Résumés
Résumé
Les dimensions contextuelles et culturelles sous-jacentes au processus d’apprentissage transformateur ont été peu explorées à ce jour, mais suscitent l’intérêt d’un nombre croissant de chercheurs. Cet article propose d’examiner comment ces dimensions interviennent au cours d’un tel apprentissage, notamment lorsque survient un dilemme perturbateur. L’analyse qualitative des récits d’expérience d’une Canadienne effectuant un séjour de coopération sur le continent africain a permis de mettre en évidence les dilemmes perturbateurs qu’elle a rencontrés et qui relèvent de la dimension culturelle de l’apprentissage, le rôle de ses cadres de référence antérieurs sur l’expérience vécue, de même que le processus d’apprentissage transformateur qui en a résulté.
Mots-clés :
- Apprentissage transformateur,
- contexte d’apprentissage,
- culture,
- sensibilité interculturelle,
- récit d’expérience
Abstract
The underlying contextual and cultural dimensions of the transformative learning process have been little explored to this day, but interest a growing number of researchers. This article offers an examination of how these dimensions intervene during such a learning experience, especially when a disorienting dilemma takes place. The qualitative analysis of the experiential narratives of a Canadian woman having undertaken a humanitarian endeavor on the African continent brought to light the disorienting dilemmas she encountered and that depend on the cultural dimension of learning, the role of her preexisting frames of reference with regards to the lived experience, as well as the transformative learning process that followed.
Keywords:
- Transformative learning,
- Learning context,
- Culture,
- Intercultural Sensitivity,
- Experience story
Resumen
Las dimensiones contextuales y culturales subyacentes al proceso de aprendizaje transformador han sido hasta ahora poco exploradas, pero despiertan cada vez más el interés de investigadores. Este artículo examina cómo estas dimensiones intervienen durante este tipo de aprendizaje, en particular cuando surge un dilema perturbador. El análisis cualitativo de los relatos de experiencia de una Canadiense realizando una estancia de cooperación en el continente africano permitió destacar los dilemas perturbadores encontrados y que remiten a la dimensión cultural del aprendizaje, el papel de sus marcos de referencia anteriores sobre la experiencia vivida así como el proceso de aprendizaje transformador que resultó de su experiencia.
Palabras clave:
- aprendizaje transformador,
- contexto de aprendizaje,
- cultura,
- sensibilidad intercultural,
- relato de experiencia
Corps de l’article
1. Introduction et problématique
L’apprentissage chez l’adulte revêt plusieurs formes, dont certaines opèrent de façon aussi directe que la mémorisation de faits et le développement de nouvelles compétences, alors que d’autres se présentent sous des formes plus complexes, comme c’est le cas de la transformation des points de vue ou de la personnalité de l’individu (Merriam et Ntseane 2008, p. 183). Ce constat appuie les propos de Mezirow (2000), selon lesquels l’apprentissage se produit en fonction de l’une ou l’autre des quatre opérations suivantes : 1) par l’élaboration de construits existants ; 2) par l’acquisition de nouveaux construits ou par l’expérience transformative ; 3) par la transformation des points de vue de la personne ; 4) par la transformation des façons dont elle construit ceux-ci. Ce processus de transformation fait référence à la théorie de l’apprentissage transformateur, c’est-à-dire à une forme d’apprentissage au cours duquel la personne donne un sens personnel à sa propre expérience ; il renvoie au processus par lequel cette dernière transforme les cadres de référence qu’elle a construits au cours de sa vie dans le but de les rendre plus inclusifs, plus judicieux, plus ouverts, émotionnellement plus aptes au changement et plus ancrés dans la pensée réflexive, afin qu’ils puissent générer des croyances et des opinions qui guideront ses actions futures de façon plus appropriée. En somme, le processus transformateur dont il est ici question porte d’abord et avant tout sur la façon dont la personne réfléchit et agit en regard des dilemmes qu’elle rencontre et sur la manière dont elle exerce sa pensée critique à propos des cadres de référence qui lui ont été transmis par sa culture autant que par son environnement.
L’expérience vécue, la réflexion critique et les relations interpersonnelles qui, d’après Taylor (2007), constituent les composantes essentielles du processus transformateur, favorisent le dialogue réflexif. Celui-ci s’opère par la compréhension et la validation des construits qui ont permis l’élaboration d’une croyance ou d’une opinion. Il requiert l’évaluation critique des raisons et des arguments sur lesquels ces croyances et ces opinions sont fondées. Pour Mezirow (2000), l’apprentissage transformateur et le discours réflexif exigent de la part de l’individu une certaine maturité cognitive de même que la capacité de réfléchir avec rationalité. L’auteur reconnaît cependant que cette théorie, créée par et pour des formateurs d’adultes, s’est développée dans le contexte très particulier des sociétés démocratiques d’Amérique du Nord et de l’ouest de l’Europe. Même s’il est d’avis que le dialogue réflexif constitue un outil puissant du processus transformateur, Mezirow admet que la transformation des cadres de référence peut tout de même survenir en son absence, particulièrement dans les cultures ou les sociétés à l’intérieur desquelles la pensée critique n’est pas encouragée. L’apprentissage transformateur a été conçu, à son origine, comme un processus essentiellement cognitif, négligeant les dimensions contextuelles (culturelle, historique et sociale) de l’apprentissage. L’examen de huit études (Lyon, 2002) mettant en relation les processus d’apprentissage transformateur et d’adaptation interculturelle a pourtant mis en évidence l’émergence de dilemmes perturbateurs lors des premières étapes de l’expérience d’adultes confrontés à une nouvelle culture, de même que l’importance des relations interpersonnelles pour soutenir le processus transformateur de ces derniers. Dans une recension des écrits, Taylor (2007) souligne, quant à lui, le peu d’intérêt accordé au rôle de la culture dans les recherches portant sur le processus de transformation.
Notre projet s’est donc développé autour de la question suivante : Comment les dimensions associées au contexte, en général, et à la culture, en particulier, interviennent-elles dans l’expérience transformatrice ? Cet article, en rapportant l’expérience transformatrice vécue par une enseignante d’origine canadienne lors d’un séjour au Botswana, vise à contribuer au développement des connaissances qui concernent le rôle des dimensions contextuelles, particulièrement celles relevant de la culture, dans le processus d’apprentissage transformateur.
2. Contexte théorique
Conformément à la théorie constructiviste de laquelle il est issu, l’apprentissage transformateur allègue qu’à l’âge adulte, la personne ressent la nécessité de comprendre et de donner un sens aux expériences qu’elle vit afin de les intégrer sous forme d’apprentissages. Pour que cette intégration s’effectue, l’individu se réfère aux traditions, aux autorités, aux croyances, aux valeurs et aux points de vue qui ont façonné le bagage de connaissances et d’expériences qu’il a cumulé au fil des ans. La rencontre harmonieuse entre les expériences nouvelles et anciennes permet la construction de nouveaux cadres de référence qui procureront le sens recherché.
2.1 Le dilemme perturbateur comme déclencheur du processus transformateur
Il arrive cependant que l’adulte soit soumis à des expériences qui bousculent et questionnent ses cadres de référence initiaux, menaçant son équilibre personnel. Celui-ci fait alors face à ce que Mezirow (2000) appelle un dilemme désorientant (disorienting dilemma), également traduit en français par l’expression dilemme perturbateur (Mezirow, 2001). Il s’agit du point de départ du processus de transformation et, en ce sens, il y joue un rôle déterminant ; c’est pourquoi il constituera le matériau de base de la collecte et de l’analyse des données de cette étude. L’importance du dilemme perturbateur dans la vie de l’individu, par exemple lors de perte d’un être cher, d’un divorce ou d’une maladie invalidante, aura une incidence certaine sur l’intensité de l’expérience transformatrice (Mezirow, 1981). Un tel dilemme peut survenir à la suite d’un évènement inattendu ou être provoqué par une série d’évènements. Dès lors, le processus transformateur s’actualise plus ou moins selon les dix étapes décrites par Mezirow (1995 : cité par Taylor, 2000, p. 8) lors d’une recherche qu’il a menée auprès de 83 femmes vivant un retour aux études après une longue absence :
Un dilemme perturbateur survient.
La personne prend conscience de son inconfort en regard de ce dilemme (sentiments de culpabilité, de honte, etc.).
Elle procède à l’évaluation critique de ses croyances, valeurs, présupposés.
Elle reconnaît que le processus qui s’opère en elle a également été vécu par d’autres individus.
Elle explore les possibilités de nouvelles postures, relations et actions.
Elle élabore un plan d’action.
Elle acquiert les connaissances et les habiletés lui permettant l’implantation de son plan d’action.
Elle expérimente de nouvelles postures, relations et actions.
Elle développe sa compétence et sa confiance en lien avec ces nouvelles postures, relations et actions.
Elle se réapproprie sa propre vie en fonction des nouvelles perspectives construites.
Une recherche effectuée auprès de 12 adultes nés et vivant au Botswana ayant expérimenté un dilemme perturbateur de grande intensité au cours de leur vie a mis en lumière le rôle primordial de la culture dans le processus transformateur (Merriam et Ntseane, 2008). Si les incidents relatés par les participants étaient sensiblement les mêmes que ceux qui auraient pu être évoqués par des adultes vivant n’importe où dans le monde (décès d’un enfant, situation d’abus, amour déçu, etc.), les significations accordées à ces expériences ont témoigné d’une très forte spiritualité, de valeurs communautaires et relationnelles, de même que de conceptions des rôles féminins et masculins fortement ancrés dans la culture et les traditions sud-africaines. Les chercheurs en ont ainsi conclu que l’apprentissage transformateur consistait en une expérience individuelle, contextualisée par l’interprétation qu’en effectue la personne de même que par les significations induites par l’environnement et la culture (p. 195). Merriam et Ntseane (2008) affirment que leur recherche a en outre montré comment la culture influençait le choix des valeurs, des croyances, des conceptions ou des idéaux examinés par l’individu et, du même coup, les nouveaux comportements et perspectives qui découlent de l’apprentissage transformateur.
La recherche ethnographique de Lyon (2001) a porté sur l’expérience transformative vécue par 13 Américaines ayant séjourné au moins six mois à l’étranger afin d’y occuper des fonctions professionnelles. Les résultats ont permis de constater que le processus d’apprentissage transformateur avait commencé avant leur départ, qu’il s’était poursuivi pendant leur séjour et même après leur retour au pays. La négociation, par les participantes, de leurs relations personnelles et professionnelles lors du séjour outre-mer a contribué à leur transformation et la majorité d’entre elles ont également incorporé à leur identité personnelle des caractéristiques culturelles propres au pays hôte. Les sept étudiantes internationales qui ont participé à la recherche phénoménologique d’Erichsen (2011) ont, quant à elles, vécu une expérience transformatrice en se réinventant à travers un nouveau contexte, celui de la vie aux États-Unis, afin d’assurer le développement d’une identité mieux adaptée à leur séjour dans le pays d’adoption. Un processus constant de négociation et de renégociation de leur compréhension du monde et d’elles-mêmes, de plus en plus ancré dans la réflexivité au fil du temps et des évènements, a par ailleurs été expérimenté par les participantes.
L’étude de Ritz (2010) auprès d’une douzaine d’étudiants internationaux essentiellement originaires d’Asie et nouvellement inscrits dans un programme universitaire aux États-Unis visait, pour sa part, à comprendre comment ceux-ci arrivaient à surmonter les difficultés d’adaptation à la culture américaine qu’ils avaient rencontrées. Les participants ont tous été en mesure d’identifier les dilemmes perturbateurs de plus ou moins grande intensité associés au choc des cultures, aux enjeux scolaires et à l’isolement social auxquels ils ont fait face. Ils ne leur a cependant pas été possible, lors des entrevues de recherche, de recourir au processus de pensée critique favorisant la transformation. Ritz (2010) suggère à cet effet que les faibles compétences linguistiques des participants en langue anglaise ont posé un obstacle de taille à la construction du sens relativement aux expériences vécues, limitant ainsi la portée du dialogue réflexif. La perspective de retourner éventuellement dans leur pays d’origine constituait un autre facteur pouvant également expliquer la résistance de certains étudiants à s’engager volontairement dans un processus transformateur. Ritz (2010) évoque cependant la possibilité que le processus réflexif puisse s’enclencher après le retour au bercail de ces étudiants. À cet effet, Mezirow (1981) rappelle que la réflexivité critique, mais plus encore, la conscience qu’a l’individu de son aptitude à exercer un tel processus de pensée, constituent des caractéristiques propres à l’adulte et s’actualisent à travers l’apprentissage transformateur. Si l’auteur reconnaît que ce processus peut être absent de l’expérience transformatrice, il demeure cependant convaincu que la réflexivité critique apporte richesse et profondeur à ce processus.
2.2 Ce que l’on entend par contexte et culture
La présente recherche s’est intéressée à l’influence des dimensions associées au contexte, en général, et à la culture, en particulier, sur l’expérience transformatrice. Par contexte, nous entendons ici les éléments, les conditions, les circonstances ou l’environnement à partir ou à l’intérieur desquels l’expérience d’apprentissage a lieu. La notion de contexte est vaste et, dans le cadre de notre recherche, peut s’appliquer à de nombreuses situations telles que, pour ne citer que ces exemples, le lieu physique au sein duquel l’apprentissage survient, les individus, de même que les relations interpersonnelles qui y sont associées ainsi que les connaissances et les expériences antérieures de la personne.
Nous nous sommes cependant intéressées de façon plus particulière à la dimension culturelle du contexte d’apprentissage. Selon l’UNESCO (2001) :
[…] la culture doit être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et […] elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.
C’est donc sur la rencontre des cultures, celle ayant permis la construction identitaire de la participante-collaboratrice à notre étude comme celle des individus, des groupes et des peuples qui ont croisé sa route au cours de son expérience d’apprentissage, que s’est posé notre regard.
2.3 Une approche développementale de la sensibilité interculturelle : de l’ethnocentrisme à l’ethnorelativisme
Les cadres de référence de la participante-collaboratrice en regard des concepts d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme ont également été examinés. L’ethnocentrisme repose sur cette tendance, naturelle à l’être humain, de privilégier les normes et les valeurs du groupe ethnique auquel il appartient. Plus les filtres culturels à travers lesquels les membres d’un groupe examinent les individus appartenant à une culture différente de la sienne sont marqués, plus l’ethnocentrisme est prononcé (Lévi-Strauss, 2001). L’ethnorelativisme, pour sa part, se manifeste par une dynamique inverse, puisqu’il s’agit d’une tendance à l’acceptation de l’autre culture de même qu’à son intégration à celle-ci, sans pour autant abandonner ses propres croyances et valeurs culturelles (German, 2009). Les travaux de Bennett (1986) sont à l’origine de l’élaboration d’un processus développemental de la sensibilité interculturelle durant lequel l’individu peut éventuellement passer de l’ethnocentrisme (étapes 1 à 3) à l’ethnorelativisme (étapes 4 à 6) :
Ce processus comporte les étapes suivantes :
Déni : la personne ne croit pas aux différences culturelles, elle est convaincue de la valeur et de la pertinence de ses propres croyances et impose son système de valeurs aux autres. Les personnes manifestant un ethnocentrisme de ce niveau ont habituellement eu peu de contacts avec des membres d’autres cultures au cours de leur vie. Les pratiques d’extinction par génocide des peuples jugés comme ayant peu de valeur au plan humain représentent des cas extrêmes de déni ethnocentrique.
Défense : à ce niveau, la personne croit que les différences culturelles existent et considère celles-ci comme une menace à sa propre identité culturelle. Elle préfère éviter les contacts avec les individus appartenant à une culture différente, qu’elle perçoit négativement. Le dénigrement et les stéréotypes négatifs à propos de la race, de la religion, de l’âge, du genre, etc. constituent des manifestations propres à ce niveau. L’idée de la supériorité d’une race par rapport à une autre, par exemple, relève d’une forme accentuée de défense ethnocentrique.
Minimisation : parce qu’elle se sent, à ce niveau, relativement menacée par les autres cultures, la personne minimise l’importance des différences qu’elle observe ; elle les considère comme négligeables, elle croit que tous les individus partagent plus ou moins les mêmes valeurs fondamentales et que celles-ci suffisent à l’efficience des relations interculturelles. La croyance en une forme d’universalité transcendante qui prône la ressemblance entre tous les êtres humains consiste en une conception déterminante de la minimisation ethnocentrique.
Acceptation : la personne reconnaît et respecte les différences culturelles et elle est en mesure de réfléchir et d’agir en fonction de son acceptation de ces différences ; il s’agit d’un niveau essentiellement réflexif. Il peut arriver qu’elle les considère comme difficiles à comprendre ou à accepter, mais elle ne se sent pas menacée par celles-ci et ne les juge ni bonnes ni mauvaises. La personne qui adopte des postures de tolérance et d’acceptation envers des comportements et des valeurs culturellement différents manifeste une attitude typique de l’acceptation ethnorelativiste.
Adaptation : l’individu, à ce niveau caractérisé par l’action, ressent envers les personnes différentes ou issues d’autres cultures de l’empathie, soit une capacité de se mettre à la place d’autrui afin de comprendre la réalité en fonction de l’univers particulier de celui-ci. Il peut éventuellement développer une identité pluriculturelle, c’est-à-dire adopter des points de vue propres à deux ou à plusieurs cultures distinctes. L’aptitude de l’individu à agir en dehors de sa culture d’origine représente une forme exemplaire d’adaptation ethnorelativiste.
Intégration : à ce dernier stade, la personne conçoit les différences culturelles de façon positive. Non seulement accepte-t-elle ces différences, mais elle est prête et apte à modifier ses propres comportements afin de se les approprier, sans pour autant abandonner ses croyances et ses valeurs initiales. Cette étape se distingue par une appropriation ressentie et intériorisée de la culture d’adoption ; le point culminant de l’intégration ethnorelativiste survient lorsque l’individu ressent les différences comme des dimensions à la fois essentielles et agréables de sa vie.
Cette capacité de la personne à transformer ses cadres de référence initiaux afin de cheminer à l’intérieur d’un contexte culturel différent de celui duquel elle est issue relève d’un haut niveau de sensibilité interculturelle ; or, le développement de cette compétence constitue, selon Taylor (1994), un apprentissage transformateur.
Le processus d’apprentissage transformateur s’opérationnalise à partir d’un dilemme perturbateur ayant pour conséquences de bousculer et de questionner les cadres de référence de l’apprenant adulte et incitant ce dernier à la réflexion critique. Le contexte à l’intérieur duquel a lieu l’apprentissage de même que les dimensions culturelles qui ont façonné les croyances, les valeurs et les présupposés de la personne interviennent dans ce processus. Les concepts d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme offrent, pour leur part, un éclairage pertinent à propos des étapes par lesquelles les postures interculturelles de la personne évoluent. Dès lors, les objectifs spécifiques qui ont balisé la collecte comme l’analyse des données de cette recherche sont les suivants : 1) identifier et décrire un (ou des) dilemme(s) perturbateur(s) significatif(s), relevant de la dimension culturelle, ayant marqué l’expérience d’apprentissage de la participante-collaboratrice, 2) mettre en évidence les cadres de référence de la participante-collaboratrice en matière d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme et le rôle de ceux-ci dans l’expérience vécue et 3) modéliser le processus d’apprentissage transformateur vécu par la participante-collaboratrice à partir d’un dilemme perturbateur significatif.
2.4 La recherche narrative au service de l’apprentissage transformateur
La recherche narrative en tant qu’approche méthodologique et l’utilisation du récit d’expérience comme outil de collecte des données offrent des supports fort à-propos pour toute recherche qui a comme cadre l’apprentissage par transformation (Brooks et Clark, 2001 ; Cox, 2009 ; Taylor, 2008). Ce dispositif méthodologique, en incitant les participants à raconter et à se raconter lors de leurs échanges avec le chercheur, favorise le recours à la pensée critique et au dialogue réflexif prépondérants dans le processus transformateur (Wihak, 2006). Il offre également une place de premier plan aux participants qui deviennent des collaborateurs de la recherche par l’intensité de l’engagement qu’il requiert de la part de ceux-ci (Clandinin et Connelly, 2000). La recherche narrative permet aussi l’actualisation des principes sur lesquels se fondent les méthodes qualitatives (Chase, 2003) : 1) la compréhension en profondeur d’un phénomène (Baribeau, 2011) ; 2) la construction de sens à travers les relations qui prennent place entre chercheurs et participants (Savoie-Zajc, 2011) et 3) le besoin de contribuer au développement d’une théorie (Strauss et Corbin, 2004), soit celle de l’apprentissage transformateur, dans le cas qui nous occupe.
3. Méthodologie
Les adultes apprennent à travers les expériences qu’ils vivent ; c’est la position sur laquelle s’est fondée notre étude et pour cette raison, l’approche narrative, opérationnalisée par le récit d’expérience, y a été privilégiée. Creswell (2007, p. 214- 215) évoque sept critères à prendre en compte pour la conduite d’une recherche narrative. En premier lieu, la recherche doit porter sur un seul participant (ou sur deux ou trois participants, au maximum) ; elle doit recueillir des récits mettant au jour des évènements ou des expériences significatives tirées de la vie du participant et s’articuler à partir d’une chronologie associée aux différents éléments ponctuant son récit ; elle doit en outre être présentée sous la forme d’un récit tiré de la réécriture du récit initial du participant (processus de restorying) ; elle doit raconter une « histoire » convaincante, rédigée selon un style narratif et peut mettre en lumière des thèmes, issus du récit, qui portent vers une analyse plus large. Finalement, elle doit prendre en compte le processus réflexif expérimenté par le chercheur. L’étude qui sera présentée subséquemment a respecté rigoureusement l’ensemble de ces critères.
3.1 Amanda, participante-collaboratrice
Cette recherche a été réalisée grâce à l’engagement entier d’Amanda, qui a donné le rythme et la direction à cette recherche au fil des expériences qu’elle a vécues ainsi que des réflexions qu’elles ont suscitées et qui ont ponctué ses récits. En conséquence, son rôle sera désigné sous le vocable de participante-collaboratrice.
Au moment de la préparation de son séjour en Afrique, Amanda vivait en Ontario, où elle a grandi et effectué la majorité de ses études. Passionnée par les enfants comme par la langue française, elle est parvenue à réunir ses deux principaux champs d’intérêt à l’intérieur de son projet professionnel en devenant enseignante de français langue seconde auprès des élèves du cycle intermédiaire. Elle est mariée à Nick, qu’elle a rencontré lors de son adolescence ; aujourd’hui dans la jeune trentaine, ils manifestent tous les deux un intérêt marqué pour les activités sportives et de plein air de même que pour les voyages, au Canada comme à l’étranger. L’écriture et la photographie constituent en outre des activités qu’Amanda affectionne particulièrement. Elle accorde également une grande valeur à son autonomie et à son indépendance ; Nick étant depuis longtemps passablement occupé par ses études puis par son travail de médecin, Amanda a rapidement appris à mener ses propres activités et à gérer son horaire personnel. Au moment où s’est effectuée la recherche, elle était également étudiante à temps partiel au programme francophone de maîtrise en éducation de l’Université d’Ottawa.
Amanda et Nick souhaitaient effectuer un séjour de quelques mois dans un pays africain dans le but de vivre une expérience de coopération. Après avoir contacté de nombreux organismes, l’occasion leur a finalement été offerte d’apporter leur contribution dans leurs domaines d’expertise respectifs : pour Nick dans un hôpital de Gaborone, la capitale du Botswana, et pour Amanda, à environ 40 km de Gaborone, dans une organisation non gouvernementale (ONG) ayant entre autres pour mission de soutenir l’apprentissage d’adolescents orphelins ou vulnérables. Puisqu’Amanda souhaitait réinvestir son expérience au-delà des limites temporelles et géographiques de celle-ci, Claire, la chercheure principale, lui a proposé l’idée d’en faire un projet de recherche.
3.2 Le récit d’expérience en tant qu’instrument de collecte de données
Clark et Rossiter (2008) postulent que l’on apprend à partir des récits : ceux que l’on entend, ceux que l’on raconte comme ceux que l’on reconnaît, c’est-à-dire à travers nos expériences. Selon les auteurs, le récit d’expérience constitue un processus constructiviste qui permet de façonner le sens du Soi, l’identité de l’individu. Lorsque le récit personnel construit n’offre plus de cohérence ou ne permet plus de donner un sens à l’expérience vécue ou en cours, il doit être changé, le processus de réécriture du récit constituant alors un apprentissage transformateur.
Plusieurs des questions et des thèmes de réflexion qui ont été proposés à la participante-collaboratrice lors de la collecte de données ont été déterminés au préalable à partir de la question et du cadre conceptuel de la recherche (exemple : Je te soumets lesdéfinitions des niveaux d’ethnocentrisme/ethnorelativisme ; j’aimerais que tu me dises laquelle de ces définitions exprime le mieux ce que tu ressens véritablement et que tu expliques pourquoi, en illustrant de quelques exemples, si tu en as). D’autres ont cependant été suscités par les récits d’Amanda ou en fonction des différents événements qui ponctuaient son séjour (exemple : Il me semblerait intéressant que tu poursuives tes réflexions sur les sujets qui provoquent chez toi de l’insécurité et ta façon d’y réagir, de trouver des solutions. Par exemple, la suite de tes réflexions à propos du « dilemme du combi » me semble tout à fait pertinente à raconter). Puisque les dilemmes perturbateurs sont à l’origine du déclenchement du processus d’apprentissage transformateur (Mezirow, 1995 : cité dans Taylor, 2000), une attention particulière leur a été accordée lors de la collecte et de l’analyse des données.
3.3 La collecte de données : dispositif, espace et temps
Il a été convenu entre Claire et Amanda que les données seraient recueillies au moyen de textes rédigés par la participante-collaboratrice et que ceux-ci seraient acheminés par Internet. Amanda a alors souhaité offrir un espace formel à la recherche en créant, avant son départ, un blogue exclusivement réservé aux échanges qu’elle aurait avec Claire. Ainsi, il a été entendu que périodiquement, tout au long de son séjour à l’étranger, Claire soumettrait à Amanda, à un rythme hebdomadaire ou bihebdomadaire, des questions ou des thèmes de réflexion portant sur l’expérience vécue, en lien avec la question de recherche qui était alors connue de cette dernière. La collecte de données s’est amorcée quelques semaines avant l’arrivée d’Amanda au Botswana, en août 2011, et s’est achevée quelques jours avant son retour au Canada, en novembre, 16 semaines plus tard. Une dernière contribution d’Amanda a été recueillie quatre mois après son retour, Claire souhaitant permettre à Amanda d’objectiver ses nouvelles postures en regard de son expérience transformatrice. En tout temps, Amanda était libre d’écrire des récits selon sa propre initiative, ce qu’elle a fait à deux ou trois occasions. Elle s’est avérée être une collaboratrice pleinement engagée dans la recherche en y contribuant avec promptitude et assiduité jusqu’à la fin.
3.4 Processus d’analyse des données
En recherche narrative, le processus d’analyse s’articule autour des trois dimensions évoquées par Clandinin (2006) ; une première dimension relevant des relations personnelles et sociales (incluant les interactions entre chercheur et participants), une dimension d’ordre temporel (selon une continuité passé- présent-futur) et une dernière dimension d’ordre spatial (en fonction du lieu, du milieu ou du contexte de la recherche). Ces trois dimensions ont joué un rôle primordial au cours de notre projet, autant par les relations qu’Amanda a établies avec les différents acteurs qui ont peuplé son expérience que du fait que celle-ci s’étende sur quatre mois et prenne place dans le contexte très particulier d’un séjour de coopération dans un pays sud-africain.
Les procédures d’analyse déployées au cours de cette recherche tiennent également compte des six étapes décrites par Creswell (2007, p. 157-158), soit 1) traitement des données : les données recueillies sous forme de récits d’expérience ont été colligées sur la plateforme web créée à cette fin puis imprimées sur support papier afin d’en faciliter l’examen ; 2) lecture, rédaction de mémos : les récits ont été lus à plusieurs reprises afin d’en relever les éléments essentiels, d’en extraire les significations ; des notes de type « mémos » ont été rédigées ; 3) description : par la suite, les expériences ou les « histoires » ont été décrites et placées en ordre chronologique ; 4) classification : les « histoires » et leurs contextes ont été identifiés alors que les « épiphanies », c’est-à-dire les expériences marquantes faisant office de moments décisifs dans la vie de la participante (Denzin, 2001), ont été mises en évidence ; 5) interprétation : à ce stade, la ligne narrative, dans son ensemble, a été interprétée et 6) représentation, visualisation : les processus en cours, les théories associées de même que les particularités des expériences vécues ont été présentés, réécrits et illustrés.
3.5 Considérations éthiques
Les procédures associées à la dimension éthique de cette recherche ont été choisies en regard du caractère herméneutique de l’étude, c’est-à-dire en raison de l’implication pleine et entière des deux collaboratrices au projet. Celles-ci ont donc convenu, dès le commencement, que le projet aurait l’envergure et la profondeur qu’Amanda, en tant qu’actrice principale, voudrait bien lui donner ; dès lors toutes les décisions ponctuant les différentes étapes de la collecte des données, de leur analyse ainsi que de la diffusion des résultats ont été prises en regard des souhaits et des limites exprimés par celle-ci. Amanda a par ailleurs autorisé le dévoilement de son identité en tant que co-auteure, collaboratrice et surtout participante à la recherche. De concert avec Claire, la chercheure principale, elle a révisé tous les textes soumis pour publication de même que les documents utilisés lors des présentations, puis en a autorisé la diffusion.
Les noms des autres acteurs de la recherche, de même que celui du Centre d’apprentissage pour lequel la participante-collaboratrice a oeuvré bénévolement au cours de son séjour en Afrique, ont cependant été tenus confidentiels. Le prénom du conjoint d’Amanda, pour sa part, a été remplacé par un pseudonyme.
4. Résultats
Dans cette section, les récits d’Amanda seront présentés en fonction de l’ordre chronologique selon lequel ils ont été rédigés. Les expériences qui ont marqué la participante-collaboratrice, principalement illustrées par les dilemmes perturbateurs vécus de même que par les réflexions qu’ils ont suscitées, seront en outre interprétées et soumises au processus de réécriture à partir d’extraits de récits d’Amanda mis en relation avec les éléments du cadre théorique.
4.1 Perte de contrôle et premiers dilemmes perturbateurs (semaine 1)
Amanda s’était longuement préparée en prévision de son séjour au Botswana ; aussi ses premières impressions à propos du climat, de la faune et de la flore ne lui ont-elles réservé que peu de surprises. La question de la sécurité s’est cependant rapidement révélée préoccupante et l’est demeurée tout au long de son séjour ; elle a en outre suscité un premier dilemme perturbateur qu’Amanda a intitulé le dilemme de l’iPhone. La participante-collaboratrice savait qu’il était déconseillé de se montrer en public avec un téléphone ou un ordinateur portables, ceux-ci étant très convoités par les chapardeurs de la capitale botswanaise. Amanda comptait utiliser son iPhone pour prendre des photos, de même que pour profiter des autres fonctions de celui-ci comme le calendrier, la calculatrice, etc. Cette mesure de sécurité imprévue s’est avérée à la fois frustrante et stressante pour la voyageuse :
Je pensais qu’on serait libres de prendre des photos quand on voudrait. […] Ce n’est pas l’utilisation de l’iPhone qui est tellement importante. C’est la liberté de pouvoir communiquer, prendre des photos et me divertir quand je veux et de la manière que je veux. […] je me sens comme si ma liberté était plus restreinte ici. Étant un individu qui aime son indépendance et être en contrôle de ses actions et de ses décisions, je n’aime pas ces « nouveaux règlements ».
Un séjour en pays étranger présente de nombreuses occasions de ruptures avec les habitudes acquises, celles associées aux modes de pensée aussi bien qu’aux modes d’action, et limite par le fait même le contrôle que l’on peut exercer sur les évènements qui surviennent. Amanda offre ici un autre exemple de situation lors de laquelle un dilemme perturbateur a provoqué cette sensation de perte de contrôle :
Hier, Nick avait besoin d’apporter des documents supplémentaires à un bureau de santé. On a dû attendre deux heures dans une salle d’attente pour apprendre que ses papiers étaient acceptés. Cependant, pendant ces deux heures, les dames qui travaillaient semblaient n’avoir absolument rien à faire. Elles marchaient d’une porte à l’autre avec des dossiers. […] Finalement, l’une des femmes a invité Nick pour parler avec elle. Tous les documents étaient acceptés et il fallait simplement payer les frais. Mais le bureau fermait à 15h30 et il était déjà 16h. Alors il faudra que Nick retourne au bureau encore une fois pour payer. […] Je trouve cette sorte de système inefficace et très frustrante. Nick était censé assister à une présentation sur le sida à l’hôpital à 15h30, mais il l’a manquée. J’étais frustrée par la situation et je n’étais même pas impliquée directement.
Le retour à des activités quotidiennes similaires à celles qu’elle pratiquait à Ottawa a cependant procuré à Amanda le sentiment d’exercer à nouveau un certain contrôle sur le cours de sa vie, et a ainsi permis de diminuer l’anxiété ressentie lors des premiers jours. Une routine familière ponctuée des étapes de la journée auxquelles elle était accoutumée a rapidement été établie. L’intensité du sentiment de sécurité qui en a résulté a cependant fourni à la participante-collaboratrice l’occasion de prendre conscience de certaines de ses postures personnelles :
Je me sens beaucoup mieux maintenant que nous avons une routine ! […] J’apprécie les aspects assez familiers de notre séjour ici. Ceci me surprend un peu parce que je croyais que j’étais vraiment prête pour une nouvelle vie. Certes, il y a des différences, mais j’apprécie les éléments semblables à notre vie au Canada. Même la nourriture qu’on a achetée ressemble beaucoup à ce qu’on mange à Ottawa, mais on l’aime, alors pourquoi pas ! […]Finalement, en général, je suis quelqu’un qui n’aime pas trop l’inconnu et j’apprécie de savoir ce qui va arriver à l’avance. C’est tout à fait relié au besoin d’avoir le contrôle de ma vie.
Des traditions et des systèmes de croyance différents s’affrontent dans les exemples précédents et confirment les propos de Lévi-Strauss à propos de la tendance ethnocentrique fortement ancrée en chacun de nous qui, [lors d’] une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions (2001, p. 43). Le bouleversement des repères psychologiques et sociaux que constituent pour elle la sécurité, le temps et la routine a favorisé l’amorce d’un réexamen critique des cadres de référence d’Amanda, conformément à la 3e étape du processus d’apprentissage transformateur évoqué par Mezirow (1995).
4.2 De la différence des cultures (semaine 3)
Lors de la 3e semaine, la participante-collaboratrice a été invitée à se situer, en tenant compte des expériences vécues au cours des premières semaines de son séjour, en regard des niveaux de sensibilité interculturelle (Bennett, 1986) qui lui ont été présentés. Amanda a alors choisi le niveau 4, soit celui de l’acceptation ; elle a par la suite expliqué puis nuancé sa position :
Alors comme la définition l’indique, je comprends que des différences existent et je comprends de plus en plus pourquoi elles sont importantes pour les Botswanais. Par exemple, même si la famille, la communauté et la responsabilité envers son travail sont très importantes, il leur est difficile d’être à l’heure, car ce n’est pas une priorité pour eux. Mais oui, parfois et surtout au début de chaque « différence culturelle » que j’expérimente, j’ai de la difficulté à comprendre la différence et à l’accepter. Mais plus je suis exposée à la particularité culturelle, plus je l’accepte et plus je m’adapte. Par exemple, maintenant qu’on a eu plusieurs conducteurs de taxi qui sont venus en retard, je sais qu’on doit planifier en conséquence et les contacter vraiment à l’avance. En même temps, ceux qui arrivent le plus à l’heure sont ceux que je vais utiliser le plus (et je pense que peut-être, éventuellement, ils vont comprendre qu’être à l’heure est important pour certaines personnes). Alors d’un côté, je commence à accepter la différence, mais de l’autre côté, je veux croire qu’il y a une petite possibilité qu’ils apprennent à être à l’heure.
On note ici qu’Amanda chemine vers une adaptation de plus en plus grande aux différences culturelles (niveau 5), mais que l’acceptation de celles-ci (niveau 4) présente tout de même de grands défis, au point même d’espérer pouvoir influencer, par son attitude, le comportement d’autrui. La phase d’acceptation, qui constitue l’étape de transition entre l’ethnocentrisme et l’ethnorelativisme, se manifeste ici à la fois par des pas vers l’avant de la part d’Amanda (qui développe une plus grande compréhension de la différence de l’autre), mais aussi par quelques pas en arrière (lors de l’évocation du désir d’influencer le comportement de l’autre afin de le rendre plus acceptable à ses yeux). Il est tout de même possible de constater qu’à partir du moment où Amanda prend conscience de la distance qui existe entre sa culture et celle d’autrui, elle met en place les mécanismes de réflexion critique qui permettent de réduire cette distance et, conséquemment, de diminuer l’insécurité ressentie. La sensibilité interculturelle d’Amanda s’accroît ainsi au fil des expériences déstabilisantes vécues.
4.3 Quand prendre le combi se transforme en épiphanie (semaines 1 à 9)
La question du transport en commun, assuré par des fourgonnettes appelées combis, a constitué une préoccupation et une source d’anxiété majeures pour Amanda tout au long de son séjour. Déjà, lors de l’entretien initial que nous avions réalisé avant son départ, la participante-collaboratrice avait manifesté ses appréhensions quant à l’éventualité de devoir se déplacer en combi. Ayant été informée que le trajet pouvait durer plus d’une heure à l’aller comme au retour, Amanda avait alors déclaré : Je suis quelqu’un qui aime faire les choses et travailler de façon efficace. Je ne veux pas gaspiller mon temps. Plus encore que la contrainte liée au temps, sa sécurité personnelle la préoccupait alors considérablement : Le fait que je voyage toute seule. […] Voyager comme une femme, toute seule déjà… je ne connaîtrai pas le trajet beaucoup. J’ai lu que la façon dont ils peuvent être avec les femmes, ça peut être difficile.
Au cours des premières semaines de son séjour, Amanda a évité de prendre le combi en effectuant le trajet en voiture avec deux de ses collègues du Centre d’apprentissage. Cependant, puisque ces personnes étaient occasionnellement appelées à s’absenter ou à travailler sur d’autres sites, Amanda savait qu’elle devrait éventuellement se déplacer par ses propres moyens. Cette perspective lui a procuré un stress considérable :
Je suis une étrangère ici. Bien que beaucoup de Botswanais soient super gentils, il y en a d’autres qui cherchent à prendre avantage des étrangers (en demandant un tarif plus élevé). Je ne suis pas familière avec la région : le combi, le taxi ou l’autobus pourraient prendre une route différente et je ne m’en apercevrais pas. Je ne parle pas le setswana. Beaucoup de gens parlent l’anglais au moins un peu, mais la communication serait un défi. Si l’autobus est en panne, ou s’il y a un autre problème, ce serait difficile de communiquer avec les gens autour de moi. Je suis une femme et je suis petite. Je connais quelques techniques de défense, mais ce serait facile pour un conducteur de me conduire quelque part d’autre qu’au « Bus Rank » et de m’attaquer.
Amanda a envisagé de possibles solutions à ce problème, telles que demander à un employé du Centre de prendre le combi avec elle ou d’emprunter le combi le matin et de rentrer en voiture avec ses collègues en fin de journée, lorsque la nuit est tombée. Toutefois, l’éventualité de se déplacer de façon autonome comporte un autre risque dont elle prend alors conscience :
J’ai un peu peur que si je commence à utiliser l’autobus, il va falloir que je le prenne tous les jours. Plus personne ne voudra me conduire… Alors, d’une certaine façon, en demeurant têtue et prudente, je peux continuer à voyager en voiture. La question plus profonde c’est… jusqu’à quel point est-ce que je veux m’adapter au mode de vie d’ici ? Dans les 10 semaines qui restent, est-ce que j’ai besoin de m’intégrer plus à la société ?
Comme les participantes aux recherches de Lyon (2001) et d’Erichsen (2011), Amanda a vécu un processus constant de négociation et de renégociation entre ses présupposés de départ et ceux, mieux adaptés et plus inclusifs, nécessaires à son fonctionnement au Botswana. Quand elle questionne, à l’instar des participants à l’étude de Ritz (2010), le bien-fondé d’un changement d’attitude au regard de la durée de son séjour, Amanda manifeste le besoin de se protéger contre les dangers qu’elle associe à des pratiques culturelles qui lui sont étrangères, freinant ainsi son passage vers une attitude davantage ancrée dans l’ethnorelativisme. Partagée entre l’envie de dépendre des autres pour s’assurer un transport sans risque et celle de surmonter un grand défi et de devenir plus autonome, Amanda a poursuivi ses réflexions, mais elle a aussi posé des actions concrètes afin d’apprivoiser les nombreuses menaces qu’elle associait au combi. Ainsi, lors de la 5e semaine, elle écrivait :
À petits pas, je continue d’affronter ma peur du système de transport public ici au Botswana. Aujourd’hui, j’ai réussi à aller au Centre le matin et à rentrer à Gaborone le soir, mais encore une fois avec le soutien [de deux Botswanais employés au Centre]. Cependant, je me sens quand même fière et contente de comment les voyages se sont déroulés. […] Je me sens plus à l’aise avec l’idée du transport public en tant que deuxième choix au besoin. Ce sera peut-être moins une crise si [mes collègues] ne peuvent pas me conduire. L’aventure d’aujourd’hui était une petite réussite et j’ai gagné (un peu) plus de confiance en mes habiletés.
Au cours de la 9e semaine, Amanda a finalement été en mesure d’utiliser de façon autonome le combi et en a ressenti une grande fierté, dont elle témoigne dans cet extrait :
Je me sentais confiante. Je savais où aller, quoi faire, comment payer, où attendre. J’étais finalement assez au courant du « système ». Je crois qu’avant j’avais peur d’avoir l’air d’une étrangère, quelqu’un qui n’a aucune idée quoi faire, et ces personnes-là sont vulnérables. Mais après un certain temps (8 semaines) je me sentais plus « Botswanaise ». Je pouvais finalement marcher jusqu’à la station d’une façon déterminée. Je savais comment ignorer les gens qui essaient de vendre toutes sortes d’affaires, je savais comment dire « non » aux gens qui veulent que tu prennes leur camion au lieu du vrai autobus. Même avec ma peau blanche, je me sentais plus une citoyenne – quelqu’un qui vit ici depuis des mois, même des années.
Il était important pour Amanda de ne pas être perçue comme une simple touriste venant profiter de ce que son séjour en Afrique pouvait lui offrir. Le désir de contribuer à la société botswanaise par son travail bénévole constituait la raison principale de sa présence là-bas. Dès lors, être en mesure de se déplacer de façon autonome, certes, mais surtout comme une résidente de l’endroit, lui a donné le sentiment d’avoir atteint son objectif. En adoptant les gestes et les attitudes d’une vraie Botswanaise, Amanda a fait un pas de plus dans le développement de sa sensibilité interculturelle en s’adaptant (niveau 5) et ce cheminement vers un stade supérieur d’ethnorelativisme lui a procuré une grande fierté. Lorsque son comportement sera motivé par un réel sentiment d’empathie envers la culture d’adoption plutôt que par un souci de se conformer aux pratiques locales, le niveau d’adaptation sera alors pleinement atteint.
Puisque le dilemme du combi a constitué une véritable épiphanie pour Amanda, l’analyse de celui-ci fera l’objet d’une discussion plus approfondie plus loin dans cet article.
4.4 Apprentissages transformateurs (semaines 6 et 12 ; quatre mois après le retour)
À trois occasions, Amanda a été invitée à réfléchir aux apprentissages qu’elle prenait conscience d’effectuer au cours de son expérience au Botswana. Lors de sa 6e semaine de séjour, Amanda a identifié des domaines pour lesquels elle effectuait des progrès significatifs, tels que sa patience envers la lenteur bureaucratique ou ses interactions avec les Botswanais en empruntant quelques mots de leur langue. Cependant, et malgré ses efforts, la participante-collaboratrice considère toujours comme un défi de taille d’accepter la conception différente du temps des individus côtoyés : Je trouve que bien que je développe plus de patience, le temps reste très important pour moi. Au cours de la 12e semaine, les domaines d’apprentissage évoqués par Amanda portaient davantage sur autrui et sa culture ; une certaine distanciation par rapport à elle-même s’est opérée peu à peu et une attitude plus empathique s’est manifestée, témoignant de l’évolution du processus ethnorelativiste :
En général, je réfléchis beaucoup plus à la situation des Africains. […] Au début de mon voyage, j’étais trop préoccupée par mes besoins, ce que je devais apprendre ou obtenir […]. Maintenant, je suis plus préoccupée par les besoins des autres.
Selon Dirkx, Mezirow et Cranton, (2006), ce n’est toutefois pas pendant, mais plutôt après la période d’apprentissage que l’individu est en mesure de prendre pleinement conscience des transformations survenues. En outre, pour qu’un apprentissage soit véritablement considéré comme transformateur, il doit provoquer des changements durables ou permanents à l’intérieur des cadres de référence de la personne (Sterling, 2011). Quatre mois après son retour au Canada, Amanda a dès lors été invitée à faire le point sur les apprentissages transformateurs effectués, c’est-à-dire sur les changements provoqués par son expérience au Botswana, et lui apparaissant comme relativement durables. Il semble que les réflexions qui se sont amorcées lors de son séjour, particulièrement sur les plans social et environnemental, aient poursuivi leur évolution après son retour, se manifestant entre autres par le souci de soutenir le commerce équitable. Par ailleurs, la participante-collaboratrice souhaite prolonger son engagement social envers l’organisation non gouvernementale (ONG) pour laquelle est a travaillé bénévolement en sensibilisant les membres de son entourage à contribuer financièrement à la survie de l’organisme tout en apprenant à vivre plus simplement :
Quand je suis revenue, en fait, je voulais me débarrasser de mes affaires supplémentaires. J’étais aussi motivée par le fait qu’on allait déménager dans quelques mois, mais je me sentais aussi un peu gênée par l’excès dans notre vie. […] Pourquoi ne pas utiliser mon excès, l’excès de notre société nord-américaine, pour continuer à faire du bien en Afrique ? Alors au mois de juin, il y aura un vide-grenier [ou vente de garage] dans mon voisinage, où les participants pourront choisir de donner une partie de leurs profits à [l’organisation non gouvernementale]. Un comité d’enseignants de mon ancienne école est en train d’organiser un grand évènement communautaire qui va inclure un vide-grenier et peut-être une vente de plantes, une vente aux enchères silencieuses, etc. pour ramasser aussi des fonds pour [l’organisation non gouvernementale]. Ainsi, depuis mon retour, mes actions sont très motivées par un fort désir de simplifier la vie, de continuer à aider les autres et de contribuer de façon positive à la société.
Effectuer un séjour de coopération dans un pays africain était un projet qu’Amanda chérissait depuis un certain temps. Conséquemment, il est permis de penser que la conscience de la participante-collaboratrice était déjà, avant son départ, éveillée à l’importance, pour chaque individu, d’apporter sa contribution au mieux-être d’autrui. Il apparaît alors que les apprentissages relatés par Amanda à ce sujet s’apparentent davantage à un renforcement de ses cadres de référence d’origine qu’à une véritable transformation de ceux-ci. Sur un plan plus personnel, cependant, Amanda a pris conscience des défis associés à sa crainte de ne pas contrôler les évènements de sa vie :
Avant mon séjour au Botswana, j’étais certainement une de ces personnes qui s’inquiètent trop (et je le suis encore). […] J’essaie maintenant, de façon consciente, de moins me soucier de ce qui n’est pas important. Je questionne davantage mes sentiments : Pourquoi est-ce que ceci me dérange tellement ? Est-ce que c’est vraiment important ? Est-ce que ce souci mérite autant d’énergie ? Ce questionnement m’aide à avoir une attitude plus positive en général. Cependant, j’avoue que j’avance lentement avec cette transformation.
Les éléments relevant de son attitude lors des situations où elle se sent en perte de contrôle présentent pour leur part des défis importants en termes de transformation pour la participante-collaboratrice. Les référents culturels d’Amanda sont fortement ancrés en elle et forgent son identité ; la jeune femme, lors de son séjour en Afrique, a cependant pris conscience de la façon dont certains de ses cadres de référence ont freiné son adaptation et sa contribution à la société botswanaise ; les dilemmes perturbateurs qu’elle a rencontrés en témoignent avec éloquence. En accord avec les postulats de l’apprentissage transformateur, il est alors permis de penser que c’est par le processus de pensée réflexive critique qu’Amanda arrivera à surmonter les défis que lui pose la rencontre de contextes nouveaux et de cultures différentes.
5. Discussion des résultats
La recherche narrative comporte certaines limites dont l’une des plus importantes concerne le rôle du chercheur. Brooks et Clark (2001) considèrent que lors d’une telle recherche, le chercheur doit s’engager complètement tout en éprouvant des sentiments positifs pour les participants. Il doit également être en mesure de prendre le recul nécessaire afin de prendre conscience du récit de sa propre expérience à l’intérieur de la recherche, de celui des participants ainsi que du contexte plus large au sein duquel ils évoluent ensemble. Les auteurs qualifient la distance entre le chercheur et les participants d’élastique, parfois rapprochée et parfois éloignée. Dès lors, la gestion de cette distance par le chercheur est essentielle au déroulement optimal de la recherche.
Cette complexité des rapports entre la chercheure et la participante-collaboratrice a constitué une préoccupation tout au long du projet. Claire et Amanda se sont rencontrées dans le cadre d’une relation professeure-étudiante qui a commencé 11 mois avant que ne débute la recherche. Ce type de relation évoque un rapport hiérarchisé d’expert à novice, de mentor à mentoré. Consciente de cette réalité et dans le but d’en contrer les effets qui pouvaient être néfastes à la recherche, Claire a eu le souci, dès le début du projet, d’échanger avec Amanda à propos de leurs nouveaux rôles respectifs de chercheure et de participante-collaboratrice, de même que de la possibilité pour cette dernière, en tout temps, de communiquer ses préférences, ses appréhensions, ses besoins ou ses souhaits particuliers en regard du processus en cours.
La recherche narrative comporte en outre sensiblement les mêmes limites qui sont habituellement attribuées à la recherche qualitative : la taille restreinte de l’échantillon, la faible possibilité de généralisation des résultats ou le manque de rigueur relevé dans certaines études quant à l’application des procédures d’analyse et d’interprétation des résultats. Dès lors, afin d’assurer la rigueur méthodologique de cette recherche, une attention particulière a été portée au critère de crédibilité (Savoie-Zajc, 2011). En premier lieu, la triangulation indéfinie a été pratiquée ; au cours de ce processus, Amanda a effectivement été appelée à valider l’analyse et l’interprétation des résultats de la recherche. La triangulation théorique a pour sa part été assurée par la superposition, lors de l’analyse des données, de différents cadres de référence, tels que la théorie de l’apprentissage transformateur ainsi que les concepts de culture, d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme. Le critère de confirmation a été assuré par la description rigoureuse des procédures d’analyse des données. Enfin, le critère de rigueur relation- nelle d’équilibre a été assuré par la présence prolongée des deux partenaires sur le terrain et du souci de respecter la voix exprimée par la participante- collaboratrice.
Amanda a vécu une expérience d’apprentissage dans le contexte fort particulier d’un séjour de quatre mois dans un pays du sud de l’Afrique où elle a eu la possibilité d’oeuvrer bénévolement dans une organisation non gouvernementale. Les défis à relever au quotidien se sont avérés considérablement différents de ceux qu’elle rencontre habituellement au Canada. Les dimensions contextuelles et culturelles qui ont donné son cachet à son séjour à l’étranger ont eu, pour leur part, une incidence particulière sur les apprentissages réalisés.
Le dilemme du combi, qui a constitué une véritable épiphanie en raison de l’intensité de l’anxiété et des questionnements qu’il a provoqués chez la participante-collaboratrice durant plusieurs semaines (Mälkki, 2012), a pour sa part incité Amanda à jongler avec l’idée qu’il ne lui était pas possible de contrôler parfaitement toutes les situations rencontrées. Les extraits des récits d’Amanda mettent en évidence la majorité des étapes du processus d’apprentissage transformateur décrites par Mezirow (1995 : cité dans Taylor, 2000). Nous en avons produit une synthèse en cinq étapes opérationnelles illustrées par la figure 1 ; celle-ci souligne la prévalence des dimensions contextuelles (Dirkx, Mezirow et Cranton, 2006), émotionnelles (Dirkx, 2008), culturelles (Lyon, 2002 ; Merriam et Ntseane, 2008 ; Ritz, 2010), cognitives (Merriam, 2004 ; Mezirow, 2000) et expérientielles (Taylor, 2008), sous-jacentes aux étapes du processus d’apprentissage transformateur vécu par Amanda lors du dilemme du combi.
Comme cette figure l’illustre, les dimensions contextuelles (regroupant les personnes, les évènements, les lieux, etc.) jouent un rôle de premier plan dans l’expérience transformatrice, puisqu’elles se situent à la source de celui-ci. Le processus d’apprentissage dont il est ici question a été déclenché par un dilemme perturbateur issu du contexte spécifique à l’intérieur duquel la participante- collaboratrice évoluait. En effet, le combi botswanais, avec toutes ses particularités, constitue un moyen de transport typique de cette société sud-africaine. Dès lors, après avoir pris conscience, sur le plan émotionnel, du malaise ressenti à l’idée d’emprunter le combi de façon autonome, Amanda a effectué l’évaluation critique des valeurs, des croyances et des présupposés à la source de son sentiment d’inconfort, faisant ainsi intervenir les dimensions culturelles impliquées dans cet examen. Un processus intense de négociation et de renégociation de ses perspectives de départ a provoqué quelques allers-retours présentant des niveaux de difficulté variables entre les phases d’acceptation et d’adaptation à la nouvelle culture. Amanda s’est efforcée de surmonter les obstacles et menaces rencontrés au moyen de la réflexion critique, qui relève de la dimension cognitive. À la suite d’un processus réflexif mettant à contribution les notions d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme (Bennett, 1986), s’étalant sur plusieurs semaines et générant son lot d’anxiété, Amanda a envisagé diverses solutions à la problématique rencontrée. Au moyen des dimensions cognitives et expérientielles qui sont également nécessaires à ce type d’apprentissage, elle a procédé à l’élaboration et à l’expérimentation d’un plan d’action ; elle a par la suite évalué l’efficience des nouvelles postures, relations et actions qui en ont découlé. Lors d’une dernière étape au cours de laquelle toutes les dimensions de l’apprentissage ont été mises à contribution, le succès des démarches entreprises a permis à la participante-collaboratrice d’identifier les nouvelles compétences acquises et de rehausser son sentiment de confiance en ses capacités, confirmant ainsi les propos de Dirkx, Jessup Anger, Brender, Gwekwerere et Smith (2006) selon lesquels, si le processus d’adaptation culturelle favorise l’apprentissage d’une autre culture, il permet également l’apprentissage de soi à l’intérieur d’une autre culture. À partir du moment où les postures, les croyances et les valeurs d’Amanda, éléments constitutifs de sa culture, ont été remises en question puis modifiées de façon à s’harmoniser à la culture et au contexte inhérents à ses activités au Botswana, celle-ci s’est dès lors réapproprié sa vie en fonction des nouveaux cadres de référence qu’elle a construits, concluant ainsi le processus d’apprentissage transformateur. Un tel processus, cependant, prend du temps à s’opérer et la participante-collaboratrice a réalisé que pour être durable, cet apprentissage exigerait d’autres efforts de sa part.
Dans le cadre de la recherche actuelle, les concepts d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme se sont avérés tout à fait appropriés pour l’analyse de l’expérience transformatrice vécue par la participante-collaboratrice. Les deux cadres théoriques qui ont été superposés au cours de cette étude, soit les processus d’apprentissage transformateur de Mezirow (2000) et de développement de la sensibilité interculturelle de Bennett (1986) ont ainsi montré leur robustesse autant que leur compatibilité et leur complémentarité.
6. Conclusion
Cette recherche s’est intéressée à comprendre comment les dimensions associées au contexte, en général, et à la culture, en particulier, intervenaient dans l’expérience transformatrice d’une enseignante canadienne effectuant un séjour de coopération au Botswana. Les récits d’expérience de la participante-collaboratrice ont permis de mettre en évidence les dilemmes perturbateurs rencontrés au cours de son séjour et associés à la dimension culturelle de l’apprentissage. Le rôle joué par ses cadres de référence initiaux sur l’expérience vécue a été examiné à la lumière des concepts d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme ; le processus d’apprentissage transformateur qui a résulté de cette expérience a, pour sa part, été modélisé.
La théorie de l’apprentissage transformateur telle que l’a conçue Mezirow (2000) fait appel aux mécanismes cognitifs de pensée réflexive critique qui assurent la construction de nouvelles connaissances. Les composantes émotionnelles, qui ont été davantage soulignées dans les travaux de Boyd, de Dirkx ainsi que de Heany et Horton (cités par Dirkx, 1998), jouent quant à elles un rôle en ce qui concerne la connaissance de soi, l’insight et la créativité qui sont sous-jacents au processus d’apprentissage. Le contexte offre cependant sa « couleur » à celui-ci puisqu’il lui confère un cadre, un lieu, une époque et des acteurs particuliers. La culture, mise en lumière lors de cette étude au moyen du concept de sensibilité intercultuelle de Bennett (1986), intervient dans ce processus lors de la prise de conscience, de l’évaluation, de la confrontation et de l’ajustement des valeurs et des croyances qui sont nécessaires à la transformation des cadres de référence de la personne. En accord avec les conclusions de Merriam et Ntseane (2008), il appert que le contexte dans lequel se produit l’apprentissage et les référents culturels qui façonnent l’identité et qui donnent leurs caractéristiques particulières aux apprenants adultes constituent des dimensions peu explorées par la recherche portant sur l’apprentissage transformateur. Si notre étude nous a permis d’illustrer, à partir d’un dilemme perturbateur, comment le contexte et, particulièrement, la culture interviennent lors d’un tel apprentissage, l’état des connaissances sur ce sujet – notamment en ce qui a trait au rôle des référents culturels et à celui du processus de développement de la sensibilité interculturelle dans le processus de transformation – demeure embryonnaire et mérite que l’on y accorde une attention particulière lors de recherches ultérieures.
Parties annexes
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