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Avec cet ouvrage collectif, Malet et Garnier de même que les auteur⋅e⋅s des différents chapitres offrent un intéressant tour d’horizon de l’éducation à la citoyenneté et de quelques-unes de ces multiples déclinaisons. L’angle transnational retenu par les directeurs de l’ouvrage sert bien cette volonté de proposer une lecture nuancée et plurielle de l’éducation citoyenne dans un monde où les tensions entre la mondialisation capitaliste et la montée des nationalismes populistes se font de plus en plus manifestes. Cet ouvrage offre à ce titre un riche espace de réflexion à la fois sur la propension – déjà remarquée par Lévi-Strauss en 1971 dans son discours à l’UNESCO – qu’a cette mondialisation à réduire la diversité culturelle à travers une certaine homogénéisation et sur la pertinence de former la⋅le citoyen⋅ne du 21e siècle dans le contexte du seul espace national.

Les auteur⋅e⋅s notent ainsi que la citoyenneté, si elle comprend souvent les identités ou les « appartenances à », ne peut s’y réduire. Cet ouvrage n’offre par ailleurs aucune définition unique ou même relativement circonscrite de la citoyenneté ou de l’éducation qui la servirait. Les lecteur⋅rice⋅s seront ainsi confronté⋅e⋅s à une conception de la citoyenneté plutôt centrée sur l’agentivité dans le cas de certaines contributions, alors que d’autres aborderont la question sous l’angle de la civilité, de l’identité patrimoniale ou des nationalismes. C’est aussi ce qui rend les 11 chapitres qui composent cet ouvrage si intéressants et pertinents pour qui cherche à compléter sa compréhension des enjeux liés à l’éducation à la citoyenneté globale.

Les contributions de De La Croix, Moravie et Sabatier, puis de Condette et de Ferry sont en ce sens tout à fait remarquables. D’abord, De La Croix, Moravie et Sabatier complètent l’important travail qu’elle⋅il⋅s avaient déjà présenté⋅e⋅s à un colloque organisé par les directeurs de l’ouvrage en Corse, en 2017, sur ce qu’elle⋅il⋅s nomment le patrimoine ethnomoteur. Leurs investigations sur la culture physique, notamment à travers l’enseignement de certaines pratiques culturelles telles que la pelote basque ou la danse Bèlè martiniquaise, offrent de beaux exemples des identités multiples de la citoyenneté et de la diversité des formes que leur imbrication peut prendre.

Condette, par son étude des représentations de la citoyenneté et de son enseignement dans des écoles anglaises et françaises, montre non seulement la lecture différenciée de la citoyenneté par les élèves dans ces deux régions, mais montre aussi que, dans les deux cas, les élèves semblent très bien comprendre que l’éducation à la citoyenneté ne peut être comparée à la véritable citoyenneté et que leur pouvoir d’action demeure bridé. Condette rappelle au passage que l’éducation à la citoyenneté sert bien souvent à régler des problèmes conjoncturels plutôt que de réellement servir la souveraineté des citoyen⋅ne⋅s. C’est aussi ce que soulignent Jadot et Verhoeven lorsqu’elles écrivent, pour la Belgique, que dans « les contextes les plus démunis, l’accent sur le civisme s’apparente parfois à une injonction assez conformante au respect des règles du vivre ensemble et à une insistance sur la responsabilisation individuelle et les “devoirs” de l’élève – les dimensions plus actives de la citoyenneté (action sociale et politique) semblant parfois hors d’atteinte » (p. 38).

Ferry quant à elle, explore les débats autour de l’enseignement de l’histoire en France et en Angleterre. Elle y trouve ainsi des éléments révélant les types de citoyenneté que ces sociétés jugent légitime de promouvoir. L’auteure exploite le concept de nationalisme banal élaboré par Michael Billig pour décrire les référents et les discours nationalistes qui créent un cadre national tellement ordinaire et partagé qu’il devient implicite, routinier et indépassable. Elle estime ainsi que l’enseignement de l’histoire, et tout ce qui y est lié, reste bien ancré dans un carcan nationalocentré. Elle soutient plus avant que le discours public autour de l’enseignement de l’histoire et des critiques faites à l’enseignement de l’histoire dans les autres pays est lui-même mâtiné de nationalisme. Le discours autour de l’inclusion culturelle dans les écoles est à cet effet révélateur. L’espace permettant l’apprentissage d’une citoyenneté globale ou planétaire – pour reprendre l’appellation de l’historien Dispesh Chakrabarty – semble donc relativement limité. C’est aussi ce que soutiennent les directeurs de l’ouvrage rappelant que plusieurs auteur⋅e⋅s estiment important de développer une citoyenneté mondiale, « seule susceptible de donner à la fois la connaissance de la complexité des enjeux socioéconomiques et environnementaux des sociétés humaines désormais interdépendantes et interconnectées, et la reconnaissance de la diversité qui est le sel de l’humanité » (p. 265).

Les lecteur⋅rice⋅s pourront aussi compter sur plusieurs autres réflexions intéressantes sur les représentations de l’autre dans les manuels scolaires ou sur les habiletés citoyennes développées pendant des mouvements de contestation étudiants et par les traditions africaines de la médiation. Cet ouvrage apporte ainsi une contribution importante au domaine de l’éducation à la citoyenneté et à l’étude des tensions qui existent entre les questions liées aux identités (culturelles, ethniques, nationales, de classe, de genre, etc.) et la volonté de valoriser une éducation citoyenne émancipatrice centrée sur le pouvoir d’action des élèves. L’urgence de certains enjeux internationaux ou planétaires semble cependant encore trop peu présente dans les analyses récentes. À ce sujet, on pourra s’étonner de l’absence de contribution portant sur l’éducation à la citoyenneté dans un monde où l’espèce humaine doit être comprise comme une force géologique et où les décisions collectives auront répercussions non plus uniquement à l’échelle nationale ou internationale, mais aussi sur l’habitabilité même de la planète.