Résumés
Résumé
La station d’épuration par boues activées de Nador génère de grandes quantités de boues qui posent un sérieux problème environnemental. Ces boues sont stockées à côté de la lagune de Nador, sans aucune mesure assurant leur innocuité à l’environnement. Pendant la période pluvieuse, les eaux de pluies s’infiltrent à l’intérieur des déchets en se chargeant de leurs composés minéraux et organiques générant ainsi un lixiviat. Notre étude vise à caractériser le lixiviat des stocks de boues et à approcher expérimentalement via un test de percolation le risque du transfert possible des contaminants issus de ces stocks vers les ressources d’eau. Les analyses physico-chimiques des lixiviats des stocks de boue ont montré qu’ils sont riches en azote Kjeldhal (NTK max = 1 436 mg•L-1), en nitrates (NO3 max = 88,6 mg•L-1), en PT (PT max = 88,79 mg•L-1) et en PO4 (PO4 max = 20,87 mg•L-1). En outre, ces lixiviats présentent des teneurs assez élevées en SO4, Cl, Ca, Mg, Na et K. Ces lixiviats contiennent également des métaux lourds, principalement le Cu et le Zn. Le test de percolation réalisé a permis de mettre en évidence un lessivage important d’azote et de phosphore à partir des boues en comparaison avec le témoin (le sol). En effet, les quantités de NO3, NH4, NTK, PO4 et PT exportées par lessivage à travers les boues sont respectivement 8 fois, 21 fois, 35 fois, 3 fois et 18 fois plus élevées en comparaison avec les valeurs témoins. Par ailleurs, la charge lessivée des boues en métaux lourds (Cd, Cr, Cu, Ni, Pb, Zn) représente 0,07 % de la charge initiale, ce qui est approximativement le double de la charge lessivée à partir du sol.
Mots-clés :
- Stocks de boues,
- sol,
- pluie,
- lixiviat,
- percolation
Abstract
The wastewater treatment plant (WTP) of Nador, using an activated sludge process, generates large quantities of sludge, which create a serious environmental problem. The sludge is stored near the Nador lagoon, without any measures to ensure protection of the environment. During the rainy period, the rain water seeps through the waste, extracting minerals and organic compounds and generating a leachate. Our study aimed to characterize the leachate from the stocked sludge and to explore experimentally, using a percolation test, the risk of contamination of water resources. The results of physico-chemical analysis showed that the leachate is rich in total Kjeldhal nitrogen (TKN max = 1,440 mg•L-1), nitrate (NO3 max = 88.6 mg•L-1), total phosphorus (TP max = 88.8 mg•L-1) and orthophosphate (PO4 max = 20.9 mg•L-1). In addition, the leachate has high contents of SO4, Cl, Ca, Mg, Na and K. The leachate also contains heavy metals, mainly Cu and Zn. The percolation test indicates important levels of nitrogen and phosphorus leached from the sludge in comparison to the soil control. Furthermore, the quantities of NO3, NH4, TKN, PO4 and TP exported by leaching through the sludge are respectively, 8 fold, 21 fold, 35 fold, 3 fold and 18 fold higher than those leaching through soil. In addition, the levels of heavy metals (Cd, Cr, Cu, Ni, Pb, Zn) leached from sludge (0.07% of the initial load) are 2 fold higher than the levels leached from soil.
Keywords:
- Sludge stocks,
- soil,
- rain,
- leachate,
- percolation
Corps de l’article
1. Introduction
L’accumulation des boues issues des stations d’épuration est devenue un important problème environnemental (FUENTES et al., 2004). Ces boues sont le résidu du traitement des eaux usées. Elles peuvent suivre différentes filières d’élimination : par incinération, mise en décharge ou valorisation agricole (épandage). Les boues sont en fait une bonne source d’azote, de phosphore, de matière organique et de micronutriments (FERRIER et al., 1996). REED et al. (1991) indiquent que les teneurs des boues en fertilisants peuvent être comparables à celles des fertilisants commerciaux. Certes, les réticences des agriculteurs et de l’opinion publique souvent mal informés sur cette activité laissent cette filière encore moins importante au Maroc. En effet, les éléments traces métalliques des boues peuvent avoir des effets phytotoxiques, contaminer le sol et l’eau et s’accumuler dans les aliments (KELLER et al., 2002).
La ville de Nador située au nord-est du Maroc est dotée d’une station d’épuration des eaux usées (STEP) par boues activées. Cette STEP est située à quelques dizaines de mètres de la lagune de Nador qui correspond à la plus grande lagune marocaine et qui est reconnue être un site d’intérêt biologique et écologique. La zone d’étude (Figure 1) est caractérisée par un climat semi-aride à hiver tempéré ou chaud. La moyenne annuelle des précipitations est de l’ordre de 290 mm. Le contraste saisonnier est marqué par de fortes précipitations notées au cours des mois de novembre à avril. La température moyenne oscille entre 16,7 et 18,3 °C.
L’épuration des eaux usées par boues activées à Nador est basée sur l’activité métabolique des cultures bactériennes maintenues en suspension en présence d’oxygène dans deux bassins d’aération. Ensuite, une séparation solide / liquide est assurée par décantation dans un clarificateur. Les boues en excès sont extraites et évacuées vers les épaississeurs puis étendues sur les lits de séchage. Cette dernière étape permet la déshydratation par évaporation des boues tout en réduisant leur volume. Les boues sèches sont ensuite stockées en dehors de la STEP à quelques mètres de la lagune de Nador. La production des boues par les STEP opérationnelles au Maroc est évaluée à 13 770 Tonnes•an-1. La ville de Nador occupe la troisième position en matière de production avec une moyenne de l’ordre de 1 270 Tonnes•an-1.
Le stockage à l’air libre des boues évacuées de la STEP de Nador pose un sérieux problème environnemental. Plusieurs études ont relevé l’effet des précipitations dans la génération des lixiviats (MATTIAS et NILSON, 1997). En effet, pendant la période pluviale, les boues des lits de séchage de la STEP de Nador ne sèchent pas rapidement et sont évacuées encore humides en dehors de la STEP. Ces boues renferment des matières organiques, des éléments azotés et phosphorés et des éléments qui peuvent être nocifs tels que les métaux lourds (Zn, Cu, Pb, etc.) (CHAUDRI et al., 2000; KHAN et SCULLION, 2000; McBRIDE, 1998). Ces composés sont sujets à un lessivage par les eaux de pluies et peuvent être transférés vers les milieux aquatiques adjacents et par là, la qualité des eaux souterraines et superficielles peut bien être affectée. Ainsi la nappe de Bou Areg, qui se trouve à moins de 5 m de profondeur sous les stocks de boues de Nador, et les eaux de la lagune de Nador éloignée de ces stocks de quelques dizaines de mètres seulement, courent un risque réel de pollution par les lixiviats de boues. Ces lixiviats sont issus de la percolation des déchets de boues d’épuration par les eaux de pluie ou de ruissellement.
La présente étude porte sur le lessivage des boues d’épuration de Nador. Il s’agit en effet de caractériser le lixiviat des stocks de boues de la STEP de Nador et de pouvoir appréhender expérimentalement le risque du transfert possible des contaminants issus de ces stocks vers la nappe phréatique et les eaux de la lagune de Nador qui se trouve à sa bordure.
2. Matériel et méthodes
Cette étude vise à évaluer l’importance du lessivage des boues par les eaux de pluies en caractérisant les lixiviats des boues d’épuration de la ville de Nador stockées à ciel ouvert, et ceci au cours de la période pluviale. Pour ce faire, des échantillons de lixiviat ont été prélevés au niveau de trois flaques réparties dans le site de stockage des boues de Nador, au cours de quatre mois de l’année 2006 caractérisés par de fortes précipitations (de janvier à avril). Ces flaques sont des masses de lixiviat accumulées dans le site lors de la période pluvieuse. Dans le but d’apporter plus d’informations à ce sujet, un test de percolation a été réalisé. Le dispositif expérimental du test est constitué de cylindres en PVC (microcosmes) de 1 m de haut et de 10,5 cm de diamètre intérieur et dans lesquels on a introduit le substrat solide. Deux modalités ont été utilisées : une modalité boue pour appréhender les effets de stocks de boue sur les ressources en eau et une modalité sol (témoin). Le sol utilisé provient d’une parcelle agricole de la ville d’Oujda (Sidi Yahya) n’ayant jamais reçu de boues d’épuration ou même irriguée par les eaux usées. Il a été prélevé à une profondeur de 0-40 cm au cours de l’été 2004. Après son prélèvement, le sol est séché à l’air libre et tamisé à 2 mm. Les boues utilisées dans le test de percolation sont issues d’un empilement de boues de la STEP de Nador, prélevées en été 2004. La colonne de sol et de boue pèse 2,75 kg chacune et mesure environ 25 cm de hauteur.
Les microcosmes sont placés en plein air durant un an (mars 2005 - mars 2006). En dessous, une toile grillagée de tissu retient la colonne de terre tout en permettant une bonne évacuation de l’eau. Les eaux de percolation sont collectées dans des bouteilles placées en dessous de chaque microcosme. Les eaux de percolation sont récoltées le jour même. Les percolats, recueillis pendant cinq mois pluvieux de l’année 2006 (de janvier à mai), sont filtrés et stockés à 4 °C. Les échantillons destinés au dosage des métaux lourds sont acidifiés par H2SO4 jusqu’à un pH égal à 2.
Les échantillons de lixiviats recueillis in situ à Nador et ceux du test de percolation ont ensuite fait l’objet de plusieurs analyses : pH, conductivité électrique, salinité, ammonium NH4 (NF T90-015), nitrates NO3 (RODIER, 1984), nitrites NO2 (NF T90-013), orthophosphate (PO4) et phosphore total (PT) (NF T 90-023), azote Kjeldhal (NTK) (NF T90-110), potassium (K) et sodium (Na), magnésium (Mg) et calcium (Ca) (TARDAT-HENRY et BEAUDRY, 1992), chlorures (NF T90-0114), sulfates (SO4) (TARDAT-HENRY et BEAUDRY, 1992) et Demande Chimique en Oxygène (DCO) (NF T90-101). La Demande Biochimique en Oxygène (DBO5) a été déterminée après incubation à 20 °C pendant cinq jours. Les métaux lourds solubles dans l’eau ont été analysés, après filtration, par Inductively Coupled Plasma emission spectrometry (ICP-AES).
3. Résultats et discussion
Le lixiviat est défini comme étant l’eau qui percole à travers les boues d’épuration en se chargeant de substances minérales et organiques (BERTHE, 2006). Sa composition dépend de plusieurs paramètres tels que les conditions climatiques, le pH, la disponibilité des produits organiques et l’activité des microorganismes. Les résultats présentés dans cette partie représentent la moyenne des valeurs des paramètres physico-chimiques des lixiviats de boues recueillis in situ et des percolats propres au test de percolation pendant la période de suivi.
3.1 Caractéristiques du lixiviat issu des stocks de boues d’épuration
Les caractéristiques du lixiviat diffèrent selon plusieurs facteurs tels que la composition du déchet, les propriétés géochimiques du site et le climat de la région. Les caractéristiques du lixiviat des stocks de boue de Nador sont représentées au tableau 1. Ces résultats représentent la moyenne des analyses physico-chimiques des lixiviats de boues recueillis in situ pendant quatre mois pluvieux de l’année 2006 (janvier, février, mars et avril), exception faite des métaux lourds où les valeurs concernent uniquement le mois d’avril.
Les lixiviats générés par l’infiltration des eaux de pluies à travers les stocks de boues de Nador sont caractérisés par un pH basique (7,8-9,2) qui pourrait être relié à l’augmentation de la concentration de carbonate de calcium lessivé. Le pH basique du lixiviat favorise la complexation des métaux lourds à la matière organique, ce qui explique sa faible teneur en métaux lourds solubles. La conductivité électrique est assez élevée. Elle fluctue entre 8,04 et 65,30 mS•cm-1. Elle peut être interprétée en partie par un lessivage important des sels minéraux par les eaux de pluies.
Les sels qui peuvent être facilement lessivés par les eaux de drainage sont essentiellement les anions Cl, SO4 et NO3 (CALLOT et al., 1982; SOLTNER, 1987). En effet, des intervalles de concentrations élevées en ces sels sont rencontrées dans les lixiviats de boues : de 4 119 à 24 492 mg•L-1 pour Cl, de 1 856 à 17 758 pour SO4 et de 0,95 à 88,62 mg•L-1 pour NO3.
D’autres cations sont très mobiles et donc facilement entraînés par l’eau de percolation malgré le phénomène d’adsorption par la phase solide tels que le Na, K, Ca et Mg, ce qui peut expliquer leurs concentrations élevées dans les lixiviats de boues (1 275 à 14 550 mg•L-1 pour Na; 200 à 2 693 mg•L-1 pour K; 561 à 1 251 mg•L-1 pour Ca et 19,44 à 3 246 mg•L-1 pour Mg). La mobilité de ces cations peut être interprétée par la valeur faible de leur potentiel ionique et qui représente le rapport entre la charge ionique et le rayon ionique. Il reste à noter que la richesse des lixiviats de boues en Cl, Na, Mg, SO4, Ca et K peut avoir une origine marine. En effet, les aérosols d’origine marine, de même composition chimique que l’eau de mer (Cl, Na, Mg, S, Ca et K) (DUCE et al., 1983), sont véhiculés par les masses d’air et retombent sur la frange littorale y compris le site de stockage des boues. Après dessiccation sous l’action du vent, ces aérosols forment de fines particules à la surface (FLAMENT, 1985). Quand il pleut dans le site d’étude, il se produit une dissolution des particules de sels formées et un enrichissement du lixiviat de boue en ces sels. La remonté capillaire des sels à partir du sol peut contribuer à cet enrichissement.
En comparaison avec les lixiviats des déchets ménagers (Tableau 1), les lixiviats de boues sont plus riches en nitrates, phosphates et NTK. Par contre, ils sont moins riches en NH4 et en métaux lourds. Les métaux lourds caractérisant les lixiviats de boues d’épuration de Nador sont principalement le cuivre et le nickel. La richesse du lixiviat des boues en nitrates peut être expliquée, d’une part, par le lessivage des nitrates des boues (921,05 mg•kg-1) et, d’autre part, par la biodégradation de l’azote organique des boues humidifiées par la pluie et l’oxydation de l’ammonium issu de cette minéralisation en nitrates. Ce processus est favorisé par la présence d’oxygène (2,84 mg•L-1) dans les flaques de lixiviats qui ne dépassent pas 30 cm de profondeur. En l’absence de couverture végétale, les nitrates échappant au complexe argilo-humique sont susceptibles de s’infiltrer jusqu’à la nappe phréatique de Bou Areg et la contaminer et contaminer par la suite la lagune de Nador qui se trouve à sa bordure. Les teneurs en MES mesurées dans les lixiviats de boues oscillent entre 46 à 1 656 mg•L-1. Cette marge de variation est proche de celle caractérisant l’ancienne décharge de la ville d’Oujda (Maroc oriental) (EL KHARMOUZ et al., 2005). Les concentrations en ions phosphates trouvés dans les lixiviats de boues sont relativement faibles fluctuant entre 2,69 et 20,87 mg•L-1. Ces faibles teneurs trouvent leur explication dans le fait que les phosphates sont rapidement adsorbés à la surface des particules colloïdales. La présence des orthophosphates dans les lixiviats pourrait être reliée à leur lessivage à partir des boues et à la biodégradation du phosphore organique de ces boues.
3.2 Caractéristiques des eaux de percolation (test de percolation)
3.2.1 pH, conductivité électrique et salinité
Il y a très peu de différence de pH entre la modalité sol (pH = 7,6) et la modalité boue (pH = 7,9). Le pH est reconnu pour avoir une influence sur la mobilité des métaux lourds dans l’environnement (BOURG et LOCH, 1995). Cependant, son effet sur la concentration des métaux lourds dans la solution du sol diffère selon les métaux. La conductivité électrique (C.e) est plus faible pour le percolat du sol (2,38 mS•cm-1), alors qu’elle est bien élevée pour le percolât de boue (15,17 mS•cm-1). La même chose est signalée pour la salinité. L’élévation de la C.e et de la salinité des percolats de boue peut être expliquée par l’importance du lessivage à travers les boues des sels minéraux tels que les sulfates, les nitrates et les chlorures.
3.2.2 DBO5 et DCO
L’élévation de la DBO5 et de la DCO des percolats de boues (Tableau 2) peut être interprétée par l’accroissement de l’activité microbienne et des quantités de matière organique lessivée après la tombée de la pluie. L’activité des microorganismes se trouve stimulée par l’apport de boues (WHITE et al., 1997). L’accroissement de cette activité microbienne est susceptible de conduire à l’émission de molécules organiques hydrosolubles, lesquelles pourraient être entraînées par l’eau de percolation. Cependant, à côté de ces effets stimulants à court terme, peuvent apparaître des effets toxiques entraînant une diminution de la biomasse microbienne et des activités enzymatiques (BARDGETT et SAGGAR, 1994; GILLER et al., 1998). Ce dernier fait peut bien expliquer la forte diminution de la DBO5 en mois de mai (Tableau 3). Certes, un autre facteur peut être à l’origine de cette diminution et qui est la dilution des percolats par les eaux de pluies qui étaient les plus élevées pendant le mois de mai (101 mm) (Tableau 4). Cette dernière explication est validée par la diminution simultanée de la DCO pendant ce même mois.
Les valeurs de la DBO5 et de la DCO des percolats de boues sont environ neuf fois supérieures à celles des percolats de sol. L’augmentation de la DCO pour la modalité boue peut être attribuée à un passage plus important dans les lessivas de fractions organiques apportées par les boues.
3.2.3 Les composés azotés (NO3, NO2, NH4, NTK)
Pour tous les percolats recueillis, la concentration en nitrates (NO3) est supérieure à celle de l’ammonium (NH4) qui est à son tour supérieure à celle du nitrite (NO2) (Figure 2). Les valeurs enregistrées dans les percolats de boue sont largement supérieures à celles mesurées dans les percolats de sol. Les fortes concentrations en NO3 retrouvées dans les percolats de boues (641 mg•L-1) peuvent être attribuées essentiellement à la minéralisation de l’azote organique contenu dans les boues. En effet, l’ammonium (NH4) libéré par cette minéralisation s’oxyde biologiquement en NO3 avec production transitoire du NO2 (LAUDELOUT, 1990). A ce fait s’ajoute le lessivage du NO3 qui existe déjà dans les substrats solides des boues (Tableau 5). De part leur charge négative, les nitrates ne sont pas retenus pas les colloïdes argilo-humiques du sol et peuvent être facilement lessivés par les eaux de pluies et contaminer ainsi les eaux souterraines et les eaux de surface sous-jacentes. Le nitrite est très toxique pour les plantes (COURT et al., 1962), les animaux et pour l’homme (EDDY et WILLIAMS, 1994; LEWIS et MORRIS, 1986).
La teneur élevée des percolats de boues en NTK peut être attribuée à l’augmentation de la quantité de matières organiques azotées lessivées. Cette teneur est de l’ordre de 539 mg•L-1 et est 38 fois supérieure à la concentration retrouvée dans les percolats du sol.
3.2.4 Les composés phosphorés (PO4 et PT)
Le phosphore est moins facilement lessivé que les nitrates et l’ammonium (LAVELLE, 2007). Les quantités lessivées en PO4 et PT à partir des boues sont respectivement 5 et 9 fois supérieures à celles lessivées à partir du sol (Figure 3). Le phosphore des boues est susceptible de migrer dans la solution du sol, par lixiviation ou diffusion (VANDEN BOSSCHE, 1999). L’entraînement par l’eau de ruissellement concerne le phosphore soluble et particulaire du sol ou de boue.
3.2.5 Les flux cumulés des composés azotés et phosphorés dans les eaux de percolation
La figure 4 représente les flux cumulés en mg, au cours du temps, des composés NO3, NO2, NH4, NTK, PO4 et PT pour les deux modalités boue et sol. Tel qu'il a a été noté pour les concentrations, les flux des différents composés azotés et phosphorés sont plus élevés dans la modalité boue que dans la modalité sol. En effet, les quantités finales de NO3, NO2, NH4, NTK, PO4 et PT lessivées à partir des boues sont respectivement, 8 fois, 40 fois, 21 fois, 35 fois, 3 fois et 18 fois supérieures à celles lessivées à partir du sol.
Des bilans d’exportation par lessivage des différents composés azotés et phosphorés sont calculés pour les deux modalités boue et sol (Tableau 6). Les bilans de sortie des différents composés azotés et phosphorés de la matrice sol sont plus faibles par rapport à la matrice boue. Ces bilans permettent de quantifier les flux sortant par rapport aux matrices boue et sol. Le flux de sortie des composés azotés et phosphorés rapportés à la matrice solide sont plus faibles pour le NTK, PT et PO4. Les bilans d’exportation à travers la boue du NO3 et du NO2 et qui dépassent 100 % pourraient être interprétés par la minéralisation de l’azote organique des boues d’épuration en ammonium (NH4). Cette minéralisation est suivie de l’oxydation de NH4 en NO2 (nitritation) puis en NO3 (nitratation).
3.2.6 Ca, Mg, K et Na
La biodégradation et minéralisation des matières organiques entraîne entre autres la production de nutriments par le biais des communautés microbiennes (bactéries, champignons) et la libération d’éléments assimilables (K, Ca, Mg, Soufre, etc.). Les teneurs en Ca, Mg, K et Na des percolats de boue sont toujours supérieures aux teneurs lessivées à partir du sol (Tableau 2).
Les sels de K sont en général très solubles (LAVELLE, 2007). Ils sont absorbés ou fixés aux particules d’argile. Le risque de migration du K est donc plus présent pour les sols sableux, mais il ne présente pas de risques sanitaires pour les eaux souterraines ou de surface.
3.2.7 Les chlorures et les sulfates (Cl, SO4)
Les chlorures (Cl) sont souvent considérées comme des espèces conservatives et inertes (CHRISTENSEN et al., 2001) et leurs teneurs ne dépendent généralement pas des différentes phases de dégradation des déchets. Les ions chlorures sont des éléments très mobiles. Chargés négativement, ils ne sont pas fixés par le complexe argilo-humique et migrent facilement. Leur concentration dans le percolat de boue est 1,5 fois plus importante que celle du percolat de sol (Tableau 2).
Les sulfates (SO4) sont en général fortement présents dans les lixiviats (ROBINSON et LUCAS, 1985). Leur concentration dans les percolats de boue est 22 fois supérieure à celle retrouvée dans les percolats de sol.
3.2.8 Les métaux lourds
Les teneurs en métaux lourds mesurés dans les lixiviats sont d’après la littérature assez faibles et la majorité des métaux lourds, principalement Cu, Cd, Ni, Pb et Zn, restent en fait piégés au sein du massif de déchets (FRANÇOIS, 2004). Ils sont associés à la matière organique, aux sulfures ou incorporés dans les minéraux. Pour causer une toxicité, les métaux lourds doivent être biodisponibles et cette biodisponibilité est exprimée essentiellement à travers la phase eau (ALLEN, 2002). Plusieurs études ont démontré que les métaux lourds apportés par les boues ne sont pas totalement immobilisés au sein des fractions solides du sol, mais qu’une partie de ces métaux peut passer en solution (CAMOBRECO et al., 1996; RICHARD et al., 1998). Les concentrations en métaux lourds retrouvées dans les lixiviats de boues sont de l’ordre du µg•L-1, donc relativement faibles (Tableau 7). Le flux de sortie de chaque métal étudié à part, rapporté à la matrice solide pendant le mois d’avril, est très faible (< 0,3 %) pour les deux modalités sol et boue.
La biodégradation des boues participe à l’approvisionnement en métaux, d’où un lessivage plus important des métaux lourds pour la modalité boue. Plus de métaux lourds passent alors en solution pour cette modalité.
Le zinc et le cuivre sont les métaux les plus mobilisés (Tableau 7). Le zinc est considéré comme étant le plus mobile et biodisponible des métaux lourds cationique (KIEKENS, 1995). Il a été démontré qu’il est la cause principale de toxicité des lessivas de boues (FJÄLLBORG et al., 2005). Le cadmium et le chrome sont les métaux les moins mobilisés. Les boues joueraient un rôle de rétention du Cd et Cr. Ces métaux pourraient être immobilisés au sein des complexes organométalliques stables.
La quantité totale initiale en métaux lourds étudiés (Cd, Cr, Cu, Ni, Pb, Zn) présente dans les boues utilisées dans notre essai (2,174 g) est quatre fois plus importante que celle contenue dans le sol. De cette charge totale est lessivé 0,07 % à partir des boues pendant le seul mois d’avril contre 0,04 % à partir du sol. Ainsi, en adoptant ces résultats et en considérant la surface du site de stockage couverte par les boues à Nador (400 m2 environ), le risque d’une contamination métallique des eaux souterraines et de surface situées à proximité du site de stockage des boues est bien réel.
4. Conclusion
L’étude de la qualité physico-chimique des lixiviats des stocks de boues d’épuration de Nador, formés in situ pendant la période pluvieuse, nous a permis d’appréhender le risque que présentent ces stocks sur la nappe souterraine, et par là sur la lagune de Nador. Cette étude a montré que ces lixiviats sont riches en nitrates et en phosphore et présentent des teneurs en métaux lourds. Le test de percolation réalisé a permis de mettre en évidence que la pluie entraîne le lessivage important des composés azotés à travers les boues et qui sont essentiellement les nitrates et l’azote organique. Parallèlement, il se produit un lessivage du phosphate et des métaux lourds dont les plus importants sont le zinc et le cuivre.
Vu le risque de pollution potentielle des stocks de boues d’épuration de Nador, et dans le but de protéger la qualité des eaux de la lagune de Nador et des eaux souterraines, il faut admettre la nécessité d’une surveillance et d’une gestion attentive des boues produites par la STEP de Nador. En effet, il faut appliquer des mesures réglementaires au stockage, en fixant les conditions et les prescriptions techniques du stockage des boues, de façon à garantir leur innocuité à l’environnement. En outre, il faudrait penser à l’épandage agricole de ces boues ou du compost issu de ces dernières, et ceci en vainquant d’abord les réticences des agriculteurs et de l’opinion publique.
Parties annexes
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