relatif, comme si l’on disait “______ est un homme qui est traduit” au lieu de “Un homme est traduit”. D’autres ont un mot, une syllabe, une lettre indiquant qu’on fait une assertion. J’en suis venu à croire que dans bien peu de langues en dehors du groupe aryen le nom commun est une partie du discours bien développée et indépendante. Même dans les langues sémitiques, qui sont remarquablement proches des langues aryennes, les noms communs sont traités comme des formes verbales et sont assez distincts des noms propres. Quoi qu’il en soit, la conception ordinaire qu’on a d’un terme suppose qu’il est un nom commun au plein sens du terme. Il est plutôt curieux que de toutes les langues que j’ai examinées pour donner un fondement à cette conception répandue une langue aussi étrange que le basque soit la seule qui semble être entièrement construite de la façon dont les logiciens nous enseignent que tout être rationnel doit penser.[****]
Quelle est la différence entre “______ est un homme” et “homme”? Les logiciens soutiennent que l’essence du second se trouve dans une définition décrivant ses caractères; cette doctrine rend “homme” virtuellement équivalent à “ce qu’est un homme”, qui diffère ainsi de “_______ est un homme” par l’ajout de l’improprement nommé “pronom indéfini” ce que. Le rhème “_______ est un homme” est un signe fragmentaire. Mais “homme” n’est jamais utilisé seul et n’aurait aucune signification par lui-même. On l’écrit parfois sur un objet pour en montrer la nature mais, dans ce cas, l’apparence de l’objet est un index de cet objet et les deux pris ensemble forment une proposition. Les deux signes sont donc semblables dans la mesure où ils sont tous deux fragmentaires. On peut dire que “Socrate sage” ne constitue pas une phrase dans la langue qui est actuellement d’usage en logique, bien qu’en grec c’en soit une, mais il importe de ne pas oublier que “Socrate” et “est sage” ne font pas non plus une proposition, à moins qu’il n’y ait quelque chose qui indique qu’ils doivent être pris pour des signes du même objet. Dans l’ensemble, il m’apparaît que la seule différence entre mon rhème et le “terme” d’autres logiciens est que le second ne contient aucune reconnaissance explicite de sa propre nature fragmentaire. Mais cela revient à dire que leur signification est logiquement la même et c’est pour cette raison que je me permets d’utiliser le vieux mot familier “terme” pour dénoter le rhème.
On pourrait se demander quelle est la nature du signe qui unit “Socrate” à “_______ est sage”, de façon à produire la proposition “Socrate est sage”. Je réponds que c’est un index. Mais on pourra objecter qu’un index a pour objet une chose hic et nunc et qu’un signe n’est pas une telle chose. Cela est vrai si nous incluons dans les “choses” les événements singuliers, qui sont les seules choses qui soient strictement hic et nunc. Mais ce ne sont pas les deux signes “Socrate” et “sage” qui sont liés, mais leurs répliques utilisées dans la phrase. Nous ne disons pas que “________ est sage”, en tant que signe général, est connecté spécifiquement à Socrate mais seulement qu’il l’est tel qu’il est utilisé dans ce cas. Les deux répliques des mots “Socrate” et “sage” sont hic et nunc et leur jonction est une partie de leur occurrence hic et nunc. Ils constituent une paire de choses en réaction que l’index de la connexion dénote dans leur réaction présente et non d’une manière générale, bien qu’il soit possible de généraliser le mode de cette réaction comme tout autre. On ne s’objectera pas à une généralisation qui appellerait copule la marque de la jonction pourvu qu’on reconnaisse qu’elle n’est pas, en soi, générale mais qu’elle est un index. Aucun autre genre de signe ne peut servir cette finalité, aucun verbe général “est” ne peut l’exprimer, car quelque chose devrait encore ramener le sens général de ce verbe général au cas qui nous occupe. Un index peut seul faire cela. Mais comment cet index signifie-t-il la connexion? De la seule manière qu’un index puisse jamais signifier quoi que ce soit, en incluant une icône. Le signe lui-même est une connexion. On me demandera comment cela s’applique au latin, où les parties de la phrase ne sont disposées qu’en fonction de l’effet rhétorique. Je réponds qu’il est néanmoins évident qu’en latin, comme en toute langue, c’est la juxtaposition qui connecte les mots. Autrement, on pourrait les laisser à leur place dans le dictionnaire. L’inflexion y est pour un peu, mais le principal travail de construction, soit tout le travail de la connexion, est exécuté en mettant les mots ensemble. En latin, on s’en remet pour beaucoup au bon sens de l’interprète. C’est dire que le fonds de connaissance commun au locuteur et à l’interprète, que les mots font venir à l’esprit, est une partie du signe. C’est plus ou moins le cas de toute conversation, qu’elle soit orale ou écrite. Il est donc clair que l’étincelle vitale de toute proposition, l’élément propositionnel particulier de la proposition, est une proposition indexicale, un index qui inclut une icône. Le rhème, disons “______ aime _____”, a des espaces blancs qui appellent à être remplis et une connexion actuelle concrète d’un sujet à chaque espace blanc montre la connexion des idées.
C’est la Proposition qui constitue le sujet principal de tout ce scolie, car les distinctions entre vague et distinct, général et individuel sont des distinctions propositionnelles. Je me suis efforcé de m’abstenir de longues discussions terminologiques, mais nous atteignons ici un point où une terminologie très répandue recouvre une conception erronée, celle de ces logiciens qui, entraînés par les Allemands, parlent de “jugements” (Urtheile) plutôt que de traiter de propositions. Ils considèrent la proposition simplement comme l’expression orale ou écrite d’un jugement. Plus d’une erreur provient de cette pratique. D’abord, un jugement, comme ils l’enseignent très correctement, est un sujet de psychologie. Puisque de nos jours les psychologues non seulement renoncent à toute prétention à une connaissance de l’âme mais s’efforcent aussi d’éviter de parler de l’esprit, celui-ci n’est actuellement pas du tout un terme scientifique. Je ne suis pas prêt pour autant à dire que la logique, en tant que telle, ne traite pas de l’esprit. J’aimerais prendre l’esprit en un sens tel qu’on puisse affirmer cela, mais en quelque sens que la psychologie – la psychologie scientifique maintenant reconnue – traite de l’esprit, la logique n’a, je le maintiens, rien à voir avec lui. Sans m’attarder ici à discuter cette vaste question, je dirai que la psychologie est une science qui fait des observations particulières et tout son travail consiste à rendre définis et compréhensibles les phénomènes observés (de même que les faits familiers qui leur sont reliés). La logique est une science très voisine des mathématiques pures. Elle ne fait connaître aucun phénomène positif, bien qu’[elle] prenne en compte et repose sur des phénomènes dont nous faisons l’expérience chaque jour et chaque heure, qu’elle analyse de façon à révéler d’obscures vérités à leur sujet. On pourrait penser qu’un pur mathématicien prendrait ces choses comme hypothèse de départ et en déduirait la logique, mais il se révèle, à l’essai, que ce n’est pas le cas. Le logicien doit procéder à un réexamen des phénomènes tout au long de ses recherches. Mais la logique est tout aussi éloignée de la psychologie que les mathématiques pures. La logique est l’étude de la nature essentielle des signes. Un signe est quelque chose qui existe dans des répliques. Que le signe “il pleut” ou “toutes les paires de particules de matière ont des composantes d’accélération l’une vers l’autre inversement proportionnelles au carré de la distance” se trouve avoir une réplique dans l’écriture, la parole ou dans la pensée silencieuse, cela n’a qu’un intérêt infime pour la logique, qui est l’étude non des répliques, mais des signes. Mais ce n’est pas là la seule ni la plus grave erreur que l’on commet quand on considère que la logique traite de “jugements” plutôt que de propositions. Cela suppose qu’on confond deux choses qu’il faut distinguer pour parvenir à une compréhension réelle de la logique. Comme je viens de l’indiquer, une proposition ne doit pas être comprise comme l’expression linguistique d’un jugement. Elle est, au contraire, ce signe dont le jugement est une réplique et l’expression linguistique une autre. Mais un jugement est manifestement plus que la simple réplique mentale d’une proposition. Il ne fait pas qu’exprimer la proposition, mais va plus loin et l’accepte. Je concède que l’usage normal d’une proposition est de l’affirmer et ses propriétés logiques principales sont liées à ce qui résulterait de son affirmation. C’est pourquoi en logique il est commode d’exprimer dans la plupart des cas les propositions au mode indicatif. Mais la proposition dans la phrase “Socrates est sapiens”, strictement exprimée, est “Socratem sapientem esse”.[ix] Cette position se défend de ce que nous distinguons ainsi la proposition de son assertion et que sans une telle distinction il est impossible d’obtenir une notion claire de la nature de la proposition. Une seule et même proposition peut être affirmée, niée, jugée, mise en doute, examinée intérieurement, formulée comme une question, désirée, demandée, effectivement ordonnée, enseignée ou simplement exprimée et ne devient pas de ce fait une proposition différente. De quelle nature sont ces opérations? La seule qui doive nous retenir est l’affirmation, incluant le jugement, ou l’affirmation à soi-même. Pour aider à disséquer la constitution de l’affirmation, j’utiliserai une certaine loupe logique dont j’ai souvent constaté l’efficacité dans ce genre de travail. Imaginez que j’écrive une proposition sur un morceau de papier, peut-être plusieurs fois, simplement comme exercice de calligraphie. Cela ne risque pas de se révéler être un divertissement dangereux. Mais supposez que j’apporte ensuite ce papier chez un notaire et fasse une déclaration sous serment quant à son contenu. Ce peut être une autre paire de manches. La raison en est que cette déclaration sous serment peut être utilisée pour établir dans les esprits d’un juge et d’un jury un accord donné à la proposition qu’elle contient, effet que le morceau de papier n’aurait pas eu si je n’avais pas prêté serment. Car certaines peines s’attachent, à ce moment et par la suite, au serment prêté quant à une proposition fausse et par conséquent le fait que j’ai juré de cette proposition sera considéré comme un index négatif de ce qu’elle n’est pas fausse. Cet accord dans les esprits du juge et du jury peut déclencher dans les esprits du shérif et de ses hommes une détermination à poser un acte de force au détriment de la liberté ou de la propriété d’un innocent. Certaines idées de la justice et de l’ordre sont si puissantes que le résultat final peut m’être très défavorable. C’est à quoi ressemble cette affirmation sous le microscope, car la seule différence entre prêter serment quant à une proposition et une affirmation ordinaire de cette proposition, telle que la logique la considère, est que dans le deuxième cas les peines sont moins sévères et même moins certaines que celles prévues par la loi. Comme dans l’exemple précédent, la raison pour laquelle il existe des peines est que l’affirmation peut déterminer un jugement ayant le même effet dans l’esprit de l’interprète et à son détriment. La seule cause de sa croyance ne saurait être qu’il existe de telles peines, puisque deux événements ne peuvent se causer l’un l’autre, à moins d’être simultanés. Il doit y avoir eu et nous savons bien qu’il y a une sorte de disposition hypnotique à croire ce qu’on nous dit sur le ton du commandement. C’est la “créancivité” de Grimes, qui est l’essence de l’hypnotisme.[x] Cette disposition a produit la croyance, la croyance a produit les peines et la connaissance de ces peines renforce la disposition à croire.
J’ai discuté de la nature de la croyance dans le numéro de novembre 1877[xi] du Popular Science Monthly. De manière générale, nous pouvons établir les définitions suivantes :
Une croyance en une proposition est une habitude contrôlée et satisfaite d’agir d’une manière apte à produire les résultats désirés seulement si la proposition est vraie.
Une affirmation est un acte de la part du locuteur d’une proposition à l’intention d’un interprète et consiste d’abord, en prononçant la proposition, dans l’exercice délibéré d’une force tendant à déterminer une croyance en cette proposition dans l’esprit de l’interprète. C’est peut-être là une définition suffisante de l’affirmation, mais elle engage aussi une auto-sujétion à des peines s’il advenait que l’esprit de l’interprète (et plus encore l’esprit général de la société) en vienne par la suite à être résolument déterminé à croire en même temps à la fausseté de la proposition et à la proposition supplémentaire que le locuteur croyait la proposition fausse au moment où il l’a énoncée.
Un jugement est un acte mental qui consiste à exercer délibérément une force tendant à déterminer dans l’esprit de l’agent une croyance en la proposition, ce à quoi il faut peut-être ajouter que l’agent doit être conscient qu’il s’expose à des inconvénients si la proposition se révélait être fausse sous quelque aspect pratique.
Pour comprendre complètement la distinction entre une proposition et un argument, il s’avérera important de classer ces actes, l’affirmation, etc. et de s’assurer de leur nature précise. La question est purement logique, mais il se trouve qu’une fausse métaphysique est répandue, en particulier chez des hommes qui sont influencés par la physique mais ne sont pas assez physiciens pour la comprendre pleinement, laquelle métaphysique retiendrait ceux qui croient en elle d’accepter l’énoncé purement logique de la nature de l’affirmation. Je serai par conséquent forcé d’évoquer la métaphysique. Je refuse toutefois d’entrer ici dans une discussion métaphysique et me contenterai d’indiquer rapidement sur quel terrain il est nécessaire de se placer pour s’opposer à une telle doctrine commune. L’affirmation est de la nature du symbole. On pourrait penser que cela ne peut être le cas puisque, comme l’analyse qu’on a lue le montre, une affirmation produit des effets réels, des effets physiques. Pourtant aucun signe n’est une chose réelle. Il n’a pas d’être réel, mais seulement un être représenté. J’aurais plus de facilité à persuader les lecteurs de penser que l’affirmation est un index, puisque l’index est, peut-être, une chose réelle. Sa réplique est, en tout cas, dans une réaction réelle avec son objet et elle force sur l’esprit une référence à cet objet. Mais un symbole, un mot, n’existe certainement que dans une réplique, contrairement à la nature d’une chose réelle et, en effet, le symbole ne devient un signe que parce que son interprète se trouve être préparé à le représenter comme tel. C’est pourquoi je dois admettre et admets qu’un symbole ne peut exercer aucune force réelle. Je maintiens toutefois que tout symbole suffisamment complet gouverne des choses et que seuls des symbole le font. Je veux dire que bien qu’il n’est pas une force, il est une loi. Ceux qui considèrent la fausse métaphysique dont je parle comme la seule opinion claire sur le sujet ont l’habitude d’appeler les lois des “uniformités”, entendant par là que ce que nous appelons lois n’est en fait rien d’autre que des caractères communs de classes d’événements. Il est vrai qu’ils les tiennent pour des symboles, ce que j’entreprendrai de montrer qu’elles sont, mais cela revient pour eux à dire que ce sont des caractères communs d’événements, car ils entretiennent une conception de la nature du symbole qui est très différente de la mienne. Je commencerai donc par montrer qu’une loi n’est pas un simple caractère commun d’événements. Supposez qu’un homme qui lance une paire de dés, aussi honnêtes que des dés peuvent l’être, sorte des six cent fois de suite. Tout mathématicien admettra que cela n’est pas une raison pour s’attendre à ce que des six sortent au prochain lancer. Il est vrai que dans tout cas réel où nous verrions des six sortir cent fois de suite nous serions très confiants, avec raison, que le prochain lancer donnera aussi des six. Mais pourquoi devrions-nous l’être? Quelqu’un peut-il nier sincèrement que c’est parce que nous pensons que le fait de sortir des six cent fois de suite est une indication presque certaine qu’il y a une connexion réelle entre ces lancers, de sorte que la série n’était pas une simple uniformité du caractère commun consistant à obtenir des six, mais quelque chose de plus, le résultat d’un fait réel qui entraîne la connexion entre les lancers des dés? Cet exemple illustre le principe logique qu’une simple communauté de caractère entre les membres d’un ensemble ne constitue pas un argument, si faible qu’il soit, tendant à montrer que le même caractère appartient à un objet qui n’est pas membre de cet ensemble et qui n’a pas (dans la mesure où nous avons une raison de le penser) une connexion réelle avec lui, à moins qu’il ne possède par hasard le caractère en question. Car ce que nous supposons habituellement de dés honnêtes est qu’il n’y pas de connexion réelle (ou aucune qui soit significative) entre les différents lancers. Je sais que l’analyse médiocre du hasard comme fait de notre ignorance s’est répandue parmi nombre d’auteurs.[xii] Mais le calcul des probabilités est pur non-sens s’il ne fournit pas d’assurance à long terme. Quelle assurance pourrions-nous avoir relativement à une longue série de lancers d’une paire de dés si, plutôt que de savoir qu’il s’agit de dés honnêtes, nous ne saurions simplement pas s’ils sont pipés ou, si plutôt que de savoir qu’il n’y a aucune connexion importante entre les lancers, nous ne saurions simplement pas s’il y en a une? Que l’on sache que des objets A, B, C, etc. ont un caractère donné n’est pas du tout une raison de supposer qu’un autre objet, Ξ, que nous ne savons pas avoir de relation avec les autres objets, possède ce caractère. Aussi cette proposition évidente n’a-t-elle jamais été mise en doute. Chacun considère toutefois à juste titre une “loi” comme une raison de prédire qu’un événement aura un certain caractère bien que les événements dont on sait qu’ils ont ce caractère n’ont aucune autre connexion réelle avec lui que cette loi. Cela montre que la loi n’est pas une simple uniformité mais qu’elle implique une connexion réelle. Il est vrai que ces métaphysiciens disent que si l’on sait que A, B, C, etc. ont deux caractères en commun et que l’on sait que Ξ possède l’un de ces caractères c’est là une raison de croire qu’il possède l’autre. Mais c’est plutôt indéfendable. Le simple fait d’avoir un caractère en commun ne constitue pas une connexion réelle, ce que ces mêmes auteurs reconnaissent virtuellement en réduisant la loi à l’uniformité, c’est-à-dire à la possession d’un caractère commun, pour nier que la “loi” implique quelque connexion réelle. Qu’est-ce alors qu’une loi? C’est une formule à laquelle des événements réels se conforment vraiment. Par “se conformer”, j’entends que, si l’on prend la formule comme un principe général, si l’expérience montre que la formule s’applique à un événement donné, alors le résultat sera confirmé par l’expérience. Mais il est évident qu’une telle formule générale est un symbole et, plus spécifiquement, une proposition symbolique affirmée. La question de savoir si ce symbole constitue une réalité, même si elle n’est pas reconnue par vous ou par moi ou par quelque génération que ce soit, et celle de savoir, dans le cas où le symbole est une réalité, s’il implique un Locuteur sont des questions métaphysiques dans lesquelles je ne m’engagerai pas maintenant. Il y a un auteur distingué qui semble soutenir que, bien que les événements se conforment à la formule ou, plutôt, bien que [la formule] se conforme à la Vérité des faits, elle n’influence pas les faits pour autant.[xiii] Cela s’approche dangereusement du pur verbiage, car, puisque personne ne prétend que la formule exerce une force coercitive sur les événements, quel sens défini peut-il y avoir à ce refus catégorique d’une “influence” de la loi sur les faits? La loi avait le mode d’existence qu’elle a avant même que tous les faits n’en viennent à l’existence, car elle pourrait déjà avoir été connue expérimentalement; et, la loi existant, quand les faits se produisent il y a accord entre eux et la loi. À quoi cet auteur pense-t-il alors? Si ce n’était de l’extraordinaire conception fausse que Mill a du mot “cause”, je dirais que l’idée d’une suite métaphysique impliquée dans ce mot, dans “influence” et d’autres mots semblables est parfaitement claire. La singularité de Mill est qu’il parle de la cause d’un événement singulier. Tous les autres parlent de la cause d’un “fait”, qui est un élément de l’événement. Dans le cas de Mill, c’est l’événement tout entier qui est causé. La conséquence en est que Mill est obligé de définir la cause comme la totalité de toutes les circonstances qui entourent l’événement.[xiv] C’est, à strictement parler, l’Univers de l’être dans sa totalité. Mais chaque événement, tel qu’il existe, dans son entièreté, n’est rien d’autre que le même Univers de l’être dans sa totalité. De l’usage des mots que fait Mill il découle donc strictement que le seul causatum est l’Univers de l’être tout entier et qu’il est lui-même sa seule cause. Il enlève ainsi au mot toute utilité. Au sens que tout le monde, à l’exception de Mill et de son école, donne plus ou moins clairement à ce mot, il est très utile. Ce qui est causé, le causatum, n’est pas l’événement entier, mais un élément abstrait d’un événement tel qu’il peut être exprimé dans une proposition, c’est-à-dire ce que nous appelons un “fait”. La cause est un autre “fait”, à savoir qu’elle est, premièrement, un fait qui pourrait, à l’intérieur du champ de la possibilité, avoir l’être qu’il a sans que le causatum ne soit mais qui, deuxièmement, ne pourrait être un fait réel si un troisième fait complémentaire, exprimé ou compris, ne se réalisait, sans l’être du causatum; troisièmement, bien que le causatum effectivement réalisé puisse peut-être être réalisé par d’autres causes ou par accident, l’existence du causatum possible en entier ne pourrait quand même être réalisée sans la cause en question. On pourrait ajouter qu’une partie d’une cause, s’il s’agit d’une partie à l’égard de ce qui fait que la cause est une cause, s’appelle aussi cause. À d’autres égards, la portée du mot sera quelque peu élargie par la suite. Si la cause ainsi définie est une partie du causatum, au sens où le causatum ne saurait logiquement être sans la cause, on l’appelle cause interne; autrement, il s’agit d’une cause externe. Si la cause est de la nature d’une chose individuelle ou d’un fait individuel et que l’autre facteur requis pour que le causatum soit nécessaire est un principe général, je dirai qu’il s’agit d’une cause mineure, individuante ou peut-être physique. Si c’est au contraire le principe général qu’on considère être la cause et le fait individuel auquel il s’applique qu’on considère être le facteur compris, je dirai de la cause qu’elle est majeure, définissante ou peut-être psychique. La cause interne individuante est appelée cause matérielle. Les parties intégrantes d’un sujet ou d’un fait forment ainsi sa matière ou sa cause matérielle. La cause externe individuante est appelée efficiente ou cause efficiente et le causatum est appelé l’effet. La cause interne définissante est appelée cause formelle ou forme. Tous ces faits qui constituent la définition d’un sujet ou d’un fait composent sa forme. La cause externe définissante est appelée cause finale ou fin. J’espère que ces formulations s’avéreront atteindre mieux que celles d’Aristote ou des scolastiques la cible qu’ils visaient. Ces idées de la scholastique et des universités du Moyen Âge sont passées sous une forme plus vague dans les habitudes de penser et de parler de l’Europe occidentale, en particulier de l’Angleterre. Je pense donc pouvoir au moyen de ces définitions établir ce que l’auteur mentionné a en tête quand il dit que ce n’est pas la loi qui influence les faits ou en est la cause finale, mais les faits qui constituent la cause de la loi. Il veut dire que le fait général qu’exprime la loi de la gravitation universelle est composé des faits particuliers que telle pierre est tombée au sol à tel moment dès qu’elle a été libre de le faire et que sa vitesse vers le haut a été épuisée, que toutes les autres pierres ont fait la même chose, que chaque planète a décrit à chaque moment une ellipse ayant le centre de masse du système solaire pour foyer, etc., etc., de sorte que les faits individuels sont la cause matérielle du fait général exprimé par la loi, tandis que les propositions qui expriment ces faits sont la cause efficiente de la loi elle-même. C’est là une version possible qui s’accorde avec la secte de pensée à laquelle appartient l’auteur et je crois que c’est le sens qu’il visait. Mais il est facile de voir que cette version n’est pas vraie, car la formule est liée à tous les événements possibles d’une description donnée, ce qui revient à dire qu’elle concerne tous les événements possibles. Or, aucun ensemble d’événements individuels présents, ou d’autres objets de quelque description générale ne peut équivaloir à tous les événements ou objets possibles de cette description, car il est possible qu’on doive faire un ajout à cet ensemble. Les individus ne constituent pas la matière d’un général : ceux qui avec Kant,[xv] ou longtemps avant lui, ont dit qu’ils le font manquaient de l’acuité de pensée nécessaire à ces discussions. Au contraire, la vérité de la formule, ce qui en fait réellement un signe de l’objet indiqué, est la cause définissante de l’accord des faits individuels avec elle. Cela revient à dire que sa vérité satisfait à la première condition, qui est qu’elle pourrait logiquement être même s’il n’y avait pas un tel accord. Car il pourrait être vrai, c’est-à-dire ne contenir aucune fausseté, que toute pierre qui se trouve sur la terre ait une composante d’accélération vers le bas réelle même s’il n’existait aucune pierre sur la terre. Elle satisfait aussi à la deuxième condition, qui est que dès que l’autre facteur (dans ce cas, l’existence présente de chaque pierre sur la terre) est réalisé, le résultat de la formule, la composante réelle d’accélération vers le bas, existerait. Elle satisfait finalement à la troisième condition, qui est que bien que toutes les pierres qui existent puissent être accélérées vers le bas par d’autres causes ou par un concours de circonstances accidentel, l’accélération vers le bas de toute pierre possible impliquerait néanmoins la vérité de la formule.
Il apparaît ainsi que la vérité de la formule, c’est-à-dire la loi, est au sens le plus strict la cause définissante des faits individuels réels. Mais la formule, si elle est un tant soit peu un symbole, est un symbole de cet objet qu’elle indique comme son objet. Sa vérité consiste par conséquent en ce que la formule est un symbole. Un symbole peut ainsi être la cause d’événements et de choses individuels réels. Il est aisé de voir que rien d’autre qu’un symbole ne peut être une telle cause puisqu’une cause est par définition la prémisse d’un argument et qu’un symbole peut seul être un argument. Chaque symbole suffisamment complet est une cause finale d’événements réels, et les “influence”, précisément au sens où mon désir que la fenêtre soit ouverte, c’est-à-dire le symbole qui se trouve dans mon esprit de la nature agréable de la chose, influence les faits physiques qui sont que je me lève de ma chaise, que j’aille à la fenêtre et que je l’ouvre. Qui, hormis un millien ou un dément, pourrait nier que ce désir influence l’ouverture de la fenêtre? Le sens dans lequel il le fait n’est pourtant rien d’autre que celui dans lequel tout symbole suffisamment complet et vrai influence des faits réels.
Un symbole est défini comme un signe qui ne devient tel qu’en vertu du fait qu’il est interprété comme tel. La signification d’un symbole complexe est déterminée par certaines règles de syntaxe qui font partie de son sens. Un symbole simple est interprété comme signifiant ce qu’il signifie à partir d’une circonstance ou d’une suite de circonstances accidentelles, comme le montre l’histoire de n’importe quel mot. Par exemple, dans la seconde moitié du XV˚ siècle, un type de véhicule fut utilisé dans la ville de Kots (prononcé kotch) en Hongrie. Il fut copié dans d’autres villes, sans doute avec des modifications, et fut appelé kotsi szeker ou “charrette de Kots”. Copié dans d’autres villes encore, et toujours plus ou moins modifié, il en vint à être appelé simplement cotch. C’est ainsi que le mot coach se trouva être utilisé, d’abord pour désigner un magnifique véhicule tiré par des chevaux pour transporter des personnes de haut rang dans les conditions de confort que ce rang imposait, puis pour désigner un gros véhicule prétentieux tiré par quatre chevaux ou plus, destiné au transport de passagers d’une ville à une autre, et finalement tout gros véhicule de transport de passagers payants d’une ville à une autre. Dans tous les cas ordinaires, ce sont, comme il se doit, des circonstances accidentelles qui sont cause de ce qu’un symbole signifie précisément les caractères qu’il signifie, car s’il y avait une quelconque raison nécessaire ou quasi nécessaire, ce serait elle qui ferait du signe un signe et non le simple fait qu’il est ainsi interprété, comme le stipule la définition du symbole. Il convient de faire ici une remarque sur l’identité du symbole. Un signe tient son être de ce qu’il convient à une fonction. Le symbole convient à la fonction de signe simplement du fait qu’il la remplit, à savoir qu’il est ainsi compris. Il est par conséquent ce qu’on comprend qu’il est. Dès lors, si deux symboles sont utilisés sans qu’on tienne compte de différence entre eux ce sont des répliques du même symbole. Si on considère que la différence est simplement grammaticale (comme c’est le cas de il et lui), ou simplement rhétorique (comme c’est le cas de argent et flouze)[xvi] ou autrement non significative, il s’agit logiquement de deux répliques d’un même symbole. Il n’est guère de symbole qui signifie directement les caractères qu’il signifie car il signifie tout ce qu’il signifie par le pouvoir qu’il a de déterminer un autre signe qui signifie le même caractère. Si j’écris “le bruit du sciage”, le lecteur se contentera probablement de jeter aux mots un coup d’oeil suffisant pour s’assurer qu’il pourrait, s’il le voulait, imaginer le bruit auquel j’ai fait référence. Cependant, si ce que [j’] entreprends de dire de ce bruit le pousse à en faire plus, une sorte de composé auditif apparaîtra dans son imagination, fait des différentes occasions où il s’est trouvé près d’une scie et cela servira d’icône de la signification de l’expression “le bruit du sciage”). Si, au lieu de cette expression, j’avais utilisé “zzzz”, cela aurait suscité de façon moins précise mais plus directe une interprétation iconique, du fait que le son du mot est lui-même une sorte de zzzz. Certains symboles sont ainsi bien supérieurs à d’autres pour ce qui est du caractère direct de la signification. Cela est vrai non seulement des symboles tournés vers l’extérieur mais aussi des idées générales. Quand une personne se rappelle quelque chose, comme par exemple quand elle veut dans une boutique choisir un ruban dont la couleur soit celle d’un article qu’elle a chez elle, elle sait que son idée est un souvenir et non un produit de son imagination, par le sentiment d’avoir déjà eu cette idée auparavant, idée dont elle a fort probablement déjà constaté le caractère trompeur. Il s’agit d’une sorte de sentiment de ressemblance entre le présent et le passé. Même si elle avait les deux couleurs sous les yeux, cette personne ne saurait qu’elles sont semblables que par un sentiment particulier de ressemblance, car, puisque ce sont deux sensations, elles sont différentes. Mais dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas un simple sentiment général de ressemblance qui est en cause mais bien cette variété particulière qui survient quand une idée présente apparaît être semblable à une idée qui ne se trouve pas du tout dans l’esprit maintenant mais qui y a déjà été. Il est clair que ce sentiment fonctionne comme un symbole. Il serait absurde de dire que c’est une icône du passé, car, plutôt que de servir de substitut de l’idée passée en étant semblable à elle, l’idée présente n’est au contraire tenue pour semblable à l’idée passée que par le sentiment qu’elle l’est. On ne peut non plus dire que c’est un index, car l’essence de l’index est d’être en connexion réelle avec son objet, de sorte qu’il ne peut être mensonger dans la mesure où il est indexical, tandis qu’il n’est pas rare que ce sentiment soit trompeur et même parfois, dans la vie de chacun, absolument dénué de fondement. Il est vrai qu’il est dans l’ensemble véridique et que la véridicité – la vérité rendue nécessaire – ne peut appartenir à un signe que s’il implique un index. Mais un symbole, s’il est suffisamment complet, implique toujours un index, tout comme un index suffisamment complet implique une icône. Il y a un critère infaillible pour distinguer l’index du symbole.[xvii] C’est le suivant : bien qu’un index, comme tout autre signe, ne fonctionne comme signe que s’il est interprété, il peut pourtant, même s’il se trouvait n’être jamais interprété, continuer à être tout aussi apte à être le signe qu’il serait s’il l’était. En revanche, un symbole qui ne serait pas interprété soit ne serait pas du tout un signe soit n’en serait un que d’une manière complètement différente. Une inscription que personne n’a jamais interprétée ou n’interprétera jamais ne sera qu’un gribouillage fantaisiste, l’index qu’un être quelconque a été là, mais elle ne transmettra pas son sens ni ne sera apte à le faire. Imaginez que le sentiment qui nous dit qu’une idée présente a déjà fait l’objet d’une expérience par le passé ne soit pas interprété comme ayant ce sens. Que serait-il? Il serait comme tout autre sentiment. Aucun examen ne pourrait découvrir qu’il avait quelque connexion que ce soit avec une idée passée et disparue. Même si l’on découvrait une telle chose et que l’on découvrait de plus que cette connexion était telle qu’elle nous assure que l’idée présente à laquelle le sentiment est connecté est semblable à l’idée passée, il s’agirait d’une découverte supplémentaire, non impliquée dans le signe lui-même, une découverte qui est aussi de la nature du symbole car il s’agirait de la découverte d’une loi générale. La seule manière dont un index puisse être une proposition est en impliquant une icône. Mais quelle icône ce sentiment présente-t-il? Montre-t-il quoi que ce soit de semblable à la ressemblance. Supposer que le sentiment en question transmet son sens en présentant [dans] une nouvelle idée un vague double de l’idée qui était présente en premier ne suffirait pas, si gratuite que soit cette hypothèse, à prouver que le sentiment est un index, car il faudrait encore un symbole pour nous informer que la première idée et l’idée nouvellement présentée sont semblables, et même alors il faudrait transmettre l’idée qu’il s’agit de quelque chose de passé, ce qu’aucune icône et par conséquent aucun index ne peuvent signifier. Il est donc plutôt certain que nous avons dans ce sentiment un exemple clair d’un symbole qui, en un certain sens, signifie nécessairement ce qu’il signifie. Nous avons déjà vu que ce ne peut être que par accident et non par une nécessité intrinsèque qu’un symbole signifie ce qu’il signifie. Ces deux résultats se concilient si l’on considère dans ce cas que l’accident est que nous sommes constitués de telle façon que nous interpréterons ce sentiment comme nous le faisons. Un petit examen psychologique justifiera la première assertion. Bien qu’il ne soit pas rare qu’on éprouve fortement le sentiment d’avoir déjà été dans une situation donnée alors qu’en fait cette situation n’est jamais arrivée, tout le monde, à moins d’être un psychologue, est à coup sûr profondément impressionné par une telle expérience (ou du moins par sa première expérience du genre), s’en souviendra pendant des années et est troublé par l’idée qu’il a affaire à un phénomène profondément mystérieux, si ce n’est surnaturel. Dans la satisfaction insouciante qu’il éprouve devant l’état de sa science, le psychologue peut simplement balayer la question, mais il me semble négliger la partie la plus instructive du phénomène. Il s’agit de ceci : bien que les sentiments internes soient en général des témoignages dont il est bien connu qu’il faut les recevoir avec prudence et réserve, quand ce sentiment particulier les trahit, les gens ont l’impression que le fond de l’univers de l’être s’est dérobé. Pourquoi prendre la question tellement au sérieux? C’est parce que si l’on essaye d’analyser ce qui est signifié quand on dit qu’une idée présente “ressemble” à une idée passée et disparue, nous découvrons que rien d’autre n’est signifié que le fait que ce sentiment lui est connecté. Le résultat semble en être qu’il est contradictoire que ce sentiment puisse être trompeur, auquel cas nous pouvons dire que c’est le fond de la Vérité elle-même qui s’est dérobé. Or, un symbole qui signifierait ce qu’il signifie par une nécessité logique ne peut à l’évidence rien avoir pour signification en tant que prédicat que sa propre application ou sa propre prédication, ou, pour dire les choses rapidement, il ne signifierait que lui-même, car toute autre chose dont on peut supposer qu’elle est signifiée par ce symbole pourrait, par possibilité logique, ne pas l’être. Qu’un tel symbole soit faux impliquerait bien une contradiction. La stupéfaction ressentie devant le “sentiment de pré-existence”, comme on l’a appelé, ne revient pratiquement à rien d’autre qu’à la confusion naturelle entre ce qui est nécessaire en raison de la constitution de l’esprit et ce qui est logiquement nécessaire. Le sentiment qui nous occupe n’est nécessaire qu’en ce dernier sens. Sa fausseté n’est par conséquent pas absurde mais seulement anormale. Il n’est pas non plus lui-même sa seule signification, mais seulement la seule signification qui puisse être reconnue sans pensée transcendantale, parce que dire qu’une idée présente est réellement semblable à une idée dont on a réellement fait l’expérience dans le passé signifie qu’un être suffisamment informé saurait que l’effet de l’idée présente est une revivification de l’effet de l’idée antérieure pour ce qui est de sa qualité de sentiment. On doit toutefois remarquer que le seul effet d’une qualité de sentiment est de produire un souvenir, qui est lui-même une qualité de sentiment, et que dire de deux souvenirs qu’ils sont semblables n’est, après tout, que dire que le sentiment qui est le symbole de la ressemblance s’attache à eux. Le sentiment de reconnaissance d’une idée présente comme ayant déjà fait l’objet d’une expérience a pour signification l’applicabilité d’une partie de lui-même. Le sentiment de ressemblance en général, bien qu’il soit moins saisissant, est du même genre. Toutes les occurrences particulières du sentiment de ressemblances sont elles-mêmes reconnues comme semblables, par le fait qu’on leur applique le même symbole de ressemblance. C’est le “je pense” de Kant, qu’il considère être un acte de pensée, c’est-à-dire être de la nature du symbole. Mais le fait qu’il introduit l’ego dans cet acte est dû à la confusion de cela avec un autre élément.
Ce sentiment n’est pas le seul à ne signifier que lui-même, car la même chose est vraie du sentiment “bleu” ou de tout autre. On ne doit pas oublier qu’un sentiment n’est pas une psychose[5] ou état d’esprit, mais simplement une qualité d’une psychose, à laquelle sont associés un degré de vivacité ou une perturbation relative ou un relief de la qualité dans la psychose, que mesurent principalement les répercussions. Ces psychoses sont des icônes, et c’est en étant un symbole que le sentiment de ressemblance se distingue d’autres sentiments. Mais la signification de la psychose en tant que signe est que le percept auquel elle renvoie ultimement a la même qualité, telle qu’elle est déterminée par le symbole-sentiment de ressemblance.
Mon objectif principal en attirant l’attention sur ce symbole de ressemblance est de montrer que les significations des symboles sont directes à divers degrés, jusqu’à la limite où ils sont eux-mêmes leurs propres significations. Une icône signifie de manière absolument directe le caractère qu’elle incorpore et tout symbole refère plus ou moins indirectement à une icône.
Un index dénote directement l’objet réel avec lequel il est en réaction. Tout symbole réfère plus ou moins indirectement à un objet réel par l’intermédiaire d’un index. Quelqu’un entre dans une boutique et demande un “yard” de soie. Cette personne veut une pièce de soie qui a été placée (soit en la mesurant soit au jugé, selon les habitudes liées aux index) en comparaison réactive avec une règle d’un yard, laquelle a elle-même, par réactions successives, été mise en réaction avec une certaine barre réelle qui se trouve à Westminster. Le mot “yard” est un exemple de symbole qui dénote très directement. Quand nous considérons plus scientifiquement les comparaisons successives, nous devons reconnaître qu’elles sont toutes susceptibles d’erreur. Plus nous nous efforçons de rendre la réaction significative, plus nous devons reconnaître que chacun des actes de comparaison individuels livre ses propres résultats et l’inférence générale que nous faisons à partir d’un grand nombre de ces actes représente ce que chacun d’eux serait s’il était exécuté avec plus de précision. C’est par l’intervention du symbole inférentiel que nous obtenons pratiquement une réaction plus étroite. Quand un biologiste étiquette un spécimen, il exécute une comparaison, d’un ordre tout aussi réactif que les deux étalons de longueur, avec un spécimen-type originel, comme il appelle le prototype. Son étiquette implique ainsi quelque chose de la nature de l’index, bien que ce soit moins patent que dans le cas du mot “yard”. Il serait plus scientifique de faire des comparaisons, non avec un seul prototype, mais avec vingt-cinq barres différentes faites de différentes matières et conservées dans des conditions différentes, et qu’on appelle “yard” ce qui correspond à la moyenne de ces barres. De même, en biologie, il devrait y avoir vingt-cinq spécimens-types, présentant toute la gamme de variations permise comme caractère moyen normal. Cette procédure plus scientifique est celle du sens commun en ce qui a trait aux noms ordinaires, sauf qu’au lieu de vingt-cinq cas il y en a beaucoup plus. J’entre dans un magasin de meubles et dis que je veux une “table”. Je m’en remets à ma supposition que le marchand et moi-même avons connu des expériences réactionnelles qui, bien qu’elles soient différentes, ont été connectées par des expériences réactionnelles de telle façon qu’elles sont virtuellement les mêmes, en conséquence de quoi “table” suggère au marchand, tout comme à moi, un meuble avec une surface plate d’une hauteur telle qu’on puisse commodément s’y asseoir pour travailler. Cette hauteur commode, bien qu’elle ne soit pas mesurée, est du même ordre que le yard de soie que nous avons examiné. Il s’agit de commodité pour des hommes de taille normale et l’expérience réactive du marchand s’accorde présumément avec la mienne en ce qui a trait à ce qu’est une taille ordinaire. J’entre dans une épicerie et demande du beurre. On me montre quelque chose et je demande “Est-ce du beurre? Ou est-ce plutôt de l’oléomargarine ou quelque chose du genre?”. “Oh! Je vous assure que c’est, du point de vue chimique le plus strict, du beurre”. “Hum, du point de vue chimique le plus strict? Vous savez aussi bien que moi ce qu’est l’espèce bovine. C’est un objet individuel, dont nous avons tous deux vu des parties. Je veux savoir si cette substance a été barattée à partir de lait provenant de l’espèce bovine”. Nous ne connaissons cette espèce que par une expérience réactionnelle réelle. Qu’est-ce que l’or? C’est une substance élémentaire qui a une masse atomique d’environ 197 1/4.[xviii] Quand nous disons “élémentaire”, nous voulons dire “indécomposable dans l’état actuel de la chimie”, ce qu’on ne peut reconnaître que par une expérience réactionnelle réelle. Quand nous disons que sa masse atomique est de 197 1/4, nous voulons dire que c’est en comparaison de l’hydrogène. Mais qu’est-ce que l’hydrogène? C’est un gaz élémentaire quatorze fois et demie plus léger que l’air. Et qu’est-ce que l’air? Eh bien, c’est ce qui est autour de nous et avec quoi nous avons une expérience réactionnelle. Le lecteur peut essayer avec des exemples de son cru jusqu’à ce qu’aucun doute ne subsiste quant au fait que les symboles des choses dont on fait l’expérience dénotent toujours par des index; pareille preuve sera beaucoup plus sûre que toute démonstration apodictique. En ce qui concerne les symboles de choses dont on ne fait pas l’expérience, il est clair qu’ils doivent décrire leurs objets au moyen de ce qui les différencie des choses dont on fait l’expérience. Il est évident que le caractère direct de la dénotation des symboles peut connaître tous les degrés de variation. Il est bien entendu tout à fait possible qu’un symbole se représente lui-même, au moins au seul sens où on peut dire d’une chose qui n’a pas d’être réel mais seulement un être représenté et qui existe en réplique qu’elle est identique à un objet réel et donc individuel. Une carte peut être une carte d’elle-même, c’est-à-dire qu’une de ses réplique peut être l’objet cartographié. Mais cela ne rend pas la dénotation extraordinairement directe. Comme exemple de symbole d’un tel caractère, nous pouvons plutôt prendre le symbole qui s’exprime dans des mots comme “la Vérité” ou “Univers de l’Être”. Tout symbole quel qu’il soit doit dénoter ce que ce symbole dénote, de sorte que tout symbole dont on considère qu’il dénote la Vérité dénote nécessairement ce qu’il dénote et, le dénotant, il est cette chose même, ou un fragment de cette chose pris pour le tout. C’est le tout pris dans la mesure où il doit être pris pour les fins de la dénotation, car la dénotation prend essentiellement une partie pour son tout.
Mais l’aspect le plus caractéristique d’un symbole est celui de sa relation à son interprétant, car le symbole se distingue en ce que c’est un signe qui devient tel en déterminant son interprétant. Un interprétant du symbole est une excroissance du symbole. Nous avons dit que le symbole détermine son interprétant. La détermination implique un determinandum, un sujet à déterminer. Qu’est-ce que c’est? Nous devons supposer qu’il y a quelque chose comme une feuille de papier, une feuille blanche ou avec un espace blanc où un signe interprétant peut être écrit. De quelle nature ce blanc est-il? En fournissant la place pour l’écriture d’un symbole, il est lui-même ipso facto un symbole, bien que totalement vague. En fournissant la place pour un interprétant de ce symbole particulier, il est déjà un interprétant de ce symbole, bien que seulement partiel. Un interprétant entier devrait impliquer une réplique du symbole originel. En fait, le symbole interprétant, dans la mesure où il n’est pas plus qu’un interprétant, est le symbole originel, bien que ce soit peut-être dans un état plus développé. Mais le symbole interprétant peut être en même temps un interprétant d’un symbole indépendant. Un symbole est quelque chose qui a le pouvoir de se reproduire lui-même essentiellement car il n’est constitué comme symbole que par l’interprétation. Cette interprétation implique que le symbole a le pouvoir de causer un fait réel et, bien que je ne souhaite pas entrer dans des questions métaphysiques, je suis forcé, quand une métaphysique fausse envahit le territoire de la logique, de dire que rien ne peut être plus futile que de chercher à construire une conception de l’univers qui néglige le pouvoir qu’ont les représentations de causer des faits réels. À quoi sert-il de chercher à construire une conception de l’univers si ce n’est à rendre les choses intelligibles? Mais si c’est là ce que nous cherchons à faire nous nous rendons nécessairement la chose impossible si nous nous obstinons à tout réduire à une norme qui rend essentiellement et ipso facto inintelligible tout ce qui arrive. C’est pourtant bien ce que nous faisons si nous n’admettons pas le pouvoir qu’ont les représentations de causer des faits réels. Pour expliquer l’univers, nous devons supposer qu’il y avait au début un état de choses dans lequel il n’y avait rien, aucune réaction et aucune qualité, aucune matière, aucune conscience, aucun espace et aucun temps, rien du tout. Pas rien de manière déterminée, car ce qui est de manière déterminée non-A suppose l’être de A sous un mode quelconque. Une indétermination totale. Mais seul un symbole est indéterminé. Par conséquent, Rien, l’indéterminé du commencement absolu, est un symbole.[xix] C’est la seule manière dont on puisse comprendre le commencement des choses. Qu’en suit-il logiquement? Nous ne devons pas nous satisfaire de notre sens instinctif de ce qui est logique. Est logique ce qui provient de la nature essentielle du symbole. Or, il appartient à la nature essentielle du symbole de déterminer un interprétant, qui est lui-même un symbole. Un symbole produit par conséquent une série sans fin d’interprétants. Quelqu’un pense-t-il que tout cela est pur non-sens? Distinguo. Il ne peut, il est vrai, y avoir aucune information positive sur ce qui a précédé l’Univers de l’être tout entier, ne serait-ce que parce qu’il n’y avait rien sur quoi avoir de l’information. Mais l’univers est intelligible et il est par conséquent possible d’en donner une explication en général, ainsi que de son origine. Cette explication générale est un symbole et, en raison de la nature du symbole, elle doit commencer par l’assertion formelle qu’il y avait d’abord un rien indéterminé de l’ordre du symbole. Cela serait faux s’il transmettait quelque information que ce soit. Mais c’est la manière correcte et logique de commencer une explication de l’univers. En tant que symbole, il produit sa série infinie d’interprétants, lesquels étaient à l’origine absolument vagues, tout comme lui. Mais l’interprétant direct de tout symbole doit dans son premier état être simplement la tabula rasa pour un interprétant, de sorte que l’interprétant immédiat de ce vague Rien n’était même pas vague de manière déterminée, mais flottait vaguement entre la détermination et le vague, et son interprétant immédiat flottait vaguement entre flotter vaguement entre le vague et la détermination et le vague déterminé ou la détermination, et ainsi de suite, ad infinitum. Mais toute série sans fin doit logiquement avoir une limite.[xx]
Laissant pour l’instant cette ligne de pensée en suspens, en raison du sentiment d’insécurité qu’elle provoque, notons d’abord qu’il est de la nature du symbole de créer une tabula rasa et par conséquent une série sans fin de tabulae rasae, puisqu’une telle création n’est que représentation, les tabulae rasae étant entièrement indéterminées, mis à part qu’elles sont représentatives. Il s’y trouve un effet réel, mais[6] un symbole ne pourrait être sans ce pouvoir de produire un effet réel. Le symbole se représente lui-même comme étant représenté et cet être représenté est réel en raison de son vague total. Car tout ce qui est représenté doit être complètement mené à terme.
Car la réalité est coercitive. Mais la coercition est absolument hic et nunc. Elle est pendant un instant et disparaît. Qu’elle passe et elle n’est absolument rien. La réalité n’existe que comme un élément de la régularité. Et la régularité est le symbole. La réalité ne peut par conséquent être vue que comme la limite de la série sans fin des symboles.
Un symbole est essentiellement une finalité, c’est-à-dire qu’il est une représentation qui cherche à se rendre définie, ou cherche à produire un interprétant plus défini qu’elle-même. Car toute sa signification consiste en ce qu’elle détermine un interprétant, de sorte que c’est à son interprétant qu’elle doit l’actualité de sa signification.
Une tabula rasa ayant été déterminée comme représentative du symbole qui la détermine, cette tabula rasa tend à devenir déterminée. Le vague tend toujours à devenir déterminé, simplement parce que son caractère vague ne le détermine pas à être vague (comme la limite d’une série sans fin). Pour autant que l’interprétant est le symbole, ce qu’il est dans une mesure quelconque, la détermination s’accorde avec celle du symbole. Mais pour autant qu’il n’arrive pas à être son meilleur soi, il est capable de s’écarter du sens du symbole. Sa finalité est pourtant de représenter le symbole dans sa représentation de son objet et la détermination est par conséquent suivie d’un autre développement dans lequel elle est corrigée. Il est de la nature du signe d’être une réplique individuelle et d’être dans cette réplique un général vivant. De ce fait, l’interprétant est animé par la réplique originelle ou par le signe qu’il contient, avec le pouvoir de représenter le vrai caractère de l’objet. Que l’objet a le moindre caractère ne peut consister que dans la représentation qu’il l’a – une représentation ayant le pouvoir de survivre à toute opposition. Au cours de ces deux étapes, celle de la détermination et celle de la correction, l’interprétant vise l’objet plus que la réplique originelle et peut être plus vrai et plus plein que celle-ci. L’entéléchie même de l’être se trouve dans ce qu’il est représentable. Un signe ne peut même être faux sans être un signe et, dans la mesure où il est signe, il doit être vrai. Un symbole est une réalité embryonnaire dotée du pouvoir de se développer dans la vérité même, l’entéléchie même de la réalité. Cela ne semble mystique et mystérieux que parce que nous nous obstinons à rester aveugles devant ce qui est évident, qu’il ne peut être aucune réalité qui n’ait la vie d’un symbole.
Comment une idée comme celle de rouge peut-elle survenir? Ce ne peut être que par une détermination graduelle à partir de la pure indétermination. Un caractère vague qui n’est pas déterminée à être vague commence immédiatement, de par sa propre nature, à se déterminer. Apparemment, c’est le plus près que nous puissions être de la compréhension de l’univers.
N’est pas nécessairement logique ce qui me frappe aujourd’hui comme logique et encore moins, comme les mathématiques le montrent à l’envi, n’est pas logique que ce qui m’apparaît l’être. Est logique ce qu’il est nécessaire d’admettre pour rendre l’univers intelligible. Et le premier de tous les principes logiques est que l’indéterminé doit se déterminer du mieux qu’il le peut.
Un chaos de réactions totalement étranger à la loi n’est absolument rien et le pur rien était donc un tel chaos. La pure indétermination ayant ensuite développé des possibilités déterminées, la création a consisté en une médiation entre les réactions sans loi et les possibilités générales par l’influx d’un symbole. Ce symbole était la finalité de la création. Son objet était l’entéléchie de l’être, qui est la représentation ultime.
Nous pouvons maintenant voir ce que sont jugement et assertion. L’homme est un symbole. Des hommes différents, dans la mesure où ils peuvent avoir quelque idée en commun, sont le même symbole. Le jugement est la détermination du symbole-homme à avoir tout interprétant que possède la proposition qui est jugée. L’assertion est la détermination du symbole-homme à déterminer l’interprète, dans la mesure où il est interprète, de la même manière.
Parties annexes
Annexes
Notes du traducteur
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Le Groupe de recherche Peirce-Wittgenstein de l’Université du Québec à Montréal a fait, au cours du trimestre d’hiver 2002, sans jamais être découragé par ses très nombreuses difficultés, une lecture pas à pas de ce texte admirable, à raison d’une page ou deux par rencontre. C’est André De Tienne (du Peirce Edition Project) qui a eu la responsabilité du commentaire des deux dernières pages. Toute la discussion s’étant déroulée en français, les traducteurs ont pu profiter de nombre de suggestions de la part des membres du groupe, qu’ils remercient collectivement. Deux d’entre eux (David Lachance et Nathalie Roy) ont proposé de précieuses modifications, qui ont été apportées à une première version française. Sont portées entre crochets les quelques omissions du manuscrit de Peirce.
Les notes de cet article sont établies de la façon suivante : les notes en chiffres arabes sont du traducteur; celles en chiffres romains proviennent du Peirce Edition Project et les adaptations françaises de celles-ci sont indiquées par des crochets; les notes avec astérisques sont de Peirce.
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Le mot “purpose” est très fréquent chez Peirce et il a un sens très large et très variable. Il n’est pas facile de rendre toutes ses occurrences d’un mot français unique. Dans la plupart des cas, il peut, comme ici, être traduit par “finalité”.
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En français dans le texte.
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En français dans le texte.
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Peirce utilise le mot psychosis pour désigner simplement un état mental. L’Imperial Dictionary (Londres, 1883), le précurseur du Century Dictionary & Cyclopedia, auquel Peirce a longuement et profondément collaboré, donne pour définition“mental constitution or condition”, tandis que CD&C (dans sa première édition, 1889) reconnaît au mot trois sens : (1) “mental constitution or condition”; (2) “a change in the field of consciousness”; et (3) “In pathol., any mental disorder any form of insanity”. Bien qu’en français le mot “psychose”, depuis son apparition à la fin du XIXe siècle, n’a de significations que relativement à ce dernier usage, c’est le seul qui puisse convenir ici.
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Liant des propositions dont la seconde confirme la première, cette conjonction “mais” semble tenir lieu de “car”.
Notes du Peirce Edition Project (The Essential Peirce, volume 2)
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Le titre grec est de Peirce et le titre anglais “New Elements”, ici repris en [français], a été ajouté par les éditeurs du Peirce Edition Project. Peirce avait inscrit le sous-titre “Préface” sous son titre, indiquant que tout ce manuscrit devait servir de préface à un livre, qu’il n’a jamais terminé. On sait maintenant que Peirce avait l’intention d’écrire un livre qui aurait revu les fondements épistémologiques des mathématiques, en suivant une méthodologie rigoureuse à la manière d’Euclide.
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Le livre auquel il est fait référence a survécu dans les manuscrits 164-166, dont la plus grande part fut composée en 1895.
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Le seul éditeur auquel on sache que Peirce a soumis ses New Elements of Mathematics est Edwin Ginn, de Ginn & Co., avec lequel il a échangé une abondante correspondance au cours des six premiers mois de l’année 1895. On ne trouve aucune preuve que Peirce ait soumis son manuscrit à Macmillan, même si c’est Macmillan qui a publié le “traité de géométrie” auquel Peirce fait référence trois phrases plus loin. Ce traité est Science and Art Drawing : Complete Geometry Course de J. Humphrey Spanton (New York, MacMillan 1895), au sujet duquel Peirce a rédigé un compte rendu négatif pour The Nation (CN 2 :126-127) en janvier 1896.
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Peut-être Peirce avait-il mal rangé le manuscrit et pensé qu’il l’avait perdu. Carolyn Eisele a publié le manuscrit 165 dans les bien connus New Elements of Mathematics.
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C’est ici que commence la description de la deuxième des “trois manières distinctes” dont le signe est connecté à la Vérité.
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Peirce fait référence à Antoine Arnauld (1612-1694) et Pierre Nicole (1625-1695). Bien que Peirce reconnaisse l’importance de Port-Royal pour la logique moderne, il écrit dans un brouillon de la troisième Conférence de Harvard : “Arnauld, par exemple, était un penseur doué d’une puissance considérable, mais L’Art de penser ou Logique de Port-Royal est une démonstration honteuse de ce qu’on pouvait tenir, pendant les deux siècles et demi des plus grandes réalisations humaines, pour un bon exposé de la manière de penser” (CP 5.84).
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Dans “Upon Logical Comprehension and Extension”, Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences, 7, publié en 1868, présenté le 13 novembre 1867.
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De Interpretatione : 17a, 19b.
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La différence entre les deux phrases latines est que la première est au style direct et la seconde, au style indirect : c’est une phrase à l’infinitif, qui présuppose implicitement un locuteur : “Quelqu’un dit que Socrate est sage”.
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James Stanley Grimes (1807-1903), phrénologue et homme de science spéculative amateur, vivant à Boston. Peirce semble faire référence à son traité Etherology, and the Phreno-Philosophy of Mesmerism and Magic Eloquence (New York, Boston, Saxton & Miles, Saxton, Peirce & Co., etc.,1845; deuxième édition révisée, Boston, J. Munroe & Co., 1853). Grimes utilise le mot “credenciveness” (que nous rendons par créancivité) pour désigner un organe mental particulier du cerveau, dont la fonction est d’amener les gens à modeler leur comportement en fonction des assertions qu’on a faites à leur sujet (cette question est discutée aux pages 142-154 de l’ouvrage de Grimes). Dans une étude (publiée en 1898 dans The Nation) du livre de Boris Sidi, Psychology of Suggestion, Peirce a écrit :
“Cette faculté [la suggestibilité (suggestibility)] fut identifiée dès 1845 comme le principal facteur de l’hypnotisme ordinaire par le conférencier itinérant américain Grimes. Mais il ne s’agissait pas d’un universitaire et on l’a, bien entendu, ignoré… Nous devons ajouter qu’en réduisant la Conscience au rang de faculté particulière, Grimes a pavé la voie à l’idée moderne d’un esprit subconscient… Le mot “credenciveness” n’est guère indiqué car il ne comprend pas avec assez d’évidence une tendance à agir, alors que c’est ainsi que Grimes l’entendait.”
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“The Fixation of Belief”, The Essential Peirce, volume I, publié sous la direction de Nathan Houser et Christian Kloesel, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press, 1992 : 109-123. [Version française par Peirce, “Comment se fixe la croyance”, Revue philosophique, décembre 1878 : 553-569, reprise récemment dans Peirce, C. S., Oeuvres I. Pragmatisme et pragmaticisme, sous la direction de Claudine Tiercelin et Pierre Thibaud, Paris, Éditions du Cerf, 2002 : 215-235].
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Paul Carus est cité par Peirce comme un de ceux qui semblent fonder le hasard sur l’ignorance (“Reply to the Necessitarians”, The Monist, 3, 1893, 543; CP 6.602). Peirce fait ailleurs référence à John Venn, qui aurait, dans son ouvrage Logic of Chance, réfuté de nombreux textes de logique qui souscrivent à cette idée (CP 6.74). L’un des premiers auteurs auxquels Peirce peut avoir pensé est Laplace, qui soutenait que les probabilités sont issues de l’ignorance.
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Pour une raison quelconque, Peirce n’identifie pas cet “auteur distingué” auquel il fait plusieurs fois référence. Une des meilleures hypothèses est qu’il s’agit de Karl Pearson. Les deux derniers paragraphes de l’étude que Peirce a consacrée à la Grammar of Science de Pearson (Popular Science Monthly, 58, janvier 1901 : 296-306; CP 8.132-152, repris dans The Essential Peirce, volume II, publié sous la direction du Peirce Edition Project, Bloomington, Indianapolis, Indiana University Press, 1998 : 57-66) attaquent justement la conception nominaliste (“pearsoniste”) selon laquelle la formule est un outil humain qui se conforme aux faits.
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System of Logic, vol. I, bk. 3, chap. 5, §§2-3.
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Voir la Critique de la raison pure, A652, B680.
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Le mot “spondesime” qu’utilise Peirce pour le comparer à “money” ne se trouve ni dans le Oxford English Dictionary ni dans aucun des dictionnaires consultés par les éditeurs. Le mot le plus voisin est “spondulics”, que le Century Dictionary définit comme un mot argotique américain signifiant “à l’origine du papier-monnaie et maintenant de l’argent, des fonds”. Peirce ayant manifestement à l’esprit un contraste entre un mot ordinaire et un mot rare, nous les rendons en français par “argent” et, choisi parmi nombre d’autres candidats, “flouze”.
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Le manuscrit porte“une icône” au lieu de “un symbole”, ce qui semble être une répétition accidentelle du dernier mot de la phrase précédente. Dans le contexte qui est fourni par la suite (“En revanche, un symbole qui ne serait pas interprété…”), il est clair que Peirce distingue l’index du symbole.
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La masse atomique de l’or est 196,9665. Le Century Dictionary dit qu’il est de 196,7.
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Cela fait penser à l’Evangéliste préféré de Peirce : “Au commencement était le Verbe” (Jean 1 :1).
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D’un point de vue mathématique, ce n’est pas toute série sans fin qui doit avoir une limite, mais c’est un principe du raisonnement mathématico-logique de Peirce qu’elle a bel et bien une limite. Si l’on en juge à partir d’exemples de séries qu’il donne ailleurs, Peirce entend manifestement par “série” une succession d’entités distinctes ordonnées selon une relation. Par “limite”, il entend “un objet qui vient après tous les objets de la série, mais de telle manière que tout autre objet qui vient après ces objets vient aussi après la limite” (1898, CP 6.185. “Ainsi, la série des nombres entiers est une série augmentant sans fin. Sa limite est la multitude dénombrable” (1897, CP 4.213).
Notes de l'auteur
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De nos jours, corollaire n’est pas un terme scientifique. Le mot latin, signifiant un bonus, était appliqué à des déductions évidentes ajoutées par des commentateurs aux propositions d’Euclide, que les preuves de celui-ci ont contraints à accepter, ce à quoi ils ont ajouté l’acceptation des corollaires sans exiger de preuve. Je propose d’utiliser ce mot en un sens défini comme un terme de logique. |
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Cela peut exclure certaines propositions appelées théorèmes. Mais je ne pense pas que les mathématiciens s’y opposent, considérant que je fais une distinction tranchée entre un corollaire et un théorème, fournissant ainsi à la logique des mathématiques deux termes techniques exacts et commodes au lieu de mots vagues et non scientifiques. |
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Je dis couramment que c’est un argument, car rien n’est plus faux d’un point de vue historique que de dire que ce mot n’a pas, de tout temps, été utilisé en ce sens. Le mot plus long est tout de même un peu plus précis. |
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Puisqu’il est maintenant question de langues, je saisis l’occasion pour faire remarquer, en relation au fait que je traite les “objets” directs et indirects du verbe comme autant de sujets de la proposition, qu’environ neuf langues sur dix soulignent souvent un des sujets et font de lui le principal, en le mettant dans un cas nominatif particulier ou par un autre moyen équivalent. La plupart des logiciens semblent penser que cela constitue aussi une nécessité de la pensée, bien que l’une des langues aryennes vivantes d’Europe mette habituellement au génitif le sujet que le latin met au nominatif. Cette pratique est fort probablement issue d’une langue semblable au basque et parlée par les ancêtres des Gaëls. Certaines langues utilisent à cette fin ce qui est en fait un ablatif. C’est sans aucun doute un enrichissement rhétorique de la langue que d’avoir une forme “B est aimé de A” en plus de “A aime B”. La langue serait encore plus riche si elle avait une troisième forme dans laquelle A et B seraient tous deux traités comme les sujets de ce qui est dit. D’un point de vue logique, les trois sont toutefois identiques. |