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1. Introduction

Il est maintenant reconnu que le dosage des concentrations totales d’un élément n’est plus suffisant pour obtenir une information précise du devenir de cet élément dans l’environnement ou en physiologie humaine ou animale. En effet, ces éléments peuvent exister sous différentes formes chimiques et chacune d’entre elles présente une toxicité, une mobilité, une biodisponibilité ou une réactivité différente. Un des exemples les plus connus est celui du chrome qui existe sous forme de chrome trivalent, espèce jouant un rôle physiologique, et de chrome hexavalent qui est considéré comme un agent carcinogène (GUERTIN, 2005). L’arsenic se présente également sous différentes formes; les formes inorganiques (As(III) et As(V)) qui sont considérées comme les plus toxiques, les formes méthylées peu toxiques, et les formes quaternaires considérées comme inoffensives (HUGUES, 2002 ; SAKURAI, 2002). Les composés organométalliques du mercure et de l’étain sont plus toxiques que les formes inorganiques en raison de leur grande liposolubilité qui leur permet de traverser les membranes biologiques et de bioaccumuler (CECCATELLI et al., 2010). Selon l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry), la spéciation est définie comme étant la distribution d’un élément entre ses différentes espèces chimiques dans un échantillon donné (TEMPLETON et al., 2000). Les analyses de spéciation permettent donc de répondre à de nombreuses questions relatives à l’aspect bénéfice/risque.

Par ailleurs, la caractérisation de nanomatériaux dans les eaux devient un enjeu majeur, car les éléments présents sous forme de nanoparticules sont susceptibles de présenter un impact environnemental différent par rapport à ces mêmes éléments présents à l’état dissous (KLAINE et al., 2012).

Pour ces raisons, la notion de spéciation est maintenant prise en compte dans plusieurs directives européennes et la caractérisation de nanoparticules devient également une préoccupation majeure. Il est maintenant reconnu que les techniques d’analyses les plus pertinentes pour répondre à ces objectifs sont les méthodes associant en ligne une séparation et une détection par spectrométrie de masse à plasma induit (ICP MS). Le principe de ces couplages sera donc décrit et illustré à l’aide d’applications à des échantillons d’eau.

2. Les techniques couplées pour la spéciation et la caractéri–sation de nanoparticules

Les techniques couplées mettent en oeuvre une étape de séparation suivie d’une détection spectrométrique, les deux systèmes étant la plupart du temps reliés au moyen d’une interface pour permettre une analyse en ligne (DRESSLER et al., 2011 ; POPP et al., 2010). Pour les analyses de spéciation, la séparation est généralement réalisée par chromatographie en phases liquide (HPLC) ou gazeuse (GC) et la détection par ICP MS s’impose de plus en plus comme le détecteur de choix en raison de sa sensibilité, de sa spécificité, de son potentiel pour les analyses quantitatives et de sa capacité multi-élémentaire. Par ailleurs, la plupart des constructeurs proposent maintenant des couplages automatisés et utilisables en routine.

2.1 Le couplage HPLC-ICP MS

Le couplage HPLC-ICP MS est le plus simple à mettre en oeuvre puisqu’il ne nécessite pas de traitement chimique des espèces, n’est pas limité par la stabilité thermique des analytes et que les débits de phases mobiles les plus communément utilisés sont tout à fait compatibles avec la source d’ionisation ICP. Ce couplage est très souvent utilisé pour la spéciation de l’As. Si dans les eaux naturelles, l’As est essentiellement présent sous forme d’As inorganique, dans des échantillons plus complexes tels que des eaux interstitielles de sédiments en anaérobie ou des eaux réductrices, des composés plus complexes peuvent être présents, comme les composés thioarséniés (MAMINDY-PAJANY et al., 2013). Le mode de séparation par HPLC doit donc être adapté pour permettre de séparer au maximum ces espèces. Un chromatogramme typique est montré dans la figure 1.

Figure 1

Chromatogramme HPLC-ICP MS typique pour la spéciation de l’As dans des eaux contenant des composés thioarséniés (colonne AS16 (DIONEX), phase mobile : NaOH gradient de 20 à 100 mM)

Typical HPLC-ICP MS chromatogram for As speciation in waters containing thioarsenates (column AS16 (DIONEX), mobile phase : gradient of NaOH from 20 to 100 mM)

Chromatogramme HPLC-ICP MS typique pour la spéciation de l’As dans des eaux contenant des composés thioarséniés (colonne AS16 (DIONEX), phase mobile : NaOH gradient de 20 à 100 mM)

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2.2 Le couplage GC-ICP MS

Le couplage GC-ICP MS est techniquement plus compliqué à mettre en place que celui avec l’HPLC et se fait au moyen d’une ligne de transfert. Par contre, la séparation par GC permet de diminuer les effets de matrice par l’introduction dans le plasma d’espèces libérées de leur matrice. De plus, le fait de travailler sous forme gazeuse permet d’assurer 100 % d’efficacité de transport jusqu’au plasma, entraînant d’excellentes limites de détection. L’essentiel des applications du couplage GC- ICP MS dans les eaux concerne la spéciation de l’étain et du mercure. Pour l’étain, trois familles de composés (les butyl-, les phényl- et les octyl-étains) peuvent être quantifiées et les performances analytiques obtenues dans les eaux sont données (Tableau 1). Le couplage GC-ICP MS est ainsi la seule méthode capable de répondre aux exigences de la Directive Cadre sur l’Eau (0,2 ng/L pour le tributylétain). En ce qui concerne le MeHg+, la limite de quantification est de l’ordre de 5 ng/L.

Tableau 1

Performances analytiques du couplage GC-ICP MS pour l’analyse des composés organostanniques dans les eaux naturelles (MBT : monobutylétain, DBT : dibutylétain, TBT  : tributylétain, MPhT : monophénylétain, DPhT : diphénylétain, TPhT : triphénylétain, MOcT : monooctylétain, DOcT : dioctylétain, TOcT : trioctylétain)

Analytical performances of GC-ICP MS for organotin compound analysis in natural waters (MBT : monobutyltin, DBT : dibutyltin, TBT : tributyltin, MPhT : monophenyltin, DPhT : diphenyltin, TPhT : triphenyltin, MOcT : monooctyltin, DOcT : dioctyltin, TOcT : trioctyltin)

Performances analytiques du couplage GC-ICP MS pour l’analyse des composés organostanniques dans les eaux naturelles (MBT : monobutylétain, DBT : dibutylétain, TBT  : tributylétain, MPhT : monophénylétain, DPhT : diphénylétain, TPhT : triphénylétain, MOcT : monooctylétain, DOcT : dioctylétain, TOcT : trioctylétain)

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2.3 Le couplage A4F-ICP MS

Le fractionnement par couplage flux force asymétrique (A4F) associé à un détecteur multiangulaire à diffusion de lumière (MALLS) et à l’ICP MS permet la caractérisation de nanomatériaux (A4F-MALLS-ICP MS). La séparation des colloïdes ou des nanoparticules en fonction de leurs tailles et de leurs masses est réalisée dans un canal à l’aide d’un champ de force fluidique appliqué perpendiculairement au canal dans lequel l’échantillon circule. Les analytes sont ainsi élués par ordre croissant de taille et de masse. Les deux détecteurs faisant suite à l’A4F sont très complémentaires puisque le détecteur MALLS permet d’accéder à la taille et à la forme des nanoparticules et l’ICP MS à leur composition chimique. Ce couplage a été appliqué à la caractérisation de nanoparticules d’aluminium et d’argent dans des eaux de rejets hospitaliers (Figure 2) (MENTA et al., 2014). Ces résultats montrent que les nanoparticules d’Ag et d’Al présentes initialement dans les eaux de rejet ont un rayon de gyration (Rg) autour de 200 nm et tendent à disparaître suite à un traitement par oxydation. Cette approche analytique permet ainsi d’obtenir en une seule analyse des informations telles que la taille, la distribution en taille, la forme et la composition chimique d’échantillons nanométriques.

Figure 2

Caractérisation physico-chimique de nanoparticules métalliques dans des eaux de rejet (Rg : rayon de gyration) (MENTA et al., 2014)

Physico-chemical characterization of metallic nanoparticles in waste waters (Rg : gyration radius) (MENTA et al., 2014)

Caractérisation physico-chimique de nanoparticules métalliques dans des eaux de rejet (Rg : rayon de gyration) (MENTA et al., 2014)

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3. Préconcentration

L’abaissement des limites de détection citées dans les normes ou les teneurs naturellement faibles en certaines espèces (même pour une détection aussi sensible que l’ICP MS) conduit de plus en plus au développement de méthodes de préconcentration.

Par exemple, certains états des États-Unis, comme celui de Californie, envisagent d’abaisser les teneurs maximales en Cr(VI) dans les eaux de boisson de 10 µg/L à 0,02 µg/L. Aucune méthode, même le couplage HPLC-ICP MS, ne permet de répondre à ces exigences, il est donc nécessaire de développer un traitement par préconcentration en amont de l’analyse. La préconcentration du Cr(VI) peut être réalisée sur des cartouches spécifiques, mais il apparait aujourd’hui que pour des échantillons complexes des risques d’interférence d’une partie du Cr(III) existent. L’approche a donc été modifiée pour développer une élution permettant de s’affranchir de cette interférence. Cette approche est basée sur la rétention du Cr(VI), son élution sans modifier sa spéciation et sa quantification par HPLC-ICP MS. Un facteur de préconcentration de quasiment 10 peut être obtenu de cette façon, ce qui permet d’abaisser la LQ à 0,01 µg/L pour le Cr(VI) (VACCHINA et SEBY, 2014).

4. Assurance qualité

Dans la mesure où il existe très peu de méthodes normalisées pour les analyses de spéciation, le développement d’une méthode et sa validation doivent être menés de façon rigoureuse. Les problèmes d’étalonnage (disponibilité des étalons, ajouts dosés versus étalonnage externe…) ne seront pas traités en détail ici, pour se focaliser sur l’évaluation de la justesse. L’outil le mieux adapté pour valider la justesse d’une méthode d’analyse est l’utilisation de matériaux de référence certifiés (MRC). Dans le domaine des analyses de spéciation, peu de ces matériaux sont disponibles. Des techniques d’évaluation alternatives doivent alors être envisagées.

4.1 La dilution isotopique

La justesse de l’analyse peut être vérifiée par le calcul du taux de récupération d’une quantité d’espèce chimique ajoutée à l’échantillon. Mais les composés présents à l’état naturel dans les matrices et les composés ajoutés peuvent avoir des taux de pénétration différents ou des transformations des espèces chimiques peuvent se produire pendant la préparation de l’échantillon. La quantification par dilution isotopique représente une alternative à ces problèmes et permet ainsi une meilleure justesse des mesures. La dilution isotopique permet également d’améliorer la précision des résultats; il est maintenant possible de déterminer le méthylmercure dans les eaux en routine avec une précision inférieure à 3 %.

4.2. Utilisation parallèle de deux méthodes analytiques différentes

En l’absence de MRC et d’espèces enrichies isotopiquement, l’un des moyens d’évaluer la justesse d’une méthode analytique est l’utilisation en parallèle de deux méthodes analytiques impliquant des principes, interférences… différents. Ce protocole a notamment été utilisé pour évaluer la justesse du dosage de l’antimoine (III) dans des échantillons aqueux (SEBY et al., 2013). Les méthodes utilisées sont le couplage HPLC-ICP MS qui permet de doser toutes les formes de Sb et la polarographie pulsée différentielle (DPP) qui est spécifique de Sb(III). Les résultats obtenus pour différents échantillons par les deux techniques sont tout à fait comparables (Tableau 2), permettant de valider le dosage du Sb(III) dans ces échantillons.

Tableau 2

Concentrations en Sb(III) (ng∙mL‑1) obtenues par DPP et HPLC-ICP MS dans des échantillons aqueux (SEBY et al., 2013)

Sb(III) concentrations (ng∙mL‑1) obtained by DPP and HPLC-ICP MS in aqueous samples (SEBY et al., 2013)

Concentrations en Sb(III) (ng∙mL‑1) obtenues par DPP et HPLC-ICP MS dans des échantillons aqueux (SEBY et al., 2013)

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Conclusion

Les analyses de spéciation permettent de mieux comprendre le comportement et la toxicité de certains éléments. Il est possible actuellement de s’appuyer sur un ensemble de techniques analytiques automatisées qui peuvent être utilisées en routine. De plus en plus de laboratoires sont équipés et il s’avère donc maintenant indispensable de développer la normalisation des méthodes de spéciation en incluant les techniques couplées.

Dans le cas des nanoparticules, l’approche par A4F– MALLS-ICP MS tend à se généraliser pour les eaux, mais des essais interlaboratoires sont encore nécessaires afin d’augmenter la comparabilité des données.