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L’éducation à la citoyenneté, nouvelle discipline pour certains, concept fourre-tout pour d’autres, demeure sans contredit un thème qui suscite beaucoup d’intérêt au cours des dernières années. André Duhamel et France Jutras dirigent un ouvrage où l’on tente, à travers une approche interdisciplinaire (les sciences de l’éducation, la théologie, l’éthique, la philosophie et les sciences politiques), d’explorer la complexité de la citoyenneté, des débats entourant ce concept et de sa place dans le cursus scolaire québécois.
André Duhamel ouvre la voie avec une introduction de premier ordre, explicitant d’où proviennent la fascination de l’enseignement de la citoyenneté pour nos sociétés et le sentiment d’urgence que nous éprouvons pour son apprentissage. Parmi ses propos, il nous expose les principales pressions sociales exercées sur l’éducation « citoyenne » au Québec et des nombreux dangers qui guettent les enseignants. Il énonce également les multiples limites de la recherche actuelle et considère que ce n’est qu’à travers les échanges interdisciplinaires que l’on pourra mieux délimiter ce champ d’études.
Divisé en trois parties, ce livre aborde tout d’abord la place de l’éducation à la citoyenneté dans les différents ordres d’enseignement, ses fonctions à l’extérieur de l’école et son impact sur la formation des maîtres. La seconde partie analyse plus spécifiquement quels types d’éducation doivent être projetés dans cet enseignement, quelles compétences et quelles habiletés nous voulons mettre de l’avant chez le futur citoyen, et on y élabore une réflexion sur le rôle du religieux dans cette citoyenneté. Finalement, la dernière section pose des questions plus philosophiques sur les projets et les pratiques associés à l’éducation à la citoyenneté.
Plusieurs dangers guettent des publications comme celle-ci : un assemblage de chapitres disproportionnés par rapport à leur contenu (certains sont trop « scientifiques », d’autres trop vulgarisés, etc.), des risques liés au dérapage conceptuel par rapport aux prémisses de l’ouvrage, une approche interdisciplinaire qui embrasse beaucoup trop large, etc. Toutefois, la collection des textes recueillie par André Duhamel et France Jutras esquive ces types d’écueils et nous offre des écrits de très grande qualité. Les dissertations des auteurs permettent de croire qu’autant les néophytes que les experts y trouveront des éléments qui alimenteront leurs réflexions sur la place et le rôle de l’éducation à la citoyenneté dans notre cursus scolaire. Bien que l’ensemble des analyses soit pertinent, certains se démarquent par leurs traitements et leurs propos. Les chapitres d’Alain Létourneau, France Jutras et Luc Guay, Robert Roy, Fernand Ouellet et Stéphane Courtois méritent que l’on s’y attarde.
Malgré ces éloges, il y a deux aspects qui m’ont désappointé. Le premier concerne la représentativité des niveaux d’enseignement à l’intérieur de la première section. Bien que l’enseignement collégial ait été documenté (ce qui est très rare, et je tiens à féliciter les responsables pour l’insertion de ces écrits), le niveau du secondaire et, plus particulièrement, le niveau primaire n’ont été qu’effleurés. Est-ce que l’état des analyses québécoises était trop embryonnaire pour en formuler des résultats ? L’introduction de l’ouvrage aurait dû mentionner cette limite, car les textes nous laissent sur notre appétit. Le deuxième aspect concerne la postface de la publication. L’exposé de Denis Jeffrey présente une vision très philosophique qui m’aurait semblé plus pertinente à l’intérieur de la troisième section et non dans une postface. Bien qu’il soit extrêmement difficile d’introduire une conclusion dans ce type de livre, je me serais attendu à une relance sur l’approche interdisciplinaire dans les recherches sur l’éducation à la citoyenneté, des nouvelles avenues que cela peut engendrer et des dangers susceptibles de faire surface.
Est-ce que cette parution est utile et de circonstance ? À cette question je réponds : « absolument ! » Les chapitres fournissent des synthèses intéressantes et ils offrent, à la fois, des éléments conceptuels opportuns et d’excellentes pistes d’approfondissement pour les années à venir. Par contre, la très grande popularité de ce thème risque, à moyen terme, de diluer les constats apportés dans ce livre. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage constitue, pour l’instant, une ressource captivante.