L’ouvrage a vieilli. Il est devenu témoignage. Il nous en révèle plus sur une thèse datée qu’il nous instruit sur la complexité de l’objet traité. L’écrit a eu ses gloires. À ses élèves, Séguin a fourni un cadre d’interprétation pédagogique pour décrire la condition québécoise dans le temps. Il les a munis d’un schéma rhétorique pour statuer sur le sens à donner à une expérience historique. D’influents disciples ont disséminé sa parole aux quatre coins du Québec français. La conscience historique collective en a été fortement nourrie. Encore de nos jours, la thèse de Séguin est reprise dans sa vulgate par une majorité de Québécois déclamant un passé qu’ils connaissent mal, mais dont ils ont une vision forte, soufflée par le maître. « On s’est fait avoir », lancent les inspirés. Je parle évidemment des Québécois d’héritage canadien-français, sujets exclusifs des affections de Séguin. Suivant la thèse du professeur, les Anglais, en leur qualité de persécuteurs des Canadiens français, sont en effet (des) étrangers au Québec. Profiteurs (au sein) de la société établie sur cette terre, ils sont extérieurs au Nous l’habitant. Les Autochtones et les Allophones? Absents du topo. Dans son opuscule, Séguin entend retracer la genèse de l’idée d’indépendance au Québec. Il explique plutôt comment cette idée a dégénéré en son contraire, soit le consentement à l’annexion. Relevant du raisonnement logique plus que de l’examen empirique, sa problématique est péremptoire. Elle se décline en six propositions : 1) Les peuples ont pour vocation naturelle et dessein historique de vivre dans la séparation. 2) L’histoire du Québec est celle de la quête d’abord reportée, puis avortée et enfin dénaturée d’un peuple pour s’élever dans la séparation. 3) L’échec du projet séparatiste québécois tient notamment à la candeur des Québécois, celle-ci découlant de leur aliénation, maladie les menant à prendre des vessies pour des lanternes, par exemple à confondre le séparatisme avec le fédéralisme. 4) Être un peuple minoritaire dans une fédération, c’est être un peuple annexé. 5) Pour sortir de cette condition, l’indépendance est une nécessité historique. 6) La survivance est la conséquence de la dépendance. Cette thèse convainc-t-elle? Non. Elle n’est même pas fondée. Pour au moins trois raisons : 1- La prémisse selon laquelle les peuples auraient quelque vocation naturelle et destinée attendue est indéfendable. Pareille position émane d’une métaphysique évolutionnaire délaissée depuis longtemps par la méthode historienne. Il n’y a pas de voie prescrite ou normative au devenir des entités – nations, peuples ou sociétés. Il n’y a pas non plus, pour elles, de forme idéale ou de trajectoire réussie. Les entités se construisent et deviennent par l’action humaine. Faire oeuvre savante commande de les analyser dans leurs formes observables, non de les envisager dans leurs architectures désirables. Que les Canadiens français ne se soient pas séparés des Canadiens anglais et que le Québec n’ait pas accédé au rang d’État indépendant, voilà qui consterne Séguin. L’Histoire n’a cure de pareil ressenti. Celle-ci prend consistance dans les singularités qui la composent et qu’elle engendre dans l’indétermination de son cheminement. 2- Séguin a raison de dire que l’idée d’indépendance traverse l’histoire du Québec. Le désir de séparation constitue une variable importante dans l’équation politique québécoise. D’autres variables – la volonté de coopération par exemple, amplement soutenue par la population – doivent cependant entrer dans la formule si on la veut démonstrative. En considérant l’ensemble des éléments composant l’intention nationale des Québécois, celle-ci apparaît dans son ensemble plurivoque et multiforme. Si, pour Séguin, la réponse à la question du Québec est claire : la séparation et rien d’autre, ce rien étant pour l’historien la condition du tout, soit la …
Maurice Séguin, L’idée d’indépendance au Québec. Genèse et historique, préface d’Éric Bédard, Montréal, Boréal, 2022, Coll. Boréal compact classique, no 337, 96 p.
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Jocelyn Létourneau
CÉLAT et Département d’histoire, Université Laval
jocelyn.letourneau@celat.ulaval.ca
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