Corps de l’article

Les Mi’gmaq est le sixième et plus récent tome de la série Les récits de notre terre dirigée par Daniel Clément aux Presses de l’Université Laval. La série vise à faire connaître les traditions orales des peuples autochtones du Québec, et promet 11 tomes – un pour chaque nation présente sur le territoire québécois. Comme tous les autres ouvrages de la série, il a été assemblé par Daniel Clément lui-même. Assez connu dans le milieu algonquiniste, notamment pour ses travaux sur les connaissances ethnoscientifiques des Innus de la Côte-Nord et du Labrador, celui-ci a été conservateur au Musée canadien des civilisations ainsi que directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique en France.

L’ouvrage est un assemblage de différents textes issus de la tradition orale mi’gmaq. Tous les textes réunis dans ce recueil ont été publiés antérieurement. Mis à part quelques exceptions, l’écrasante majorité des textes sont tirés du travail de trois auteurs : le pasteur baptiste Silas T. Rand (1894) et les anthropologues américains Frank G. Speck (1915) et Truman Michelson (1925). Mentionnons aussi quelques textes tirés de la Nouvelle relation de la Gaspésie du récollet Chrestien Leclercq (1999 [1884]) ou encore des travaux d’autres anthropologues du début du 20e siècle – Stansbury Hagar et Elsie Clews Parsons – de même qu’un texte tiré des relations de Samuel de Champlain. La seule nouveauté dans cet ouvrage est donc la traduction de certains de ces textes de l’anglais vers le français par Clément.

Les récits proposés aux lecteurs sont divisés en différentes catégories. Le livre s’ouvre sur des textes relevant du cycle de Glooscap, le héros créateur du monde de la mythologie mi’gmaq. Viennent ensuite une section sur les mythes associés au Carcajou, le décepteur, comprenant des récits attribuables à d’autres héros, ainsi qu’une autre section sur les histoires de « Nains, géants et cannibales ». À quoi s’ajoutent des textes oraux sur la spiritualité, les couples insolites (c’est-à-dire des récits à propos de relations matrimoniales entre humains et animaux), des récits d’animaux, des récits sur les relations anciennes envers d’autres Premières Nations et finalement une section de récits divers. L’ouvrage contient également une courte introduction qui présente la nation Mi’gmaq ainsi que les sources des récits. Finalement, l’auteur associe à chaque récit une note en fin d’ouvrage qui en donne la source et propose d’autres variantes connues du récit en question.

J’ai eu l’occasion de commenter pour d’autres périodiques scientifiques plusieurs autres opus de la série Les récits de notre terre et ma critique reste sensiblement la même pour le présent tome. Elle s’est peut-être même durcie en voyant la direction que prend le projet de Clément. Premièrement, l’intérêt de ce genre d’ouvrage – du moins dans sa facture actuelle – est plutôt limité puisque la très grande majorité des récits publiés sont déjà disponibles ailleurs et très souvent en libre accès. À la différence des autres tomes de la série, dont la plupart contenaient des récits consignés par l’auteur ou conservés dans des fonds d’archives peu connus, le présent tome ne contient que des republications de textes facilement accessibles sur internet. Deuxièmement, le travail d’édition s’avère plutôt lacunaire. En effet, pour un chercheur qui souhaite s’y référer régulièrement, le livre se consulte très mal puisqu’on doit constamment se rapporter à la fin pour connaître la source, l’année de la collecte, et l’identité du conteur de chacun des récits. Par ailleurs, l’aspect aride de sa conception n’en fait pas non plus un livre agréable à lire pour le grand public. Le livre contient en effet très peu d’éléments de vulgarisation qui permettraient à un lecteur non expert de saisir toutes les subtilités des récits proposés. Du point de vue éditorial, le livre n’a donc ni les qualités d’un livre pour experts ni celles d’un livre destiné au grand public.

À mon sens, ce livre et la série dans son ensemble sont un véritable rendez-vous manqué à la fois pour l’auteur et pour la discipline. En effet, la contribution de l’auteur à l’étude des sociétés algonquiennes est majeure, comme en témoigne sa volumineuse bibliographie (voir Clément 2022; 2014; 2012; 1996). Ses ouvrages sur l’ethnoscience innue sont d’ailleurs de véritables incontournables. On s’explique mal comment un expert ayant une connaissance aussi fine des visions du monde algonquiennes peut nous proposer un ouvrage aussi lacunaire. Mais cette série est aussi un rendez-vous manqué pour la discipline. Au fil du temps, l’anthropologie algonquiniste a consigné une somme astronomique de récits mythiques, mais ce corpus n’a jamais été mis en valeur comme il se doit. À cet égard, je n’ai pas l’impression que la démarche de Clément vienne changer quoi que ce soit à la situation puisque, comme mentionné à l’instant, la mise en forme des ouvrages ne les rend attrayants ni pour les experts ni pour le grand public et que leur contenu n’apporte rien de nouveau par rapport aux publications antérieures, qui remontent parfois à plus d’un siècle.

Il n’en demeure pas moins que les récits proposés dans cet opus sont très intéressants et ne manqueront pas de captiver les lecteurs de tous les horizons. Je trouve seulement dommage qu’un projet aussi important – la valorisation des traditions orales autochtones – ne soit pas pleinement réussi. On aurait souhaité un meilleur travail d’édition, plus de textes inédits et actuels de même qu’une plus grande implication des principaux intéressés – les Premières Nations – dans la conception même du projet.