Résumés
Résumé
En France, le recours aux manuels scolaires est prépondérant dans les établissements, mais aucun d’eux ne propose de se référer aux plans de travail. Si les plans de travail sollicitent la responsabilisation et l’autonomie des élèves, quels rapprochements avec les manuels contribueraient à densifier l’activité cognitive des élèves ? Cette étude consiste à proposer une analyse de contenu d’un corpus de 52 plans de travail issus de classes primaires, enrichie d’une quinzaine d’observations de situations pédagogiques et d’une trentaine d’entretiens d’enseignants. Le croisement de ces données permet de proposer plusieurs pistes pour une évolution des manuels scolaires vers une responsabilisation accrue des élèves.
Mots-clés :
- plan de travail,
- manuels scolaires,
- responsabilisation,
- autonomie,
- personnalisation
Abstract
In France, the use of textbooks in schools is preponderate but none of them propose the use of work plans. If work plans imply pupils’ higher empowerment and autonomy, which links with textbooks could contribute to increase pupils’ cognitive activity ? The present study aims to propose an analysis of the content of a 52 work plan corpus obtained from primary classes, enriched by approximately fifteen observations related to educational situations and by thirty teacher interviews. The complementarity of this data allows the proposal of several directions for the evolution of the textbooks towards increased pupil responsibility.
Keywords:
- work plan,
- text book,
- empowerment,
- autonomy,
- individualization
Resumen
En Francia, recurrir a los libros de texto es preponderante en las escuelas, pero ninguno de ellos hace referencia a los planes de trabajo. Si los planes de trabajo apelan a la responsabilización y a la autonomía de los alumnos, ¿qué relación se podría realizar con los libros de texto para que puedan contribuir a reforzar la actividad cognitiva de los alumnos ? Este estudio consiste en proponer un análisis de contenido de un corpus de 52 planes de trabajo de clases de primaria, enriquecido con unas quince observaciones de situaciones pedagógicas y de unas treinta entrevistas con docentes. La convergencia de estos datos permite proponer varias pistas para una evolución de los libros de texto hacia una mayor responsabilización de los alumnos.
Palabras clave:
- plan de trabajo,
- libros de texto,
- responsabilización,
- autonomía,
- personalización
Corps de l’article
Vous parvenez peu à peu à faire abandonner par les intéressés les deux sortes de mauvais livres dont il faut que nos écoles se défassent : d’une part, le livre vieilli, hérissé d’abstractions et de termes techniques, celui qui faisait de la grammaire un formulaire inextricable, de la géographie une nomenclature, de l’histoire un résumé sans vie et sans patriotisme, de la lecture même, de cette lecture courante qui devrait être l’âme de la classe, un insipide exercice mécanique ; et d’autre part, le livre trop commode, où le maître trouve sa leçon toute faite, questions et réponses, devoirs et exercices, le livre qui dispense le maître d’expliquer et l’élève de comprendre, en substituant à l’imprévu de la classe parlée et vivante les recettes de l’enseignement systématique.
Jules Ferry, Circulaire aux recteurs, 7 octobre 1879
1. Introduction
En pédagogie, l’outil plan de travail est historiquement issu du Plan Dalton, la première méthode de pédagogie différenciée créée vers 1910, aux États-Unis, par Helen Parkhurst (Gillig, 1999, p. 16). En France, c’est une innovation introduite par Célestin Freinet (Connac, 2009, p. 96). Utilisé à l’école de Vence, il avait la forme d’un document propre à chacun. Les élèves y notaient les activités à réaliser au cours de la semaine, puis grisaient ce qui avait été effectué. Cela permettait de dresser un double bilan : à partir de ce qui restait à terminer (et qui faisait généralement l’objet d’un report sur le plan de travail suivant) et en fonction de la forme que prenait le graphique présent en bas du plan de travail. Ce bilan était conjointement fait par l’élève et le maître. Le plan de travail était enfin envoyé dans les familles de manière à ce que les parents puissent le signer.
Le plan de travail peut donc être entendu comme un document adapté à chaque élève, sur lequel il planifie ses activités à partir de ce qu’il souhaite et peut réaliser et de ce qu’il a à acquérir et maîtriser au terme de son cycle. Il y note la réalisation des travaux, il évalue l’ensemble en fin de période de validité du plan afin d’élaborer le plan de travail à venir. L’enseignant valide le travail envisagé, le modifie si besoin, suit, accompagne et oriente la réalisation, participe à l’évaluation globale du travail. Si l’enseignant est sans cesse sollicité sur des problèmes très différents, il se sent très vite dépassé et a la tentation de revenir au cours magistral, plus facile à gérer (Barré, 2002, p. 20). Les pédagogues français, qui prônent ces formes d’apprentissages, ont toujours tenté de montrer comment le travail autonome, qu’ils préconisent, diffère du travail indépendant, qu’ils critiquent, tout en reconnaissant leur dette. Il s’agit pour eux, par là, de se dissocier de l’origine tayloriste américaine du travail indépendant (Houssaye, 2006). En même temps, il semble y avoir consensus sur le fait que l’autonomie est l’une des grandes valeurs à partir de laquelle on mesure et on évalue la dignité des uns et des autres, voire l’entrée dans l’humanité (Lahire, 1999, p. 290 ; Gasparini, Joly-Rissoan et Dalud-Vincent, 2009). Les enjeux de l’autonomie dépassent donc le cadre de l’école, elles sont en lien étroit avec ceux de la citoyenneté (Pagoni-Andreani, 2004).
L’intérêt suscité par les plans de travail a récemment été ravivé, notamment par l’intermédiaire des enquêtes internationales des systèmes éducatifs et de leurs analyses. Ces analyses présentent le système éducatif de la France comme en difficulté face à l’hétérogénéité des publics accueillis, lorsqu’il s’agit d’être efficace pour tous les élèves, pas seulement pour l’élite ou les plus en difficulté. Ce système éducatif serait reconnu comme fonctionnant très bien, mais pour seulement 50 % de ses élèves, alors qu’il est catastrophique pour l’ensemble des autres élèves (Forestier et Thélot, 2007). C’est ce même constat qui fait dire à Baudelot et Establet (2009, p. 10) que l’école est à l’image de la société qui l’entoure : une société qui se pense plus juste et plus égalitaire que beaucoup d’autres, alors qu’elle est restée, en pratique, élitiste et inégalitaire. Il s’agit donc, pour proposer une évolution, de fixer à chaque élève des objectifs de réussite à long terme, couplés à des sous-objectifs à court terme, véhiculés par exemple par l’intermédiaire du plan de travail (Lecomte, 2007, p. 230).
Le manuel scolaire se veut un tout autre outil pédagogique : il tend à mettre en oeuvre un programme d’enseignement pour un niveau donné. Il est conçu par des professionnels experts pour répondre aux besoins des élèves, des professeurs et des parents. Sont considérés comme livres scolaires les manuels et leur mode d’emploi, ainsi que les cahiers d’exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles de fiches qui s’y substituent (Décret n° 2004-922 du 31 août 2004). Les manuels scolaires tentent donc de se conformer aux programmes officiels, mais, en même temps, ils reflètent des pratiques pédagogiques présentes dans les écoles, collèges et lycées. Ainsi, depuis quelques années, les manuels ne se contentent pas seulement de proposer des ressources pour l’enseignant ; ils infléchissent les démarches traditionnelles en mettant l’accent moins sur le savoir que sur sa transmission, de manière à éveiller les élèves, à capter leur attention et à susciter chez eux le désir d’apprendre (Borne, 1998, p. 5). Ils se présentent comme des aides à l’action enseignante, des appuis sur lesquels le professionnel peut compter pour étayer ses interventions et faire commuter l’attention sur sa personne en une centration sur un objet distancié.
Après une présentation de la problématique, cet article proposera le cadre conceptuel, la méthodologie de recherche employée, une analyse et une discussion des résultats ainsi qu’une conclusion.
2. Problématique
Nous abordons ici une question de recherche inédite. De nombreuses études se sont intéressées aux manuels scolaires, mais très peu aux plans de travail (Connac, 2004). La présente étude défend la thèse selon laquelle la discussion à visée philosophique pouvait prendre le caractère d’institution, au sens de la pédagogie institutionnelle, au même titre que l’outil plan de travail. À notre connaissance, aucune étude n’a porté sur le lien possible entre ces deux supports d’apprentissages. À noter cependant que Carroz a entamé, en 2010, une thèse sur la question du rapport entre autonomie et plan de travail (CREAD Rennes II).
Il se trouve qu’en France, le recours aux manuels est prépondérant dans les établissements scolaires (rares sont les établissements qui ne sont pas munis de manuels) (Laplante, 2010), mais qu’aucun d’eux ne propose l’usage de plans de travail. Il se trouve également que Freinet, en son temps, avait fustigé l’usage du manuel scolaire. Selon lui, le manuel fatigue nécessairement par sa monotonie. Il est fait pour des enfants par des adultes. Il est un moyen d’abrutissement. Il continue à inculquer l’idolâtrie de l’écriture imprimée. Il asservit aussi les maîtres en les habituant à distribuer uniformément la matière incluse à tous les enfants. On moule déjà l’enfant à la pensée des autres et on tue lentement sa propre pen-sée (Freinet, 1928). Collot (2012, p. 333) abonde dans ce sens lorsqu’il défend la thèse que la didactique néglige l’enfant : les manuels scolaires ne prennent pas en compte ceux qui devront se les approprier, en plus de les assimiler de manière identique.
Cela pourrait expliquer la fragilité du lien entre ces deux outils. Nous avons donc, d’un côté, une pratique hégémonique (les manuels) et, d’un autre, un outil répondant à un impératif d’avenir (le plan de travail), sans que ces deux entités n’aient fait l’objet d’une véritable attention mutuelle. Nous disposons uniquement de données empiriques qui voient des enseignants se servir des manuels scolaires pour alimenter la densité d’activités en autonomie. Il manque donc une véritable réflexion de fond sur cet éventuel rapprochement et ses probables ajustements pédagogiques.
À l’heure du socle commun de compétences et de connaissances et de son principe de rendre complémentaires les piliers à visées disciplinaires et ceux à caractère transversal, en quoi les manuels scolaires gagneraient-ils à organiser le travail de manière personnalisée à travers les plans de travail et en quoi ces derniers seraient-ils susceptibles de s’appuyer sur un certain nombre de ressources présentes dans les manuels ? Les manuels constituent des supports qui cadrent l’activité didactique des enseignants et des élèves, alors que les plans de travail contribuent, entre autres outils, à développer un rapport autonome à l’école et aux savoirs. Mais ces deux outils sont-ils antinomiques, s’opposent-ils pour autant ? Qu’est-ce qui, à travers ce qui se pratique par les plans de travail, densifierait l’activité cognitive des élèves par un appui sur les manuels ?
Cette étude vise donc à travailler la tension entre cet outil de personnalisation qu’est le plan de travail et les manuels scolaires. Peut-on se passer de manuels scolaires grâce aux plans de travail ? Comment les manuels et les fichiers sont-ils utilisés à travers les plans de travail ? La problématique centrale sera : en quoi plans de travail et manuels scolaires peuvent-ils se rapprocher pour densifier leur degré de responsabilisation des élèves ? Cette problématique sera travaillée du point de vue des enseignants.
3. Contexte théorique
Il ne s’agit nullement de travailler le lien entre des approches pédagogiques issues de l’Éducation nouvelle et le manuel scolaire. Dans une précédente recherche, nous avons pu montrer qu’au sein des pédagogies de la coopération, ce n’était pas l’outil qui caractérisait les piliers d’une conception pédagogique (Connac, 2010). Le propos est plutôt ici de s’intéresser à la tension qui existe entre la conjoncture actuelle qui voit se retrouver dans les classes des publics de plus en plus hétérogènes et la nécessité de susciter chez eux l’autonomie et la responsabilisation.
3.1 L’autonomie
Il est donc particulièrement nécessaire de s’attacher au concept d’autonomie pour tenter d’en cerner les contours. Gasparini (2004, p. 42) a notamment pu montrer toute la polysémie employée par les enseignants à son sujet, variant selon les configurations pédagogiques convoquées : Il n’est pas autonome, il faut toujours être derrière lui pour qu’il se mette au travail. C’est un élève qui est assez autonome, il ne pose pas de problème de discipline.L’autonomie, elle connaît, c’est un peu une enfant sauvage. Étymologiquement, l’autonomie signifie la gestion de soi, ou, comme le rappelle Meirieu (1998, p. 76) en reprenant Pestalozzi : ce qui permet à chacun de se faire oeuvre de lui-même. Ainsi donc, l’autonomie correspondrait aux capacités à effectuer des choix, situations vectrices de socialisation (Dubet et Martucelli, 1996). Nous entendrons donc dans cette étude par autonomie la capacité d’une personne à faire des choix tout en obéissant à sa propre loi, celle à laquelle elle se soumet pour évoluer librement au sein de son groupe d’appartenance. Cette idée s’oppose à celle de dépendance ou de contrainte subie par un individu privé de sa liberté ou qui obéit à d’autres lois que la sienne (Leselbaum, 1994, p. 97). Notons que nous nous appuyons sur une conception valorisée de l’autonomie, certains sociologues la considérant comme un leurre au regard de la force de la reproduction sociale (Bourdieu, 1979).
Dans la sphère éducative, deux approches de l’autonomie se complètent (Join-Lambert Milova, 2006). La première concerne l’apprentissage : est autonome un élève qui est capable de prendre le contrôle de ce qu’il apprend (Benson, 2001). Cela correspond au sentiment de réinvestir par soi-même ce que l’on s’est construit. Il s’agit d’une autonomie de volonté. La seconde acception reconnaît l’autonomie d’un élève lorsqu’il se manifeste comme un sujet capable de subvenir à ses besoins, c’est-à-dire qu’il investit un certain nombre d’espaces de liberté pour y prendre des initiatives personnelles. Lorsqu’il est autonome, l’élève n’est plus un subordonné, il peut ne pas considérer l’école comme un lieu de consommation, plutôt comme un espace d’engagements, d’actions, de constructions et d’apprentissages. Il peut devenir l’acteur de ses études à travers les libertés dont il dispose. Cette conception de l’autonomie est en lien étroit avec les théories motivationnelles de l’apprentissage (Prince, 2009).
Pour cette étude, dans le rapport aux savoirs, un élève autonome sera considéré comme quelqu’un qui se fixe ses propres objectifs, qui a la possibilité de choisir les méthodes, outils et conditions pour apprendre et qui participe à l’évaluation de ses travaux. Il est capable de faire des choix et de maîtriser sa vie d’élève, dans le cadre construit par ses enseignants et ses parents. Il se montre également capable de trouver en lui-même des ressources pour entrer dans le travail, résister aux distractions et adapter son fonctionnement en fonction des situations, en particulier lorsque des difficultés surviennent (Cosnefroy, 2010, p. 5).
Le plan de travail devient un outil de développement de l’autonomie lorsqu’il incite les élèves à se fixer des objectifs (parfois sous forme de défis), à faire des choix quant à leur réalisation et à rendre compte du travail réalisé.
3.2 La responsabilisation
Le concept de responsabilisation mérite, lui aussi, d’être caractérisé. Il est, dans cette étude, conçu comme l’action de rendre quelqu’un responsable ou de donner à quelqu’un le sens des responsabilités. La responsabilisation fait ici référence à un choix qui mène à l’action (Simon, 1993), l’intention étant de trouver un équilibre entre un déni de responsabilité et une responsabilité trop lourde à assumer (Vieillard-Baron, 1994). Dans la même logique, nous empruntons à Paturet (1995, p. 101) son sens du concept responsabilité : La responsabilité est le fait de répondre totalement de ses actes et de les assumer. Elle se propose comme éthique de l’engagement (pour l’avenir), éthique de la singularité (reconnaissance de ce qui échappe à toute maîtrise) et éthique du don (envisage sa propre fin). Est reconnu comme responsable quelqu’un qui est réfléchi, qui a la charge d’une fonction ou qui accepte de subir la conséquence de ses actes, qui accepte d’en répondre. Cette acceptation consiste à s’obliger de réparer le dommage causé, de réparer une faute, de remplir un devoir ou une obligation. Si être capable d’effectuer des choix selon sa propre loi correspond à l’autonomie, le fait de les assumer caractérise la responsabilité. Se retrouve ici la notion de prise en charge (Tronto, 2009).
Les pratiques éducatives sont fondées sur cette notion de responsabilité (Sauvé, 2000). Ainsi, un élève peut être reconnu comme responsable lorsqu’il se montre réfléchi dans ses actes en envisageant, avant qu’elles se produisent, leurs éventuelles conséquences, avec pour principe de concevoir le présent comme un passé pour demain (thème du Second colloque fédérateur, organisé par l’Institut des Sciences de l’Homme et de la Société [ISHS], à la ville de Brest, les 15 et 16 décembre 2010). L’élève responsable est celui qui est maître de ses choix, qui fait des choix informés et qui se montre capable d’agir au sein de la classe et de l’école en conformité avec les normes scolaires (Hagège, Bogner et Caussidier, 2009, p. 111). Cela se traduit dans plusieurs domaines : la réalisation de responsabilités inhérentes à la vie de la classe, le fait d’accepter de réparer ses erreurs, l’acceptation de réaliser avec sérieux les tâches scolaires qui lui sont réservées.
Le plan de travail peut devenir un support de responsabilisation lorsqu’il permet de reconnaître les responsabilités acceptées par les élèves au sein de la classe, de faciliter l’autoévaluation du travail scolaire (sous forme d’évaluation de chaque travail ou de bilan global) et de symboliser le sérieux avec lequel le travail a été réalisé. Il propose une sorte d’engagement tacite entre l’enseignant et les élèves avec la logique :
Vous avez la possibilité de faire un travail qui, moi, me permettra de faire mon travail de professionnel en vous orientant vers les apprentissages scolaires, et vous, vous permettra peut-être de les acquérir à travers une modalité de fonctionnement qui sera plus satisfaisante pour vous
Auloos, 2002, p. 186
Pour le codage des données collectées, plusieurs autres notions ont été isolées lorsqu’il a été question de coder les supports de travail des élèves.
3.3 Les manuels scolaires
Pour Sauter (2001, p. 18), les manuels scolaires auraient en commun cinq caractéristiques :
l’intention manifestée par l’auteur ou l’éditeur de destiner expressément l’ouvrage à un usage scolaire ;
la présentation systématique des contenus ;
l’adéquation au travail pédagogique, la complexité des contenus devant être proportionnée à la maturité intellectuelle et affective des élèves ;
la conformité à la réglementation sur les contenus d’enseignement et la manière dont ils doivent être traités ;
l’intervention administrative et politique de l’État, par le biais de la réglementation et/ou de l’autorisation explicite ou implicite accordée après la publication de l’ouvrage.
Nous entendons par manuel scolaire un ouvrage papier ou numérique (van der Sanden-Piva, 2011) renfermant l’essentiel des savoirs relatifs à un domaine donné (connaissances et méthodes à acquérir), dans le cadre des programmes scolaires, pour un niveau de scolarité identifié. Il se veut un auxiliaire pédagogique pour l’enseignant qui conserve sa liberté de choisir la méthode lui semblant la plus adaptée à ses élèves. Les manuels scolaires sont composés de supports de synthèses des savoirs, de situations de découvertes et de recherches, d’exercices d’application ou de systématisation, de supports d’évaluation formative. Le Rapport de juin 1998 précise que les manuels scolaires doivent assurer la cohérence des apprentissages en mettant en relation les disciplines et en marquant l’homogénéité d’une matière. En début d’année, tous les élèves d’un même niveau de scolarité, et d’une même école, reçoivent le même manuel.
Il apparaît extrêmement hasardeux de conceptualiser, de manière consensuelle, le livre scolaire, comme en témoignent les travaux de Choppin (2008, p. 48) : Sa définition varie suivant les lieux, les époques, les supports, les niveaux et les matières d’enseignement, suivant les contextes politique, économique, social, culturel, esthétique… mais aussi, et surtout, en fonction de la problématique scientifique dans laquelle elle s’insère.
Voici quelques exemples.
Exemples :
Fichier Sésame CP Français (MDI, 2005, Fiche 41).
Fichier PEMF (CE1 Lecture, 2007, Fiche 1).
Voici une synthèse de cette typologie de livres scolaires :
3.4 Nature des activités didactiques
Le dernier indicateur de codage concerne la nature des activités didactiques proposées à travers les plans de travail. Nous en avons retenu plusieurs qui tentent de balayer l’ensemble des possibles en matière d’activité scolaire réalisable en autonomie.
Les activités de découverte correspondent aux situations où l’élève se retrouve pour la première fois en relation privilégiée avec le savoir en jeu. Il y est question de compréhension de la situation et d’expression de ses représentations initiales. En didactique, cette phase intervient au démarrage des séquences.
Les situations de recherche sont entendues comme celles où les élèves sont placés face à une situation problème visant à les pousser vers le recours à un outil spécifique du savoir. Il ne s’agit plus de découvrir la notion ou la compétence en jeu, et pas encore de s’entraîner à un usage répété de techniques ou procédures. Il est question de tenter de combiner face à un obstacle les acquis personnels pour tenter de le franchir.
Les exercices d’application ou de systématisation correspondent aux situations visant l’accommodation des techniques ou procédures. Ces apprentissages s’effectuent par renforcement et répétition.
Les situations d’évaluation tendent à mesurer le degré de maîtrise d’un acquis au regard d’une compétence précise. Même si elles sont effectuées par l’élève en situation d’autonomie, elles sont corrigées par l’enseignant.
L’immersion regroupe l’ensemble des activités que les élèves peuvent effectuer lors des temps personnels sans que pour autant une compétence précise soit attachée à ce travail. On retrouve à travers ce type d’activités la métaphore de l’eau dont la force creuse le lit, vient à bout des obstacles ou les contourne (Vergnioux, 2005). Les situations d’immersion visent le transfert et la combinaison des acquis tout comme le développement de langages cognitifs (Collot, 2002).
Les projets personnels sont à l’initiative des élèves et se font dans le cadre des possibles de la classe. Ils sont conduits lors des temps de travail personnel, à partir des ressources disponibles dans la classe ou l’école. Il peut s’agir de recherches documentaires, de productions plastiques, de constructions techniques, de l’organisation de projets de classe, de la participation à des concours d’élèves, etc.
Les activités de communications correspondent à des projets personnels ou de groupe pour lesquels il est nécessaire de transmettre le produit du travail à l’extérieur de la classe. Cela peut correspondre à de la correspondance scolaire, du journal d’élèves, à des lettres adressées à des collectivités, à l’organisation d’événements ouverts sur l’extérieur, etc.
3.5 Hypothèses
La question de recherche éprouvée est donc la suivante : En quoi plans de travail et manuels scolaires peuvent-ils se rapprocher pour densifier leur impact pédagogique ? Nous l’avons travaillée à partir de trois hypothèses qui nous ont guidé, et dont le principe est d’en tester la validité :
L’autonomie et la responsabilisation sont deux fondements des plans de travail.
Les plans de travail peuvent trouver dans les manuels scolaires des ressources pour guider l’activité des élèves.
En changeant de structure, les manuels scolaires peuvent devenir des supports en mesure de faire face à l’hétérogénéité des classes.
4. Méthodologie
La méthodologie de recherche se structure autour de la combinaison de plusieurs outils de recherche. Elle se veut descriptive et interprétative (Savoie-Zajc, 2000).
4.1 Sujets
L’étude a consisté à constituer un corpus de plans de travail de 52 éléments, de la maternelle à l’élémentaire (toutes les années de l’école primaire française), issus de classes françaises et mouvements pédagogiques différents, donc à fonctionnements variés : Institut Coopératif de l’École Moderne – Pédagogie Freinet, Centres de Recherches sur les Petites Structures et la Communication – Marelle, Association Père Faure, Association Pidapi, Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant, Fédération de Calendretas, Association Vers la Pédagogie Institutionnelle, etc. Ces mouvements pédagogiques ont été sollicités par Internet, par le biais des listes de discussions d’enseignants ou par sollicitation directe des référents pédagogiques. Ce corpus est devenu la base d’une analyse de contenu.
Ensuite, comme la seule lecture de ces documents ne permettait pas de comprendre finement les logiques d’emploi par les enseignants et les élèves, la recherche s’est orientée vers une analyse de ces plans de travail à partir de commentaires écrits que leurs auteurs-enseignants ont pu en faire a posteriori. Chaque enseignant (52) ayant transmis sa matrice de plan de travail a été sollicité pour préciser, en quelques lignes ou par entretien téléphonique, la nature de son usage et, notamment, sa référence aux manuels scolaires.
Les plans de travail récoltés se répartissent selon les niveaux de la scolarité de la manière suivante (Figure 1) :
Cycle 1 (3-5 ans) : 7.
Cycle 2 (5-8 ans) : 19.
Cycle 3 (8-11 ans) : 38.
À noter que 60 % de ces plans de travail fonctionnent dans des classes multi-âges.
4.2 Instrumentation
L’analyse de contenu (Bardin, 2001) s’est organisée à partir d’une grille d’analyse et de codage des plans de travail, des commentaires écrits et de la retranscription des entretiens directifs faits par téléphone (Annexe 1). Une catégorisation successive de chaque élément (information prise dans les plans de travail, dans les commentaires écrits ou les entretiens) d’un tiers du corpus (choisi aléatoirement) a permis ensuite le codage manuel de l’ensemble du corpus (Muchielli, 2006 ; Robert et Bouillaguet, 1997). Cette analyse de contenu s’articule autour de quatre types de données collectées :
Les indicateurs de l’autonomie ;
Les indicateurs de la responsabilisation ;
Les supports de travail des élèves ;
La nature des activités didactiques proposées.
Pour affiner la connaissance des procédures et processus d’utilisation, nous avons été conduit à compléter ces analyses par une série d’observations directement dans les classes, principalement basées sur l’usage qu’enseignants et élèves font des temps de travail personnels autour du plan de travail. Parmi les 52 plans de travail recueillis, 15 ont fait l’objet d’une observation directe en classe. Il a été alors possible de constater de visu les modalités de recours ainsi que les degrés d’autonomie et de responsabilisation des élèves, à partir d’une grille d’évaluation identique à celle du codage des plans de travail (Annexe 1). Ces classes ont été choisies parce que l’enseignant acceptait notre observation et parce qu’elles tendaient à constituer un panel représentatif des plans de travail récoltés. Chaque observation a duré une heure environ, pendant des plages horaires où les élèves utilisaient leurs plans de travail.
4.3 Déroulement
Le corpus de plans de travail est intégralement issu de démarches volontaires d’enseignants souhaitant contribuer à cette étude (n = 52). Les demandes ont été formulées par les adresses électroniques des enseignants, par l’intermédiaire des listes de diffusion qui animent les réflexions professionnelles des mouvements pédagogiques sollicités, entre septembre et décembre 2010. Lorsque les enseignants ne transmettaient que le fichier numérique de leur plan de travail, nous leur avons demandé d’en rédiger, en quelques lignes, les modalités d’utilisation. À certains d’entre eux, essentiellement en raison de leur proximité géographique, nous avons proposé d’étayer cette présentation écrite par une observation directe et non participative. Ces observations ont permis d’affiner le remplissage de la grille de codage.
4.4 Considérations éthiques
Les plans de travail récoltés ainsi que les données fournies directement par les enseignants ne sont pas anonymes. La demande effectuée s’apparentait à un contrat permettant aux enseignants contributeurs de bénéficier, en fin d’étude, du texte de la recherche ainsi que (et surtout) du corpus des plans de travail regroupés. Certains enseignants n’ont pas souhaité que leur nom figure dans le corpus ; il a donc été retiré des mentions.
Les résultats de cette recherche ont été transmis à tous les enseignants qui en avaient formulé la demande, en même temps que le corpus des plans de travail. Disposer d’un tel recueil permet à ces enseignants de prendre du recul quant à leurs pratiques de personnalisation des apprentissages en bénéficiant des travaux et outils d’autres professionnels.
4.5 Méthode d’analyse des données
La grille de codage et d’analyse utilisée (Annexe 1) fait référence à un certain nombre de concepts qui ont fait l’objet précédemment d’une caractérisation fine, afin de pouvoir inférer de manière univoque les divers degrés d’autonomie. Pour déterminer les degrés d’autonomie, nous nous sommes appuyé sur quatre critères qui permettent d’affiner le codage :
Possibilité de choisir ses objets de travail (compétences et contenus) ;
Possibilité de choisir l’ordre de ce travail ;
Possibilité de choisir les modalités de ce travail (outils, durée, interactions) ;
Possibilité d’évaluer le degré de réalisation des objectifs.
Dans la grille d’analyse, le degré 1 d’autonomie correspond au codage d’un seul de ces quatre critères ; le degré 2 correspond à deux de ces critères (quels qu’ils soient) ; le degré 3 correspond à au moins trois de ces critères (quels qu’ils soient).
Quatre autres critères ont également été retenus pour déterminer les degrés de responsabilisation. Ils s’appuient sur les attributs de conceptualisation présentés plus haut :
Référence aux métiers de la classe ;
Présence d’une partie Bilan par l’élève de chaque travail (autoévaluation) ;
Présence d’une partie Bilan par l’élève de la globalité du plan de travail ;
Référence à une symbolisation du sérieux et du soin dans le travail.
Dans la grille d’analyse, le degré 1 de responsabilisation correspond au codage d’aucun de ces critères ; le degré 2 correspond à un seul de ces critères ; le degré 3 correspond à au moins deux de ces critères.
Ces grilles de codage ont permis un traitement statistique des données obtenues (Annexe 2) ainsi qu’une analyse qualitative par croisement avec les hypothèses de l’étude.
5. Résultats
5.1 Degrés d’autonomie
Il apparaît que les plans de travail du corpus développent de manière prépondérante l’autonomie des élèves dans le travail scolaire (Figure 2). Cette proportion est quasi identique selon les cycles, ce qui signifie que les enseignants de l’étude tentent de développer de concert les mêmes intentions pédagogiques en matière d’autonomie.
5.2 Degré de responsabilisation
Il n’en est pas de même pour les degrés de responsabilisation (Figure 3). Le ratio de plans de travail qui développent la responsabilisation des élèves dans leur rapport à l’école et aux savoirs est majoritaire. Toutefois, la proportion n’est pas aussi importante qu’en matière d’autonomie. À noter qu’un peu plus d’un quart des plans de travail du corpus n’ont pas pour profil de développer ces attitudes, ce qui ne signifie d’ailleurs pas que d’autres dispositifs de classe visent à leur tour à y contribuer. À noter également que la proportion de degrés 3 de responsabilisation est proportionnelle à l’avancée dans les cycles : plus les élèves sont âgés, plus leurs plans de travail tendent à développer des attitudes responsables. Inversement, plus les élèves sont jeunes, moins le plan de travail tend à travailler ce rapport au monde. Ces résultats correspondent à des moyennes, ce qui induit que certains plans de travail de cycle III ont un potentiel de responsabilisation plus faible que certains de cycle II et inversement.
5.3 Nature des supports
Les plans de travail du corpus de recherche utilisent de manière prépondérante le matériel pédagogique s’appuyant sur l’individualisation et l’autonomie (Figure 4) : 90 % d’entre eux se réfèrent à des fiches d’entraînement personnalisé et 92 % utilisent des fiches de travail autonome. Ces outils permettent aux élèves un travail sans la présence continue de l’enseignant, ce qui se prête parfaitement bien au travail par plan. À noter qu’il apparaît que le matériel de travail autonome semble plus adapté à l’autocorrection, dans la mesure où il y a une distinction nette entre entraînement et évaluation. Il n’en va pas de même pour les fiches d’entraînement personnalisé qui nécessitent impérativement une correction par l’enseignant, sous peine de voir disparaître l’activité intellectuelle associée. Les observations ont montré, par exemple pour les coloriages magiques (MDI), que lorsqu’un élève a eu connaissance de la correction, il n’est plus amené à reprendre la tâche intellectuelle : il doit seulement modifier le code couleur des sections erronées, ce qui n’a pas de lien avec les apprentissages visés et contribue à faire oublier l’activité cognitive en jeu. En ce qui concerne les cycles, il s’avère que les proportions sont les mêmes, ce qui signifie que ces fiches sont aussi employées auprès d’élèves qui n’ont pas (ou peu) encore accès à l’écrit.
Deux autres supports sont fréquemment utilisés : le matériel didactique ainsi que les technologies de l’information et de la communication en éducation. Le matériel didactique correspond à des supports de travail spécifiquement pensés pour un apprentissage particulier et qui fonctionne par manipulations (par exemple, les réglettes Cuisenaire ou les Géoplan). Ce matériel est introduit dans la classe par l’enseignant, le plan de travail étant souvent l’outil à travers lequel les élèves sont conduits à s’y intéresser. Il est d’autant plus utilisé que les élèves sont jeunes, pour principale raison qu’en classes maternelles, il est adapté aux ateliers autonomes. Nous observons l’inverse en ce qui concerne les outils informatiques tels que les logiciels éducatifs : ce sont surtout les élèves les plus âgés qui sont amenés à les utiliser pour travailler. Notons au passage que, même si la technologie est à la disposition des enseignants, en 2011, les plans de travail orientent plus les élèves vers du travail sur fiches ou avec matériel que vers des écrans d’activités numériques.
Les manuels et fichiers sont utilisés à 13 % par les plans de travail du corpus, ce qui correspond à la catégorie la moins référencée de la liste.
Les plans de travail qui s’appuient sur les manuels scolaires le font pour trois familles d’intentions, identifiées au terme du travail de codage du corpus :
Permettre aux élèves de s’entraîner (ex. : P14 – P26 – P38) ;
Disposer de ressources supplémentaires, d’une banque de situations de travail (ex. : P26 – P38 – P51) ;
Permettre la différenciation des niveaux d’entraînement (ex. : P36 – P39).
Il apparaît donc que les manuels, lorsqu’ils sont utilisés par les enseignants qui introduisent un plan de travail, sont conçus comme des supports de ressources, évitant de tout recréer et donc permettant de gagner du temps dans la préparation de la classe. Pour illustrer cette idée, voici un extrait d’une explication de l’un des enseignants du corpus (P26), qui précise la nature de son recours aux manuels :
C’est un moyen d’équiper rapidement la classe, à moindres frais, dans les différentes matières, pour pouvoir un peu se tranquilliser et rassurer certains parents. […] Les élèves ont la possibilité d’utiliser librement les manuels. Ils le font plutôt pour s’entraîner à maîtriser les connaissances travaillées. […] J’ai beaucoup insisté en début d’année sur la compétence d’utilisation des manuels de la classe, afin de rendre les élèves le plus rapidement possible autonomes face à cet outil. Pour certains, la difficulté à retrouver une notion lorsque ma formulation dans le plan de travail diffère quelque peu de celle présente dans le sommaire du manuel (exemple datant d’hier : plusieurs élèves de 2e année étaient ennuyés, car ils ne trouvaient dans la table des matières que « Les homonymes », alors que la compétence annoncée dans le plan de travail était « Connaître les homonymes courants »). Ils ne voyaient pas ce que signifiait « courants »… […] les élèves ayant la possibilité de travailler une notion sur le manuel de leur choix, bon nombre trouvent d’eux-mêmes les consignes qu’ils comprennent le mieux, lorsqu’il s’agit d’un travail en autonomie. Ils ont, de toute manière, toujours la possibilité de me demander de l’aide, à leurs camarades ou à moi.
5.4 Nature des activités proposées
Les activités proposées à travers les plans de travail du corpus sont diverses (Figure 5). Au regard de la typologie utilisée pour le codage du contenu, apparaît tout d’abord un usage unanime des activités d’application ou de systématisation. Les plans de travail sont entendus par tous ces enseignants usagers comme un canal à partir duquel les élèves peuvent effectuer des tâches d’application et d’automatisation de manière personnelle. On peut également noter que les activités liées à la recherche, l’évaluation, l’immersion et les projets personnels font l’objet de fréquentes sollicitations à travers les plans de travail. À l’opposé, il apparaît que l’activité la moins propice aux plans de travail est celle qui amène les élèves à rencontrer pour la première fois le savoir, lors de la phase de découverte, hormis pour le cycle I où le contexte semble plus favorable (ex. : P01 : trace des ateliers autonomes ; P02 : trace des ateliers guidés par l’enseignant ; P03 : écoutes, images, électricité, etc.).
Les activités de recherches apparaissent également comme fréquemment convoquées par l’intermédiaire des travaux personnels des élèves, et cela, quel que soit le cycle, avec une prépondérance pour celui de l’école maternelle (cycle I) (Figure 6) (ex. : P04 : jeux de construction, puzzles, cubes, imprimerie, bricolage ; P06 : algorithmes, Poly-M, Tangram, planches à trous, etc.).
Le plan de travail semble également un support approprié pour orienter les élèves vers la réalisation de leurs projets personnels ou travaux de communication. Notons au passage qu’en raison de l’âge des élèves, ces activités sont plus présentes une fois que les élèves maîtrisent suffisamment les langages écrits (ex. : P24 : lectures ; P26 : productions écrites ; P29 : recherches documentaires, etc.).
Il en va de même pour les travaux d’évaluation : plus les élèves sont âgés, plus les plans de travail les invitent à les effectuer pendant leurs temps de travaux personnels (ex. : P31, P32, P41 : passation des épreuves des ceintures ou des brevets).
C’est en revanche une tendance inverse que l’on peut observer pour les situations immersives : elles sont d’autant plus présentes dans les plans de travail que les enfants sont jeunes (par exemple, P03 : peinture ; P04 : écoute ; P06 : jeux de société, etc.).
6. Discussion des résultats
C’est au regard du concept de responsabilisation, entendu ici comme l’action de rendre quelqu’un responsable ou de donner à quelqu’un le sens des responsabilités, que nous pouvons discuter les résultats de cette étude.
En France, le développement de la responsabilité des élèves est principalement attendu à partir du lycée (15-18 ans). Cela fait même partie des priorités : 1.3.3 Rendre les élèves plus responsables. Davantage qu’aujourd’hui, l’École doit conduire les élèves à adopter des attitudes et des comportements responsables tant pour eux-mêmes que pour la société dans laquelle ils évoluent. C’est l’un des axes de la réforme du lycée, qui vise à impliquer les jeunes dans la vie quotidienne de leur établissement (Ministère de l’Éducation nationale, 2010).
Il en va un peu de même au Québec où les publications officielles autour de la responsabilisation des élèves concernent surtout le secondaire (Conseil supérieur de l’éducation, 1992, 2008). Les intentions de responsabilisation des élèves dans leur rapport aux savoirs sont très peu présentes dans les textes qui régissent l’activité des enseignants du primaire. Elles font en revanche l’objet de nombreux travaux dans le champ pédagogique (Belin, 2007 ; Brougère et Bézille, 2007 ; Hagège et al., 2009 ; Mignon, 2007) où l’élève est considéré comme gagnant lorsqu’il devient auteur de ses apprentissages.
Cette recherche montre que le plan de travail constitue un outil pédagogique visant l’autonomie ainsi que la responsabilisation, a fortiori pour les élèves les plus âgés de l’école primaire. Il entre donc en phase avec les travaux de O’Toole (2010, p. 54) : Quand les élèves ont la possibilité de choisir ce qu’ils apprennent et comment ils l’apprennent, ils affirment leur besoin d’autonomie et de créativité. Dès lors, les élèves se sentent plus responsables, ce qui contribue à créer de l’espoir et de l’optimisme envers l’avenir ainsi qu’une plus grande confiance en soi.
Il s’avérerait opportun de rapprocher ce concept de responsabilisation et celui de care afin de travailler le lien entretenu avec le plan de travail associé à des manuels scolaires adaptés. En effet, si le care en éducation, c’est assumer les différences, accorder à chaque élève sa dignité et ses droits, prendre en charge les manques matériels réels, protéger le caractère sécurisé des relations au sein de la classe et de l’école, alors il s’avérerait particulièrement précieux de tenter de responsabiliser les élèves en les encourageant à investir les espaces de liberté qui leur sont ouverts. La pratique de l’éthique du care repose sur quatre éléments : l’attention, la responsabilité, la compétence et la capacité de réponse (Tronto, 1993, p. 173). La responsabilisation se distingue du care dans le sens où ce dernier, de par son capital d’attention portée, véhicule une dimension de bienveillance (Girault, 2010). S’introduit ici une approche sociale de la responsabilité qui dépasse celle défendue par les pratiques relatives au plan de travail, s’attachant plutôt à un rapport engagé aux savoirs.
Nous avons pu identifier qu’un faible ratio des plans de travail du corpus de la recherche s’appuyait sur un recours aux manuels scolaires. Lorsqu’ils sont formellement utilisés, c’est pour trois raisons majeures : entraînement, ressource et différenciation. De manière plus large, les plans de travail se réfèrent aux manuels en les considérant comme des aides au travail de préparation de l’enseignant. Ils s’avèrent surtout utiles parce qu’ils proposent une banque d’exercices dans laquelle il est possible de puiser pour alimenter le travail personnalisé des élèves. Aucun plan de travail étudié ne suit la logique d’emploi ayant guidé la rédaction du manuel.
À l’inverse, il apparaît que de nombreux plans de travail ne se réfèrent pas formellement aux manuels, du moins pour les moments où les élèves effectuent un travail personnel et autonome. Dans les classes de cycle II et III, les manuels scolaires sont souvent remplacés par des fiches d’entraînement personnalisé ou des fiches de travail autonome. Ces dernières sont spécifiquement construites pour correspondre aux besoins du travail par plan. Dans ces cas-là, le recours aux manuels ne semble pas un besoin, ce qui justifierait une partie de leur mise à l’écart par les enseignants. En même temps, rien ne permet de préciser que ces mêmes enseignants ne s’appuient pas sur des manuels pour conduire les autres moments de vie scolaire des élèves que sont les temps collectifs ou les situations de travail en petits groupes. Quoi qu’il en soit, et même si les manuels sont faiblement utilisés par les enseignants qui s’appuient sur les plans de travail pour personnaliser les apprentissages, il semblerait opportun de penser autrement les manuels, de manière à ce qu’ils puissent faciliter le rapport aux savoirs, par exemple en réduisant les nécessités de déplacements des élèves dans la classe.
Les évolutions que les manuels scolaires pourraient envisager pour susciter l’autonomie des élèves et leur responsabilisation dans les rapports à l’école et aux savoirs sont donc multiples :
Associer à des pages du manuel des supports d’apprentissages propres à des compétences ciblées (situations de découverte, recherche, point leçon, entraînements différenciés), de telle manière que, lorsqu’un élève choisit ou doit en travailler une spécifiquement, il puisse y trouver les ressources nécessaires à sa mise en activité. Ces ressources ne tendent pas seulement à mettre les élèves en activité, mais aussi et surtout à déclencher chez eux une véritable action mentale vectrice d’apprentissages, de manière à contribuer à développer la compréhension, à améliorer la qualité du fonctionnement cognitif et à permettre l’acquisition des capacités qui sous-tendent son autorégulation (Cèbe, Pelgrims et Martinet, 2009, p. 50).
Proposer des exercices autocorrectifs, de manière à ce que, pour les entraînements, les élèves puissent participer à l’évaluation de leur travail et demander de l’aide au besoin. Cette exigence à visée responsabilisante passe notamment par une attention particulière aux consignes écrites, afin que leur formulation soit facilement accessible pour des élèves en situation de travail autonome.
Présenter un certain nombre d’appuis pour un travail collectif pendant lequel les élèves, autour de compétences regroupées, vont pouvoir exprimer leurs représentations, les confronter à celles des pairs, et profiter des situations didactiques induites pour évoluer vers des stades d’acquisitions plus complexes. Ces ressources permettraient à l’enseignant de proposer aux élèves une organisation variée du travail (Stordeur, 1996, p. 62).
Mettre à la disposition de l’enseignant plusieurs supports d’évaluation qui, même connus par les élèves, lui permettront de tenter la validation des compétences ayant fait l’objet d’un entraînement par l’intermédiaire des moments d’autonomie. Ces évaluations sont corrigées par l’enseignant et tendent à mesurer des degrés de maîtrise de compétences complexes, c’est-à-dire recontextualisées et combinées entre elles autour de compétences générales.
Profiter du support manuel pour mettre à disposition des élèves des repères et des balises pour faciliter le travail personnalisé, sous forme de fiches-outils (en essayant de mesurer les effets pervers de la fiche [Laborde Milaa, 2007]). Il s’agirait de s’y appuyer pour tenter de répondre par soi-même à des questions que l’on se pose, pour solliciter l’aide de camarades experts ou pour apporter soi-même son expertise ; par exemple, fiche d’aide à la coopération et au tutorat (Connac, 2011).
Présenter un support de matrice de plan de travail photocopiable pour les élèves et adapté à la forme des outils du manuel, pourquoi pas inspiré par un modèle présent dans le corpus de cette recherche (Figure 7).
7. Conclusion
7.1 Rappel de la recherche
Cette étude consistait à travailler la problématique, à partir du point de vue des enseignants : En quoi plans de travail et manuels scolaires peuvent-ils se rapprocher pour densifier leur degré de responsabilisation des élèves ? Il s’agissait de tester la validité de trois hypothèses :
L’autonomie et la responsabilisation sont deux fondements des plans de travail.
Les plans de travail peuvent trouver dans les manuels scolaires des ressources pour guider l’activité des élèves.
En changeant de structure, les manuels scolaires peuvent devenir des supports en mesure de faire face à l’hétérogénéité des classes.
Pour cela, nous avons collecté un corpus de 52 plans de travail auprès d’enseignants d’écoles primaires qui les utilisaient avec leurs élèves ; 15 d’entre eux ont fait l’objet d’observations directes et non participatives.
Une analyse de contenu de ce corpus a pu être générée à partir des informations fournies par les enseignants et de celles obtenues lors des visites d’observation.
7.2 Résultats
Il apparaît que cette étude a pu montrer que :
Très peu d’enseignants qui utilisent le plan de travail comme outil d’apprentissage y incluent des références aux manuels scolaires. Les quelques rares enseignants qui font ce lien s’en servent pour que leurs élèves s’entraînent, disposent d’appuis d’informations et puissent trouver des exercices adaptés. Les manuels servent alors aux enseignants de banque d’exercices.
Ce qui compense le non-recours aux manuels sont les fiches de travail autonomes trouvées chez les éditeurs ou construites par les enseignants. Les manuels scolaires doivent leur servir pour d’autres moments que ceux qui permettent le travail autonome des élèves.
Au sujet de l’hypothèse 1, concernant le développement de l’autonomie, elle semble validée pour la responsabilisation, elle s’avère vérifiée pour les élèves de cycle III, beaucoup moins, voire pas du tout pour les élèves plus jeunes.
L’hypothèse 2 est difficile à tester dans la mesure où peu d’enseignants du corpus se réfèrent en même temps aux manuels scolaires pour le travail autonome. Les quelques enseignants qui effectuent ce rapprochement (13 %) se servent effectivement des manuels comme des ressources de support de travail pour les élèves.
L’étude de la 3e hypothèse nous a conduit à identifier la nature des activités proposées aux élèves par les plans de travail, ce qui permet de dresser une liste de pistes. Pour densifier le lien entre plans de travail et manuels scolaires, dans une optique d’amélioration de la responsabilisation des élèves, nous avons proposé une série d’évolutions à destination des auteurs de manuels :
Organiser les manuels avec un repérage clair des situations permettant de s’entraîner aux compétences travaillées.
Proposer des exercices autocorrectifs pour les entraînements.
Mettre à disposition des supports pour le travail collectif .
Proposer à l’enseignant des situations d’évaluation des compétences.
Présenter des fiches-outils-repères pour les élèves.
Indiquer quelques matrices de plans de travail adaptées au format du manuel.
7.3 Perspectives
À ces conditions, les manuels pourraient devenir, au même titre que ce qui se pratique autour du plan de travail, des supports pédagogiques d’apprentissage de l’autonomie dans la scolarité et ainsi participer à rendre les élèves qui s’y réfèrent plus capables de développer un rapport aux savoirs qui soit dynamique et responsable.
Par cette recherche, nous avons donc tenté d’éclairer les enseignants qui souhaitent organiser dans leur classe une forme de personnalisation du travail de leurs élèves, de présenter une vision large de la pratique actuelle des plans de travail et d’esquisser quelques pistes d’évolution des manuels à destination de leurs auteurs et éditeurs. Cette recherche permet également à la communauté scientifique de disposer de données susceptibles de faire un lien entre deux champs souvent travaillés isolément mais pas encore étudiés de manière dialectique.
En revanche, il aurait été judicieux de prévoir qu’une part de cette enquête s’intéresse de manière plus franche à l’usage que les enseignants interrogés réservent aux manuels scolaires, ce qui n’a été pensé que pour les seuls qui faisaient un lien avec les plans de travail. Il aurait alors été possible d’explorer l’utilisation des manuels pendant les moments de travail collectif.
Nous envisageons de poursuivre ce travail d’étude en complétant ces données par les emplois du temps des classes d’où sont issus ces plans de travail. Il s’agira alors d’étudier l’équilibre entre les temps de travail collectif et ceux à visée personnalisante, favorisant l’autonomie et la responsabilisation, afin de mesurer l’impact de ces proportions sur les formes d’organisations scolaires.
Parties annexes
Annexes
Annexe 1. Grille de codage et d’analyse des plans de travail
Annexe 2. Tableau synthétique de traitement des données issues du codage des plans de travail
Remerciements
Nous remercions chaleureusement tous les enseignants qui ont accepté de nous ouvrir les portes de leur classe.
Note biographique
M. Sylvain Connac est membre du LIRDEF, Laboratoire de recherche en didactique, éducation et formation (équipe d’accueil 3749), Universités Montpellier II et III.
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