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« Raconte-moi l’histoire des francophones au pays comme tu la connais ». Telle est la proposition faite à 635 élèves de 10e, 11e et 12e années répartis dans 12 écoles de langue française du Québec et de l’Ontario. Les auteurs ont voulu « prendre la pleine mesure de la conscience historique des jeunes telle qu’elle se nourrit de l’enseignement qu’ils ont reçu et de toutes les autres occasions d’apprentissage du passé et de la citoyenneté qu’ils rencontrent au gré de leur vie quotidienne » (p. ix).

L’originalité de cette enquête repose sur un vaste corpus interprovincial qui permet une recherche comparative selon des contextes diversifiés, mais où des élèves – 385 Québécois et 250 Ontariens – « partagent un récit commun de l’histoire nationale » (p. ix). L’analyse et l’interprétation de tous ces récits ont été menées par une équipe constituée de la géographe Anne Gilbert, du didacticien Stéphane Lévesque et des historiens Jocelyn Létourneau et Jean-Philippe Croteau.

La source première des récits d’élèves demeure les programmes d’enseignement. Les auteurs y reviennent non seulement dans l’introduction, mais tout au long de l’ouvrage et dans la conclusion. Les élèves québécois au moment de l’enquête suivent le programme d’histoire et éducation à la citoyenneté (2007 à 2017) qui favorise le développement de la pensée historique. Quant aux élèves ontariens, ils suivent un programme axé sur un projet éducatif. En Ontario comme au Québec, « la construction identitaire est considérée comme un maillon important de la transmission de la culture historique » (p. 183).

Le premier chapitre traite des questions de protocole de recherche et de méthodologie relatives à l’enquête. On y fait la présentation des populations scolaires participantes et des huit orientations narratives qui sondent les récits. Dans le chapitre suivant, les auteurs prennent soin d’exposer l’évolution de la pensée historique chez les historiens québécois et ontariens et le passage de la société canadienne-française à la société québécoise d’une part et à la société franco-ontarienne d’autre part.

Les trois chapitres suivants scrutent les récits selon différents thèmes : les orientations narratives et géographiques ; les productions narratives selon le genre et la langue ; le sentiment identitaire des élèves. De nombreux tableaux et figures complètent l’analyse et offrent une cartographie des représentations du passé valorisées par les élèves.

La conclusion générale présente globalement les résultats de cette enquête comparative. À la mémoire commune s’arriment des évènements historiques variés qui façonnent l’identité des élèves. En outre, l’évolution de la pensée historique commencée au deuxième chapitre s’enrichit grâce aux travaux actuels de chercheurs de disciplines diverses. S’ensuivent quelques observations sur les programmes d’histoire et les meilleurs outils pédagogiques pour développer la conscience historique des jeunes.

Un travail colossal attendait cette équipe de recherche. Ce vaste corpus interprovincial allait-il permettre de constater un récit commun de l’histoire nationale et la création d’un lien entre ces mêmes communautés d’appartenance ? On peut répondre oui au premier volet de cette question et non au second étant donné les évènements qui caractérisent l’histoire des francophones dans chacune des provinces. D’un côté, les élèves ontariens comprennent mal le désir d’autonomie des Québécois alors que ces derniers ignorent la portée du Règlement 17 ou la lutte pour conserver l’hôpital Monfort. Les programmes d’histoire seraient-ils en partie responsables de ces méconnaissances ?

À l’origine était la Nouvelle-France, disent tous les récits. Puis, l’histoire prend des couleurs variables selon que l’on est fille ou garçon, Ontarien ou Québécois, intéressé à la culture, au féminisme, à la guerre, à la survivance du français et à l’attachement au territoire où l’on vit. C’est ici qu’une différence apparait : la nation pour les élèves québécois est représentée par le Québec, tandis que pour les élèves ontariens, ils sont d’abord Canadiens, puis Franco-Ontariens.

C’est cette rupture que les auteurs voudraient colmater en suggérant des programmes d’enseignement de l’histoire qui s’intéresseraient davantage à l’ensemble des francophones du Canada. Par ailleurs, ces spécialistes jettent un oeil d’expert sur l’enseignement. À la lecture des narrations, ils constatent que l’analyse y est déficiente. Les élèves rapportent des faits historiques importants pour eux, mais manifestent peu d’esprit critique. Se montre-t-on trop exigeants pour les élèves du secondaire ?

En conclusion, les auteurs proposent une synthèse des narrations selon des thèmes privilégiés grâce à une interprétation des récits indispensable à la compréhension de cette enquête. Elle démontre l’ampleur des opinions de tous les élèves, ce que les extraits présentés ne pouvaient faire et, surtout, elle permet de prendre toute la mesure des réponses à la question « raconte-moi l’histoire des francophones au pays comme tu la connais ».

L’exercice était exigeant. Il a permis d’approfondir la réflexion déjà commencée dans des recherches précédentes d’autant plus que des éléments nouveaux s’y ajoutent. La richesse de cette expérience n’est pas épuisée puisque le corpus continuera d’être exploité sous d’autres angles. Ces narrations révèlent que ces jeunes Québécois et Ontariens ont une conscience historique et une identité forgées par le contexte dans lequel ils évoluent. Il faut savoir gré aux 635 élèves du secondaire d’avoir participé à un tel exercice.