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Il aura fallu quarante-cinq ans, après l’organisation en 1976 à l’Université du Québec à Trois-Rivières du colloque « Les pèlerinages au Québec », pour qu’une rencontre universitaire soit à nouveau dédiée, en avril 2021, aux études pèlerines québécoises, à l’occasion d’un colloque de la Société québécoise pour l’étude de la religion. Pareille distance entre les deux événements signale sans nul doute une retombée d’intérêt de la communauté scientifique à l’égard de la pratique pèlerine, alors même que celle-ci connaissait un renouveau notable. La Chaire Jeunes et religions, pilotée par Jean-Philippe Perrault à l’Université Laval, a joué un rôle décisif dans la mobilisation des chercheurs. À compter de 2018, elle a en effet offert, sur ce thème, un espace d’enseignement et de recherche, permettant ainsi la formation d’un réseau composé d’observateurs participants. Cette initiative s’est inspirée de l’Institute for Pilgrimage Studies de l’Université William & Mary de Williamsburg, aux États-Unis, fondé en 2011 par George Greenia, qui ne manque pas de décrire ses « premiers pas comme pèlerin » sur le chemin de Compostelle (p. 22-23). L’ouvrage engage un fécond tour d’horizon dicté par une question centrale : « Où en sont la recherche et les pratiques pèlerines au Québec? » (p. 3). La réponse – plurielle – est ordonnée à l’étude des pratiques et des recherches pèlerines tant à l’échelle internationale que dans le contexte québécois.
Signe de ce retour en grâce, qui revêt par bien des aspects la forme d’une recherche-action, la plupart des contributeurs ont estimé utile et judicieux d’évoquer les débuts de leur propre pratique pèlerine, comme pour mieux permettre d’en saisir la portée et la signification. Ainsi, Karine Boivin, professeure en sciences de l’activité physique, dit avoir entamé en juin 2017 sa première marche au long cours en Espagne (p. 191). La journaliste et auteure bretonne Fabienne Bodan précise que « les chemins de pèlerinage sont au coeur de [sa] vie depuis 2012 » (p. 43). Et Mathieu Boisvert reconnaît que c’est à l’invitation des initiateurs de l’ouvrage qu’il a conçu la mise en parallèle de ses recherches réalisées in situ sur les pèlerinages hindous et son propre parcours d’universitaire intéressé, en Asie du Sud, à l’interaction du religieux avec la sphère sociopolitique. Se trouvent dès lors étroitement associées, avec un effet d’intelligibilité, observation empirique et approche théorique, expérience et réflexion. Matthew R. Anderson estime ainsi que son intérêt pour le pèlerinage s’articule autour de « deux axes initiaux : étudier le pèlerinage en tant qu’historien et théologien, et être pèlerin, en marchant un peu partout à travers le monde » (p. 143). Éric Laliberté indique que le pèlerinage est entré dans sa vie, sans qu’il y prenne garde, au cours des années 1980 (p. 55) et que c’est en 2013 qu’il s’est lancé « dans un processus de recherche visant à comprendre la dynamique pèlerine au 21e siècle » (p. 57).
Dans cette configuration, Compostelle occupe une place privilégiée et exerce une fonction fondatrice. Son ancrage dans l’imaginaire a d’ailleurs conduit à « revisiter » des points forts de la pratique pèlerine sur le territoire du Québec, en direction, notamment, des trois grands sanctuaires : Notre-Dame-du-Cap, Sainte-Anne-de-Beaupré et l’Oratoire Saint-Joseph. Pour É. Laliberté, « si Compostelle se distingue, c’est en termes de paradigme émergeant du langage » (p. 72); il s’associe avec Michel O’Neill pour déceler dans l’attrait du « pèlerinage à pied vers Saint-Jacques-de-Compostelle la bougie d’allumage du raz-de-marée d’intérêt pour le sujet » p. 323). Sans doute, en effet, le terme « pèlerinage » est-il de nature à soulever quelque défiance en raison de sa connotation religieuse dans un Québec largement sécularisé : l’anthropologue Suzanne Boutin évoque « la “frilosité” des Québécois envers la religion catholique » (p. 111), y compris en milieu universitaire. A contrario, le nom de « Compostelle », du fait de sa valeur quasi générique, est porté au rang d’emblème positif apte à revitaliser des chemins de pèlerinage parfois tombés en désuétude. O’Neill définit d’ailleurs ainsi ce qu’il entend par « marche pèlerine », l’une des trois composantes du titre de l’ouvrage, qui se recoupent sans pourtant s’équivaloir : « Un parcours bien identifié qui s’inscrit dans la lignée de la pérégrination moderne vers Compostelle, offrant la possibilité à des personnes de développer une forme d’intériorité réflexive en marchant plusieurs jours à travers des lieux se situant davantage en milieu habité qu’en nature sauvage » (p. 82). L’auteur estime entre 45 000 et 50 000 le nombre de Québécoises et de Québécois qui, de 1989 à 2019, ont pérégriné sur les sentiers jacquaires. La popularité du « chemin » s’est accentuée avec la fondation, en l’an 2000, de l’Association du Québec à Compostelle (ADQAC), dont Jean-Marc Darveau analyse l’évolution et l’internationalisation des activités.
Le pèlerinage se définit-il par la quête d’une destination ou comme un cheminement? Ainsi, s’agit-il plutôt « d’aller à » ou de « faire » Compostelle? Ancien directeur du sanctuaire Notre-Dame-du-Cap à Trois-Rivières, Pierre-Olivier Tremblay voit dans le sanctuaire, en tant que but du pèlerinage, le « pôle stable d’une dynamique mobile » (p. 257), générateur d’un espace de communion. Le théologien jésuite André Brouillette considère au contraire le pèlerinage comme une « intuition » propre à « penser l’Église à frais nouveaux » (p. 121), une Église non pas installée ni « arrivée », mais en chemin, comme si l’on passait d’un christianisme de position à un christianisme de mouvement. Ce choix est aussi celui de la plupart des autres contributeurs, pour qui, en définitive, le but c’est le chemin… L’analyse de la migration peut dès lors s’inscrire dans une telle perspective. Le film documentaire du réalisateur Roger Parent De Sherbrooke à Brooks traite ainsi d’un corridor migratoire emprunté, parfois sur le mode de l’errance, par des réfugiés africains entre le Québec et l’Alberta. Et c’est aussi sur le terrain de la migration que Martin Bellerose, dans les pas de saint Augustin, conduit sa réflexion : sur le modèle de Jésus, « en tant que citoyen de la cité de Dieu [le peregrinus] vit comme un migrant dans la cité terrestre » (p. 216). Une telle quête pèlerine se perçoit également dans l’original échange poétique, sur fond du documentaire Alex marche à l’amour réalisé sur les routes de l’Abitibi-Témiscamingue, entre le cinéaste Dominic Leclerc et le comédien Alex Castonguay.
Cet ouvrage fait figure de point d’orgue en ce qu’il permet à ses auteurs et autrices de s’accorder le temps d’une halte avant d’initier un programme qui vise d’abord l’inventaire des travaux réalisés depuis le colloque de 1976; Guy Laperrière, qui en fut l’un des participants, s’y est d’ores et déjà employé, assuré que « le colloque de 2021 viendra sans doute raviver une flamme qui ne s’est jamais éteinte » (p. 17). L’objectif est aussi de lancer de nouveaux projets de recherche et de renforcer le réseau québécois en études pèlerines. Se trouveront ainsi valorisées des initiatives qui mettent à profit le potentiel géographique et patrimonial du Québec grâce à la marche pèlerine, sous l’impulsion par exemple de Rando Québec, présenté par Grégory Fayol, ou des élus municipaux initiateurs du Circuit de l’Abbaye porté par Action Memphré-Ouest (AMO), que préside Lisette Maillé, mairesse d’Austin. Les observateurs participants de 2021 peuvent ainsi, dans un cercle de recherche appelé à s’élargir, se donner un nouveau départ à la fois personnel et collectif…