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Dirigé par trois professeur⋅e⋅s à l’école de gestion HEC Montréal, l’ouvrage de 187 pages rapporte les parcours pédagogiques de douze enseignant⋅e⋅s universitaires en gestion. Le propos de l’ouvrage transcende toutefois la frontière disciplinaire. Deux buts sont poursuivis : offrir une ressource réflexive à propos de la fonction enseignante des professeur⋅e⋅s d’université et fournir des repères théoriques et conceptuels pour nourrir ces réflexions.

La préface, signée par Denis Bédard, propose deux modèles expliquant le développement professionnel ou pédagogique des enseignant⋅e⋅s du supérieur pour appréhender la portée de cet ouvrage. Pour lui, les parcours pédagogiques comblent non seulement un manque de connaissances en donnant la parole aux enseignant⋅e⋅s, mais permettent aussi de donner libre cours aux réflexions, certaines sur son propre parcours pédagogique, d’autres sur les dimensions humaines, personnelles, professionnelles et relationnelles qui émaillent la vie pédagogique.

Dès l’introduction, le contexte si particulier à la profession enseignante en milieu universitaire est précisé. Le peu ou l’absence de formation à l’enseignement avant d’entrer en poste, puis l’idée d’une simultanéité de la formation et de la pratique offre un contraste saisissant quand on sait l’importance notable des évaluations faites par les étudiant⋅e⋅s pour estimer la qualité de l’enseignement. En effet, ces évaluations, de plus en plus décriées à titre d’indicateur de qualité privilégié par les institutions, mettent sur les épaules d’enseignant⋅e⋅s novices et en formation une pression de performance souvent irréaliste à atteindre. L’ouvrage vise ainsi à faire entendre la voix, si rarement écoutée, des enseignant⋅e⋅s et à faire (re)connaitre la charge émotionnelle associée à l’enseignement.

À cet effet, les auteur⋅e⋅s mettent en récit une facette de l’identité professionnelle de sept enseignantes et de cinq enseignants universitaires ayant accepté de se raconter au cours d’entrevues semi-dirigées. Écrit à la première personne, chaque parcours pédagogique retrace le rapport (non romancé) à l’enseignement, la relation avec les étudiant⋅e⋅s, le développement pédagogique ainsi que les méthodes et les pratiques de personnes dont l’expérience (expertises, cours, programmes et cycles enseignés) varie de 5 à 35 ans. Dans une moindre mesure, certains parcours abordent des enjeux inhérents au rapport à la pratique, aux évaluations de l’enseignement, au lien enseignement-recherche et aux incidents critiques qui renvoient à des situations surprenantes ou déstabilisantes offrant une occasion de réflexion et d’évolution.

Les douze parcours se lisent et ne se ressemblent pas. Suscitant plusieurs réflexions, celles-ci trouvent écho dans la discussion élaborée par les auteur⋅e⋅s autour de dimensions comme l’identité professionnelle de personnes qui apprennent à enseigner en enseignant. Qu’il s’agisse de discipline théorique ou appliquée, il semble que les difficultés énoncées sont les mêmes quand on n’a pas ou peu été formé à l’enseignement en amont. Cet ouvrage permet donc de prendre la pleine mesure de ce que signifie le fait d’apprendre en faisant et de faire pour apprendre. Si le modèle de l’apprentissage expérientiel est fort approprié pour lire ces parcours, un pan mériterait d’être encore plus élaboré dans la discussion, à savoir la place de la formation en pédagogie de l’enseignement supérieur dès les études doctorales. En effet, la passion, dont on peut se demander si elle concerne la matière, le fait d’enseigner ou le fait d’être une personne qui enseigne, ne permet pas de relever tous les défis que génère l’acte d’enseigner. Les parcours décrits en sont un parfait témoignage.

En sus, il apparait pertinent de souligner que les personnes – dont les parcours sont relatés – sont en poste dans de grandes écoles de gestion nord-américaines et enseignent une discipline (théorique ou appliquée) liée à la gestion. Cette particularité jette un éclairage différent sur leurs parcours, notamment du fait des préoccupations liées à la tâche de professeur⋅e d’université, telle la place accordée à l’enseignement et aux évaluations de l’enseignement pour l’obtention de la permanence du poste (statut d’agrégé ou régulier) et de la titularisation ; telle la conciliation de l’ensemble des dimensions (recherche et services à la collectivité) de la carrière professorale. Ainsi, les personnes chargées de cours ou doctorantes pourraient moins se retrouver à la lecture de certains passages.

Les enseignant⋅e⋅s universitaires débutant⋅e⋅s, quant à eux, seront particulièrement intéressé⋅e⋅s par cet ouvrage leur permettant de se retrouver en terre connue, jonchée de réflexions et de questionnements. Elle⋅il⋅s en tireront possiblement une certaine satisfaction de ne pas se sentir trop seul⋅e⋅s à vivre tant d’émotions parfois contradictoires. Les plus expérimenté⋅e⋅s pourront le lire avec une pointe de nostalgie, se remémorant les étapes passées et les défis relevés, soulignant du même coup comme le soutien est essentiel en début de carrière. Les doctorant⋅e⋅s prendront peut-être un plaisir coupable d’avoir envie et hâte de se retrouver en terre inconnue malgré les difficultés nommées, voyant là une opportunité de se surpasser.

Finalement, l’ensemble est un matériel pédagogique d’une grande pertinence pour quiconque travaille à la formation de futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s universitaires. La·le formateur⋅rice pourra les soutenir dans la construction de leur identité professionnelle, les amener à identifier leur philosophie d’enseignement, à anticiper certaines situations d’enseignement et à voir comment mettre en oeuvre une pratique réflexive. La liste de références thématiques est d’ailleurs un outil précieux pour mener à bien ce projet.