Comptes rendus

Jean-Philippe Pleau, Rue Duplessis. Ma petite noirceur, Montréal, Lux Éditeur, 2024, 328 p.

  • André Turmel

…plus d’informations

L’accès à cet article est réservé aux abonnés. Seuls les 600 premiers mots du texte seront affichés.

Options d’accès :

  • via un accès institutionnel. Si vous êtes membre de l’une des 1200 bibliothèques abonnées ou partenaires d’Érudit (bibliothèques universitaires et collégiales, bibliothèques publiques, centres de recherche, etc.), vous pouvez vous connecter au portail de ressources numériques de votre bibliothèque. Si votre institution n’est pas abonnée, vous pouvez lui faire part de votre intérêt pour Érudit et cette revue en cliquant sur le bouton “Options d’accès”.

  • via un accès individuel. Certaines revues proposent un abonnement individuel numérique. Connectez-vous si vous possédez déjà un abonnement, ou cliquez sur le bouton “Options d’accès” pour obtenir plus d’informations sur l’abonnement individuel.

Dans le cadre de l’engagement d’Érudit en faveur du libre accès, seuls les derniers numéros de cette revue sont sous restriction. L’ensemble des numéros antérieurs est consultable librement sur la plateforme.

Options d’accès
Couverture de La discipline sociologique au Québec : champs, formations et pratiques, Volume 65, numéro 1, janvier–avril 2024, p. 7-146, Recherches sociographiques

Il s’agit d’un livre précieux que tout sociologue devrait lire, car il aborde une question complexe. Il n’est pas le fait d’un sociologue du sérail universitaire. Tant du côté du commentariat public où les louanges fusent que du côté d’étudiants disant se retrouver dans ce parcours, la réception du livre a été remarquable. Le livre soulève néanmoins certains problèmes d’analyse qui doivent être soulignés. Quels problèmes dès lors : s’acheter un char neuf comme preuve de réussite « sociale » (p. 301); « qu’est-ce que tu veux, il buvait tout le temps ses paies » (p. 126). D’abord les mots, le vocabulaire. Disons au départ que le père de l’auteur est analphabète et sa mère peu scolarisée. L’auteur, lui, occupe une place recherchée dans le système médiatique. Est-ce qu’on immigre ou qu’on émigre d’une classe sociale à l’autre : quelles différences y a-t-il entre émigrer et immigrer? Google précise : émigrer signifie « quitter son pays pour aller s’installer dans un autre ». Le préfixe é- de ce verbe est une variante de ex-, qui signifie « hors de ». C’est donc par rapport au pays de départ qu’on parle d’émigration. En revanche, immigrer signifie « entrer dans un pays étranger pour s’y fixer de façon durable ou définitive ». Le préfixe im- de ce verbe est une variante du préfixe in- qui signifie « dans, à l’intérieur de ». C’est donc par rapport au pays d’arrivée que l’on parle d’immigration. Si Pleau fait le récit d’ « une communauté d’immigrés de l’intérieur qui s’ignore » (p. 272), on constate chez F. Dumont (Récit d’une émigration) la perspective contraire : lui émigre, alors que Pleau immigre. Qu’est-ce à dire? Dumont dit d’abord qu’il se sent étranger dans ce nouvel univers où il émigre. Je soumets que la figure de Dumont – se sentir « étranger » – est une tout autre chose que de se sentir transfuge de classe. En quoi? Cette distinction repose sur un système symbolique particulier dont il faut porter au jour les ressorts. En premier lieu, la honte et la souffrance qu’elle induit. Il y a ceux d’en haut et ceux d’en bas : « [m]on père croit que leur histoire ne mérite pas d’être racontée » (p. 25); « [m]on père et ma mère ont intériorisé que les vieilles choses sont liées à la pauvreté et les neuves sont synonymes de progrès » (p. 307). Et même la double honte : respectivement sexuelle ou culturelle en plus d’être sociale. Cette honte s’inscrit dans une hiérarchie où il faut « atteindre une hauteur respectable » (p. 206) : devenir millionnaire comme seul rêve de son père (p. 103); changer de « char » tous les deux ans comme matérialisation du rêve (p. 266). Pleau évoque l’image de l’ascenseur social, sinon celle du self-made man (p. 206) pour illustrer sa trajectoire. Reconnaissant son parcours atypique : « tu vas voler la place d’un autre » (p. 269), il propose un détour vers la distinction bourdieusienne : être distingué par l’habillement (p. 106); sauver les apparences (p. 116). Les minorités visibles ne sont pas en reste comme cibles d’intimidation (p. 175) : « C’est un Noir. Il est ben fin pour un Noir, je te jure » (p. 249). Ce qui nous mène au transfuge de classe, c.-à-d. celle/celui qui a échappé à ses origines sociales, donc qui part d’en bas et parvient en haut, tout en sachant que l’égalité des chances est un mirage (p. 11; p. 294). En reconnaissant cependant que le parcours inverse existe, car la bourgeoisie n’hésite jamais à recaler …