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Appuyé notamment par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, l’ouvrage est composé d’articles intéressants et de textes moins palpitants, voire mauvais. Sur le plan empirique, plusieurs auteurs apportent des contributions valables, soit à l’histoire des programmes et des manuels d’histoire au Québec depuis 1832, soit au rôle joué par certains regroupements d’intellectuels – ceux gravitant autour des revues Cité libre, Parti pris et L’Action nationale – dans les débats historiographiques. Est-on renversé par ce que l’on apprend? Non. Il est toutefois commode de trouver, dans un livre à vocation synthétique, ce qu’il faudrait autrement grappiller dans des publications moins accessibles ou plus dispersées.

Le livre contient aussi un chapitre, le douzième, qui porte sur le débat entourant l’apprentissage et l’enseignement de l’histoire dans la province entre 2006 et 2017. Ce texte relève du factum. On s’étonne de trouver pareil écrit dans un ouvrage savant. Il est le produit de Félix Bouvier, l’un des directeurs du recueil. Un patron, évidemment, impose son travail, soit-il médiocre, à ses collègues. L’éditeur, néanmoins, aurait dû être vigilant. La négligence pourrait découler de l’enthousiasme du préfacier, fondateur de la maison Septentrion, qui considère le livre comme « monumental » (p. 10), mais sans justifier sa dithyrambe, lui qui s’attèle plutôt, dans un liminaire où il s’étend sur sa personne, à rappeler son engagement pour l’histoire, en particulier pour l’histoire nationale, contre les ennemis de Clio, qu’ils soient technocrates, politiciens, pédagogistes ou fédéralistes. En cela, Denis Vaugeois rejoint ses deux héritiers.

Rendu par son titre, l’objectif du livre est de montrer que l’évolution des programmes et des manuels d’histoire au Québec tient largement des rapports de force qui ont existé entre les adeptes de deux grandes idéologies, le nationalisme et le bon-ententisme. Suivant la problématique exposée par les directeurs de l’ouvrage, membres de cercles patriotiques connus, on sent que les nationalistes, réputés sensibles à la cause québécoise, sont les légitimés alors que les bon-ententistes, apparemment détachés des intérêts du Québec, sont associables aux renégats. Au dire de Bouvier et de Courtois, qui présentent leurs vues dans une introduction à l’écriture laborieuse, un bon-ententiste est une personne qui n’insiste pas assez sur la quête nationale canadienne-française ou québécoise. Pour eux, un bon-ententiste, aussi appelé loyaliste ou Canadianist, est un chercheur ou un enseignant qui ne fait pas de l’irréductible conflit Anglos/Francos le pivot fondamental, principal et essentiel de l’expérience québéco-canadienne. C’est dire la centralité qu’ils accordent à ce paramètre de l’histoire du Québec, dont on conviendra de l’importance, mais sans l’accréditer comme facteur explicatif invariablement primordial et continuellement déterminant de l’aventure québécoise dans le temps. L’historiographie a évolué depuis Groulx et Séguin.

Il est courant, comme le font Alex Bureau et Charles-Philippe Courtois dans leurs chapitres respectifs (1 et 2), de qualifier de bon-ententistes les historiens, souvent auteurs de manuels scolaires aussi, qui, de Joseph-François Perrault à Gustave Lanctôt en passant par Michel Bibaud, Jean-Baptiste Ferland, Thomas Chapais et Arthur Maheux, ont décrit l’expérience historique canadienne à l’aune de la thèse des deux peuples fondateurs entretenant, après la Conquête bien sûr, une relation plus ou moins cordiale ou tendue. Il est toutefois inusité, parce qu’inadéquat, d’accoler ce label aux historiens et didacticiens contemporains qui se penchent sur l’expérience québécoise à partir d’une posture autre que nationaliste. Faut-il croire que, pour Bouvier et Courtois, voire pour Bureau, qui utilise l’expression de manière convenue dans le chapitre 6, toute position interprétative qui ne s’inscrit pas dans le paradigme nationaliste est automatiquement rattachable au bon-ententisme, donc condamnable? Dans le cas de Bouvier, dont les trois articles sont animés par une frénésie politique passionnelle, cela ne fait aucun doute. Le professeur de l’UQTR aurait dû lire avec attention les textes de ses collègues. Il aurait appris qu’à partir des années 1950, la rivalité, pour ce qui est de l’histoire du Québec à enseigner et à raconter en milieu francophone, ne se fait plus entre bon-ententistes et nationalistes, mais entre nationalistes de différentes tendances – cléricale ou laïque, culturelle ou politique, optimiste ou pessimiste, de Québec ou de Montréal, ethnique ou civique, identitaire ou altéritaire, mélancolique ou révisionniste, de gauche ou de droite, pédagogiste ou patriotiste, exogéniste ou endogéniste (c’est la faute à l’autre / la faute est la nôtre). Il aurait également découvert que, dans le brouhaha des positions interprétatives et narratives des uns et des autres, tantôt contradictoires et tantôt complémentaires, une thèse s’est à la longue affirmée, portée par différents acteurs bruyants et influents dans la Cité – groulxistes, partipristes, séguinistes, marxistes et autres néonationalistes – voulant que l’expérience historique québécoise, surdéterminée par l’épisode de la Conquête et par celui des Rébellions écrasées, hauts faits d’une condition coloniale imposée, ait été marquée par la domination, l’oppression, la marginalisation et l’aliénation d’un peuple, bref par la mise en réserve d’une nation empêchée d’être et vivant du coup une anormalité existentielle. Faut-il se surprendre que les Québécois d’aujourd’hui, en tout cas les francophones, lorsqu’ils sont invités à raconter l’histoire du Québec comme ils s’en souviennent, reprennent sans souci critique l’essentiel de ce récit dramatique? La chose devrait plaire aux afficionados du grand roman national, qu’il s’agisse des membres de la Fondation Lionel-Groulx, de la Société des professeurs d’histoire du Québec, du Mouvement national des Québécois ou de la Coalition pour l’histoire – tous regroupements dont se réclament Bouvier et Courtois – qui s’émeuvent de la piètre conscience historique des Québécois alors même qu’elle se moule au régime de vérité qui les affriandent.

Venons-en à la dernière section de l’ouvrage, qui porte sur les débats actuels en enseignement de l’histoire. Outre l’article de Lanoix et Warren, qui nous ramène avec bonheur sur le terrain de l’analyse nuancée, sans que ces derniers recourent une seule fois à la notion de bon-ententisme – ce qui est éloquent –, les textes de cette section, raboteux dans leur forme, sont signés Félix Bouvier. Disons qu’il s’agit d’écrits gênants pour l’entreprise savante. Conquêtiste et indépendantiste effréné, l’historien-didacticien, pour qui tout interprète qui ne partage pas ses idées est un conspirateur anti-Québécois, voit partout du complot, de la part de collaborateurs fédéralistes à la solde des Anglais, contre le peuple québécois et l’intégrité réputée de son histoire nationale. Plutôt que d’argumenter avec intelligence, Bouvier multiplie les procès d’intention, demi-vérités, citations décontextualisées, faussetés rapportées et affirmations fallacieuses pour construire une thèse qui se résume à ceci : dans les années 2000, avec l’aide d’un allié au MEQ, un trio de bon-ententistes, tous professeurs à l’Université Laval, tente un putsch pour dépolitiser, déconflictualiser et dénationaliser l’histoire du Québec enseignée aux jeunes afin de lui substituer un récit rassembleur, inclusif, multiculturaliste et Canadianist, récit favorable aux intérêts de la communauté anglo-québécoise, si ce n’est anglo-canadienne. Heureusement, par suite de la réaction opportune d’invétérés défenseurs de l’histoire réaliste et objective, celle qui privilégie la matrice nationale, la conjuration est anéantie et les manoeuvriers culbutés.

Le lecteur jugera s’il faut rire ou pleurer de pareille sornette.