Corps de l’article

1. Introduction et contexte théorique

Face à un taux important d’échec et d’abandon, la question de la réussite dans l’enseignement supérieur s’est constituée en réel enjeu politique en Fédération Wallonie-Bruxelles et plus généralement à travers le monde (Gale et Parker, 2014). En Fédération Wallonie-Bruxelles, la déclaration de politique communautaire couvrant 2019 à 2024 (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2019) insiste par exemple sur le taux d’échec trop élevé dans les établissements d’enseignement supérieur, la nécessité de renforcer l’accompagnement des étudiants et l’importance de faciliter la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. En Belgique, le programme complet d’un étudiant comporte 60 crédits. Ils sont validés au travers d’unités d’enseignement pour lesquelles les étudiants doivent obtenir la note minimale de 10/20.

D’après de récentes analyses, des taux d’abandon et d’échec stables de 22 % et 60 % (étudiants n’ayant pas validé au minimum 45 crédits sur les 60 crédits qui constituent leur programme) peuvent être constatés jusqu’en 2014 (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, 2021). À partir de l’année académique 2014-2015, ces taux tendent à diminuer. Néanmoins, derrière ce taux général se dissimulent une réduction du taux de réussite totale (avec validation des 60 crédits constituant la première année) passant de 34 % à 26 % et une augmentation du taux de réussite partielle (validation entre 45 et 59 crédits) passant de 3 % à 15 % (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, 2021). Ces changements sont concomitants avec la mise en application du Décret définissant le paysage de l’enseignement supérieur et l’organisation académique des études (2013) : diminution du seuil de réussite (passage de la réussite à 12/20 à 10/20), suppression de cours isolées au profit d’unités d’enseignement, disparition de la notion d’année d’étude, etc.

Cette incitation politique a conduit au déploiement de moyens plus importants pour améliorer l’accompagnement des étudiants et à l’introduction de pratiques d’accompagnement à l’adaptation à l’enseignement supérieur. La majorité des pratiques mises en place se sont centrées sur la première année dans l’enseignement supérieur, période importante de transition vers le monde de l’enseignement supérieur (De Clercq et coll., 2023). Cette transition est stimulante pour les jeunes, mais aussi difficile compte tenu des multiples aspects nouveaux à gérer (Credé et Niehorster, 2012). Jacques (2015) identifie d’ailleurs cette période comme la transition scolaire la plus complexe pouvant marquer le parcours d’un individu. En effet, cette transition est ponctuée de nombreuses ruptures dans les diverses sphères de vie du jeune jalonnées d’un cumul de défis à surmonter tels que la construction d’un nouveau réseau social, l’acquisition de normes et de coutumes qui apparaissent pour la première fois, le développement d’un apprentissage autonome ou d’une plus grande indépendance (De Clercq, 2019). Certains auteurs appellent d’ailleurs ce cumul de défis comme le « transition shock of student life » (Jenert et coll., 2017). En ce sens, plusieurs études empiriques ont identifié et catégorisé les défis constituant cette phase de transition pour l’étudiant (De Clercq et Perret, 2020 ; Trautwein et Bosse, 2017 ; Van Meenen et coll., 2021). Combinant des approches qualitatives et quantitatives, ces auteurs ont démontré qu’il était possible de distinguer quatre catégories de défis : les défis personnels, académiques, sociaux et organisationnels. Ces défis ont une incidence claire sur la réussite et l’adaptation de l’étudiant de première année (De Clercq et coll., 2020). Néanmoins, d’autres travaux rappellent que les difficultés ne se concentrent pas uniquement sur cette première année et que l’accompagnement de l’étudiant devrait se faire tout au long de son cheminement dans le programme, de l’accueil jusqu’au marché du travail (Sauvé et coll., 2006).

Une énergie considérable est donc aujourd’hui mise en place par les institutions de l’enseignement supérieur pour favoriser la réussite étudiante. Néanmoins, les approches actuelles souffrent de deux limites importantes identifiées tant par la recherche que par les acteurs de terrain. La première limite porte sur le manque de référentiel commun sur ce qui constitue et permet de catégoriser les pratiques d’accompagnement de l’étudiant et leurs visées. Ainsi, il est parfois difficile de comprendre ce qui caractérise une pratique d’accompagnement.

La seconde limite a trait au manque d’évaluation systématique et rigoureuse des pratiques d’accompagnement pédagogique mises en place pour favoriser l’adaptation de l’étudiant. Tel que le soulignent de nombreux auteurs, les évaluations des actions d’accompagnement de l’étudiant se font encore trop rares et manquent de rigueur méthodologique (De Clercq et coll., 2016 ; Perret, 2014 ; Salmon et coll., 2009). Stes et ses collègues (2010) précisent d’ailleurs que la majorité des pratiques ne sont aujourd’hui évaluées que par la satisfaction des étudiants et par leur participation aux activités proposées. Robbins et ses collègues (2009) résument cette situation en affirmant que des sommes importantes sont aujourd’hui dépensées pour la création de dispositifs de promotion de la réussite dont on ne connait pas réellement les effets ou qui, pour le moins, seraient complexes à évaluer.

Cette situation n’est pas sans risques. Le manque de clarté conceptuelle et d’évaluation ne permet pas de formaliser l’effet positif des pratiques mises en oeuvre. Ces dernières pourraient donc avoir un effet nul, voire un effet négatif insoupçonné (Robbins et coll., 2009). De plus, ce manque de formalisation empêche de réguler adéquatement l’offre d’accompagnement proposée et risque d’induire une perception biaisée de l’efficacité. Par exemple, Perret (2014) met en garde contre l’évaluation par la simple satisfaction qui tend à surcoter le caractère positif d’un dispositif et qui fournit peu d’éléments de régulation. Les pratiques d’accompagnement actuelles seraient alors potentiellement non optimales et les accompagnateurs aux apprentissages n’auraient pas suffisamment d’outils fiables pour les ajuster. En corolaire au manque de catégorisation, la communication et la mutualisation des connaissances ne sont pas optimalisées.

Face à cette double difficulté de conceptualisation et d’analyse, un projet de recherche belge francophone Assess4Success (Évaluer pour la réussite) a vu le jour. L’objectif de ce projet est d’apporter un élan vers une évaluation plus rigoureuse des effets des pratiques d’accompagnement pédagogique. Cet article présente une partie du travail réalisé au sein de ce projet de recherche.

Concrètement, deux objectifs principaux composent cet article. Tout d’abord, au moyen de la littérature internationale, nous proposerons une réflexion théorique sur les défis qui entravent l’évaluation (avec rigueur) des pratiques d’accompagnement pédagogique. Par ce biais, nous fournirons quelques repères théoriques pour développer une conceptualisation d’une évaluation de dispositif de soutien.

Cette étude cherche donc à répondre à la question suivante : comment développer une vision plus complète de l’effet d’une pratique d’accompagnement par l’identification des freins à une évaluation rigoureuse ?

Ensuite, nous nous attèlerons à lever un des freins conceptuels à l’évaluation. Pour ce faire, un travail de clarification conceptuelle sera opéré autour du terme de « pratiques d’accompagnement de l’étudiant » afin de mieux en comprendre les formes et les visées. De plus, une proposition de taxonomie des pratiques d’accompagnement et de leurs visées sera suggérée au moyen d’une analyse précise de la littérature et d’un recueil empirique de plus de 60 pratiques d’accompagnement menées en Belgique francophone.

Cette étude cherche donc également à répondre à la question suivante : quelles sont les différentes typologies des pratiques d’accompagnement qui permettraient de concevoir un référentiel s’adaptant aux différentes réalités des établissements d’enseignement supérieur ?

L’article se clôturera avec une conclusion rouvrant la question de l’aide à la réussite, de l’effet de ces dispositifs dans la réussite des étudiants et de l’apport d’une évaluation rigoureuse des effets de ces derniers. Plusieurs implications théoriques seront d’ailleurs évoquées.

2. Approche théorique et méthodologique

2.1 Les défis de l’évaluation dans la littérature

Afin de pouvoir agir quant à l’amélioration d’un système, il est important de comprendre les freins qui ne lui permettent pas de se réguler de lui-même (Watzlawick et coll., 2014). Dans le cas actuel, il est alors essentiel d’identifier les freins et les défis au manque d’évaluation plus rigoureuse des pratiques d’accompagnement proposées dans l’enseignement supérieur. Trois catégories de défis peuvent ici être identifiées : structurels, méthodologiques et conceptuels.

2.2.1 Évaluer, un défi structurel

La mise en place d’évaluations revêt des défis structurels. Le défi principal concerne l’organisation même du temps et des priorités par les accompagnateurs pédagogiques responsables du soutien de l’étudiant. Le temps et le budget dont disposent les accompagnateurs sont finis. Ce qui signifie qu’il est nécessaire d’organiser ce temps en priorisant les activités les plus essentielles. Dans cette réflexion, le temps de l’action est fréquemment privilégié à celui de l’évaluation. Salmon et ses collègues (2009) illustrent cette idée :

D’autres freins liés à la composition des équipes d’accompagnement peuvent justifier la difficulté d’évaluer systématiquement toutes les actions d’accompagnement. Les équipes dédiées à ces actions travaillent souvent en contingent restreint et doivent faire des choix dans les initiatives à prendre. La plupart du temps, les membres de ces équipes décident de se consacrer essentiellement à l’action et au suivi de l’étudiant.

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Il est alors important de garder à l’esprit que, dans une situation de ressources fermées, l’énergie destinée à l’évaluation sera synonyme d’une diminution du temps consacré au suivi actif des étudiants.

2.1.2 Évaluer, un défi méthodologique

D’un point de vue méthodologique, plusieurs défis se posent également dans l’évaluation. Selon plusieurs auteurs, une évaluation sera qualifiée de rigoureuse si elle permet d’attester concrètement des effets d’une pratique (Permzadian et Credé, 2016 ; Stes et coll., 2010). Bien que triviale, cette constatation n’en est pas moins ardue à formaliser sur le terrain.

Premièrement, pour attester qu’une évolution de l’étudiant est bien due au dispositif, il faudrait pouvoir isoler l’effet de ce dispositif des autres facteurs ayant pu affecter l’étudiant. Pour ce faire, il conviendra alors de mettre en place un dispositif quasi expérimental permettant de comparer des étudiants ayant participé au dispositif d’autres n’y ayant pas participé (Baillargeon, 2006 ; Harackiewicz et Priniski, 2018 ; Vertongen et coll., 2015). Notons que ce travail ne sera rigoureux que si les participants sont comparés à des étudiants non participants présentant des caractéristiques communes. C’est pourquoi la méthode d’appariement (matching) peut être employée. Elle consiste en la création pour chaque étudiant d’un groupe de comparaison avec des caractéristiques les plus semblables possible sur la base de variables observées avant l’application du dispositif (par exemple, résultats au test diagnostique).

Deuxièmement, pour attester de la qualité d’un dispositif, il convient également de pouvoir réaliser l’évaluation sur un ensemble représentatif d’étudiants concernés. Cet élément peut être compliqué à atteindre, surtout lorsque la participation des étudiants à l’évaluation est volontaire et prend place plusieurs mois après le dispositif (Salmon et coll., 2009).

Troisièmement, les effets d’un dispositif ne sont parfois pas immédiats. Tout en tenant compte des deux difficultés précitées, il conviendrait alors de pouvoir analyser l’effet à court, moyen, voire long terme sur les participants. Cette approche longitudinale apporte d’autres difficultés dont la principale est la capacité à suivre les étudiants et à lutter contre la mortalité expérimentale qui consiste en un problème méthodologique fréquent en sciences humaines représentant la difficulté à garder un nombre de répondants suffisant à une enquête quand celle-ci se déroule en plusieurs temps (Creswell, 2012 ; Harackiewicz et Priniski, 2018 ; Robbins et coll., 2009).

Quatrièmement, la question du type d’approche évaluative se pose : quantitative ou qualitative. L’approche quantitative permet essentiellement de statuer sur des effets généralisables. L’approche qualitative autorise quant à elle de mieux cerner les nuances et les processus conditionnant l’efficacité d’un dispositif. Plusieurs auteurs proposent d’adopter des approches mixtes combinant les atouts des deux évaluations (Lison et Bédard, 2014 ; Permzadian et Credé, 2016).

Finalement, l’analyse fine des résultats de l’évaluation nécessite souvent des compétences statistiques et méthodologiques poussées que ne possèdent pas toujours les accompagnateurs de terrain. Une perspective permettant de dépasser en partie ces défis méthodologiques serait de fournir un modèle d’aide à la conception de l’évaluation et qui puisse tenir compte de variables multiples.

Plusieurs auteurs permettent de développer un modèle rigoureux de l’évaluation. Dans cette visée, Salmon et ses collègues (2009) ont proposé un modèle dynamique de l’évaluation décrivant les éléments constitutifs d’une pratique d’accompagnement pédagogique. Ils détaillent sept éléments constitutifs présentés dans la figure 1 : les commanditaires de l’évaluation : les buts de l’évaluation : l’objet de l’évaluation : les sujets de l’évaluation : la temporalité de l’évaluation : les outils d’évaluation et les difficultés de ces derniers. Cette figure permet à l’accompagnateur peu formé à l’analyse méthodologique d’identifier les questions clés qui pourront guider son évaluation.

Figure 1

Modèle dynamique de l’évaluation selon Salmon et coll. (2009)

Modèle dynamique de l’évaluation selon Salmon et coll. (2009)

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Le modèle représenté dans la figure 1 propose entre autres d’interroger la cible de l’évaluation. Cette réflexion est en accord avec Perret (2014) qui insiste sur l’intérêt d’étendre l’analyse, traditionnellement menée auprès des étudiants, aux enseignants (ce terme englobe les enseignants du programme et tout autre acteur institutionnel de la réussite de l’étudiant concerné par le dispositif évalué : conseiller pédagogique, conseiller d’orientation, assistants, etc.). Cette évaluation permettrait de développer une vision plus complète de l’effet d’une pratique dans un programme donné.

Un autre point de réflexion sera de comprendre comment évaluer le dispositif en détail. Parmi les auteurs s’étant penchés sur cette question, Kirkpatrick et Kirkpatrick (2006) ressortent comme des auteurs incontournables de l’évaluation (Steinert et coll., 2006 ; Stes et coll., 2010). Ils ont en effet construit un modèle en quatre niveaux qui permet d’apporter un regard fin et nuancé sur l’effet d’un dispositif. Ce modèle fut initialement conçu pour répondre à la demande grandissante d’outils permettant d’évaluer les formations mises en oeuvre en entreprise et d’allouer efficacement les ressources financières entre les différentes formations proposées (Holton, 1996). Néanmoins, de par ses aspects rigoureux et pratiques, il a été utilisé dans de nombreux domaines (Le Louarn et Pottiez, 2009). Ce modèle a d’ailleurs été appliqué après ajustement en Belgique francophone pour mesurer les effets de dispositifs de soutien à l’adaptation de l’étudiant (De Clercq et coll., 2016). Les quatre niveaux initiaux ont alors été étendus à cinq niveaux d’analyse tels que présentés dans la figure 2. Ces travaux peuvent servir de point d’ancrage à l’accompagnateur de terrain pour identifier plus précisément les niveaux qui lui semblent nécessaires à évaluer.

Figure 2

Modèle d’évaluation de Kirkpatrick et Kirkpatrick (2006) adapté aux dispositifs d’accompagnement pédagogique de l’enseignement supérieur (De Clercq et coll., 2016)

Modèle d’évaluation de Kirkpatrick et Kirkpatrick (2006) adapté aux dispositifs d’accompagnement pédagogique de l’enseignement supérieur (De Clercq et coll., 2016)

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2.1.3 Évaluer, un défi conceptuel

Au-delà des défis structurels et méthodologiques, un défi conceptuel de taille doit être surmonté. Le soutien apporté à l’étudiant dans son adaptation à l’enseignement supérieur peut prendre plusieurs formes et peut être désigné par plusieurs noms : dispositif d’aide à la réussite, dispositif de soutien de l’étudiant ou de pratiques d’accompagnement de l’étudiant. Ces différents termes amènent une certaine complexité dans la compréhension même de ce qui délimite l’accompagnement de l’étudiant dans son adaptation. Sans cadre clair, chaque acteur de la réussite se rattache à sa conception implicite du concept de soutien de l’étudiant et met ses propres frontières entre ce qui est ou n’est pas compris comme une pratique d’accompagnement de l’étudiant. Ainsi la communication entre professionnels se base sur des conceptions implicites divergentes pouvant nuire à la compréhension mutuelle, à la détermination d’objectifs communs ou à la définition de priorité d’actions (Roland et coll., 2015). Une explicitation des termes permettrait alors de se départir des difficultés engendrées par l’implicite en employant un vocabulaire commun.

Dans cette volonté de clarification, le terme de « pratique d’accompagnement de l’étudiant » est préféré dans cet article à celui de « dispositif d’accompagnement ». Ce terme permet de mettre au centre de l’attention les actions (les pratiques) mises en place pour soutenir et accompagner l’étudiant dans son parcours universitaire, et non le caractère structurel de l’action (le dispositif). L’ensemble de ces actions de soutien seront de ce fait comprises comme des pratiques d’accompagnement de l’étudiant. Cet article ne traite donc pas uniquement de dispositifs de soutien structurellement identifiés comme appartenant à l’aide à la réussite, mais étend son approche à des pratiques plus informelles et moins institutionnalisées. La pratique d’accompagnement ne se distingue donc pas uniquement par sa forme, mais avant tout par sa visée qui est d’agir pour soutenir l’étudiant dans sa transition vers le monde de l’enseignement supérieur. Une réflexion sur la clarification conceptuelle des pratiques compose d’ailleurs le point suivant.

2.2 La conceptualisation et la catégorisation des pratiques d’accompagnement

Tel que le précise Perret (2014), l’étape primordiale avant d’évaluer une pratique d’accompagnement est de comprendre en détail les caractéristiques qui la composent. Pour ce faire, il est intéressant de pouvoir déterminer un référentiel commun de classification des pratiques d’accompagnement. Plusieurs catégorisations sont présentes dans la littérature. Lors de sa métaanalyse – c’est-à-dire une étude analysant les résultats d’une multitude d’études antérieures sur un même sujet et permettant d’apporter une vision claire et solide de l’efficacité d’un dispositif ou d’une pratique –, Robbins et coll. (2009) ont proposé une répartition des pratiques d’accompagnement en quatre catégories :

  1. les pratiques de développement des compétences académiques composées essentiellement des actions ponctuelles visant à développer une compétence ou connaissance qui permettra à l’étudiant de mieux performer à l’université (par exemple : ateliers méthodologiques, tests blancs, ateliers d’analyse de la session d’examen…) ;

  2. les pratiques axées sur la gestion de soi, composées des actions ponctuelles visant à développer la gestion émotionnelle des études. On y retrouve les actions visant à permettre à l’étudiant de prendre confiance, à gérer les potentielles sources de stress et à trouver le sens de ses études ;

  3. les pratiques de socialisation permettant ponctuellement à l’étudiant de bien s’intégrer dans l’enseignement supérieur et souvent réalisées par un accompagnement individualisé (par exemple, du tutorat ou un parrainage) ;

  4. les pratiques globales centrées sur le vécu de l’étudiant. Cette catégorie regroupe un ensemble de pratiques plus larges qui accompagnent l’étudiant sur une plus longue période selon ses besoins spécifiques.

Dans cette même idée, Perret (2014) propose également une classification en cinq catégories de pratiques :

  1. les actions d’accueil et de suivis pédagogiques des étudiants. Elles se rapprochent de la catégorie de socialisation de Robbins et ses collègues (2009), mais incluent également le caractère de suivi individuel tel que les parrainages ;

  2. les actions d’enseignement de la méthodologie du travail très proches de la première catégorie de Robbins et ses collègues (2009) ;

  3. les modalités pédagogiques rénovées, qui renvoient à l’ensemble des pratiques enseignantes innovantes mises en place pour favoriser la réussite et/ou l’apprentissage de l’étudiant ;

  4. les actions destinées à la réorientation des étudiants en situation d’échec. Cette catégorie pose la question du choix d’études très sensible dans certains systèmes éducatifs ouverts tels que le système belge ;

  5. les actions de préparation à la vie professionnelle qui rassemblent toutes les actions relatives à l’insertion future des étudiants sur le marché de l’emploi.

Perret (2014) insiste entre autres sur l’importance de considérer les pratiques pédagogiques et d’enseignement comme étant une catégorie de dispositif de soutien à part entière. Ces propos sont soutenus par Pariat et Lafont (2018) qui insistent sur l’importance des pratiques enseignantes dans la réussite de l’étudiant et sur l’importance de les considérer comme un réel levier de soutien, au même titre que d’autres dispositifs indépendants de propédeutique ou d’orientation.

Ancrés dans les modèles de l’apprentissage autorégulé (Houart, 2017 ; Houart et coll., 2019), d’autres travaux proposent une typologie des accompagnements composée de cinq objets visant le développement de l’autonomie de l’apprenant dans ses apprentissages (Bachy, 2016, 2021). La richesse de cette typologie est la spécification beaucoup plus grande des objets sur lesquels l’étudiant peut être accompagné :

  1. les accompagnements disciplinaires portant la focale sur le soutien de l’étudiant dans la matière spécifiquement abordée par son programme (Hublet et coll., 2021) ;

  2. les accompagnements méthodologiques centrés sur les connaissances et compétences transversales telles que la prise de note, la mémorisation, la réalisation d’une synthèse, la compréhension des attentes des enseignants et la gestion du temps ;

  3. les accompagnements métacognitifs destinés à amener les apprenants à s’interroger sur leurs stratégies d’apprentissage, les analyser, les perfectionner, voire les remplacer par de plus performantes (Vianin, 2020). Ces dispositifs centrés sur l’action et les réflexions sur l’action visent également à développer les compétences liées au profil de l’apprenant et à renforcer les stratégies volitionnelles (mise en action et persévérance) ;

  4. Les accompagnements à la maitrise des langues se focalisant sur les dispositifs de soutien de l’étudiant au développement de ses compétences langagières, à l’appropriation du langage universitaire et à l’usage correct des langues d’enseignement ;

  5. Les accompagnements au développement des compétences numériques sont une catégorie non évoquée par les précédentes grilles de lecture. Cette catégorie est basée sur des travaux antérieurs de l’auteure montrant l’importance grandissante des usages d’outils numériques en pédagogie universitaire et de l’importance grandissante pour l’étudiant de développer des compétences techniques et technologiques pour apprendre et s’intégrer dans la société actuelle (Bachy, 2021).

Cette typologie propose également de classer les dispositifs de soutien en fonction du moment d’action et du type d’étudiants visés. Ainsi, ancré dans la catégorie de Cartier et Langevin (2001), il est proposé de distinguer les aides : 1) de prévention primaire, s’adressant à l’ensemble des étudiants ; 2) de prévention secondaire, se concentrant sur des publics à risque ; 3) de prévention tertiaire se focalisant sur les étudiants en situation d’échec et en décrochage. Néanmoins, en comparaison avec les autres typologies certaines limites apparaissent également. Par exemple, nous remarquons le manque de focalisation sur les dimensions sociales et affectives qui peuvent impacter l’adaptation à l’enseignement supérieur. Notons que celles-ci ont été récemment ajoutées par ces auteurs dans une autre dimension annexe libellée sous des dispositifs d’intégration et de bienêtre (Baudier et coll., 2019).

Une approche récente peut également venir compléter les typologies d’actions présentées ci-dessus. Cette approche se concentre sur une taxonomie des difficultés rencontrées par l’étudiant dans l’enseignement supérieur et permet d’identifier les différents besoins d’accompagnement qui peuvent en découler (De Clercq et coll., 2020 ; Trautwein et Bosse, 2017). Cette taxonomie décrit quatre types de difficultés rencontrées par l’étudiant :

  1. les difficultés de contenu relatives à l’ensemble des difficultés à gérer l’apprentissage, à faire face à la matière et à maitriser le langage académique. Cette catégorie se rapproche des accompagnements disciplinaires, méthodologiques et langagiers de Bachy (2016) ;

  2. les difficultés personnelles rassemblent l’ensemble des difficultés plus affectives et motivationnelles de l’étudiant telles que la gestion de la pression, la capacité à trouver le sens de ses études par rapport à ses attentes personnelles ou à justifier son choix d’étude. Cette dimension se rapproche de la catégorie de gestion de soi présentée par Robbins et ses collègues (2009) ;

  3. les difficultés sociales montrent toute la dimension sociale de l’adaptation à l’enseignement supérieur au travers de l’intégration avec les autres étudiants, l’interaction avec les enseignants et la gestion du climat social (coopération, compétition). Cette dimension se rapproche de la notion de socialisation de Robbins et ses collègues (2009), ou encore, de la catégorie d’accueil et suivis de Perret (2014) ;

  4. les difficultés organisationnelles relèvent quant à elles de la complexité pour l’étudiant de gérer tout l’aspect administratif des études (gestion des horaires, inscriptions aux examens…) et également les difficultés à organiser son quotidien (gérer son logement, des difficultés financières, les différents aspects de sa vie). Ce caractère organisationnel est la dimension originale principale de cette taxonomie en comparaison aux travaux précédents.

Précisons que certaines recherches subdivisent cette catégorie en identifiant la santé et l’équilibre de vie comme étant une dimension à part entière se distinguant fortement de l’aspect administratif des études (De Clercq et coll., 2016). En effet, selon ces auteurs, la transition vers l’enseignement supérieur s’accompagne également pour l’étudiant de la nécessité d’organiser son quotidien en autonomie, de trouver un équilibre de vie saine combinant vie privée et vie étudiante.

Au regard de cette littérature, deux constats émergent. En premier lieu, les catégorisations des pratiques entremêlent souvent deux éléments distincts : la forme de la pratique et sa visée. Ce constat est évident chez Robbins et ses collègues (2009) qui définissent des catégories de pratiques parfois par leur visée (pratiques de développement des compétences académiques) et parfois par leur forme (pratiques plus larges et accompagnant l’étudiant sur une plus longue période). Ce chevauchement se retrouve également chez Perret (2014) lorsque certaines pratiques sont déterminées par leur visée (orientation) et d’autres par leur forme (modalités pédagogiques rénovées). Bachy (2016) développe également la notion de public cible qui permettrait d’approfondir la catégorisation au-delà de la notion de forme et de visée.

Les travaux précédemment cités permettent en second lieu de déterminer plusieurs visées. Une synthèse présentant sept types de visées est produite en ce sens dans le tableau 1. Ces sept visées résument les propos et distinctions présentés plus haut. Notons qu’une pratique peut avoir une ou plusieurs visées spécifiques.

Tableau 1

Grille de classification des visées des pratiques d’accompagnement de l’étudiant

Grille de classification des visées des pratiques d’accompagnement de l’étudiant

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2.3 La proposition d’une catégorisation synthétique des formes d’accompagnement

La taxonomie de visées apporte une première clarification conceptuelle. Néanmoins, la façon d’aborder ces visées dans des actions concrètes de terrain peut encore être très variée. Un deuxième axe de clarification pourrait alors émerger en proposant une taxonomie des formes d’accompagnement pouvant être retrouvées sur le terrain.

Pour ce faire, nous présentons ici une catégorisation des formes d’accompagnement qui sera guidée par notre analyse rigoureuse de 60 pratiques d’accompagnement issues des quatre types d’établissements de l’enseignement supérieur de France francophone – les universités, les hautes écoles, les écoles supérieures d’art ou les établissements d’enseignement supérieur de promotion sociale. La description des pratiques provient d’une enquête large menée dans le cadre du projet de recherche Assess4Success visant à améliorer l’évaluation des effets des pratiques d’accompagnement en Belgique francophone. Plus précisément, un appel à collaboration a été transmis à l’ensemble des institutions de l’enseignement supérieur de Belgique francophone leur offrant la possibilité de recevoir un accompagnement méthodologique à l’évaluation de leur pratique. Les établissements candidats ont été invités à compléter un questionnaire décrivant les pratiques d’accompagnement sujettes à l’évaluation. Ce questionnaire a permis d’identifier :

  • les visées et les fonctions de la pratique (préventive ou remédiative) ;

  • le déroulement temporel ;

  • les modalités de mise en place de la pratique (intégration à l’horaire et au programme, obligation de la présence, en présence ou à distance, en individuel ou en groupe) ;

  • les intervenants animant la pratique (conseiller pédagogique, enseignant, étudiant).

Finalement, 33 établissements ont manifesté leur intérêt pour le projet et 60 pratiques ont été décrites dans l’enquête. L’analyse de cette enquête a été effectuée indépendamment par deux experts qui ont disséqué l’ensemble de ces descriptifs afin de tenter d’en identifier une catégorisation. Ces experts ont également guidé leur analyse au moyen de la littérature présentée dans cet article. Une fois ce premier travail réalisé, les deux experts se sont concertés afin de comparer leurs catégorisations respectives et d’en faire émerger une catégorisation unique. Cette catégorisation a ensuite été validée par le comité de pilotage de la recherche composé de neuf experts de terrain représentant l’ensemble des formes d’enseignement supérieur. En résumé, ce travail a identifié des points communs en termes de visées, de publics et d’organisation permettant de distinguer quatre formes d’accompagnement. Ce travail est particulièrement innovant dans le contexte belge, car il englobe l’ensemble des types d’établissements de l’enseignement supérieur dont certains sont peu observés ou étudiés.

Les pratiques d’accompagnement personnalisé constituent une forme de pratique qui s’adapte aux particularités du vécu de l’étudiant. Cette pratique est donc caractérisée par une aide personnalisée et souvent individuelle répondant aux besoins ponctuels de l’étudiant. Elle peut se rapprocher du concept de pratique centrée sur le vécu de l’étudiant développé par Robbins et ses collègues (2009). Dans les faits, cet accompagnement peut revêtir un grand nombre de formes (tutorat, parrainage, suivi par l’enseignant, entretiens individuels avec l’étudiant…) qui ne sont pas toujours gérées par l’institution. Ainsi, au sein de notre enquête, nous retrouvons par exemple le dispositif de parrainage social qui est coordonné entièrement par les étudiants d’années supérieures afin d’amener une aide aux étudiants de première année. L’accompagnement étant personnalisé, cette forme d’accompagnement n’a pas de visée exacte : elle changera au cas par cas. Précisons que cette forme est largement retrouvée dans les établissements d’enseignement supérieur accueillant un moins grand nombre d’étudiants tels que les Écoles Supérieures des Arts.

Les pratiques d’accompagnement ponctuel et ciblé sont celles qui se rapprochent le plus de la vision prototypique de l’aide à la réussite. Derrière cette forme nous retrouvons essentiellement des dispositifs structurés, souvent collectifs, ayant une ou deux visées très précises et qui s’organisent en un ensemble d’activités ponctuelles destinées à les atteindre. Parmi ces pratiques, nous pouvons citer les traditionnels ateliers de propédeutique ou de gestion du stress. Dans notre enquête, nous pouvons mentionner l’exemple des cycles d’ateliers-méthode constitués de trois ateliers visant à développer les compétences académiques : planification, construction d’outils d’étude, mémorisation, etc. En contraste avec l’accompagnement personnalisé présenté plus haut, cette forme d’accompagnement est structurée pour répondre à un besoin spécifique.

Les pratiques d’accompagnement large et aux visées multiples se caractérisent par la diversité des visées du dispositif et la façon dont ce dernier soutient l’étudiant. La forme d’accompagnement présentée ici est soit composée d’un ensemble de pratiques ayant toutes des visées spécifiques, soit d’une pratique qui a comme objectif d’accompagner l’étudiant sur la majorité des difficultés qu’il peut rencontrer. Il ne s’agira pas d’accompagnement personnalisé, mais bien d’actions à large spectre tentant d’opérer sur une vaste palette de facteurs de réussite de l’étudiant. Ainsi, cette forme que nous ne retrouvons pas réellement dans la littérature susmentionnée se différencie des pratiques d’accompagnement ciblées, caractérisées par leurs visées multiples et leur accompagnement personnalisé, de par le caractère générique de leurs actions. Il ne s’agira pas de s’adapter aux besoins spécifiques des étudiants, mais plutôt de proposer un dispositif, très souvent collectif, suffisamment large pour répondre à la majorité des besoins pouvant être exprimés par ces derniers. Un exemple de ce type de pratique, que nous retrouvons dans notre enquête, est celui du blocus encadré qui offre une semaine intensive dédiée à l’aide à la réussite, proposant des moments structurés d’étude, des séances de développement de la gestion de soi, de l’accompagnement méthodologique et disciplinaire, des moments consacrés à la santé (activité sportive, repas fournis), etc. Plus de détails sur ce type d’accompagnement peuvent se retrouver dans l’article de De Clercq et ses collègues (2016) présentant le dispositif Pack en Bloque.

Les pratiques d’accompagnement intégrées dans les activités d’enseignement se rapprochent de la conception de Perret (2014) des pratiques pédagogiques rénovées. Dans cette conception, l’accompagnement de l’étudiant ne s’ajoute pas à son programme de cours, mais s’y intègre complètement. Ces pratiques se caractérisent par le public touché. En effet, la pratique vise tous les étudiants du programme ou du cours concerné (prévention primaire). Un exemple de notre enquête est le projet Autonomie qui consiste à intégrer directement à un cours d’anglais des activités de développement de l’autonomie et de l’apprentissage autorégulé. D’après nos analyses, cette pratique a souvent une visée précise (développement de la gestion de soi, des compétences académiques et/ou disciplinaires). Néanmoins, cette forme de dispositif s’étend selon nous plus largement à toute pratique d’accompagnement directement intégrée dans les unités d’enseignement constituant le programme de formation de l’étudiant. Une réflexion plus étendue à ce propos se retrouve dans l’article de Leroy et ses collègues (2021) présentant le dispositif Projet de formation.

2.4 La grille descriptive comme complément à la catégorisation

La proposition d’une taxonomie des visées et des formes apporte un regard structurant sur la diversité des pratiques existantes. Néanmoins, il est important de préciser qu’une pratique ne relève pas intégralement d’une forme et que les visées d’une même forme sont occasionnellement très variées. En effet, comme toute catégorisation, notre distinction en quatre formes et sept visées n’épouse parfois pas totalement la complexité des pratiques de terrain. Bien qu’une telle grille présente plusieurs atouts, nous pourrions nous questionner sur son bienfondé. Tenter de catégoriser les pratiques dans un ensemble fini de catégories serait-elle la meilleure approche pour en comprendre les caractéristiques ? Ne risquons-nous pas d’éluder d’importantes spécificités et/ou d’avoir des chevauchements de catégories pour une même pratique ?

Une catégorisation des formes et des visées des pratiques d’accompagnement confère la possibilité d’ordonner et de structurer les différents types de dispositifs et d’en clarifier les objectifs prioritaires. Néanmoins, pour pallier cette simplification, une alternative complémentaire pourrait alors être mise de l’avant. Cette dernière serait de proposer une grille d’identification des dispositifs qui ne range pas uniquement les pratiques selon leurs formes et visées, mais qui décrit en détail ses autres composantes. C’est par exemple ce que suggèrent Houart et ses collègues (2011) par le biais de leur grille de modalités de l’accompagnement pédagogique tel qu’illustré dans la figure 3. Cette grille montre que les questions de la visée et de la forme d’évaluation ne sont qu’une partie des dimensions qui caractérisent une action de soutien à la réussite. Ce questionnement est d’ailleurs en phase avec les propos de Bachy (2016) qui insistait déjà sur le dépassement du simple objet d’évaluation dans la compréhension d’un dispositif.

Figure 3

Grille de modalités de l’accompagnement pédagogique (Houart et coll., 2011 ; Salmon et coll., 2004)

Grille de modalités de l’accompagnement pédagogique (Houart et coll., 2011 ; Salmon et coll., 2004)

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Les travaux d’Houart et ses collègues (2011) se rapprochent également de la recherche menée en 2015 par la Chaire UNESCO de pédagogie universitaire à la demande des facultés de l’université catholique de Louvain (Dony et coll., 2015). L’objectif de cette recherche était entre autres de proposer une catégorisation des différentes pratiques par l’entremise d’une grille d’identification ancrée dans les études sur les prédicteurs de la réussite universitaire, dont une version adaptée est présentée par le tableau 2. Ces grilles permettent de caractériser avec une grande précision les pratiques d’accompagnement tout en y intégrant les notions de visée et de forme développées plus haut ainsi que la notion de fonction d’accompagnement proposée par Bachy (2016). Cette caractérisation apporte de nombreux avantages pour déterminer en détail les effets escomptés, le public le plus à même de relater ces effets, les meilleures mesures pour identifier les effets et les moments pour mettre en place l’évaluation.

Tableau 2

Grille descriptive des pratiques d’aide à la réussite (adapté de Dony et coll., 2015)

Grille descriptive des pratiques d’aide à la réussite (adapté de Dony et coll., 2015)

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En conclusion, une taxonomie des formes et des visées des pratiques d’accompagnement est bénéfique, car elle permet d’articuler les différentes réalités de terrain dans une structure plus intelligible. Néanmoins, au-delà de la catégorisation, une telle grille descriptive pourrait mettre en avant les spécificités propres de la pratique. Une approche associant simplicité de la taxonomie et précision de la grille descriptive pourrait alors être plus efficace.

3. Conclusion et mise en perspective

Cet article a proposé de répondre à deux questions de recherche : comment développer une vision plus complète de l’effet d’une pratique d’accompagnement par l’identification des freins à une évaluation rigoureuse ? Quelles sont les différentes typologies des pratiques d’accompagnement qui permettraient de concevoir un référentiel s’adaptant aux différentes réalités des établissements d’enseignement supérieur ?

3.1 Quelles pistes pour lever les freins à l’évaluation rigoureuse ?

La réflexion théorique nous a permis d’identifier deux premiers freins principaux au développement d’une évaluation rigoureuse. D’abord, un frein structurel mettant en avant la pression temporelle que peuvent vivre les accompagnateurs de terrain et leur difficulté à dégager une période précise pour l’évaluation, frein s’accompagnant d’un obstacle méthodologique. Puis, un frein inhérent au fait qu’une évaluation rigoureuse de pratiques nécessite un ensemble de considérations pour mettre en place un design de recherche qui soit à la fois valide et fidèle (voir Stes et coll., 2010). L’accompagnateur est donc amené à pouvoir comprendre et maitriser ces considérations et le protocole d’analyse des données qui en découle. Cependant, ce n’est que rarement le cas (Salmon et coll., 2009). Faire porter la responsabilité de l’évaluation sur les seules épaules de l’accompagnateur de terrain, comme c’est souvent ce qui arrive en France ou en Belgique francophone, pose alors problème.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées afin de pallier les effets négatifs de ce double frein à l’évaluation. Tout d’abord, l’accompagnateur pourrait profiter de l’apport de lignes directrices de conception, d’outils et de formation à l’évaluation pour gagner en autonomie dans la mise en place d’évaluations rigoureuses. Les propos tenus dans cet article peuvent d’ailleurs constituer une première porte d’entrée pratique. Alors même que plusieurs auteurs appellent, depuis plus de dix ans, à un développement plus important des pratiques d’accompagnement, une telle solution serait-elle suffisante (Perret, 2014 ; Robbins et coll., 2009) ?

Une approche complémentaire serait d’apporter une réponse structurelle à cette difficulté en développant des moyens pour faciliter la collaboration systématique entre accompagnateur de terrain et chercheurs en sciences de l’éducation. En effet, de nombreux exemples de recherche puisés dans la littérature internationale montrent que l’analyse de pratique d’accompagnement existe et peut être mise en place de façon rigoureuse par les chercheurs. C’est par exemple le cas des interventions brèves, rassemblant un ensemble de dispositifs très spécifiques tentant d’agir sur un processus psychologique précis de l’étudiant (De Clercq et coll., 2019 ; Harackiewicz et Priniski, 2018). Ces interventions très développées aux États-Unis se sont souvent concentrées sur les publics plus à risque (minorités raciales, étudiants plus défavorisés) en montrant des effets parfois très forts allant jusqu’à attester de conséquences positives sur le bienêtre et la réussite des étudiants jusqu’à trois ans après l’intervention (Yeager et Walton, 2011). Une telle approche guidée par la recherche pourrait servir d’exemple pour développer des évaluations rigoureuses accompagnées par une réflexion de terrain.

3.2 Comment dépasser le défi conceptuel de l’évaluation ?

Notre réflexion théorique a également permis d’identifier un frein conceptuel à l’évaluation qui dépasse la simple question de la mise en oeuvre concrète. En effet, au-delà de notre action, il apparait nécessaire de définir un vocable commun associant les différentes approches pour les mettre en perspective. En ce sens, cet article a proposé de considérer quatre formes de pratique et sept visées principales et de les intégrer à une grille d’identification plus large. Ces apports permettent de fournir une plus grande clarté conceptuelle dans les différentes approches présentées dans la littérature.

Néanmoins, la question conceptuelle peut être portée plus loin. Aux problèmes d’identification des formes et des visées d’une pratique d’accompagnement vient également s’ajouter une difficulté de conceptualisation encore plus centrale, celle de la notion de réussite académique. La définition même de ce concept est loin d’être simple et mène à plusieurs confusions (De Clercq et coll., 2014). Romainville et Michaut (2012) insistent sur le caractère polysémique de la notion de réussite. Ils affirment d’ailleurs « [qu’]échec et réussite sont donc davantage des notions à usage pratique que des construits scientifiques élaborés de manière rigoureuse pour décrire et expliquer certaines réalités observées » (Romainville et Michaut, 2012). Que signifie alors réussir ? Cela signifie-t-il : valider un ensemble de crédits ? Être plus performant durant les évaluations ? Réaliser un meilleur apprentissage des contenus et compétences enseignées ? Obtenir un diplôme ? Persévérer dans ses études ? Trouver sa voie professionnelle ? Ou s’épanouir dans l’enseignement supérieur ? Tous ces éléments peuvent se rapprocher de la notion commune de réussite dans l’enseignement supérieur (Annoot et coll., 2019). Cette diversité de conceptions aura également des effets importants sur les apports escomptés d’une pratique d’accompagnement et sur la façon de l’évaluer. Il pourrait alors être tentant de restreindre la notion de réussite à une notion administrative de validation de crédits ou d’obtention de diplôme (Guri-Rosenblit, 2009 ; Hepworth et coll. 2018 ; van Rooij et coll. 2018 ; York et coll., 2015). Néanmoins, plusieurs auteurs nous mettent en garde : une simple approche par la réussite quantitative risque d’occulter une grande partie des effets plus fins des dispositifs mis en place (Bouchey et Harter, 2005 ; DeFreitas, 2012). Paivandi (2016) appuie ces propos en insistant sur la nécessité de considérer également la réussite subjective de l’étudiant. Alors que l’enseignement est dans une temporalité fixe et cadrée par des blocs annuels, les étudiants sont dans des temporalités variables qui évoluent en fonction de la spécificité de leur profil et qui ne s’accordent pas toujours avec celle d’une année dans l’enseignement supérieur (Paivandi, 2016). Guterman (2021) soutient ce propos et invite à redéfinir la réussite académique en y intégrant la perception individuelle de l’étudiant. Chaque individu aurait sa propre définition de la réussite, basée sur ses attentes personnelles. Mais alors, comment considérer ce caractère polysémique pour mutualiser les connaissances sur l’accompagnement de l’étudiant ? Cette question fondamentale semble être une piste de recherche prometteuse concernant la problématique de la réussite universitaire.

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Mikaël De Clercq
Professeur, Université catholique de Louvain

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Justine Jacquemart
Étudiante au doctorat, Université catholique de Louvain

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Arnaud Salmon
Directeur-adjoint, École supérieure des arts de Saint-Luc, Bruxelles

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Sylviane Bachy
Responsable du service d’accompagnement aux apprentissages et maitresse de conférences, Université libre de Bruxelles