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Nous avons le droit de nous faire notre place au soleil par des moyens légitimes; il est même indispensable que nous y arrivions si nous voulons survivre, c’est-à-dire rester français autrement que par un signe extérieur – la langue – vide de tout sens s’il ne s’appuie pas sur une activité culturelle française intense, impossible elle-même à réaliser sans une certaine indépendance économique.

François-Albert Angers, « Nous sauver par la coopération », 1940a

En 2021, il y avait plus de 8 000 coopératives en activité au Canada, dont la majorité se trouvait au Québec (36 %) et en Ontario (23 %) (Cornellier, 2021)[1]. Le Québec est d’ailleurs un acteur de premier plan dans le secteur de la coopération économique, que ce soit dans le domaine des services financiers et des assurances, de l’agroalimentaire, des télécommunications ou de l’habitation (IRIS, 2014). Symbole de leur dynamisme, les coopératives du Québec affichaient un chiffre d’affaires de 39 milliards de dollars en 2018 (Bert, 2018), démontrant l’importance de l’économie sociale dans l’écosystème économique de la province. S’il n’a jamais supplanté le système capitaliste, dont il est en grande partie l’antithèse, le modèle coopératif québécois a néanmoins toujours pu compter sur un réseau institutionnel fort et mobilisé depuis son intégration dans les milieux agricoles au début du 20e siècle (Béland, 2012, p. 14-18).

Historiquement, c’est surtout à partir de la Crise économique des années 1930 que le réseau des coopératives francophones commence à se déployer au Québec et dans le reste du Canada. L’historiographie a d’ailleurs bien montré comment le coopératisme fut perçu, durant la première moitié du 20e siècle, comme un « agent de transformation et de réarticulation » de l’économie, voire un moyen « d’articulation d’une communauté culturelle à une économie étrangère à cette communauté », particulièrement en contexte acadien et franco-ontarien (Thériault, 1981; Dupuis, 2016; Volpé, 2019). Les spécialistes ont également mis en lumière le fait que les intellectuels catholiques voyaient en la coopération un moyen d’extirper la collectivité canadienne-française des dictats du grand capital anglophone (Prévost, 1981; Foisy-Geoffroy, 2004; Lévesque et Petitclerc, 2008). En étudiant certains réseaux institutionnels, dont l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval ou l’École sociale populaire, les spécialistes ont montré que le coopératisme constituait un vecteur de cohésion intellectuelle qui a rallié différentes familles idéologiques (Racine Saint-Jacques, 2015; Carlos, 2020). Au Québec, le coopératisme a d’ailleurs été historiquement associé au mouvement nationaliste, au sein duquel de nombreux intellectuels, professeurs, syndicalistes et journalistes ont pris position en faveur d’un réalignement du système économique suivant des desseins plus altruistes (Angers, 1968; Gélinas 2007; Noël, 2011).

Parmi ceux-ci, l’économiste et professeur à l’École des HEC François-Albert Angers (1909-2003) représente l’une des figures marquantes de la pensée coopérative francophone. Considéré comme étant « le maître par excellence du coopératisme au Québec » (Trépanier 2005, p. 67), Angers est considéré comme l’un des penseurs les plus importants du coopératisme dans le monde de la science économique francophone. Par le biais d’un engagement multiforme au service de la coopération économique, il fut un acteur de premier plan de la « troisième vague » de développement de l’économie sociale québécoise, à partir des années 1930 (Lévesque et Petitclerc, 2008, p. 29)[2]. Malgré cela, peu d’écrits ont été consacrés à sa pensée, les spécialistes s’étant limités à inscrire ses réflexions dans la lignée de la famille traditionaliste (Ryan, 1993; Gélinas, 2007). L’historiographie de la pensée économique étant relativement pauvre au Québec depuis plusieurs décennies (Igartua, 1996), il n’est pas surprenant que l’histoire intellectuelle du coopératisme demeure fragmentaire. En ce sens, l’intérêt de la figure d’Angers réside dans la longévité et l’intensité de son engagement intellectuel, mais également dans la profondeur de ses réflexions sur la formule coopérative dans le contexte canadien-français et québécois du 20e siècle.

S’inscrivant dans le creuset de l’histoire intellectuelle, et plus particulièrement de l’histoire des idées économiques, notre étude vise à évaluer la contribution de François-Albert Angers dans le domaine de la coopération économique. Plus spécifiquement, nous mettrons en lumière ses apports philosophiques et réflexifs à la pensée coopérative en milieu francophone, de la période allant de la fin des années 1930 au milieu de la décennie 1970. Nous analyserons le processus par lequel François-Albert Angers, un nationaliste traditionaliste, en est venu à proposer une synthèse théorique du coopératisme, qui procède d’une radicalisation de l’idée minvillienne de « reconquête économique » (Trépanier, 1995, p. 273)[3] et qui s’articule autour du concept de « république coopérative[4] » (Gide, 1886, p. 18). À travers une transformation radicale du système économique du Québec, Angers souhaitait que les instruments de production, et avec eux le contrôle des leviers économiques, passassent des mains du grand capital anglophone à celles des consommateurs francophones. Pour ce faire, il prévoyait comme moyen d’organisation une fédération nationale organisée autour des coopératives de consommation qui, par intégrations successives à d’autres domaines d’activité, en viendraient à englober toute l’activité économique nationale du Québec. La matérialisation de ce projet utopique aurait ainsi permis au Québec d’affirmer son indépendance économique, en parallèle avec son accession à l’indépendance politique – un scénario vraisemblable à partir de la Révolution tranquille. Ce cadre réflexif fait ainsi d’Angers un représentant de « l’école de la souveraineté du consommateur[5] », qui s’inscrit dans le sillon des travaux de l’économiste français Charles Gide (1847-1932) qui « perçoit dans la généralisation des coopératives de consommateurs la voie royale pour accéder à une utopique “république coopérative” » (Girard, 2001, p. 6).

Et comment expliquer cette confiance d’Angers dans un système socioéconomique entièrement basé sur le coopératisme? En fait, sa pensée repose sur trois piliers : 1) des principes moraux catholiques tirés de la Doctrine sociale de l’Église; 2) une sensibilité nationaliste; 3) une méfiance à l’égard du capitalisme libéral et du socialisme. Ces trois facteurs, nous le verrons, seront au coeur de la conceptualisation de l’idéal de la coopération chez Angers, entre 1937 et 1976[6]. L’amalgame de ces influences idéologiques fait du professeur des HEC un penseur original du Québec contemporain, sa conception de la vie en collectivité révélant des idées issues de plusieurs courants intellectuels. Qui plus est, Angers est l’un des rares économistes à avoir proposé l’avenue coopérative dans ses réflexions relatives à l’indépendance du Québec, à partir des années 1960 et 1970 (Carlos, 2020, p. 408-420). Il est ainsi l’un des derniers penseurs à avoir cherché à inscrire la culture historique canadienne-française dans un cadre socio-économique global, à l’époque où se déploie un nationalisme économique moderne basé sur le principe de l’étatisme.

Notre étude repose sur l’analyse d’une trentaine d’articles rédigés par Angers. Nous avons également inclus certains de ses ouvrages ainsi que des rapports de recherche qui nous permettent d’en apprendre davantage sur sa vision économique[7]. Ces textes couvrent près de quatre décennies de réflexion, ce qui permet de distinguer les continuités et les ruptures dans le discours d’Angers sur la coopération. Le corpus contient également de la correspondance et des documents administratifs, qui permettent de recadrer les réseaux auxquels il a collaboré afin de promouvoir la coopération économique[8]. Notre article est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous présentons les actions qu’a menées Angers pour la coopération économique entre les années 1930 et 1970, du point de vue de ses collaborations avec différents milieux. Dans la deuxième et la troisième partie, nous analysons les fondements de sa pensée coopérative selon deux périodes : une première (années 1930-1950) marquée par la promotion du coopératisme en rapport avec la thèse minvillienne de reconquête économique; une deuxième (années 1960-1970) caractérisée par ses critiques des politiques interventionnistes du gouvernement québécois durant la Révolution tranquille et par ses réflexions sur l’économie coopérative d’un Québec indépendant.

Un économiste en action pour la coopération économique

François-Albert Angers a fait ses études universitaires à l’École des HEC entre 1928 et 1934[9]. Diplômé en sciences commerciales et sensible aux idées de nationalisme économique développées au sein de l’institution, il fut rapidement recruté par la direction des HEC qui voyait en lui un candidat à la succession d’Édouard Montpetit. Grâce au soutien du directeur de l’École, Henry Laureys, et du professeur Esdras Minville, Angers réussit à obtenir une bourse d’études du gouvernement du Québec afin d’aller poursuivre sa formation à l’École libre des sciences politiques de Paris. Entre 1935 et 1937, il suit les enseignements de plusieurs universitaires français qui ont une profonde influence sur sa vision de l’économie, dont Bertrand Nogaro, Albert Aftalion, François Perroux et André Siegfried, tous à la recherche d’une troisième voie économique entre le capitalisme et le socialisme. Spécialisé en économie politique et en fiscalité, Angers développe également durant son séjour en Europe un grand intérêt pour la coopération économique. À partir de 1936, il s’immerge dans les écrits de théoriciens français du coopératisme, dont Bernard Lavergne, Isaac Guelfat, Charles Fourier et, surtout, Charles Gide. Il lit également les écrits de Franz Oppenheimer et d’Ivan-V. Emelianoff[10].

C’est néanmoins en correspondant avec son mentor Esdras Minville qu’Angers en vient à concevoir l’intérêt de la coopération économique, notamment dans le contexte de la Crise des années 1930[11]. Considéré comme un outil essentiel dans le mouvement de reconquête économique francophone, le coopératisme est très en vogue dans les milieux intellectuels de l’époque. Minville est d’ailleurs à ce moment l’un des principaux promoteurs du coopératisme, lui qui multiplie les conférences et les écrits sur le sujet[12]. Pour Minville, « le coopératisme se présente comme formule intermédiaire, comme solution du problème social au lieu du totalitarisme […] il remédie au mal social, tout en préservant le sens des responsabilités, la liberté et la dignité » (Trépanier, 1995, p. 266)[13]. Pour un jeune économiste comme Angers, cette proximité intellectuelle avec Minville aura pour effet de renforcer sa confiance à l’égard de la coopération économique. Des amitiés tissées en sol français, notamment avec Victor Barbeau et André Laurendeau, renforcent également chez lui la conviction que la coopération constitue la voie d’avenir pour sortir le Canada français de son marasme économique. Devenu professeur à l’École des HEC à l’automne 1937, Angers se met rapidement au service de la coopération économique.

Entre 1938 et 1948, il occupe notamment le poste de secrétaire de rédaction de la revue L’Actualité économique, ce qui lui permet de publier plusieurs articles sur la coopération[14]. À partir de ce foyer intellectuel, le professeur des HEC s’entoure d’un noyau de collaborateurs, notamment des professeurs et des hommes d’affaires, qui publient également des textes sur le sujet (Dupréet al., 2000, p. 12). Il collabore régulièrement à L’Action nationale, devenant l’expert économique en résidence de la revue nationaliste (Ryan, 2006, p. 162). Par le biais de ces deux canaux, Angers devient une figure clé du coopératisme canadien-français, ses articles devenant des références au Québec et dans les francophonies canadiennes (Bonin, 1981, p. 288). À la fin de la décennie 1930, une meilleure concertation entre les tenants de la coopération et l’État ainsi qu’un climat économique favorable contribuent d’ailleurs à une multiplication des coopératives au Québec (RacineSaint-Jacques, 2015, p. 198). Dans ce contexte, l’expertise d’Angers est régulièrement sollicitée et c’est ainsi qu’il participe à la mise sur pied de plusieurs coopératives dans la région de Montréal, sur la Rive-Sud et au Lac-Saint-Jean[15]. Durant la décennie 1940, il prodigue notamment des conseils à des coopératives financières telles que L’Action coopérative, Les Placements collectifs et la Corporation d’expansion financière. À titre d’administrateur, il collabore à la gestion de la coopérative montréalaise La Bonne Coupe, spécialisée dans la conception et la vente de vêtements pour hommes. Toutefois, l’entreprise au sein de laquelle Angers s’investit avec le plus d’enthousiasme est La Familiale, la première coopérative de consommation canadienne-française au Québec. Mise sur pied avec la femme d’affaires Berthe Louard et le journaliste Victor Barbeau, La Familiale devient rapidement un acteur important du monde de la coopération à Montréal (Forgetet al., 1997, p. 5-20). Coopérative d’alimentation, La Familiale connait un grand succès qui permet à ses administrateurs d’ouvrir deux autres succursales sur l’île de Montréal[16]. Angers se lie d’ailleurs d’amitié avec Louard, avec qui il organise des cercles d’études sur la coopération économique durant les années 1940 (Forgetet al., 1997, p. 7).

En ce sens, l’une des principales actions d’Angers au service de la coopération fut d’offrir des conférences publiques gratuites[17]. Entre les années 1930 et 1950, il donne des dizaines de conférences devant des associations d’hommes d’affaires, des chambres de commerce et des syndicats professionnels. Il prononce également plusieurs discours au sein des collèges classiques et des universités, la jeunesse étudiante catholique de l’époque étant très intéressée par le coopératisme[18]. Angers est également un collaborateur régulier des Semaines sociales du Canada, un colloque organisé annuellement par l’Église catholique du Canada qui vise à faire connaître la Doctrine sociale de l’Église. Les élites cléricales et intellectuelles catholiques d’alors étant favorables au coopératisme, Angers fut ainsi un invité de choix des Semaines sociales du Canada de 1939 jusqu’au milieu des années 1950[19]. De même, l’économiste est également sollicité par plusieurs organisations nationalistes canadiennes-françaises, dont la Ligue d’action nationale et les sociétés Saint-Jean-Baptiste, qui comptent dans leurs rangs un grand nombre de partisans de la coopération économique.

Les nombreuses invitations que reçoit le professeur des HEC durant ces années témoignent du capital symbolique qu’il développe à l’extérieur du cadre universitaire, notamment du point de vue de la perception du public à l’égard de son expertise professionnelle. Cette perception n’est d’ailleurs pas étrangère au fait qu’Angers, durant la décennie 1950, est membre du conseil d’administration du Conseil supérieur de la coopération, basé à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval et fondé par le père Georges-Henri Lévesque en 1939 (Deschênes, 1976, p. 539-540). Au sein du Conseil, il fréquente le père Lévesque, lui-même considéré comme l’un des piliers de la coopération économique au Québec, avec qui il a néanmoins plusieurs désaccords idéologiques (RacineSaint-Jacques, 2015, p. 374). À partir du milieu des années 1950, les collaborations d’Angers dans le monde de la coopération se feront d’ailleurs plus rares, ce dernier étant alors au coeur du mouvement nationaliste de lutte à la centralisation fédérale[20] (Durocher et Jean, 1971, p. 339).

Dans les années 1960, c’est surtout en tant qu’universitaire et moins en tant que propagandiste qu’Angers continue à travailler sur le thème de la coopération économique. Il faut d’ailleurs souligner qu’à l’École des HEC, il est considéré comme le spécialiste de la coopération, et ce, depuis son embauche en 1937 (Harvey, 2002, p. 245). Dès 1942, et jusqu’à sa retraite en 1974, Angers enseigne le cours « théorie économique de la coopération ». Universitaire renommé, il enseigne également la coopération économique à l’Université de Sherbrooke et à l’Université de Montréal, à titre de professeur invité, durant les années 1960 et 1970. Il participe également à la création de deux chaires de recherche sur l’économie coopérative, dont l’Institut de recherche et d’enseignement pour les coopératives de l’Université de Sherbrooke (1966) et le Centre de gestion des coopératives des HEC (1975). Auteur prolifique, il publie plusieurs dizaines d’articles scientifiques sur la coopération économique durant sa carrière. Entre les années 1940 et 1960, la plupart de ses écrits sont publiés dans les revues L’Actualité économique et L’Action nationale. S’il publie peu d’articles sur la coopération durant les années 1960, l’économiste des HEC collabore néanmoins à la Revue des études coopératives, à la Revue du C.I.R.I.E.C. ainsi qu’à la Revue canadienne d’économie publique et coopérative durant les années 1970.

En somme, ces différents engagements illustrent comment Angers a collaboré à la promotion de la coopération économique, et ce, durant de nombreuses années. Homme d’action, le professeur des HEC s’est engagé dans sa collectivité afin d’influencer le développement de l’écosystème économique canadien-français et de l’orienter vers des buts plus altruistes, en rupture avec le modèle capitaliste dominant. En complément à ces actions, Angers fut aussi un intellectuel qui a abondamment écrit sur la coopération.

Le rôle de la coopération dans le projet de reconquête économique du Canada français

Jusqu’à la fin des années 1950, la pensée d’Angers sur la coopération est caractéristique des milieux intellectuels traditionalistes avec lesquels il collabore. Durant cette période, il est très influencé par Esdras Minville (1896-1975), l’un des principaux théoriciens du traditionalisme canadien-français et l’un des grands propagandistes de la coopération, surtout durant la décennie de la Grande Crise (Foisy-Geoffroy, 2004). Conférencier réputé, auteur de plusieurs articles dans L’Action nationale et L’Actualité économique, Minville a notamment contribué à la mise sur pied de la Société agricole forestière de Grande Vallée, une coopérative gaspésienne d’exploitation forestière et agricole fondée en 1938 qui connut un grand succès. Pour Minville, la coopération s’avère « un magnifique instrument de libération nationale » et une formule « appropriée à la pensée et aux moyens de la population canadienne-française », permettant de soustraire les « classes populaires, rurales et urbaines [aux] dépendances extérieures » (Minville, 1946, p. 234). Autrement dit, la coopération économique constitue, dans la pensée minvillienne, le principal moyen à la disposition des Canadiens français pour mettre fin à leur retard économique. Cette idée de reconquête sera reprise et approfondie par Angers dès la fin des années 1930. Au coeur de sa réflexion, on dénote une grande sensibilité aux enseignements de la Doctrine sociale de l’Église catholique et aux principes du nationalisme économique (Foisy-Geoffroy, 2004, p. 45)[21].

En résumé, la Doctrine sociale de l’Église catholique est un ensemble de principes définis dans les encycliques papales Rerum Novarum (1891) de Léon XIII et Quadragesimo Anno (1931) de Pie XI (Beaudoin, 2012). L’Église catholique y propose une réponse aux défis de la modernité industrielle, en démontrant une préoccupation à l’égard de la classe ouvrière jugée victime d’un capitalisme sauvage et outrancier. Le pouvoir papal prêche en faveur d’un humanisme chrétien, condamne les dérapages du capitalisme et souligne les dangers du socialisme qui prône la lutte des classes et le renversement de l’ordre établi. L’Église prône une meilleure collaboration entre patrons et ouvriers, insiste sur les responsabilités morales et sociales de chacun ainsi que sur le rôle d’assistance que doit jouer l’État. Il s’agit ainsi d’une philosophie axée sur le respect de la dignité humaine, puisque « la personne est liée à son Dieu et sa dignité est sacrée, elle est le fondement et la fin de la vie sociale, elle est libre et responsable » (Chabot, 1989, p. 25-49). Largement diffusée au Canada français, la Doctrine sociale de l’Église a eu un impact considérable dans la vie intellectuelle de la première moitié du 20e siècle.

Or, François-Albert Angers est fondamentalement un défenseur de la Doctrine sociale de l’Église et il s’inscrit d’ailleurs dans une nébuleuse d’intellectuels canadiens-français qui ont défendu ces positions philosophiques catholiques (Gélinas, 2007, p. 35). En ce sens, il conçoit que l’organisation socioéconomique d’une société ne peut être dissociée de la dimension temporelle et spirituelle de la personne humaine. Cette organisation doit « permettre à tout individu d’atteindre son plein épanouissement à la fois dans l’ordre des choses matérielles et, surtout, dans l’ordre des choses spirituelles » (Angers, 1944, p. 81-82). Pour assurer la plénitude de l’homme, il estime qu’il vaut mieux privilégier « une dose de conservatisme, de prudence et de résistance dans la pensée » (Angers, 1957, p. 287). Il accorde ainsi beaucoup d’importance aux principes catholiques de responsabilité et de liberté, qui correspondent au

… droit de choisir ce que l’homme estime le plus apte à pourvoir à son bien-être présent et futur; l’obligation de supporter les risques […] qui peuvent découler de ses erreurs […]. Détruire le sens de la responsabilité, c’est détruire la personne humaine dans ses éléments spirituels vitaux. Autrement, le matériel n’est réussi qu’au prix d’une dégradation morale de l’individu qui aboutit à l’écrasement du spirituel.

Angers, 1955a, p. 235

Le principe de liberté est au coeur de la conception d’Angers de l’action humaine, où le bien-être matériel doit être soumis aux valeurs spirituelles. Il estime que « la liberté catholique constitue la liberté conforme au génie canadien-français puisqu’elle propose une fin spirituelle à la personne humaine » et qu’elle se fonde sur le besoin « d’établir un ordre où l’individu verra supprimer les entraves qui l’empêchent d’agir, et non un ordre où la société se propose d’agir pour lui » (Angers,  1944, p. 90). On comprend alors mieux sa condamnation du capitalisme libéral et du socialisme, qui dans le premier cas se fonde sur « l’impulsion des besoins individuels » et dans le deuxième cas, sur la « suppression des libertés individuelles au profit de l’État » (Angers, 1952b, p. 243). Dans cet esprit, l’organisation socio-économique doit être pensée de manière à créer des conditions facilitant l’action de l’individu. Le rôle de l’État, dans cette perspective, doit être limité afin « d’assurer à l’individu l’épanouissement de sa personnalité pour lui garantir le droit de choisir » et « de le protéger contre l’obligation de se soumettre totalement à la société pour la satisfaction de ses besoins » (Angers, 1943, p. 197). Angers estime que l’Église a toujours défendu le droit de propriété privée et « il n'est pas de philosophie sociale qui […] cherche davantage que le catholicisme à protéger l’individu contre la tyrannie des gouvernants » (Angers, 1943, p. 196). Les liens de solidarité doivent être la source de la cohésion sociale au sein de la société, d’où l’adhésion d’Angers à la coopération économique. Le coopératisme se dissocie du matérialisme en s’appuyant sur des considérations « extra-économiques spirituelles et nationales » partagées par une communauté de coopérateurs (Angers, 1940a, p. 290). Le coopératisme permettrait ainsi d’accéder à un ordre « économico-social catholique, empreint de modération dans la recherche des biens matériels et l’utilisation du progrès » (Angers, 1940b, p. 149).

Or, Angers est très critique des cadres politiques (fédéral et provincial) qui structurent le développement économique du Québec. Concernant l’État fédéral, l’économiste des HEC voit d’un oeil méfiant le déploiement de l’État-providence, dont les politiques sociales et économiques d’inspiration keynésienne empiètent sur de nombreux domaines de juridiction provinciale et se rapprochent dangereusement d’une forme de socialisme d’État (Angers, 1955a, p. 10-15). Concernant l’État provincial québécois, Angers dénonce également les politiques de laissez-faire du gouvernement unioniste de Maurice Duplessis en matière de régulation et de développement économique (Angers, 1945, p. 32-89). Fervent catholique et partisan d’un nationalisme économique assumé, Angers s’oppose à la politique de la porte ouverte de l’Union nationale à l’endroit du grand capital américain et anglo-canadien, notamment pour l’exploitation des richesses naturelles. L’omniprésence des monopoles anglophones dans l’écosystème économique du Québec constitue, à long terme, un danger pour la survie même du Canada français. Critique du capitalisme libéral, Angers prône un renversement de la situation par une action concertée en faveur de la coopération économique. En cela, il rejoint les thèses de Victor Barbeau, selon qui « la coopération s’impose au Canada français pour les mêmes raisons que partout ailleurs : échapper au dilemme où la Révolution libérale et industrielle risque d’emprisonner l’humanité » (Barbeau, 1944, p. 41). Barbeau soutient que la coopération « s’impose aussi pour des raisons particulières à la condition historique du Canada français, conquis, dominé économiquement, socialement et politiquement, et en mal d’affranchissement vrai, de paix sociale au sens leplaysien, c’est-à-dire d’harmonie, de prospérité et de bonheur » (Trépanier, 2005. p. 85). Partageant ces vues, Angers juge lui aussi qu’une reconfiguration du système capitaliste est nécessaire pour sortir les francophones de leur infériorité économique chronique. Adhérant au principe de la subsidiarité, intrinsèque aux enseignements de la Doctrine sociale de l’Église, il croit d’ailleurs que c’est par la base que cette révolution économique doit s’enclencher, d’où l’intérêt de la formule coopérative (Angers, 1947, p. 18-19). Le coopératisme ne constitue pas seulement une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, mais un système démocratique permettant de reconsidérer les fondements socio-économiques de la vie en société.

Angers estime qu’une coopérative n’est pas un type d’entreprise ordinaire, mais un microsystème économique porté par des valeurs intrinsèques et un mode de fonctionnement distinct, soit « la collaboration entre les coopérateurs, le caractère démocratique lié au fonctionnement des coopératives (1 membre = 1 vote), la prospérité matérielle du peuple et la poursuite du bien-être social » (Angers, 1939a, p. 273-276). Dans l’optique de reconquête progressive des structures économiques de la province, il insiste sur la nécessité de privilégier le modèle des coopératives de consommation (Angers, 1939b, p. 155-166). Le grand capital étant issu de l’étranger, et le marché des consommateurs étant constitué de la masse des Canadiens français, « ceux-ci pourraient mettre l’économie au service de leurs intérêts nationaux, d’abord en s’organisant pour faire pression à la baisse sur les prix, puis en utilisant les surplus ainsi dégagés pour investir dans l’industrie canadienne-française » ainsi que dans la plupart des domaines d’activité économique (Angers, 1942, p. 470). La conversion de certaines entreprises en des coopératives de consommation, telles que les épiceries, les marchés d’alimentation, les quincailleries et les associations agricoles, constitue ainsi une première étape fondamentale dans le processus de reconquête « des positions qui nous manquent aujourd’hui » (Angers, 1940b, p. 144). La puissance économique des coopératives de consommation est sous-estimée, puisqu’il « suffirait que nous décidions de nous approvisionner chez les nôtres pour que les entreprises canadiennes-françaises poussent sur notre sol comme des champignons » (Angers, 1940a, p. 285). Angers est d’ailleurs persuadé qu’un mouvement de reconversion de l’économie vers la coopération pourrait se faire très rapidement, estimant que « si à cet instinct naturel de la coopérative, on ajoute un peu de sens national chez les dirigeants du mouvement, les effets de la coopérative […] vont se faire sentir bien avant que les coopératives soient devenues des institutions d’une grande puissance » (Angers, 1940a, p. 285-286). Il affirme que la coopérative de consommation « est une affaire de masse, qui en appelle à un succès immédiat […] elle a toutes les raisons d’atteindre chez nous les mêmes objectifs […] de libération sociale et économique des faibles » (Angers, 1940c, p. 72). Tout comme Victor Barbeau, le professeur des HEC croit que la coopérative de consommation symbolise un « retour modernisé et progressif au régime économique ancien où chaque famille se suffisait à elle-même » (Angers, 1945, p. 477-478). L’intérêt des coopératives de consommation pour les Canadiens français dépossédés de leur économie ne fait aucun doute :

La coopération […] reste ce qui se prête le mieux à la reconquête de la position économique à laquelle nous avons droit. Elle y arrive par un processus normal, sans léser personne, par le seul jeu des majorités. La solution à notre problème économique est donc là à notre portée; elle n’exige ni capital important au départ, ni connaissances techniques pour commencer; elle attend seulement le concours de toutes les bonnes volontés. Et ce concours ne signifie pas, sauf pour quelques zélateurs, fournir un effort considérable. Se laisser convaincre, s’inscrire dans une coopérative de consommation, y faire ses achats, voilà tout ce que cette solution exige.

Angers, 1940a, p. 289-290

Le succès remporté par plusieurs coopératives francophones mène d’ailleurs Angers à espérer le déploiement à grande échelle de ce modèle économique. Par exemple, le succès des caisses Desjardins démontre que les ouvriers et les agriculteurs peuvent se regrouper dans des coopératives d’épargne et de crédit afin d’éviter de faire affaire avec les banques canadiennes-anglaises, méfiantes à l’égard des francophones (Angers, 1942, p. 467-470). Les coopératives d’exploitation des ressources naturelles constituent aussi un modèle privilégié dans les réflexions d’Angers, notamment dans le domaine de l’électricité et des forêts (Angers, 1939d, p. 69-73). De même, Angers, qui ne condamne pas les développements économiques liés à l’industrie, milite en faveur d’une reprise en main du capital industriel par la création d’une classe d’affaires francophone, formée des « coopérateurs qui partagent les mêmes visées d’émancipation » (Angers, 1935, p. 317-352). C’est d’ailleurs là une des différences majeures entre Angers et Minville, ce dernier ayant toujours été réticent à l’idée que le coopératisme investisse l’industrie (Laplante et Provost, 2010, p. 19). Les deux hommes se rejoignent sur l’idée que le coopératisme constitue un moyen efficace pour atténuer les inégalités sociales et le sous-développement chronique de certaines régions du Québec (Angers, 1939c, p. 165-169), comme en témoigne d’ailleurs leur engagement auprès de différentes coopératives régionales entre les années 1930 et 1950. En somme, Angers estime que l’entreprise de reconquête économique doit débuter par la création d’une fédération nationale de coopératives, seul organisme apte à transformer l’écosystème économique du Québec à moyen terme :

N’oublions pas qu’au Canada français, la coopérative est un moyen de restauration nationale par l’économique et le social. Cela exige le développement du mouvement dès le début selon la formule fédérative, car c’est par l’importance de son pouvoir d’achat et de ses réserves que la coopérative suscitera la naissance de nouveaux industriels canadiens-français ou entrera elle-même dans le champ de la production. Nous ne sommes pas assez riches pour attendre que la province soit couverte de petites coopératives […]. Des coopératives dispersées piétineraient sur place; travaillons donc dès le début dans l’union.

Angers, 1939e, p. 256

À long terme – dans un horizon de cinquante ans (Angers, 1940c, p. 71-72) – cette fédération ferait du Québec l’un des premiers endroits dans le monde où la majeure partie de l’écosystème économique serait orientée vers la coopération. Il s’agirait ainsi d’un mouvement concerté qui s’implanterait progressivement dans les différents domaines d’activité et qui, après plusieurs années, permettrait à l’économie nationale de s’émanciper des modèles capitalistes et socialistes. Une réflexion qui s’apparente clairement au projet de « république coopérative » (Angers 1956, p. 404-405).

Fait important à mentionner, le déploiement à grande échelle de la coopération économique s’effectuerait en parallèle avec l’établissement du corporatisme social. Angers, comme plusieurs intellectuels traditionalistes, privilégie la voie du corporatisme social en tant que système d’organisation sociétal (Warren, 2004). Globalement, le corporatisme se définit selon deux grands principes, soit le « principe de subsidiarité qui affirme les droits de la société civile face à l’État », et celui de « concertation organisée, ou collaboration des classes » qui définit les rapports de bonne entente entre le patronat et les travailleurs (Trépanier, 1994, p. 159-160). Pierre Trépanier définit la corporation comme étant « une institution de droit public dont la compétence s’étend à une branche de l’activité économique et où siègent des commissions paritaires de syndicats patronaux et ouvriers » (Trépanier, 1994, p. 174). Le corporatisme vise à grouper les individus en associations représentatives des professions et des secteurs d’activités économiques : industrie, agriculture, finance, médecine, droit, administration, etc. La société dans son ensemble serait ainsi organisée selon un modèle où patrons et travailleurs sont sur un pied d’égalité et où sont « débattus les grands problèmes concernant le secteur d’activité qu’il représente et dont les décisions, après avoir reçu la sanction de l’État, auraient force de loi pour l’ensemble de ce secteur » (Foisy-Geoffroy, 2004, p. 129). Le rôle de l’État se limite à la reconnaissance juridique des corporations afin d’en faire des « organismes de droit public », et à la surveillance du système par l’approbation des mesures d’administration en place dans les différentes corporations présentes sur le territoire (Angers, 1941, p. 47-72). Il s’agit ainsi d’un système hiérarchique, dans la mesure où l’État respecte les droits et privilèges des corporations formées des individus qui en font partie, dans la tradition de subsidiarité visant à rendre l’individu responsable de ses actions. Le rôle de l’État n’est donc pas « de détruire, pour s’y substituer » ou « d’absorber les membres du corps social, mais de les aider à accomplir leurs fonctions pour leur bien à eux et celui de la société tout entière » (Angers, 1943, p. 198). L’État devient alors un organe supplétif qui s’assure de ne pas dépasser ou empêcher la réalisation des initiatives individuelles et collectives. Ces corporations seraient d’ailleurs sous l’étroite surveillance de chambres municipales et régionales, ce qui correspond aux visées de ce système réparti sur plusieurs échelles décisionnelles. Qui plus est, ces organes décisionnels seraient constitués à partir d’institutions existantes (syndicats, ordres professionnels, chambres de concertation), le modèle corporatiste s’inscrivant en continuité avec le système démocratique en place (Angers, 1941, p. 50-55). Le corporatisme permettrait ainsi d’assurer le progrès social au Canada français et garantirait la survivance de l’esprit catholique dans le processus de reconfiguration économique. Si Angers se pose en tant que défenseur du coopératisme et du corporatisme au début de sa carrière, sa trajectoire intellectuelle montre qu’il se désintéresse progressivement du corporatisme à partir des années 1950, tout en maintenant un vif intérêt pour le coopératisme. Si le corporatisme perdit grandement de son attrait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, du fait de son association aux régimes totalitaires européens, le coopératisme fut toujours bien perçu dans les milieux canadiens-français. Durant les années 1960, l’idéal coopératif prendra clairement la place du corporatisme comme idéal social dans l’esprit d’Angers.

En somme, la pensée coopérative d’Angers entre les années 1930 et 1950 est caractéristique des milieux traditionalistes et est très influencée par la philosophie catholique. Influente dans les cercles nationalistes, les réflexions d’Angers sont néanmoins remises en question par d’autres ténors de la pensée coopérative. Le professeur des HEC sera au coeur d’un débat l’opposant au père Georges-Henri Lévesque, célèbre professeur et doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, durant la décennie 1950. Le père Lévesque est sans contredit l’un des grands artisans du coopératisme et de l’action coopérative dans le Québec des années 1940 et 1950 (RacineSaint-Jacques, 2015). Fondateur du Conseil supérieur de la coopération (1939), il a notamment mis sur pied une chaire de recherche et plusieurs cours sur la coopération à l’Université Laval. Contrairement à des intellectuels tels qu’Angers ou Minville, Lévesque, malgré son statut de clerc catholique, est foncièrement opposé à la confessionnalité des coopératives et estime que « c’est en tant que consommateurs, ou producteurs, ou épargnants que les coopérateurs s’unissent et non pas en tant que catholiques ou protestants, libéraux ou conservateurs, Français ou Anglais » (Conseil supérieur de la coopération, 1940, p. 200-201). À la différence d’Angers, qui à cette époque est convaincu que toute coopérative canadienne-française se doit d’afficher un caractère confessionnel (Angers, 1947, p. 14), Lévesque prône une neutralité religieuse qui contribuera à faire de lui une figure moderne dans le champ intellectuel de la période duplessiste (Racine Saint-Jacques, 2015, p. 225-237). Cette position favorable à la non-confessionnalité des coopératives engendrera de nombreuses critiques d’intellectuels nationalistes (Angers, 1951a, p. 187-188). De même, l’économiste des HEC est médusé par la position favorable du père Lévesque à l’égard de l’intégration des coopératives canadiennes-françaises au Conseil canadien de la coopération. Pour lui, le coopératisme revêt un caractère foncièrement national qui participe au maintien d’un particularisme identitaire et culturel du Canada français, d’où l’intérêt de créer une fédération coopérative nationale au Québec. Il lui paraît aberrant que Lévesque prône l’intégration des coopératives du Québec à une organisation associée à « la pensée centralisatrice » caractéristique des milieux anglophones de l’époque (Angers, 1951a, p. 191-193). S’il est fédéraliste, Angers est toutefois un défenseur de l’autonomie provinciale et il estime dangereuse l’ouverture du père Lévesque au monde de la coopération anglophone. Le Conseil canadien de la coopération est selon lui un organisme voué à implanter des idées contraires aux valeurs culturelles propres aux coopérateurs francophones (Angers, 1951a, p. 193).

Ce débat centré sur le caractère religieux et national des coopératives francophones du Québec est symptomatique des grandes transformations à l’oeuvre dans les années 1950, où l’influence des élites traditionalistes est remise en question par des penseurs désireux de sortir du carcan idéologique qui dominait la vie culturelle et intellectuelle canadienne-française depuis la fin du 19e siècle (Lamonde, 2016, p. 361-380). Si le coopératisme a longtemps été perçu comme un moyen privilégié de maintenir le caractère francophone et catholique de la société canadienne-française, la fin des années 1950 représente un moment où est remis en question le potentiel, voire l’intérêt de ce modèle économique.

Un idéal en déroute? La coopération économique au prisme de la Révolution tranquille

Par ses actions et réflexions, François-Albert Angers a cherché à concrétiser le projet de reconquête économique entre la fin des années 1930 et la fin des années 1950. Or, durant la Révolution tranquille, il est contraint de défendre le modèle de la coopération économique qui, aux yeux de plusieurs économistes et décideurs politiques, ne constitue plus une avenue pertinente dans le contexte des Trente Glorieuses et du déploiement de l’État-providence (Savard, 2013, p. 182-183).

Lors de son accession au pouvoir en 1960, le gouvernement Lesage amorce un processus de redéfinition des paramètres de l’écosystème économique du Québec (Dickinson et Young, 2013, p. 351-353). Il lance notamment de nombreux programmes sociaux qui visent à rehausser le niveau de vie des citoyens. Il crée aussi plusieurs organismes dont le mandat est d’orchestrer le développement économique de la province, dont le Conseil d’orientation économique du Québec (1961), la Société Générale de financement (1962), la Caisse de dépôt et placement (1965) et la Régie des rentes (1965) (Thompson, 1984, p. 245-246). Durant ses deux mandats, le gouvernement Lesage met également sur pied des sociétés d’État dans les domaines des forêts, des mines et de la recherche pétrolifère. Il parachève aussi le projet de nationalisation de l’hydroélectricité en rachetant les compagnies privées présentes sur le territoire québécois, au profit d’Hydro-Québec (créé en 1944). Le nationalisme économique du gouvernement Lesage stipule que l’État est le principal levier à la portée des francophones du Québec dans le processus de réappropriation de leur économie nationale. En misant sur la stratégie de l’étatisme, le gouvernement québécois donne toutefois à la coopération un rôle d’appoint, très loin du modèle de « république coopérative » d’Angers. Or, pour ce dernier, l’étatisme constitue un problème tout aussi préoccupant que le capitalisme libéral.

Sur certains aspects fondamentaux, la Révolution tranquille a pour ainsi dire écarté les desseins de reconquête économique qu’ont élaborés des penseurs tels qu’Angers ou Minville, par « l’abandon de la doctrine sociale de l’Église, l’acceptation sans réserve de l’inspiration keynésienne en matière sociale, la déresponsabilisation personnelle qui en est la rançon, la faiblesse du développement coopératif en dehors du secteur du crédit » (Trépanier, 1995, p. 284). Pour les traditionalistes, la Révolution tranquille marque une rupture avec leurs idées et leur sensibilité catholique, ce qui mène Angers à « entrer en guerre contre l’État québécois qui semble s’acharner à enterrer […] tout projet de révolution coopérative » (Arseneault, 2017, p. 61).

Un épisode en particulier témoigne des divergences d’opinions entre les élites politiques et les intellectuels traditionalistes quant à la place du coopératisme dans l’écosystème économique : la deuxième nationalisation d’Hydro-Québec (1962-1963). Sous le slogan « Maître chez nous », les libéraux remportent une victoire éclatante lors des élections provinciales de 1962, qui portent sur la nationalisation des compagnies d’électricité. Reportés au pouvoir, les libéraux peuvent ainsi procéder au rachat des compagnies privées d’électricité au profit d’Hydro-Québec. Société d’État dont l’unique actionnaire est le gouvernement québécois, Hydro-Québec devient ainsi responsable de la production, du transport et de la distribution de l’électricité, mettant fin au long règne des trusts. Toutefois, dans l’immédiat, certaines voix s’élèvent pour contester la pertinence du projet de nationalisation de l’hydroélectricité (Grube, 1981, p. 201-203).

Angers aurait préféré que le démantèlement du réseau des compagnies privées d’électricité résulte en une reprise de l’industrie par le monde de la coopération. Dans son esprit, le gouvernement québécois a initié un mouvement de bascule, par lequel le pouvoir financier de l’hydroélectricité est passé des mains des trusts aux mains de l’État, sans égard au potentiel de la gestion coopérative. L’économiste soutient que la formule coopérative est une avenue avant-gardiste qui n’est exploitée que depuis la fin des années 1930 dans la province de Québec. Il rappelle que la coopération a fait ses preuves dans une multitude de secteurs, dont « des caisses populaires valant 700 millions, des coopératives agricoles qui brassent une centaine de millions et des coopératives de consommation qui valent la dizaine de millions » (Angers, 1959, p. 173-174). Il souligne également que l’Office de l’électrification rurale, responsable de l’électrification des campagnes québécoises entre 1945 et 1963, connut de grands succès en grande partie parce que les coopératives étaient alors responsables de créer et d’administrer les différentes zones de fonctionnement (Angers, 1962a, p. 652-653). En l’espace de quinze ans, entre 1944 et 1959, le réseau des coopératives rurales a ainsi permis d’électrifier 95 % du territoire rural québécois (Dorion, 2008, p. 51), ce qui constitue selon Angers un modèle de développement très performant. Il y aurait donc un net avantage à se tourner vers cette option, plutôt que vers la nationalisation :

Des deux voies et des deux formules, la plus puissante et la plus sûre est la coopération. Et parmi les forces des coopératives, celle qui joue le rôle central, celle qui a joué le rôle central dans tous les pays qui ont voulu se servir de ce moyen pour assurer leur libération nationale, c’est la coopérative de consommation […] La formule coopérative est, dans notre situation, la formule pour réaliser notre libération économique, dans un temps record, sans bruit et sans avoir à heurter les puissances financières. Après tout, notre pouvoir d’achat n’est-il pas la seule chose que personne ne peut nous enlever?

Angers, 1959, p. 175

L’économiste estime qu’un positionnement politique en faveur de la coopération dans le secteur de l’électricité aurait eu des retombées majeures, du fait du poids économique de ce secteur d’activité au Québec. La coopération a mauvaise presse dans les milieux politiques, étant donné la « tendance à ne voir d’action nationale constructive » que dans la formule de l’étatisme (Angers, 1959, p. 179). Il juge que cette décision risque de corrompre l’esprit d’initiative de la collectivité canadienne-française catholique :

Si l’on part d’une doctrine sociale que nous devrions mieux connaître, le meilleur patron ne saurait être l’État que par exception. Dans cette doctrine sociale, l’économique n’est pas fonction d’État, mais relève de l›initiative privée et des associations qu’elle peut engendrer pour atteindre l’efficacité économique et sociale. Le rôle de l’État est d’intervenir comme collectivité supérieure, qui ne doit assumer la fonction économique que dans la mesure où les forces individuelles inférieures ne le peuvent pas. Le contraire constitue un désordre moral grave.

Angers, 1959, p. 179

Angers affirme que « l’action supplétive doit s’exercer sur le double plan de la libération économique du Canada français et d’une révolution sociale pacifique qui favoriserait les formes de développement économique les plus conformes à notre génie propre », d’où l’idée que l’étatisation serait « une si mauvaise formule » (Angers, 1962b, p. 224).

Le professeur des HEC ne se limite pas à une critique intellectuelle du projet d’étatisation de l’électricité. En bon économiste, il évoque le succès de certains modèles étrangers, dont celui des coopératives d’électricité américaines. Il cite notamment la politique de la Rural Electrification Administration, lancée par le président Franklin Roosevelt durant la Crise économique des années 1930, qui visait à « brancher » les milieux ruraux dépourvus d’un accès à l’électricité (Angers, 1962a, p. 653). Dans cette entreprise, l’État fédéral américain aida financièrement les coopératives à mettre en place des réseaux autonomes qui, par la suite, furent pris en charge par les coopérateurs devenus responsables de la production, de la distribution et de l’entretien de leur réseau local et/ou régional. Avec ce plan, les États-Unis constituèrent rapidement un réseau national de coopératives d’électricité. Pour Angers, le modèle américain est un idéal-type qui tire parti de l’aide d’assistance de l’État et de l’organisation indépendante du réseau des coopératives par le biais de l’initiative privée. Il affirme d’ailleurs, en 1962, que le modèle américain constitue un archétype sur lequel devraient se baser les Canadiens français afin de bâtir leur propre réseau (Angers, 1962a, p. 651). Il utilise aussi l’exemple américain afin de miner les critiques libérales de l’option coopérative et rappelle que les coopératives américaines, à la suite de l’obtention d’une aide financière de l’État, sont entièrement libres d’organiser leur entreprise selon leur bon vouloir, démontrant le pouvoir des coopérateurs : « Aux États-Unis, les coopératives font tout. Elles distribuent de l’électricité qu’elles achètent des compagnies privées : elles en vendent pour 23 milliards de kilowatts-heures, ce qui est à peu près autant que la production de la province de Québec[22] » (Angers, 1964, p. 749). Un exemple à suivre, voilà ce que représentent les coopératives américaines pour Angers. Mais il y a plus. Son opinion positive de ce modèle américain nous informe sur sa perception à l’égard du modèle de gouvernance socioéconomique. En plus de répondre aux prérogatives subsidiaires, le modèle américain est à l’opposé du modèle étatique du gouvernement Lesage[23]. Voilà donc la deuxième critique de la nationalisation de l’électricité, soit « l’orientation socialiste » du gouvernement libéral. Le professeur des HEC, à la manière de l’Union nationale de Daniel Johnson, manifeste publiquement son opposition au projet d’expansion d’Hydro-Québec (Savard, 2012, p. 155-170). Pour Angers, le type de société d’État qu’est Hydro-Québec est à l’opposé d’un modèle de gestion décentralisé et démocratique :

Dans un système étatisé, le gouvernement aurait pu orienter sa politique pour confier tout son système de distribution à des coopératives […]. Invoquer le morcellement et les difficultés de planification, c’est montrer qu’on parle de coopérative sans savoir de quoi on parle! Il faut le dire, car la formule de restauration sociale et nationale, elle est dans cet appui de l’État pour créer dans notre société des organismes vivants et libres […] avant qu’un barbare décide de dévaster ce début de vraie civilisation pour y substituer l’hydre, c’est le cas de le dire, l’hydre monstrueuse de l’État omnipotent, annihilateur.

Angers, 1964, p. 781

Allant au-delà de la question des structures du système, Angers arrive à une critique virulente du principe de l’étatisation. L’étatisation et la collectivisation sont des synonymes du socialisme tel qu’il s’observe dans les pays d’Europe de l’Est. Il craint qu’en nationalisant certains pans du secteur des richesses naturelles, le gouvernement n’amorce un mouvement irréversible : « Une fois un germe en terre, l’histoire prouve qu’il grandit immanquablement, à moins qu’un autre système d’idées ne vienne en étouffer les pousses […]. L’étatisation, c’est indiscutable, fait partie du système socialiste » (Angers, 1961, p. 88). Têtu, Angers demeure sur ses positions jusqu’à la fin du mandat des libéraux en 1966 et demeurera toute sa vie un critique d’Hydro-Québec[24].

On pourrait croire que l’épisode d’Hydro-Québec aurait mis un terme aux réflexions d’Angers sur le coopératisme, tant ses critiques paraissent acerbes. Et pourtant, il n’en est rien. L’économiste se lance au tournant des années 1970 dans un chantier de recherche sur la coopération économique, en vue de publier un ouvrage-synthèse sur la question. Après plusieurs années de travail, en partenariat avec l’Institut d’économie appliquée des HEC, il publie les deux tomes de La coopération : de la réalité à la théorie économique, qui constitue son magnum opus. Cette synthèse représente l’un des apports les plus importants du professeur des HEC à la science économique québécoise. Première du genre dans le monde universitaire québécois, elle propose une interprétation plurielle des théories et des réalités socio-économiques liées à l’organisation coopérative dans le monde et au Québec. Très bien reçue lors de sa sortie (Jean, 1975, p. 131-132)[25], la synthèse d’Angers sera utilisée par les étudiants à l’École des HEC et à l’Université de Sherbrooke (Harvey, 2002, p. 382). Pour donner suite à cette publication, Angers sera invité à de nombreux colloques internationaux pour rendre compte de ses analyses, notamment en France et en Angleterre[26].

Fait intéressant à noter, La coopération : de la réalité à la théorie économique est un condensé des réflexions d’Angers sur la coopération. Signe de l’évolution de sa pensée politique, l’économiste en vient néanmoins à souligner le rôle que pourrait jouer le coopératisme dans l’écosystème économique d’un Québec indépendant, reprenant son projet utopique de « république coopérative ». Car à la fin des années 1960, Angers est devenu partisan de l’indépendance du Québec. L’évolution récente du système économique canadien, d’inspiration libérale et keynésienne, s’oppose aux besoins économiques de la nation québécoise : simple acteur dans le marché canadien, le Québec ne peut planifier sa croissance, ses relations extérieures et le type d’économie qu’il souhaite mettre en place. Si la nature même du système canadien mène Angers à croire que l’indépendance est nécessaire, ce positionnement est renforcé aux vues des possibilités qu’offrirait une souveraineté politique associée à l’établissement systématique du coopératisme dans tous les domaines d’activité. Angers est persuadé que ce système permettrait au Québec de s’affranchir des problèmes structurels persistants (monopoles financiers, poids des capitaux étrangers, qualité des emplois, revenu moyen par habitant). Signe des temps, il identifie désormais la coopération économique à une branche de « l’économie sociale », terme populaire dans les années 1970, qui recoupe une panoplie d’organisations privées axées sur les besoins collectifs et la conciliation entre les activités économiques et l’équité sociale (Angers, 1974, p. 209). Depuis ses balbutiements au début du 20e siècle, la coopération a d’ailleurs connu une croissance significative et au tournant de la décennie 1970, une centaine de coopératives voient le jour annuellement au Québec (Lévesque et Petitclerc, 2008, p. 24).

Dans sa synthèse, Angers réexpose la raison pour laquelle il privilégie le coopératisme par rapport aux autres modèles d’organisation socioéconomique, soit la volonté d’humaniser l’économie et la tourner vers des idéaux collectifs. Délaissant les références publiques à la Doctrine sociale de l’Église et à la philosophie catholique, il juge que le coopératisme demeure la voie privilégiée pour remédier aux injustices du capitalisme et aux défaillances du socialisme. Devant l’intérêt croissant des Québécois pour le coopératisme, et notamment les coopératives de consommation, il espère que la conscience sociale des coopérateurs en viendra à se généraliser :

L’avantage de la formule coopérative, qui vise […] à un type d’organisation ou de contrôle du marché, c’est qu’elle en appelle à un intérêt économique des consommateurs pour leur propre avantage, à un élément de concurrence essentiellement aussi loyal et souvent plus loyal que les méthodes du commerce capitaliste. En somme, la formule est irrésistible et incontestable : qui contrôle les marchés contrôle l’économie.

Angers, 1974, p. 202

Pour se constituer en force économique, le coopératisme québécois doit ainsi s’articuler autour d’une collaboration plurielle entre les coopérateurs de tous horizons. Ce faisant, les coopérateurs québécois pourraient s’organiser autour d’un marché commun national :

Où est donc alors la véritable vertu de la coopération, qui serait de nature à permettre de réaliser pour les Québécois ce que les structures capitalistes ne peuvent pas réussir? Elle est dans le fait qu’un mouvement coopératif bien structuré trouve sa force, non pas dans sa puissance financière […] mais dans sa capacité de contrôler l’autre pôle de la vie économique, sans quoi la finance elle-même est sans objet : le marché! Cela veut dire qu’un système coopératif puissant, et forcément populaire, est finalement plus puissant que toute puissance financière. Cela veut dire aussi qu’un mouvement coopératif n’a cette force et cette valeur que s’il est d’abord appuyé sur un vaste réseau de coopératives de consommation, autour duquel toutes les autres formes de coopérations prennent leur place pour donner encore plus de puissance à l’ensemble.

Angers, 1974, p. 199-200

Pour Angers, un changement paradigmatique des structures économiques n’est pas impossible. L’économiste évoque les exemples de certains pays européens qui, dans la seconde moitié du 20e siècle, ont réorienté leurs structures vers des modèles d’économie sociale. Il cite notamment le cas de la Suède, qui constitue un « exemple de l’accélération du mouvement coopératif dans l’histoire et de sa capacité d’arriver à des résultats foudroyants en peu de temps » (Angers, 1974, p. 218). Il souligne que la Suède « avait connu des vagissements coopératifs au cours du 19e siècle », mais que c’est à la suite d’une prise de conscience nationale au tournant des années 1950 qu’un grand nombre d’entrepreneurs suédois se sont tournés vers ce modèle « avec un succès retentissant » (Angers, 1974, p. 218-219). La clé du succès réside selon lui dans la volonté des politiciens et des entrepreneurs de prendre le virage qui s’impose, comme en Suède, « un pays semblable au Québec » (Angers, 1974, p. 219). Angers cite aussi l’exemple de la Finlande, qui a pu se libérer « économiquement de la domination russe et faire du développement coopératif un élément significatif de la reconquête de son indépendance politique » (Angers, 1968, p. 608).

À l’aube du 21e siècle, le professeur des HEC conclut qu’il est temps de donner à « ce pays du Québec un gouvernement capable d’appliquer sans restriction les politiques nécessaires pour réaliser le plein-emploi et le plein développement des ressources du territoire québécois » (Angers, 1973, p. 20). C’est d’ailleurs cette volonté qui l’incite à s’éloigner de la thèse des États associés du Parti Québécois, car « la souveraineté-association, avec ses avantages à court terme, risque d’avoir un désavantage à long terme : celui d’ancrer dans la mentalité populaire l’idée que le Québec ne peut pas se passer du Canada et aspirer à la vraie souveraineté » (Angers, 1979, p. 541). Pour lui, la voie à privilégier demeure donc la même, celle de la « république coopérative » du Québec.

Durant plus de quatre décennies de réflexion, les idées coopératives d’Angers sont demeurées fondamentalement les mêmes. Dans l’esprit de l’économiste des HEC, la coopération représentait une alternative aux grands systèmes économiques capitalistes et socialistes, remettait le pouvoir économique entre les mains des individus et constituait au Québec la voie privilégiée amenant les francophones à reprendre en main les principaux leviers de développement de leur économie nationale. Organisé en partie autour de l’idée de reconquête économique du Canada français d’Esdras Minville, le projet coopératif d’Angers partageait aussi des similarités conceptuelles évidentes avec la « république coopérative » de Charles Gide, en rapport avec le rôle stratégique joué par les coopératives de consommation dans la transformation progressive de l’écosystème économique national du Québec.

Si les idées d’Angers ont été partiellement récupérées par les élites politiques québécoises de son temps, elles ont eu des échos significatifs au sein des cercles intellectuels et économiques de la province (Grube, 1981, p. 224-226). Pour les coopérateurs du 20e siècle, les écrits d’Angers ont permis de démystifier les tenants et aboutissants de ce modèle d’organisation socioéconomique qui était, à maints égards, révolutionnaire. Utopiques, ils nous renseignent sur la manière dont certains intellectuels nés au début du 20e siècle entrevoyaient le développement de leur collectivité. Rebutés par la décadence du capitalisme libéral des années 1930 et méfiants à l’égard du socialisme d’État de l’URSS et des pays d’Europe de l’Est, ces penseurs ont proposé une forme de nationalisme économique qui était fondamentalement influencée par les préceptes humanistes du catholicisme, mais qui était aussi adaptée à la culture historique canadienne-française.