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Cet ouvrage collectif compte douze chapitres relatant, selon une perspective féministe multidisciplinaire, l’expérience vécue par des mères en contexte de pandémie. Celles-ci avaient « une responsabilité ou une charge parentale significative » alors qu’elles étaient « étudiantes, doctorantes, postdoctorantes, chercheuses, enseignantes ou professeures à différentes étapes de leur carrière ». Ces mères sont, pour la plupart, québécoises de diverses origines et oeuvrent dans différentes disciplines au sein d’institutions québécoises, ontariennes, suisses ou françaises.
La préface signée par Francine Descarries et l’introduction des co-directrices Amélie Keyser-Verreault et Florence Pasche Guignard situent l’ouvrage dans les champs d’étude du « care », concept utilisé en études féministes pour désigner le travail matériel et émotionnel nécessaire au bien-être (de la famille dans ce cas), de la conciliation travail-famille et de l’impact de la pandémie en contexte académique. Les axes centraux retenus pour l’analyse sont les spatialités, les temporalités et la dislocation des réseaux sociaux et de solidarité.
Les chapitres, sous forme de témoignages et de réflexions, illustrent les expériences quotidiennes qu’ont vécues ces mères eu égard à ces enjeux. L’ampleur des difficultés décrites varie, selon les statuts universitaires, les conditions de travail propres à chaque milieu, et les ressources de soutien disponibles. La démarche retenue, axée sur le récit, fournit une information très riche sur le quotidien des mères, les embûches et les situations plus ou moins anxiogènes dans lesquelles elles se sont trouvées, leur capacité d’adaptation, leur ingéniosité et leur appréciation des acquis néanmoins positifs de ces expériences.
Certains éléments communs peuvent être dégagés de leurs réflexions. Ces éléments concernent les fondements des inégalités et constituent un matériel d’analyse intéressant pour la suite des choses :
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1- Les inégalités en milieu universitaire : la pandémie n’aurait qu’exacerbé des inégalités existantes qui reposent a) sur les représentations selon le genre, les mères étant considérées comme premières responsables du « care », et b) sur l’occultation des exigences liées au travail.
2- Les attentes du milieu universitaire : le travail académique impose une disponibilité qui ignore le « care » découlant des responsabilités familiales ou similaires. Or, pendant la pandémie, les exigences du « care » ont crû avec l’ajout du « travail Covid » défini comme « l’ensemble des tâches supplémentaires que la pandémie et les mesures sanitaires ont engendrées ».
3- Les particularités du travail académique : si leurs expériences en contexte de pandémie rejoignent, sous divers aspects, celles d’autres mères, elles s’en distinguent par les particularités de ce travail. L’enseignement et la recherche requièrent une grande disponibilité intellectuelle, une organisation de l’espace la favorisant, ainsi que des contacts avec des sujets de recherche et des présences sur le terrain, conditions toutes rendues plus difficiles par la pandémie. En témoigne une diminution, pendant et à la suite de la pandémie, de la production scientifique des chercheuses, notamment les soumissions d’articles scientifiques essentielles pour l’avancée dans une carrière. Cette diminution a été constatée sur le plan international.
4- La période post-pandémique : les impacts de la pandémie ne se sont pas limités à la période de confinement. Ils concernent aussi les mois qui ont suivi, avec le temps nécessaire à la normalisation du calendrier scolaire des enfants et des conditions requises par les travaux de recherche, auxquelles s’ajoutait le rattrapage des retards accumulés.
D’autres éléments s’ajoutent au matériel d’analyse pour la suite des choses :
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1- Tout au long de l’ouvrage s’exprime une apologie du « care ». Les mères ne remettent jamais en question sa pertinence, insistent sur la place qui lui revient dans la vie sociale et plaident pour une reconnaissance de sa valeur et des activités qu’il commande. L’argumentation des autrices est centrée sur le décalage observé entre les attentes des milieux universitaires et les conditions requises pour assurer ce « care » au quotidien.
2- Une pratique peu connue est soulignée par des mères qui ont été particulièrement sollicitées pendant la pandémie, soit le « care » dispensé aux étudiantes et étudiants dont les besoins auraient alors augmenté. Selon elles, l’élargissement du « care » à cette population est une variable à considérer dans la perspective d’une plus grande équité en milieu universitaire, puisqu’il s’agit d’une tâche assumée le plus souvent par les professeures.
3- Les recommandations ou suggestions tirées des expériences vécues en contexte de pandémie semblent insuffisantes si elles ne s’inscrivent pas dans un changement de culture profond permettant au milieu universitaire de s’adapter aux responsabilités sociales des personnes qui y travaillent. Certaines autrices avancent que cette adaptation serait bénéfique non seulement pour celles et ceux qui prodiguent le « care », mais aussi pour le développement des connaissances.
Contribution francophone aux études sur l’impact de la pandémie en milieu universitaire, cet ouvrage arrive à point nommé. En privilégiant une approche qualitative qui donne la parole aux personnes concernées et valorise le savoir expérientiel, il fournit des informations stratégiques pour l’amélioration des conditions professionnelles dans ce milieu. Il contient, en effet, un matériel pertinent pour la recherche de solutions transformationnelles visant l’atteinte d’une réelle équité professionnelle.