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Synthèse d’un doctorat en sciences de l’éducation soutenu en 2017 ainsi que de sa maitrise consacrée à John Dewey et d’un excellent article de 2014, l’ouvrage de S.-A. Alix porte un regard historique et philosophique sur les influences scientifiques qui donnèrent naissance au mouvement de l’éducation progressiste et sa diffusion aux États-Unis de 1876 à 1919, à partir de l’exposition universelle de Philadelphie jusqu’à la réforme Cardinal Principles of Secondary Education et la création des High Schools. Alix décrit, en deux parties, l’éducation progressiste comme un mouvement de rupture, renvoyant une école traditionnelle au passé, et un mouvement pluriel, incluant de nombreuses approches intellectuelles et pratiques. Les nouveaux paradigmes éducatifs de la Progressist Education — cette révolution copernicienne selon John Dewey — sont méticuleusement détaillés pour chaque auteur important, dans leur appréhension des enfants et des élèves, dans les grandes lignes de leurs programmes pédagogiques, de leurs impacts sociétaux et applications concrètes dans les écoles de la ville de Ménomonie (WI) et de celle de Gary (IN). Critique, Alix remet en question les grands principes de l’éducation progressiste, énoncés entre autres par John Dewey, soit de former des citoyens et des travailleurs, aptes à participer à la vie démocratique et à s’adapter aux nouvelles réalités économiques des États-Unis. L’auteur considère même l’école progressiste comme l’imposition d’un modèle scolaire par les « classes moyenne et nantie » qui maintiennent leurs positions culturelles dominantes, évacuant les minorités immigrées, afro-américaines et autochtones et amplifiant les différences de genre ; l’auteur oubliant ici les élèves en situation de handicap.
Finalement, cette analyse historique et philosophique invite à réfléchir sur l’intensité et la teneur des débats autour de l’éducation progressiste. Cependant, si elle illustre parfaitement les conséquences de la Révolution industrielle dans le North East et le Middle West états-uniens, elle oublie l’émergence de la professionnalisation bouleversant les divers critères d’éducation pour former équitablement tous les enfants à la fin du 19e et au début du 20e siècle dans un système public scolaire à construire selon les compétences, parfois antagonistes, des villes, des États et du Gouvernement fédéral. C’est dans le cadre de la redéfinition de la société nord-américaine imposée par la Révolution industrielle que ces philosophes, ces psychologues, ces pédagogues, ces praticiens, etc., vont réfléchir à l’ajustement des écoles (conçues aux États-Unis dès l’origine comme une continuité de l’autorité parentale) dans un système éducatif public rationalisé aux nouvelles questions sociales pour assurer d’une manière équitable la formation de bons citoyens et travailleurs compétents. Cet ajustement se pense en termes d’équité, et non d’égalité à la française. Dans ce sens, et avec raison, Alix insiste sur la nécessaire prudence à vouloir voir dans l’éducation progressiste une solution immédiatement transposable aux besoins de réformes scolaires françaises.
Il s’agit donc d’un apport essentiel et incontournable pour les étudiants et les chercheurs intéressés par l’histoire de l’éducation en Amérique du Nord. Enfin, sans le savoir, l’étude d’Alix dévoile aussi les rhizomes philosophiques et historiques nord-américains des réformes contemporaines de l’éducation au Québec.