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Débattre… est le fruit d’une réflexion à cinq voix sur le débat à l’école primaire. Cette pratique sociale, en devenant scolaire, interroge la tension entre les dimensions républicaines et démocratiques de l’école. Que veut dire débattre et que veut dire débattre aujourd’hui ? C’est ce à quoi veut répondre ce collectif, explorant quatre thèmes : les cadres institutionnels, les horizons politiques et philosophiques, les perspectives pédagogiques et les enjeux éducatifs. L’ouvrage, fort bien documenté, ouvre de larges horizons et trace un portrait complet des enjeux de la pratique du débat à l’école.
Dans les programmes primaires actuels, le débat est un dispositif pédagogique qui comporte des orientations transversales, axées sur la maîtrise de la langue, et spécifiques, liées aux règles de vie, au questionnement scientifique et à la construction du jugement littéraire. Husson identifie quatre décalages entre la pratique sociale et scolaire du débat : ce dont on parle, ce qu’on dit, celui qui parle et ce qui est visé.
Dans la partie consacrée aux horizons politiques et philosophiques du débat, Billouet traite de l’émergence de l’éthique de la discussion. Il balise ce parcours en trois temps : la discussion antique où les normes de conduite émanent de l’ordre naturel ; la discussion moderne, chez Descartes comme chez Kant, dans laquelle le sujet est doté de raison ; l’éthique de la discussion, théorisée par Habermas et Appel. Selon ce dernier courant, le débat autorise la mise en question critique de la vérité des propositions, mais également leur prétention à valeur de sens. Depierre s’interroge sur la demande de débats à l’école et constate que celle-ci est à la fois plurielle et conflictuelle.
Dans la troisième partie, Lamarre montre que le débat est le dispositif qui rend encore possible aujourd’hui l’éducation civique et morale. Il établit trois paliers pour la progression des apprentissages : penser par soi-même, penser en se mettant à la place de l’autre et penser en accord avec soi-même. Analysant le débat dans la Critique de la raison pratique de Kant, Billouet oppose la culture du raisonnement, axée sur des règles universelles abstraites, et les particularités morales concrètes. Touzeau poursuit cette réflexion en regardant les façons d’opérer une décentration chez l’enfant.
Les derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés aux enjeux éducatifs. Lamarre étudie la manière dont le débat permet l’intégration des élèves en difficulté. Depierre présente les défis liés à la parole démocratique des jeunes et à la citoyenneté, laquelle, souligne-t-il, est une destinée humaine.
À travers la pratique scolaire du débat, l’ouvrage interroge la nature et la part des valeurs communes nécessaires au vivre ensemble. Il propose une réflexion fouillée (de quelque 400 pages) sur les fondements d’une éducation à la citoyenneté à l’heure où, dans les programmes, on lui confère une place de choix. Or, si les enjeux de cette pratique sont brillamment explicités, les outils ou propositions en vue de créer des dispositifs pour la mettre en oeuvre se trouvent à manquer. Le praticien en quête de conseils concrets pour travailler le débat, que ce soit comme objet ou comme outil d’enseignement, reste un peu sur son appétit. Plus de didactique aurait rehaussé la discussion.