Corps de l’article
L’analyse des relations entre l’école et la famille suscite des interrogations insistantes, souvent amplifiées par les médias (Ott, 2006 ; Bouchard et Kalubi, 2006), au sujet des responsabilités des parents et de l’explication des difficultés scolaires de leur enfant. Elle s’inscrit dans une préoccupation générale de recherche de réponses. De nombreuses recherches ont mis en évidence les effets positifs de la participation des parents sur les résultats scolaires ainsi que sur le développement et l’ajustement socioscolaire des enfants (Deslandes et Bertrand, 2004 ; Henderson et Berla, 1994 ; Henderson et Mapp, 2002). Cependant, les conditions permettant la mise en place effective d’une telle participation sont peu explicitées (Crinon et Doré, 1994 ; Bouchard et Kalubi, 2003 ; Doré, Wagner et Brunet, 1996 ; Turnbull, Turnbull, Erwin et Soodak, 2006). En effet, quelques études s’attardent sur l’évolution des rôles des enseignants et des parents dans le contexte d’intégration, d’inclusion ou de collaboration. D’autres, par contre, insistent sur les problèmes récurrents qui semblent se poser dans les relations entre l’école et la famille, de même que les préjugés et stéréotypes, les guerres de reconnaissance, de compétences ou de territoire entre parents et intervenants du milieu scolaire ; des obstacles refont surface et le climat de dysharmonie et de rupture de dialogue s’impose. À cela s’ajoute le manque de formation appropriée et les défauts de préparation du personnel scolaire, des parents ainsi que des élèves présentant des besoins spéciaux. Pour arriver à offrir un meilleur soutien à l’enfant, Humbeeck, Lahaye, Balsamo et Pourtois (dans ce numéro) suggèrent que la famille et l’école identifient d’abord leur territoire respectif afin d’arriver par la suite à définir les zones communes d’intervention. Ce n’est qu’une fois cette clarification effectuée que le dialogue et la collaboration effective pourront réellement s’établir.
Participation à la bientraitance
Plusieurs travaux de recherche ont montré l’intérêt non seulement d’examiner en profondeur les pratiques éducatives des familles, mais aussi de rendre accessible toute pratique alternative leur permettant de mieux communiquer avec les enseignants. Car il est de plus en plus évident qu’aucune solution appliquée unilatéralement (par l’école ou par la famille) ne permet de répondre aux situations d’échecs et de dysfonctionnements en milieux scolaires (Beauregard, dans ce numéro). Les recherches sur la participation des familles ont permis d’émettre plusieurs conclusions significatives, en particulier du point de vue des pratiques d’adaptation scolaire, pour démontrer que la participation familiale contribuerait à la finalité de réussite éducative et de développement intégral déclarée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (1999). Les parents et les enseignants encouragent la promotion d’un climat positif de soutien à l’inclusion. Ils répondent ainsi aux impératifs du chantier théorique de la bientraitance (Miron, 2004 ; Mercier, 2003, 200 ; Detraux, 2002). Cette dernière a été définie par Pourtois, Desmet et Lahaye (2004) comme étant la capacité d’« anticiper, de percevoir et de satisfaire les besoins fondamentaux (de l’enfant) selon les usages et traditions de la communauté d’appartenance » (p. 235). L’attrait de la notion de bientraitance traduit, d’un point de vue lexicologique, une évolution dans l’échelle des valeurs privilégiées et dans la prise de conscience générale de la profondeur des attentes sociales en matière de scolarisation, d’instruction, de qualification et de socialisation. Il s’agit de concevoir les démarches d’éducation comme étant avant tout destinées à consolider un processus visant à produire des résultats à la fois satisfaisants et constructifs. La multiplication des programmes éducatifs centrés sur la bientraitance renforcerait alors l’esprit des mesures préventives et les attitudes de lutte contre les conflits entre les acteurs qui interviennent dans l’éducation de l’élève. De tels programmes pourraient amener parents et enseignants à se questionner au sujet de l’arrimage de leurs savoirs respectifs et de leur représentation des objectifs fonctionnels utiles au développement de l’enfant. Ils pourraient contribuer davantage à la valorisation des dispositifs d’évaluation mis en place pour assurer un meilleur suivi de tous les élèves présentant des besoins particuliers.
À cet égard, les Actes de la conférence internationale de l’Unesco à Salamanque sur les besoins éducatifs spéciaux (Ainscow, 1996) ont privilégié officiellement l’appel en faveur de l’inclusion, de manière à mettre l’accent sur un mouvement créateur et régénérateur. Dès lors, l’école inclusive ne peut être considérée comme telle que dans la mesure où elle s’organise pour permettre à tous ses candidats d’accéder à un même traitement valorisant, aux mêmes droits et aux mêmes obligations. Elle favorise donc un plan d’action respectueux de la diversité de ses élèves, au détriment de la perpétuation d’une tradition stérile qui s’« autovalide » uniquement par recours aux résultats de l’élève moyen (pseudo normal). Elle mise également sur la confiance entre divers acteurs pour stimuler un système complexe de coopération et d’équité. En situation concrète de classe (Vienneau, 2002 ; Doré, Brunet et Wagner, 1996), l’effort d’inclusion vise à prendre en considération les étapes du développement, ainsi que les processus de changement dans les habiletés personnelles des élèves, les capacités d’évolution et les compétences relatives aux différentes situations d’apprentissage.
Malgré les difficultés rencontrées dans l’opérationnalisation de l’inclusion, les travaux entrepris dans plusieurs régions soulignent le poids accumulé par ce concept dans la prise en compte des besoins individuels de l’élève ; il s’agit d’un point de départ vers un profond changement des attitudes et habitudes des professionnels (Detraux, 2002 ; Ebersold, 2004). Ces travaux apparaissent en outre comme des tentatives visant à pallier l’absence de référentiels solides, validés et adéquatement articulés aux dimensions théoriques de la bientraitance.
Il convient de rappeler, à la suite de Lambert (2002, 2003), que les recherches sur l’adaptation de jeunes enfants et élèves présentant des déficiences, incapacités ou handicaps ont beaucoup contribué à la prise en considération des besoins et demandes des familles comme apport majeur au bon fonctionnement et à la bonne gestion du système scolaire. Tous les articles réunis dans ce volume thématique l’abordent ou en soulignent la pertinence.
Dès lors, il devient évident que l’engagement en faveur du processus inclusif doit trouver sa justification et sa cohérence dans les options du modèle écologique (Bronfenbrenner, 1979). La prétention explicative, généralement admise pour ce modèle, présente le développement de l’élève comme étant irrémédiablement rattaché à la richesse du contexte, à l’influence des relations familiales et multi-générationnelles, à la complexité des situations sociales et culturelles, à la pression de la transition entre différents cycles de vie ainsi qu’à l’exigence d’ajustements multiples, toujours commandés par des caractéristiques de l’environnement. Beaucoup de chercheurs dont Bailey et Simeonsson (1988), Bouchard, Pelchat et Boudreault (1996), Miron (2004), Dunst (1999, 2001 ; Dunst et Trivette, 2001) ont attiré l’attention, en partant de travaux d’envergure, sur des enseignements à retenir en cette matière. Ils parlent ainsi : (a) de l’élaboration des schémas opérationnels illustrant les dimensions du modèle écosystémique applicables au milieu scolaire ; (b) du rapport entre la théorie humaniste et celles expliquant les besoins de soutien social pour les élèves comme pour leurs enseignants ; (c) de l’analyse et de l’exploration des capacités d’adaptation des familles d’enfant présentant des incapacités comme facteur de protection et de réussite à long terme, tant pour l’élève que pour l’école en entier ; et (d) de la contribution au changement de paradigme sous l’éclairage des théories écologiques. Aussi est-ce pour les mêmes raisons que différents acteurs ont applaudi les mesures spécifiques contenues dans la dernière réforme de l’école québécoise instituant non seulement la création des conseils d’établissement, mais aussi l’implantation des organismes de la participation des parents.
Collaboration au processus d’inclusion
Ceux-ci, par leurs actions, contribuent à traduire en actes et en gestes de terrain les orientations des conseils d’établissement en accordant davantage d’espace à l’affirmation ainsi qu’à la prise de décision des familles. Les conseils et les organismes de la participation des parents jouent à leur tour, du moins là où ils sont déjà actifs, une fonction régulatrice par rapport aux demandes spéciales, aux réponses pratiques et aux exigences du développement de tous les élèves ; car ils recommandent d’inscrire le développement de l’enfant à la fois dans la richesse du contexte des relations familiales multi-générationnelles et dans celle des contextes social et culturel entourant l’école. Ils instaurent une dynamique humaniste qui montre que l’école a tout à gagner en mettant l’accent sur l’enfant, en multipliant les activités motivantes et en encourageant la collaboration entre plusieurs ressources partout où cela est possible. Cela permet ultimement d’améliorer la capacité d’intervention des enseignants, de donner les meilleures chances à l’enfant et de créer des conditions favorables à la réussite. En effet, c’est à l’issue des expériences pratiques réussies d’alliance, de coopération ou de collaboration entre familles et professionnels que les parents, notamment ceux d’élèves en difficulté, reconnaissent l’efficacité de leur participation au processus d’inclusion de leur enfant. Par ailleurs, l’intérêt de la collaboration entre parents et enseignants consiste, selon plusieurs d’entre eux, à instaurer une dynamique de continuité qui précède et alimente les cycles de transition que l’enfant est de toute façon appelé à vivre dans tout contexte d’inclusion scolaire ou social. Car le fait même que l’inclusion dépende des croyances et valeurs partagées dans les systèmes des pays de référence (surtout dans les pays riches) ne remplace pas l’exigence de soutien au quotidien en faveur de l’enfant. Le processus d’inclusion appelle un regard évaluatif pour mettre en évidence les écarts entre la situation attendue et la situation observée. Trois dimensions en interaction doivent être prises en considération dans ce cas : la dimension du projet, susceptible d’alimenter des confrontations explicites par rapport aux besoins des acteurs et en fonction des caractéristiques de chaque contexte d’inclusion ; la dimension de représentation des rôles, en fonction des ressources identifiées, de l’ouverture, voire de l’adéquation du réseau social ainsi que des compétences admises ou supposées chez les acteurs ; la dimension des actions concrètes et de la qualification. Par rapport à la dimension du projet, des études soulignent quatre formes d’opérationnalisation du processus d’inclusion (Bonjour et Lapeyre, 2000), toutes reliées à l’attitude et au comportement des participants, qui laissent entrevoir des niveaux de participation et d’appropriation divers de la part des familles, allant d’une participation ponctuelle et plus ou moins engagée à une participation active : la collaboration peut donc être marginale (Coleman, 1998), consultative (Saint-Laurent et al., 1995), participative (Ebersold, 2004) ou organisationnelle (Lambert, 2002 ; Kalubi et al., 2000). La dimension représentationnelle suscite quant à elle de nombreuses réactions qui évoquent généralement les obstacles et moments de la recherche du langage commun lors des rencontres de collaboration. Toute expérience de participation placerait les familles et les professionnels dans un rapport de complémentarité sans domination ou alors dans un rapport hiérarchique, terreau fertile pour l’exercice des pouvoirs à caractère politique. Dans ce sens, les attentes de différents acteurs s’avèrent de plus en plus élevées quant aux possibilités de résolution des défis concrets qui émergent au jour le jour et aux situations qui y mènent. Car c’est en ces termes de défis que devrait se poser, selon Gayet (2004), la question de l’adéquation des ressources des familles participant au processus d’inclusion scolaire et sociale. Aussi est-ce l’orientation dominante dans les différents articles réunis dans la section thématique de ce volume.
D’une contribution à l’autre
La section thématique de ce volume comprend six textes. Construite autour de l’étude des relations entre les parents et les enseignants, elle comprend deux orientations majeures : celle des travaux portant sur la collaboration école-famille de façon générale et celle des travaux renvoyant aux contextes d’intégration et d’inclusion. Dans le premier texte rédigé par Serge J. Larivée, Bernard Terrisse et Jean-Claude Kalubi, le sujet de la collaboration entre l’école et la famille est abordé dans la perspective d’intégration scolaire et d’inclusion sociale. Les auteurs identifient non seulement des aspects positifs favorisant l’inclusion, mais aussi plusieurs obstacles qui interfèrent dans l’actualisation de liens collaboratifs et dans l’amélioration de la qualité des services. Ce sont ces éléments qui viendraient stimuler ou amoindrir le sentiment de sécurité et de satisfaction des parents. Le deuxième texte, de France Beauregard, aborde le sujet des représentations sociales des parents et des enseignants, ainsi que les rôles assumés lors de l’intégration scolaire d’élèves dysphasiques en classe ordinaire au primaire. Dans le troisième texte, Jean-Claude Kalubi et Élisabeth Lesieux traitent des conditions de collaboration entre enseignants et parents d’élèves présentant des difficultés d’attention. Il y est montré que les défis croissants liés aux réalités de l’énonciation des diagnostics produisent un impact sur l’ajustement des moyens d’intervention. Le quatrième texte, écrit par Rollande Deslandes, Charles Paré et Ghyslain Parent, porte sur la relation entre les valeurs des futurs enseignants, membres de la génération Y, et celles de leurs parents. Il met particulièrement en évidence l’importance pour les futurs enseignants de prendre conscience de leurs propres valeurs et de l’origine de celles-ci, de manière à mieux contrôler le processus de transmission et d’intervention en salle de classe. Dans le cinquième texte, Pauline Minier traite des représentations de parents et d’enseignants d’élèves du primaire sur l’apprentissage scolaire et sur leur vécu interactionnel. L’auteure apporte un éclairage original basé sur un point de vue psychosociologique, en mettant l’accent sur les zones marginales de méfiance et de tensions négatives. Enfin, dans le sixième texte, Bruno Humbeeck, Willy Lahaye, Antonia Balsamo et Jean-Pierre Pourtois traitent de la question de coéducation entre l’école et la famille. À la suite d’un projet de recherche-action mené auprès d’enseignants et de parents de milieu socio-économiquement faible, les auteurs montrent comment il peut être possible de s’entendre sur les opérations et référentiels communs à mettre en place. Ce dernier texte conclut habilement la section thématique en attirant l’attention sur les conditions relatives à la bientraitance des élèves.
Parties annexes
Références
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