Résumés
Résumé
L’arrivée de milliers d’immigrants qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle depuis les années 1990 n’est pas restée sans effet sur la géographie des langues dans la région de la capitale nationale. Comment le français a-t-il évolué dans la région d’Ottawa-Gatineau en leur présence? Jusqu’à quel point l’équilibre fragile qui s’y était construit entre le français et l’anglais au fil du temps a-t-il été affecté par leur poids grandissant? C’est à ces questions que cet article cherche à répondre, en s’appuyant sur l’analyse des transformations de l’espace du français, langue maternelle, au cours des 25 dernières années dans la région. Nous nous intéressons aussi aux possibilités nouvelles offertes par le territoire à la rencontre entre francophones et allophones, et à la capacité de la communauté francophone d’intégrer ultimement une partie de ces derniers. Les résultats présentés augurent d’un avenir plutôt sombre du français, surtout du côté ontarien de la frontière.
Mots-clés:
- français,
- langue maternelle,
- géographie,
- transformations,
- Ottawa-Gatineau,
- 1991-2016,
- immigration,
- espace de rencontre,
- avenir du français
Abstract
The arrival of thousands of immigrants whose mother tongue is neither French nor English since the 1990s has not been without effect on the geography of languages in the National Capital Region. How has French evolved in the Ottawa-Gatineau region in their presence? To what extent has the fragile balance that had been built up between French and English over time been affected by their growing weight? This article seeks to answer these questions based on an analysis of the transformations in the space of French as a mother tongue over the past twenty-five years in the region. We are also interested in the new possibilities offered by the territory for the encounter between francophones and allophones, and in the capacity of the francophone community to ultimately integrate one part of the latter. The results presented in this paper point to a rather bleak future for French, especially on the Ontario side of the border.
Keywords:
- French,
- mother tongue,
- geography,
- transformations,
- Ottawa-Gatineau,
- 1991-2016,
- immigration,
- meeting space,
- future of French
Corps de l’article
Le français perd du terrain à Ottawa[1]. Dans la capitale, la proportion de la population de langues maternelles tierces dépasse aujourd’hui celle qui a le français comme langue maternelle. L’anglais, langue maternelle de la majorité, est aussi en baisse. À Gatineau, de l’autre côté de la rivière des Outaouais qui forme la frontière entre l’Ontario et le Québec, le poids du français diminue aussi, quoiqu’il reste la langue maternelle d’une forte majorité de la population. Mais ce qui retient plutôt l’attention, c’est que la part relative de la population qui n’a ni le français ni l’anglais comme langue maternelle a plus que doublé en 25 ans, donnant à Gatineau un visage nouveau. De part et d’autre de la frontière, la population de langues maternelles tierces a explosé, à la faveur des politiques d’immigration du Canada et de l’attraction économique et sociale de plus en plus forte exercée par Ottawa-Gatineau sur les immigrants[2].
Comment le français a-t-il évolué dans la région de la capitale nationale[3] en présence de ces autres langues? Jusqu’à quel point l’équilibre fragile qui s’y est construit entre le français et l’anglais au fil du temps a-t-il été affecté par le poids grandissant de ces autres langues? C’est à ces questions que cet article cherche à répondre, en s’appuyant sur l’analyse des transformations de l’espace du français, langue maternelle, au cours des 25 dernières années à Ottawa et à Gatineau[4]. Notre texte s’intéresse aussi aux possibilités nouvelles offertes par le territoire à la rencontre entre francophones et allophones, et à la capacité de la communauté francophone d’intégrer ultimement une partie de ces derniers[5].
Le contexte est d’autant plus favorable à l’adoption du français par la population de langues tierces que, même si son poids a diminué, le français a fait des gains importants, en nombres, tant à Ottawa qu’à Gatineau, depuis 1991. En tant que siège du gouvernement fédéral, la région exerce un attrait indubitable sur les francophones du reste du pays. Et le français y bénéfice d’un statut nulle part égalé à l’extérieur du Québec. Mais la croissance de la population de langue maternelle française a été plus faible que celle de la population de langue maternelle anglaise, dans les deux villes, et la pression de l’anglais s’est amplifiée. Ottawa a beau s’enorgueillir d’une population de langue française qui dépasse aujourd’hui les 136 000 personnes[6], d’un large éventail d’institutions francophones dans presque tous les secteurs de la vie collective, le poids du français diminue. Les francophones évoluent ici dans une mer d’anglais et plusieurs d’entre eux s’anglicisent[7]. Le français est certes majoritaire à Gatineau, sa voisine, le nombre des francophones y dépassant les 208 000[8], ce qui en fait la troisième plus importante concentration de locuteurs du français au Québec, après le grand Montréal et Québec. Le français est protégé, ici comme ailleurs dans la province, par la Charte de la langue française (loi 101) et les autres dispositifs légaux qui confèrent au français le statut de langue d’usage public partout sur le territoire québécois. Mais à Gatineau, l’anglais a fait plus de gains que le français au cours des dernières 25 années. Le caractère frontalier de la ville y est pour beaucoup. Vivre au Québec a ses avantages, dont le prix plus bas du logement et l’accès à moindre coût aux garderies, collèges et universités. Ainsi, Gatineau attire un bon nombre de migrants annuellement, quel que soit l’univers linguistique dans lequel ils préféreraient évoluer. Les transferts linguistiques du français vers l’anglais contribuent aussi à la hausse du nombre d’anglophones du côté québécois de la frontière (Castonguay, 1989, 2002, 2005). L’anglais prédomine dans la culture organisationnelle de la fonction publique fédérale, la principale source d’emploi des travailleurs de Gatineau, sans compter la sous-utilisation du français dans les milieux de travail de l’Ontario, où plus du tiers d’entre eux sont employés selon le dernier recensement[9]. Et si des organismes anglophones déplorent le manque de services dans la langue de la minorité du côté québécois de la frontière, force est d’admettre que l’anglais est omniprésent dans l’espace public de l’Outaouais québécois
Autre phénomène d’intérêt, la région accueille de plus en plus de personnes n’ayant ni le français ni l’anglais comme langue maternelle. Leur présence augmente dès les années 1990, alors que le nombre d’allophones s’accroît de 53 % à Ottawa et de 44 % à Gatineau en dix ans seulement. Non seulement les portes du Canada s’ouvraient-elles alors à un plus grand nombre d’immigrants annuellement, mais leur profil changeait. Et ceci même au Québec, qui, en vertu de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration de 1991, joue un rôle important dans la détermination du nombre d’immigrants sur son territoire. Bien que le gouvernement du Québec participe à leur sélection, la proportion d’entre eux qui sont de langues maternelles tierces aurait augmenté, ce qui se traduirait par une part grandissante de résidents allophones. L’évolution du français à Ottawa-Gatineau est aussi modulée par la rencontre des francophones avec ces allophones.
Notre article vise à étudier dans un premier temps comment s’est modifié l’espace du français, particulièrement dans un contexte de forte croissance du poids des allophones dans la région de la capitale nationale. Dans un deuxième temps, nous avons cherché à identifier jusqu’à quel point cette reconfiguration de la géographie du français a favorisé l’émergence de lieux de rencontre entre francophones et allophones sur le territoire. Nous proposerons dans un troisième temps un certain nombre d’hypothèses quant à l’avenir du français dans la région, découlant des nouvelles possibilités qu’offrent ces lieux de rencontre pour sa consolidation. On peut déjà annoncer que cet avenir est plutôt sombre, même à Gatineau. Car une réalité demeure, quelle que soit la géographie des langues dans la région : celle du pouvoir incontestable de l’anglais de s’imposer, même au Québec, comme langue de communication. Ce qui peut faire pencher la balance du côté de l’anglais, dans les interactions tant entre francophones et anglophones qu’entre francophones et allophones, surtout en région frontalière.
Éléments d’une géographie des langues
Ce texte porte sur la géographie des langues dans la région de la capitale nationale. Il traite de la distribution de leurs locuteurs de part et d’autre de la frontière Ottawa-Gatineau. Nous étudions d’une part la présence respective des locuteurs français, anglais et de langues tierces dans les différentes parties de l’espace régional, d’autre part leur coprésence dans certains voisinages et quartiers. Le principal postulat de notre analyse est celui qui a guidé nos travaux antérieurs qui veut que la configuration spatiale d’une langue – en l’occurrence le français – ait un impact sur son évolution (Gilbert 1999, 2010; Ray et Gilbert, 2020). Comme les langues n’évoluent pas en isolation, nous nous intéressons non seulement à la configuration spatiale du français dans la région mais aussi à celle des autres langues avec lesquelles le français cohabite. Les espaces résidentiels de la rencontre entre le français, l’anglais et les langues tierces, lieux d’interaction potentielle entre leurs locuteurs, sont ainsi dans notre mire. Notre analyse repose en effet sur un deuxième postulat, à savoir que c’est la rencontre des langues sur le territoire qui module leur évolution respective, au gré de l’usage plus ou moins fréquent de l’une et de l’autre dans les situations de contact.
S’il s’agit de vieux préceptes de la géographie des langues – pensons aux travaux de Roland Breton (1991) ou encore de Colin Williams (1988, 2008) – des développements récents en géographie sociale leur donnent un nouvel éclairage. Ainsi avons-nous trouvé, par exemple, dans les discussions entourant la géographie de la rencontre – « Geography of Encounter » – des pistes intéressantes pour préciser notre approche. Les villes devenant de plus en plus diversifiées et la mixité linguistique, ethnique et raciale caractérisant toujours plus de voisinages et quartiers, un nombre grandissant de géographes se sont intéressés en effet aux relations complexes existant entre les lieux, la diversité et le vivre-ensemble (Valentine, 2008; Wessel, 2009). Si certains n’ont pas hésité à endosser la théorie du contact pour avancer que la rencontre dans un même lieu de personnes venant d’univers sociaux et culturels différents favorise la tolérance et le respect mutuel, d’autres ont insisté plutôt sur les conditions nécessaires à un contact « significatif », c’est-à-dire susceptible de changer les mentalités et les pratiques. Nous avons rappelé pour notre part jusqu’à quel point le profil des populations en présence et des lieux dans lesquels s’inscrit leur rencontre peut en affecter l’issue (Ray et Preston, 2013). La rencontre, comme le souligne Gill Valentine (2008, p. 333), ne prend jamais place dans un espace libre d’histoire, de conditions matérielles et de pouvoir.
Il ne saurait en être autrement, croyons-nous, lorsqu’il s’agit de la rencontre entre des locuteurs de langues différentes sur le territoire, et que cette rencontre mène à l’adoption de l’une ou l’autre de ces langues lorsque ceux-ci communiquent entre eux. Les langues étant loin de jouir de la même capacité d’attraction dans un lieu donné, il serait en effet erroné de parler de leur rencontre comme d’un simple contact, dont les conséquences sur les langues utilisées dans cette interaction seraient aléatoires. Comme nous le rappelle la sociolinguistique, la langue qui sera en position de force, pour des raisons politiques, économiques, démographiques, voire symboliques, aura tendance à s’imposer au détriment d’une langue en position de faiblesse (Heller, 2002; Lagarde, 2008; Boyer, 2017). Tout un ensemble de représentations, reposant sur les valeurs prêtées à l’une et l’autre langue, favorise ce processus. Ce sont ces représentations, stéréotypes et attitudes, généralement favorables à la langue dominante et donc au recours à cette langue plutôt qu’à une autre, qui vont influencer le choix de la langue qui sera utilisée. Nous nous inspirons des réflexions de la géographie sur la rencontre et de ces considérations sur les inégalités entre les langues pour proposer que l’effet de la rencontre de deux ou plusieurs langues sur un territoire donné, et qui mènera ultimement à leur consolidation ou à leur affaiblissement, sera largement conditionné par leurs statuts respectifs sur ce territoire.
Le contexte
Des langues en constant rééquilibrage
Quelque 80 000 francophones et 20 000 Britanniques vivaient sur le territoire du Canada actuel au moment de la Conquête, en 1763, en plus des locuteurs de nombreuses langues autochtones (Henripin, 2014). Quarante ans plus tard, la population de langue anglaise avait dépassé la population francophone, et, au milieu du 19e siècle, les deux groupes avaient atteint un équilibre. Bien que la taille relative des deux groupes linguistiques ait quelque peu fluctué par la suite, cet équilibre est demeuré relativement constant depuis la Confédération. En 1871, on évaluait la population composée à 62 % d’anglophones, 30 % de francophones, 2 % de Canadiens parlant une langue autochtone et 6 % de Canadiens parlant une autre langue[10]. Cent ans plus tard, les proportions n’avaient guère changé : le Canada comptait 60,1 % d’anglophones, 26,9 % de francophones et 13 % de Canadiens de langues maternelles tierces (Marmen et Corbeil, 1999).
L’arrivée d’un grand nombre d’immigrants dont la langue n’est ni le français ni l’anglais est cependant venue, depuis, changer progressivement la donne (Edwards, 2010). Elle favorise l’accroissement du « groupe[11] » des allophones, du moins momentanément. À moyen et à long terme toutefois, leurs descendants adoptent le plus souvent l’une ou l’autre des langues officielles du pays et la transmettent à leur tour à leurs enfants, ce qui contribue à leur rééquilibrage. Les facteurs menant à ces transferts linguistiques chez les immigrants de première et surtout seconde génération sont multiples (Norde, de Jonge et Hasselblatt, 2010). Les représentations qu’ils se font de la pertinence économique, sociale, ou autre du français et de l’anglais y jouent pour beaucoup. On peut, sans trop s’avancer, faire l’hypothèse que ce sera, par commodité, l’anglais hors du Québec, quoique le statut rattaché au bilinguisme au pays puisse faire en sorte que des allophones tenteront d’acquérir aussi le français. Au Québec, la dynamique des langues est encore plus complexe. Les immigrants y sont certes plus nombreux à adopter le français que l’anglais comme langue d’usage. L’anglais n’en continue pas moins de jouir cependant ici d’un grand pouvoir d’attraction (McNicoll, 1993).
Les données du dernier recensement quant aux langues d’usage à la maison des immigrants au Québec témoignent en effet de l’attrait qu’exerce l’anglais sur eux : si 38,7 % de la population immigrante au Québec a déclaré avoir le français comme langue parlée le plus souvent à la maison en 2016, comparativement à 22,0 % qui a déclaré l’avoir comme langue maternelle, 16,2 % a déclaré avoir l’anglais comme principale langue d’usage à la maison, comparativement à 7,5 % qui a déclaré l’avoir comme langue maternelle[12].
Une région à l’image d’un pays
La région de la capitale nationale constitue le meilleur lieu d’observation de telles dynamiques linguistiques (Boal, 1993). Elle embrasse le Québec français et l’Ontario anglais, et fait le pont entre les deux majorités. Chacune de ces majorités bénéficie d’assises institutionnelles solides de chaque côté des frontières qui les séparent : francophones à Gatineau, anglophones à Ottawa. Et chacune jouit d’un contrôle effectif sur une partie du territoire régional.
La région accueille d’importantes minorités de langue officielle – francophones à Ottawa et anglophones à Gatineau –, reflet du paysage linguistique canadien. L’une et l’autre minorité de langue officielle disposent de leurs propres institutions éducatives et culturelles, qui leur assurent une certaine sécurité linguistique. Leurs membres n’en partagent pas moins le territoire avec la majorité, et interagissent avec elle au quotidien, au travail, dans leurs loisirs, parfois même dans l’espace intime de leur foyer. La région de la capitale nationale a par ailleurs ceci d’intéressant que selon que l’on considère sa composante québécoise ou ontarienne, le rapport minorité/majorité s’inverse : la majorité francophone au Québec devient minorité en Ontario, et vice-versa.
Ottawa-Gatineau accueille aussi son contingent d’immigrants. La région métropolitaine de recensement en comptait 255 800 en 2016, qui formaient 19,7 % de sa population[13]. Ce pourcentage est assez voisin de celui de l’ensemble du Canada (21,9 %) dont la région apparaît ainsi en quelque sorte comme le prototype. Cependant Gatineau et Ottawa diffèrent grandement en ce qui concerne la présence d’immigrants, la première accueillant proportionnellement deux fois moins d’immigrants (12,5 %) que la seconde (23,6 %). Comme ailleurs au pays, le profil de cette immigration s’est beaucoup diversifié au cours des dernières années, ce qui a entraîné une diversification des langues en présence dans chacune des deux villes.
La frontière et ses effets
« La région d’Ottawa-Gatineau a quelque chose d’unique », comme nous le soulignions en quatrième de couverture de La frontière au quotidien : expériences des minorités à Ottawa-Gatineau (Gilbert, Veronis, Brosseau et Ray, 2014). Elle est traversée par une frontière provinciale qui représente une structure incontournable (Figure 1). De part et d’autre de la frontière, les populations, les cultures et les pratiques sont différentes, comme nous venons de le souligner. La vie se déroule essentiellement en français à Gatineau, et l’anglais domine à Ottawa. « La géographie auditive ne laisse aucun doute quant à la fracture linguistique qui traverse la région » (Gilbert et al., 2014, p. 2). Le clivage est hérité de l’époque de la colonisation. Le découpage politique du territoire l’a ensuite amplifié : le français est la langue officielle du Québec. La présence de minorités francophones à Ottawa et anglophones à Gatineau atténue certes ces différences. Mais il reste que la frontière sépare deux mondes différents.
Mais si la frontière divise, elle rapproche aussi. Si elle agit comme barrière à l’interaction et si elle sépare, elle favorise aussi le contact entre les sociétés qu’elle sépare. C’est ainsi que, par-delà les différences, la région de la capitale nationale fonctionne comme un vaste espace transfrontalier, où les différences sont gommées par les échanges et les liens. Cette unité ne peut rester sans effet sur les modalités de l’interface entre francophones et anglophones, d’une part, et entre les allophones et l’un et l’autre de ces groupes, d’autre part. Elle crée en effet une structure d’opportunité linguistique particulière tant pour l’anglais que pour le français. Nous sommes en effet d’avis que, malgré le caractère résolument français du Québec, l’anglais trouve aisément sa place à Gatineau, de par la proximité de l’Ontario et la présence quotidienne d’un bon nombre d’Ontariens dans les bureaux du gouvernement fédéral situés du côté québécois de la frontière. Nous croyons aussi que le français, langue maternelle de moins de 15 % de la population d’Ottawa, est davantage utilisé ici que dans d’autres communautés francophones dont le poids est aussi faible. Le fait que des milliers de Québécois traversent chaque jour la frontière pour y travailler, en fréquenter les institutions et les commerces et s’y divertir, favorise en effet ici l’usage du français. Les francophones d’Ottawa empruntent aussi au quotidien les nombreux ponts qui enjambent la rivière des Outaouais, ce qui ne peut rester sans effet sur la dynamique des langues dans la région.
Repères méthodologiques
Le poids relatif du français, en cartes
Parce que la géographie place les questions de lieux, d’espaces et de territoires, de ségrégation, voire d’exclusion, de cohabitation et de rencontre au centre de ses préoccupations, c’est à partir de cartes géographiques que nous aborderons la question du français dans la région de la capitale nationale[14].
Nous avons cartographié l’espace du français, en 1991 et en 2016, en fonction du lieu de résidence de ses locuteurs. Si la langue s’exprime bien sûr dans de multiples autres lieux, il n’en reste pas moins que c’est dans le lieu de résidence qu’elle se transmet de génération en génération, et qu’elle puise l’essentiel de sa force. Le lieu de résidence dictant souvent celui de l’école, il joue en outre un rôle essentiel dans la socialisation des enfants. Nos cartes ont été produites à l’échelle des aires de diffusion, une petite unité géographique qui correspond assez bien à l’idée de voisinage.
Nous avons analysé les grands traits de l’évolution de cet espace résidentiel du français. L’avenir du français étant directement lié, ici comme ailleurs au pays, à son importance relative sur le territoire, nous avons utilisé des cartes du pourcentage de francophones à l’échelle des différents quartiers d’Ottawa-Gatineau. Ces cartes donnent à voir l’espace du français non pas isolément, mais bien dans son extension et sa densité telles que modulées par celles des autres langues avec lesquelles il cohabite dans la région.
Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la configuration de l’espace du français ainsi cartographié et aux caractéristiques des différents milieux qu’il recoupe, du point de vue de la présence locale du français et des possibilités de son usage au quotidien. Les seuils dans la géographie du français à Ottawa-Gatineau, entre des milieux très francophones, mixtes à dominance francophone, mixtes à dominance anglophone, ou encore peu francophones, ont ainsi retenu notre attention. Or, les seuils entre ces différents milieux francophones de la région de la capitale nationale sont loin d’être fixes au plan de la localisation. Leur déplacement témoigne des nouvelles façons d’occuper l’espace par les différents groupes linguistiques d’Ottawa et de Gatineau. Et il augure de nouvelles conditions de possibilité du français dans la région, que l’analyse comparée de la localisation des différentes lignes de démarcation entre les quartiers en 1991 et en 2016 suggère par ailleurs.
La mesure du potentiel d’interaction
Selon que les différentes populations cohabitent dans les mêmes quartiers ou que, au contraire, elles occupent des portions différentes du territoire et sont fortement ségréguées, les possibilités de l’interface entre les francophones, les anglophones et les allophones ne sont pas les mêmes et leur potentiel d’interaction varie. La reconfiguration de l’espace francophone au cours des 25 dernières années s’accompagne ainsi de possibilités différentes de rencontre entre les francophones et les autres populations d’Ottawa et de Gatineau.
Nous avons pris la mesure de ce phénomène en calculant le potentiel d’interaction à l’aide de l’indice P* ou « indice d’exposition[15] », en 1991 et en 2016. L’indice P* est une mesure du potentiel de rencontre entre deux groupes qui découle de la taille numérique et de la répartition géographique de chacun. Les qualités d’exposition (fréquence, durée) ou encore la signification sociologique de l’exposition (ou de l’absence d’exposition) entre les groupes ne sont pas certes mesurées par l’indice P* mais celui-ci mesure néanmoins la possibilité qu’ils se rencontrent[16]. Les valeurs de l’indice varient de 0 à 100 (100 est le maximum), et elles traduisent la possibilité qu’un membre de groupe X partage une aire géographique – dans notre cas, une aire de diffusion – avec un membre de groupe Y[17].
Une dimension importante de P* est que sa valeur est directement liée à la taille relative des deux groupes en présence, si bien que la mesure est asymétrique : à cause de leurs tailles différentes et répartitions géographiques particulières, la possibilité que les membres de deux groupes se rencontrent ou soient « exposés » l’un à l’autre n’est pas égale. Il est facile de le concevoir. Si, par exemple, un groupe X forme la majorité dans une ville donnée, le groupe Y minoritaire aura une probabilité élevée de rencontrer des membres du groupe X – d’une certaine manière, les membres du groupes X sont partout, si bien que ceux du groupe Y pourront difficilement les éviter. À l’inverse, les membres du groupe X auront peu de chance de rencontrer des membres du groupe Y, surtout si ce dernier affiche une forte tendance à la ségrégation.
Il ressort de notre analyse, qui sera présentée plus loin, que les valeurs de P* découlant de l’interface entre les francophones et les anglophones sur le territoire ont assez peu changé au cours des derniers 25 ans, tant à Ottawa qu’à Gatineau et que dans leurs différentes composantes. Celles de P* découlant de l’interface entre les francophones et les allophones ont pour leur part beaucoup changé. L’arrivée d’un grand nombre de personnes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle dans la région de la capitale nationale est ainsi susceptible d’induire une dynamique linguistique nouvelle, qui pourrait avoir des effets, à plus ou moins brève échéance, sur l’usage du français.
Nous avons donc choisi de pousser plus loin l’analyse de ce potentiel d’interaction. Des cartes de localisation des quartiers qui offrent un potentiel élevé d’interaction entre les francophones et les allophones ont ainsi été produites, afin d’identifier les quartiers particulièrement susceptibles de voir le français augmenter compte tenu de leur potentiel d’interaction plus élevé. La première analyse porte sur la carte de l’espace d’intersection alors que les deux groupes forment des pourcentages importants de la population, 35 % pour les francophones et 20 % pour les allophones. La seconde offre une perspective moins restrictive sur l’espace de rencontre entre les deux groupes, relevant les voisinages où les francophones forment 30 % de la population et les allophones 15 %.
L’usage du français à la maison par les allophones
Jusqu’à quel point le français profitera-t-il de cette interaction entre les deux groupes? Dans quelle mesure la rencontre entre le français et les autres langues en présence sur le territoire lui sera-t-elle favorable à moyen et à long terme? Pour répondre à ces questions, nous avons, enfin, examiné les langues d’usage à la maison de la population allophone de la région. Postulant que l’usage du français à la maison par des personnes n’ayant ni le français ni l’anglais comme langues maternelles est un indicateur puissant de la capacité du français de s’imposer dans l’espace résidentiel, nous avons ainsi mesuré le pourcentage d’allophones qui utilisent le français à la maison, à Ottawa et à Gatineau. On verra que le français est loin d’avoir le même pouvoir d’intégration de part et d’autre de la rivière des Outaouais.
Ces cartes et mesures suggèrent un certain nombre d’hypothèses quant à l’avenir du français selon les quartiers. Elles feront l’objet de la dernière partie de notre texte. On distinguera ici bien sûr entre le Québec, où le français est majoritaire, où il est protégé en vertu de la loi et jouit d’un certain statut et l’Ontario, où la domination de l’anglais laisse entrevoir des effets différents de la cohabitation.
Le français à Ottawa-Gatineau : nombres et pourcentages
Il existe plusieurs façons de mesurer la présence du français. Chacune permet d’en saisir un aspect spécifique, en reléguant d’autres au second plan (Forgues, Landry et Boudreau, 2008). La question est particulièrement épineuse en milieu minoritaire où le dénombrement des francophones revêt un caractère éminemment politique. Notre choix s’est arrêté sur la langue maternelle – ou pour être plus précis, « la première langue apprise et encore comprise » –, le meilleur indicateur de la diversité linguistique sur le territoire. En effet, alors que le français et l’anglais, de par leur statut de langues officielles, ont tendance à s’imposer comme langues d’usage au Canada, un éventail beaucoup plus large de langues sont transmises aux enfants du pays par leurs parents, ce que mesure la langue maternelle. Elle constitue donc, dans le contexte de notre étude, la variable qui convient le mieux[18].
Nous avons colligé les données sur le français langue maternelle de 1991 à 2016, soit sur une période de 25 ans. Les tableaux 1 et 2 montrent qu’il s’agit d’une période caractérisée par une certaine stabilité du français dans la région. Alors qu’entre 1981 et 1991, la population francophone avait connu une croissance de 16,6 % (19,9 % à Gatineau et à 12,2 % à Ottawa), on assiste depuis 1991 à une hausse plus modérée des nombres, qui augmenteront à peine plus – de 21,4 % – au cours des 25 années suivantes[19]. Il n’en reste pas moins que le nombre de francophones d’Ottawa- Gatineau est passé de 284 133 en 1991 à 344 997 en 2016, soit une croissance de plus de 60 000 personnes.
Or, si le nombre de francophones a augmenté, leur poids a nettement diminué au cours des derniers 25 ans à Ottawa-Gatineau, comme nous le soulignions en introduction. À l’échelle de la région, les francophones forment, en 2016, 28,8 % de la population, soit quatre points de pourcentage de moins qu’en 1991 (32,6 %). À Gatineau seulement, leur majorité a fondu de 83,7 % à 76,5 %. Pendant ce temps, le poids des anglophones diminuait aussi, surtout à Ottawa, où il est passé de 67,9 % de la population en 1991 à 62,4 % en 2016. En contrepartie, le poids des allophones – toutes langues confondues – augmentait de façon marquée des deux côtés de la rivière des Outaouais. Ainsi, au recensement de 2016, il dépassait de loin celui des francophones à Ottawa : 22,8 % de la population est allophone alors que 14,7 % est francophone. Et il s’approchait de celui des anglophones à Gatineau : 11,3 % de la population y est allophone alors que 12,3 % est anglophone. Bref, si l’équilibre entre francophones et anglophones n’a guère changé dans la région de la capitale nationale au cours des 25 dernières années, l’importance relative des allophones, qui ont vu leur nombre doubler en 25 ans[20], a augmenté sensiblement.
Quels seront les effets à long terme de cette présence accrue de langues tierces sur le français dans la région? Nous nous appuierons sur les outils de la géographie pour répondre à cette question. Nous décrirons d’abord la reconfiguration de l’espace francophone à Ottawa-Gatineau depuis 1991, à la lumière des transformations qui, en même temps, faisaient se redessiner les espaces anglophone et allophone dans la région. Nous discuterons ensuite des possibilités qu’offre cette nouvelle géographie des langues à la rencontre entre, d’une part les francophones et les anglophones, et surtout et d’autre part, entre les francophones et les allophones.
L’espace du français de 1991 À 2016
Des milieux francophones bien circonscrits[21]
Au tournant des années 1990, l’espace du français langue maternelle[22] dans la région de la capitale nationale est fortement segmenté (Figure 2). Héritage de la colonisation et des migrations qui en ont accentué les effets sur le territoire, la frontière interprovinciale formée par la rivière des Outaouais constitue une ligne de séparation très nette entre une première zone où le français domine et une seconde où il n’est majoritaire que dans de rares quartiers. Chacune de ces deux zones est traversée à son tour par une ligne de démarcation, celle qui correspond à la limite ouest de ce qui formait alors le territoire de la ville de Hull du côté québécois de la frontière et le canal Rideau du côté ontarien. Ces seuils délimitent des aires bien circonscrites du point de vue de la place qu’y occupe le français : des milieux très majoritairement francophones à Hull, Gatineau, Buckingham et Masson-Angers, d’autres très majoritairement anglophones à l’ouest du canal Rideau, et entre ces deux extrêmes, des milieux mixtes, dominés par le français sur le territoire de l’actuelle ville de Gatineau, par l’anglais sur celui de l’actuelle ville d’Ottawa. Nous décrirons brièvement ces seuils et milieux, afin de pouvoir prendre la pleine mesure des transformations qui se sont opérées durant les 25 années qui suivront.
La rivière des Outaouais
La première ligne de démarcation qui s’observe sur la carte du poids des francophones à l’échelle des différents quartiers d’Ottawa-Gatineau est celle qui sépare les deux villes. Elle correspond à la frontière entre l’Ontario et le Québec, une frontière politique et administrative, qui module fortement l’espace économique (Andrew, Ray et Chiasson, 2011). Cette frontière découpe l’espace du français en deux mondes différents, celui où il est majoritaire et celui où il est minoritaire. Cette frontière représente une structure d’autant plus « incontournable », qu’elle a une forte puissance symbolique (Gilbertetal., 2014).
La dualité qu’elle induit dans l’espace du français dans la région étant déjà ancienne et relativement bien connue (Gilbertet al., 2014), nous ne nous étendrons pas davantage sur cette première ligne de séparation.
La limite ouest du territoire de la ville de Hull
L’espace francophone de Gatineau est cependant loin d’être uniforme. En 1991, une deuxième ligne de démarcation s’observe à la limite ouest du territoire de la ville de Hull, qui sépare le territoire où les francophones représentent 75 % ou plus de la population de celui où leur majorité est moins forte. On ne saurait s’en surprendre, puisque les anglophones forment depuis la colonisation une proportion importante de la population d’Aylmer et que la dualité linguistique était au coeur de son identité. Les francophones n’en sont pas moins majoritaires dans tous les secteurs de la ville[23].
Cette apparente domination du français laisse néanmoins entrevoir déjà des changements à venir. Dans plusieurs secteurs de l’île de Hull, fragilisés par la rénovation urbaine, les francophones forment certes la majorité, mais leur poids est inférieur à 75 %. On observe le même phénomène dans un des secteurs du nord de la ville, aux frontières de Chelsea.
Le canal Rideau
Un troisième seuil s’observe au centre de l’espace francophone d’Ottawa. Il sépare le territoire où les francophones comptent pour une forte proportion de la population locale de celui où ils sont quasiment absents. À l’est du canal Rideau, on compte au moins 15 % de francophones partout et souvent plus de 30 %. Ils forment plus de 50 % de la population dans certains voisinages de la Basse-Ville, de Vanier à l’est de la rivière Rideau et d’Orléans, à cheval sur les municipalités de Gloucester et de Cumberland, à l’est de l’agglomération. À l’ouest du canal Rideau, ils représentent moins de 15 % de la population, sauf pour quelques aires de diffusion situées sur les plaines LeBreton, vestiges de la présence française plus affirmée dans le quartier avant le « grand dérangement » des années 1960 (Gilbert, Cardinal, Bock, Hotte et Charbonneau, 2017).
Un repli vers l’Est
Un regard sur la carte du français langue maternelle 25 ans plus tard fait voir un espace assez différent de celui que nous venons de décrire (Figure 3). L’arrivée de milliers d’immigrants dans la région a non seulement diversifié les langues en présence sur le territoire, mais aussi leur localisation respective. Les lignes de séparation se sont déplacées, les caractéristiques des milieux qu’elles délimitent ont elles aussi changé et, avec elles, les modalités de l’interface entre le français et les autres langues sur le territoire. Elles attestent d’un recul vers l’est des frontières des milieux très francophones ou mixtes à dominance francophone et de la formation de larges zones où l’espace du français se fragilise.
Toujours la frontière interprovinciale
La rivière des Outaouais constitue une ligne de séparation encore plus nette en 2016 qu’elle ne l’était en 1991 entre l’espace du français majoritaire et celui du français minoritaire. Non seulement continue-t-elle de séparer la région de la capitale nationale en deux blocs distincts, celui formé par la ville de Gatineau sur la rive nord de la rivière, et celui formé par la ville d’Ottawa sur sa rive sud, mais elle oppose deux milieux encore plus différents l’un de l’autre. Du côté québécois, le français domine partout, ou presque. Du côté ontarien, son poids a diminué dans plusieurs secteurs, si bien que le contraste est encore plus grand entre Ottawa et Gatineau du point de vue de la présence française. Bref, le clivage historique entre le Québec français et le reste du Canada s’est accentué dans la région.
Vers la rivière Gatineau
Cette apparente stabilité du français à Gatineau n’en cache pas moins des changements importants de la géographie des langues au nord de la rivière des Outaouais. C’est dans le secteur Hull, au centre de la région, qu’ils sont les plus importants. Visiblement, le secteur est en train de changer, de francophone qu’il était très majoritairement à un peu moins francophone, plusieurs voisinages étant passés sous la barre des 75 % de francophones. S’y est ainsi ouvert une vaste zone d’interface du français avec les autres langues, en plein coeur de ce qui était, il y a 25 ans à peine, un espace très largement dominé par le français : interface du français avec l’anglais, quoique la cohabitation s’y limite à certaines secteurs, telle l’île de Hull (Figure 4); mais surtout interface du français avec les langues tierces qui ont élu domicile dans les quartiers qui avoisinent le centre-ville, ainsi que vers le nord (Figure 5).
La ligne de démarcation qui séparait l’espace francophone gatinois en deux s’est ainsi déplacée. Depuis la limite ouest de l’ancienne ville de Hull où elle passait en 1991, elle se retrouve en 2016 à la rivière Gatineau. Et encore, elle semble beaucoup moins nette qu’avant, alors que certains secteurs à l’est de la rivière ne comptent plus d’aussi fortes majorités francophones. La ligne de séparation s’est en quelque sorte épaissie, pour faire place à une large zone frontalière. On y retrouve une partie importante du stock de logements accessibles du côté gatinois de la frontière, ce qui rend le territoire passablement attractif aux populations démunies, toutes langues confondues.
Plus à l’ouest, le Plateau de la capitale, qui se vante d’offrir une « vie urbaine aux frontières de la campagne », a aussi changé au plan linguistique. Ce vaste quartier dont le développement s’est amorcé au tournant des années 1990 a attiré un certain nombre d’anglophones ontariens, qui ont profité d’un coût d’accès à la propriété moins élevé qu’à Ottawa et des nombreux avantages que leur procure la citoyenneté québécoise du point de vue de l’accès à certains services publics. Nouvellement arrivés au Québec et possiblement moins ouverts au bilinguisme, leur présence crée aujourd’hui une certaine pression sur le français dans cette partie de Gatineau.
Enfin, il peut être utile de noter que le poids du français a aussi diminué dans le secteur Aylmer, encore plus à l’ouest. Là où déjà l’emprise du français était moins forte en 1991, on observe une diminution du poids du français. Le français y est devenu minoritaire dans certains îlots. Certes la ville a une tradition anglophone depuis la colonisation, mais il n’en reste pas moins que la diminution du poids du français pourrait susciter de nouvelles modalités de l’interface entre le français et l’anglais sur le territoire. On notera par ailleurs que la présence anglaise diminue aussi à Aylmer. Ceci pourrait, ultimement, contribuer à préserver l’équilibre historique entre les deux langues sur le territoire. Nul doute toutefois que la présence nouvelle des autres langues à l’échelle de certains voisinages vient ici aussi complexifier la donne.
Du canal à la rivière Rideau
Il y a eu aussi des changements dans la géographie des francophones d’Ottawa. Visiblement, la francophonie a vu son emprise diminuer dans plusieurs secteurs où elle bénéficiait encore en 1991 d’assises solides : la Basse-ville et Côte-de-Sable, l’ancienne ville de Vanier et le secteur Orléans, pourtant en pleine expansion, mais où le nombre de francophones n’augmente pas aussi rapidement que celui des non-francophones – des allophones en particulier – et où ils sont en perte de vitesse, au plan des proportions, dans plusieurs aires de diffusion[24].
Et si la frontière que constituait le canal Rideau est toujours visible, elle n’en est pas moins devenue plus poreuse, si bien que c’est la rivière Rideau qui semble aujourd’hui faire davantage office de ligne de séparation. Plusieurs voisinages où les populations étaient majoritairement francophones il y a 25 ans à peine ont vu leur pourcentage de francophones passer sous le seuil des 50 %. Il ne reste plus que de rares secteurs majoritaires dans ces anciens châteaux forts francophones qu’étaient les quartiers centraux de l’est de la capitale, qui sont devenus des lieux de plus grand interface du français non seulement avec l’anglais, mais aussi avec les autres langues.
Ainsi, à Ottawa aussi, l’interface des langues se fait selon des modalités assez différentes aujourd’hui comparativement à 1991, du moins dans l’espace résidentiel. Des quartiers traditionnellement francophones sont devenus des quartiers mixtes, où les francophones cohabitent avec les anglophones (Figure 4), ainsi qu’avec les allophones de plus en plus nombreux dans ces secteurs (Figure 5). Et ils ne comptent plus que de rares noyaux majoritairement francophones. Ces quartiers mixtes sont localisés autour du centre-ville où l’anglais s’est affirmé mais qui accueille aussi de nombreux allophones. Ils sont les lieux parfaits de la rencontre que nous évoquions au début de ce texte et dont on cherchera à évaluer quelle peut en être l’issue dans les prochaines sections de l’article. On retrouve le même phénomène sur le territoire des anciennes villes de Gloucester et de Cumberland, où le français n’a plus la même emprise que par le passé. Si le poids des anglophones a sensiblement augmenté dans la partie est de la ville, les francophones doivent aussi y composer avec les allophones.
La comparaison des deux cartes fait aussi voir un autre phénomène qui aura probablement des incidences sur l’évolution du français du côté ontarien de la frontière. Ces lieux d’interface que sont les quartiers mixtes ne se présentent plus, comme il y a 25 ans, comme une vaste zone continue. D’importantes brèches où les francophones ne comptent plus que pour moins de 30 % de la population et où le français est donc beaucoup moins présent que par le passé, se sont ouvertes.
Bref, le territoire ne semble plus offrir le support qu’il offrait à la francophonie d’Ottawa pour se maintenir et se consolider. Un regard plus attentif sur l’effet des transformations observées sur son espace d’interaction avec l’anglais ainsi qu’avec les autres langues avec lesquelles elle est en contact sur ce territoire permettra toutefois de relativiser ce constat.
Le potentiel d’interaction entre les francophones, les anglophones et les allophones
Jusqu’à quel point les changements dans la géographie du français observés entre 1991 et 2016 mettent-ils les francophones davantage en contact avec l’anglais? Jusqu’à quel point suscitent-ils plus d’occasions de rencontres entre ces derniers et les anglophones qui cohabitent avec eux? Ou, dit autrement, jusqu’à quel point les rendent-ils plus vulnérables à l’anglicisation? Mais surtout, jusqu’à quel point augurent-ils, dans ce contexte nouvellement trilingue qui caractérise aujourd’hui la région, d’une plus grande capacité du français d’intégrer les immigrants?
L’indice P*, selon les milieux
Pour répondre à ces questions, nous avons calculé l’indice P*, qui mesure le potentiel d’exposition des groupes linguistiques les uns aux autres sur le territoire en fonction de leurs géographies respectives. Nous l’avons fait pour 1991 et pour 2016, pour Gatineau, pour Ottawa et à l’échelle de l’ensemble de la région métropolitaine.
Entre francophones et anglophones
Il ressort du tableau 3 que francophones et anglophones ne sont pas susceptibles d’être davantage en contact en 2016 qu’ils ne l’étaient il y a 25 ans. Même si leur poids relatif a pu changer localement, il reste que, globalement, le potentiel d’exposition des deux groupes l’un à l’autre est resté le même, tant sur la rive québécoise que sur la rive ontarienne de la rivière des Outaouais. Les francophones de Gatineau n’ont pas plus de chances de croiser des anglophones dans leur voisinage en 2016 qu’en 1991, la valeur de l’indice P*, qui dépassait à peine 10 en 1991, ne s’étant élevée que d’un demi-point. Le potentiel d’exposition des francophones d’Ottawa à des anglophones n’a pas changé non plus au cours des 25 dernières années, demeurant de l’ordre de 50. L’inverse est tout aussi vrai. Les possibilités des anglophones d’être exposés à des francophones n’ont guère changé non plus, que ce soit à Gatineau ou à Ottawa. Visiblement, l’arrivée de milliers d’allophones sur le territoire et les transformations qu’elle a suscitées quant au poids respectif des langues française et anglaise dans plusieurs quartiers d’Ottawa-Gatineau n’ont pas modifié les conditions géographiques de la rencontre entre francophones et anglophones, tant dans la partie québécoise qu’ontarienne de la région de la capitale nationale. L’un et l’autre groupe vivent toujours dans des quartiers assez différents qui assurent, tant aux majorités qu’aux minorités qu’ils forment de part et d’autre de la frontière, des espaces tout aussi exclusifs qu’au début des années 1990.
Entre francophones et allophones
Il en est tout autrement des possibilités de rencontre des francophones avec les allophones. Celles-ci ont doublé à l’échelle de la région métropolitaine, la valeur de l’indice P* passant de 6,3 à 11,6. Ceci ne saurait surprendre vu la hausse très importante de personnes de langues maternelles tierces. C’est à Gatineau que la possibilité que des francophones soient exposés à des allophones a le plus augmenté, mais elle n’en a pas moins augmenté aussi à Ottawa. À l’inverse toutefois, les allophones, qui affichent aujourd’hui une plus forte tendance à la ségrégation résidentielle qu’il y a 25 ans, ont moins de chances de croiser des francophones en 2016 qu’en 1991. La baisse de l’indice P* du potentiel d’exposition des allophones aux francophones de 75,4 à 68,3 à Gatineau et de 14,8 à 12,5 à Ottawa en atteste, reflet de la tendance grandissante des personnes de langues maternelles tierces à une certaine ségrégation dans l’espace, qui les isole de la majorité au Québec et de la minorité en Ontario. Les deux groupes n’habitent que rarement les mêmes voisinages, avec les effets que l’on devine sur la possibilité qu’ils adoptent le français comme langue d’usage public. On y reviendra.
Les valeurs de l’indice P* révèlent, par ailleurs, qu’à Gatineau, les allophones sont beaucoup plus susceptibles de rencontrer des francophones que des anglophones dans leur voisinage (68,3 contre 13,4), vu la taille relativement modeste des groupes allophones et anglophones et le fait qu’ils habitent des secteurs différents les uns des autres. Du côté ontarien, les allophones ont plus de chance, certes, d’être en contact avec des anglophones (49,8) qu’avec des francophones (19,9) dans leur voisinage, quoique l’écart se soit quelque peu résorbé : le potentiel d’interaction des allophones avec des anglophones a chuté de 9 points entre 1991 et 2016, alors que le potentiel d’interaction de ces allophones avec des francophones est resté le même, reflet d’une tendance tout aussi marquée à leur séparation spatiale qu’il y a 25 ans.
L’effet du milieu
Une analyse plus fine des valeurs de l’indice P* suggère des possibilités très variables de rencontre interlinguistique selon le milieu (Tableaux 4 et 5). À Gatineau, par exemple, tous les francophones ne bénéficient pas de la même « immunité territoriale » à l’égard de l’anglais partout sur le territoire. En effet, le potentiel d’exposition des francophones à des anglophones varie de 6,0 à Gatineau, à 10,6 à Hull et à 22,1 à Aylmer. Ceux d’Aylmer ont ainsi 3,5 fois plus de chances de rencontrer des anglophones que ceux de Gatineau. Et inversement, selon qu’ils habitent dans l’un ou l’autre de ces trois secteurs, les anglophones de Gatineau sont plus ou moins susceptibles de rencontrer des francophones, ce qui peut avoir une incidence sur leur propension à utiliser le français comme langue d’usage commun dans un contexte d’interaction. Le fait que l’indice atteigne 83,0 dans Gatineau représente ainsi un atout indéniable pour le français. La variation est aussi assez forte à Ottawa, alors que la valeur de l’indice P* mesurant le potentiel d’exposition des francophones à des anglophones varie de 47,8 dans Ottawa-Est jusqu’à 69,3 dans l’extrême ouest de la ville (Tableau 5). Par ailleurs, l’indice est de 58,9 dans Ottawa-Centre, où les francophones formaient la majorité dans certains voisinages il n’y a pas très longtemps, ce qui est assez préoccupant pour l’avenir du français. Sont tout aussi inquiétantes les faibles valeurs de l’indice, lorsqu’il s’agit de l’exposition des anglophones à des francophones, partout sur le territoire. À l’exception du secteur Est, où la valeur de l’indice s’élève à 29,2, le potentiel de rencontre des anglophones avec des francophones reste faible, avec les conséquences que l’on devine sur les possibilités réelles que ces derniers utilisent le français dans leur voisinage.
Le potentiel d’exposition des francophones à des allophones varie aussi sur le territoire. Du côté québécois, c’est à Hull qu’il est le plus élevé, quoique la valeur de l’indice reste faible (15,4). Il est quasi inexistant à Gatineau. Inversement, la probabilité pour des allophones de croiser des francophones dans leur voisinage est très élevée à Gatineau avec une valeur de 80,4. L’indice baisse à 66,6 à Hull et à 58,0 à Aylmer. La présence de l’anglais vient, en effet, réduire ici la possibilité de contact entre allophones et francophones. Les possibilités restent toutefois plus élevées que des allophones y croisent des francophones (58,0) plutôt que des anglophones (21,0). À Ottawa, c’est dans le secteur Sud, où la présence allophone est la plus affirmée, que les possibilités de l’interface entre francophones avec des allophones est la plus élevée, alors que la valeur de P* s’élève ici à 26,0. Mais les premiers y sont si peu nombreux qu’on a du mal à y voir un réel lieu d’interface entre les deux groupes. Le secteur Est, un château fort francophone, a davantage de chances de servir de lieu de rencontre. Le potentiel d’exposition des allophones à des francophones y atteint 28,4 alors qu’il est inférieur à 15 partout ailleurs à Ottawa.
Les lieux de rencontre en cartes
Des cartes représentant les principaux lieux de rencontre entre francophones et allophones sur le territoire permettent de mieux saisir le potentiel d’attraction du français sur les populations de langue non officielle. Nous en avons produit deux. La première identifie les aires de diffusion où les deux groupes forment des pourcentages importants de la population, soit 35 % pour les francophones et 20 % pour les allophones (Figure 6). Elle offre une image conservatrice des possibilités d’usage du français par les allophones. La seconde offre une perspective moins restrictive sur l’espace de rencontre entre les deux groupes, relevant les voisinages où les francophones forment 30 % de la population et les allophones 15 % (Figure 7).
Ainsi retrouve-t-on aujourd’hui plusieurs quartiers à Gatineau où les deux groupes cohabitent, tout en formant chacun un pourcentage important de la population – 35 % pour les francophones et 20 % pour les allophones. Ils sont particulièrement nombreux sur le territoire des anciennes villes de Hull et d’Aylmer, notamment dans les zones où le poids du français a diminué de 1991 à 2016 suite à la montée des autres langues. La cohabitation des francophones et des allophones est aussi visible dans quelques secteurs de Gatineau. Les secteurs d’intersection linguistique du français et des autres langues sont beaucoup plus rares du côté d’Ottawa, se limitant à quelques quartiers à l’est de la rivière Rideau.
Le portrait est plus optimiste lorsqu’on baisse les seuils à 30 % pour les francophones et à 15 % pour les allophones. Un plus grand nombre de quartiers ressortent comme des lieux d’intersection linguistique, tant à Gatineau qu’à Ottawa. Mais les frontières identifiées sur la carte du français en 2016 (Figure 3) semblent tout aussi prégnantes ici : la rivière Gatineau d’une part et la rivière Rideau d’autre part découpent le territoire en zones fort dissemblables du point de vue des possibilités des francophones et des allophones d’interagir, et de la capacité du français de s’imposer comme langue d’intégration de ces derniers.
Quel avenir pour le français?
Le nombre de francophones a augmenté à Ottawa-Gatineau au cours des derniers 25 ans. Leur proportion a toutefois diminué à l’échelle de la région, du fait de l’augmentation un peu plus forte de la population anglophone mais aussi et surtout de la hausse très importante des populations issues de l’immigration et, avec elles, des langues non officielles. La géographie des langues s’est ainsi passablement modifiée dans la région, avec notamment l’émergence de nouveaux lieux d’interface.
Les possibilités inégales du français à Gatineau
Nous avons observé que la frontière entre le Gatineau français et le Gatineau un peu moins français s’est déplacée depuis la limite ouest de l’ancienne ville de Hull vers l’est, pour se fixer à la rivière Gatineau. Alors que l’espace du français reste assez exclusif à l’est de cette frontière, il l’est beaucoup moins à l’ouest, où s’est formée une vaste zone d’interface entre le français et les autres langues, qui inclut l’île de Hull et les autres quartiers centraux de Gatineau, ainsi que les banlieues plus récentes qui se sont développées plus au nord. L’anglais y a augmenté son emprise, et les langues tierces y ont élu domicile. Elles se sont aussi implantées à Aylmer, lieu historique de la tension entre le français et l’anglais du côté québécois de la frontière. Mais, allophones et anglophones n’y habitent pas nécessairement les mêmes voisinages. Ce qui représente assurément un avantage pour le français, quoiqu’il soit difficile de prévoir comment le français saura tirer son épingle du jeu de cette nouvelle confrontation à trois. Tentons néanmoins quelques hypothèses, à la lumière de ce qu’a révélé l’indice P* quant au potentiel d’interaction entre les groupes selon les milieux.
Au Québec, le français est dans une position avantageuse dans les situations d’interface linguistique. Anglophones et allophones sont plus susceptibles de rencontrer des personnes dont le français est la langue maternelle à l’échelle de leur voisinage que des personnes qui ont l’anglais ou une autre langue comme langue maternelle, puisque l’indice P* de l’exposition de chacun de ces deux groupes à des francophones est supérieur à 50, partout sur le territoire. On peut présumer que dans les échanges, c’est le français qui sera utilisé la plupart du temps. Quoique la probabilité en soit plus basse à Aylmer qu’à Hull, et à Hull qu’à Gatineau. Ainsi, si le français peut faire des gains partout, il est plus susceptible de marquer des points dans le secteur Gatineau qu’ailleurs. Or, il y a peu d’anglophones et d’allophones dans cette partie de la ville, et ce n’est pas là que se produit l’interface linguistique.
De fait, plusieurs allophones adoptent le français à Gatineau. Les données sur les langues parlées à la maison par les personnes de langues maternelles tierces le confirment. Une proportion non négligeable d’entre elles utilisent principalement le français à la maison, soit 27,8 %, sans compter toutes celles qui l’utilisent aussi régulièrement – le tiers de celles qui utilisent principalement une langue non officielle. Ainsi, le français fait des gains, jusqu’à s’imposer comme langue d’usage à la maison chez plus de 12 000 allophones. Mais l’anglais ne figure pas loin derrière, puisque 17,5 % des allophones parlent l’anglais le plus souvent à la maison et que plusieurs autres le parlent régulièrement (Graphique 1). L’anglais fait ainsi proportionnellement beaucoup plus d’adeptes que le français, si l’on tient compte de la taille respective des deux groupes à Gatineau[25]. Des analyses plus fines à l’échelle des quartiers et des voisinages, permettraient de comprendre les mécanismes subtils qui, localement, le favorisent.
La grande vulnérabilité du français à Ottawa
L’espace du français s’est aussi modifié à Ottawa. S’il reste très présent vers l’est, son emprise y est moins forte, sans compter qu’il a perdu plusieurs de ses lieux d’ancrage dans les quartiers centraux devenus plus mixtes. La frontière du canal Rideau qui séparait traditionnellement le coeur francophone d’Ottawa du reste de la ville, à très forte majorité anglophone, est ainsi devenue plus poreuse au cours des derniers 25 ans. Gloucester et Orléans sont moins francophones qu’elles ne l’étaient. L’anglais s’y est certes consolidé sur le territoire, comme on a pu le voir. Mais ce sont essentiellement les langues tierces qui sont venues bouleverser l’échiquier linguistique dans la capitale. Fait intéressant, on observe ici aussi que que c'est le cas dans des voisinages différents de ceux où l’anglais a vu son poids augmenter.
Or, le français, de plus en plus minoritaire sur le territoire, est loin d’avoir une position enviable du point de vue de sa capacité de s’imposer dans d’éventuelles situations d’interface linguistique. Anglophones et allophones ont rarement l’occasion d’interagir avec des francophones à l’échelle de leur voisinage. En effet, le potentiel d’interaction des autres groupes avec les francophones est bas partout, offrant peu de chance au français de faire des gains. Ottawa-Est fait en quelque sorte figure d’exception : l’indice P* y atteint 29,2 en ce qui a trait à la possibilité que les anglophones soient exposés à des francophones et 28,4 en ce qui a trait à la possibilité que des allophones le soient. Mais force est de reconnaître que l’indice est bien en dessous du seuil de 50, à partir duquel la rencontre pourrait être réellement à l’avantage du français. Le fait qu’il dépasse à peine 10 dans le Centre est révélateur de l’ampleur des transformations qui se sont opérées dans la géographie des langues et des possibilités différentes qu’elle offre aujourd’hui pour des rencontres, par rapport à ce qu’elles étaient il n’y a pas si longtemps encore. Les données sur la langue parlée à la maison par les allophones d’Ottawa confirment la très grande vulnérabilité du français du côté ontarien de la frontière. Une proportion infime d’allophones parlent le français le plus souvent à la maison, soit 3,5 %, auxquels s’ajoutent quelque 3,1 % de ceux qui l’utilisent régulièrement parmi ceux dont la principale langue parlée à la maison est une langue non officielle (Graphique 2). Seule consolation dans ce tableau : les nombres ne sont pas négligeables. Ce sont près de 7 000 allophones qui ont fait du français leur principale langue parlée à la maison, et près de 3 000 autres qui l’utilisent régulièrement, signes de leur acculturation au français et de leur participation à son maintien dans la région.
⁂
L’arrivée de milliers d’immigrants qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle depuis les années 1990 n’est pas restée sans effet sur la géographie des langues dans la région de la capitale nationale. Le territoire jusqu’ici scindé entre le français et l’anglais s’est remodelé tant à Ottawa qu’à Gatineau pour faire place à de larges espaces d’interstice, où non seulement les deux populations de langue officielle cohabitent davantage mais se trouvent aussi partager certains quartiers avec une population allophone dont les assises sont de plus en plus solides. Nous nous sommes demandé si le français est susceptible d’évoluer au gré de leur contact.
L’analyse des cartes du français langue maternelle a révélé un rétrécissement de l’espace du français, lié d’une part à la présence plus affirmée de l’anglais dans certains voisinages exclusivement francophones 25 ans auparavant, d’autre part au poids croissant des allophones dans ces mêmes secteurs ainsi que dans certains autres que leur statut socio-économique les amène à privilégier. Mais il n’en reste pas moins que le territoire francophone est encore aujourd’hui passablement bien circonscrit, les trois populations – francophone, anglophone et allophone – occupant chacune des quartiers assez distincts les uns des autres. Ainsi, le potentiel d’exposition des francophones aux anglophones et vice-versa est resté le même dans chacune des deux villes, malgré que le poids respectif de chacun des deux groupes ait parfois varié localement. Il en est tout autrement de l’exposition des francophones aux allophones qui s’est beaucoup accrue. Quoique l’inverse ne soit pas vrai, comme on l’a vu, si bien que la géographie n’a pas contribué au potentiel d’attraction du français auprès de ces derniers.
Ceci dit, l’étude a révélé la logique implacable du territoire. Si le français a néanmoins fait des gains auprès des allophones à l’échelle de la région, c’est à Gatineau qu’ils ont eu lieu, c’est-à-dire dans un milieu majoritaire, où le français est par surcroît largement protégé par tout un arsenal législatif. Et possiblement surtout dans ces quartiers où le français règne en maître et où les possibilités de la rencontre entre allophones et francophones sont plus élevées qu’ailleurs – il faudra le démontrer. S’il est encore bien présent sur le territoire, le français s’est imposé plus difficilement chez les allophones d’Ottawa. Ces derniers sont trop peu nombreux dans les quartiers les plus francophones de la capitale pour être exposés au français dans leur voisinage. Dans ces conditions, il est fort peu probable que le français puisse véritablement tirer profit de leur présence grandissante dans la région.
Parties annexes
Notes biographiques
Anne Gilbert est professeur émérite au département de géographie de l’Université d’Ottawa, où elle mène divers travaux sur les minorités de langue officielle au Canada. Croisant les perspectives française et anglo-saxonne de la géographie, elle s’intéresse à leurs espaces vécus et imaginés à différentes échelles, à l’évolution de leur territoire et aux enjeux spatiaux de leur développement. Ses recherches actuelles portent sur la dynamique de l’espace francophone dans la région d’Ottawa-Gatineau, traversée par la frontière qui a la plus forte charge symbolique au pays. Elle s’intéresse notamment à la transformation des paysages construits de la capitale et à ses effets sur les identités et les appartenances.
Brian Ray, vice-doyen à la recherche à la Faculté des arts et professeur agrégé au Département de géographie, environnement et géomatique à l’Université d’Ottawa, il se penche sur les façons dont les gens organisent leur vie quotidienne dans le cadre des villes multiethniques. Ses intérêts de recherche comprennent la discrimination et le racisme au Canada, la mobilité sociale et le statut socio-économique des enfants adultes nés au Canada de parents immigrants et qui habitent actuellement à Toronto, les géographies de l’emploi dans les grandes villes, l’évolution du paysage linguistique à Ottawa et Gatineau, les géographies sociales et dynamiques des ménages LGBTQ2S résidant à Toronto, Vancouver et Montréal, et l’abordabilité du logement et l’accession à la propriété parmi les réfugiés et les immigrés au Canada.
Notes
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[1]
Nous remercions sincèrement les deux évaluateurs anonymes de notre texte. Leurs commentaires bien sentis nous ont poussés à revoir certaines de nos prémisses, mieux formuler nos interprétations et préciser notre pensée.
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[2]
Nous avons brossé un portrait général des transformations de la géographie des langues dans la région de la capitale nationale depuis 1991, dans le Handbook of the Changing World Language Map (Ray et Gilbert, 2020). Le présent article explore plus à fond la dynamique de l’espace francophone, rapidement esquissée dans ce premier texte, tout en la situant dans le contexte plus large des transformations des espaces anglophones et allophones d’Ottawa et de Gatineau, dont elle est largement tributaire.
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[3]
C’est ainsi que le gouvernement fédéral désigne officiellement la région formée par Ottawa (Ontario), capitale du Canada, sa voisine Gatineau (Québec), ainsi que le chapelet de petites localités rurales et urbaines qui les entourent. Le territoire de la région de la capitale nationale se superpose assez bien avec celui de la région métropolitaine de recensement, basée elle aussi sur les bassins d’emploi.
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[4]
La géographie des langues à Ottawa-Gatineau a été relativement peu étudiée. Boal (1993) a décrit les principales composantes de l’échiquier linguistique dans la capitale nationale au milieu des années 1980, alors que Gilbert et Marshall (1995) ont offert un panorama de ses transformations entre 1961 et 1986, dans la vaste région qui chevauche la frontière Ontario-Québec. On peut aussi mentionner l’analyse des changements dans la distribution spatiale de la population d’origine française dans la ville d’Ottawa de 1961 à 1981 menée par Langlois (1986) et celle de Gilbert (2012) sur les transformations de l’espace franco-ontarien dans l’est de la province de 1961 à 2001. Taylor (1986) présente, pour sa part, des données selon l’origine ethnique, le lieu de naissance et d’autres variables culturelles pour Ottawa, par quartier, depuis les débuts de la colonisation jusqu’en 1961.
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[5]
Nous nous sommes inspirés de la proposition de Luisa Veronis et Suzanne Huot (2017) quant aux organismes francophones d’Ottawa comme espaces de rencontre entre les francophones nés au Canada et ceux issus de l’immigration, pour notre propre analyse des possibilités de rencontre offertes par le territoire.
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[6]
Selon la langue maternelle en 2016, après répartition des réponses multiples. Statistique Canada, Profil du recensement, Recensement de 2016, Ottawa (division de recensement).
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[7]
Roger Bernard (1998) offre une analyse parmi les plus fines du processus d’anglicisation des Franco-Ontariens.
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[8]
Selon la langue maternelle en 2016, après répartition des réponses multiples. Statistique Canada, Profil du recensement, Recensement de 2016, Gatineau (division de recensement).
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[9]
Statistique Canada, 2017. Gatineau, V [Subdivision de recensement], Québec et Gatineau, TÉ [Division de recensement], Québec (tableau). Profil du recensement, Recensement de 2016, produit nº 98-316-X2016001 au catalogue de Statistique Canada.
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[10]
Ce n’est que depuis 1931 que les recensements canadiens procurent des renseignements sur les langues maternelles pour l’ensemble de la population. Avant cette date, pour en avoir une idée, il fallait recourir aux données existantes sur la répartition des groupes ethniques au sein de la population. C’est ce qui a été fait ici, en postulant que la corrélation était alors probablement assez forte entre la langue maternelle et l’origine ethnique.
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[11]
Il faut bien comprendre que ce groupe est d’une diversité telle que sa présence, si importante soit-elle, ne peut changer l’ordre linguistique qui s’est construit au Canada, au fil du temps, entre le français et l’anglais. La notion de groupe n’en constitue pas moins une catégorie d’analyse utile à notre propos, car même si celui dont il est question ici est loin d’être uniforme, ses membres n’en partagent pas moins la caractéristique d’être des locuteurs en puissance des langues officielles du pays.
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[12]
Statistique Canada, L’intégration linguistique des immigrants et les populations de langue officielle au Canada, Produit no 98-200-X2016017 au catalogue de Statistique Canada. Pour une présentation plus élaborée de la situation linguistique au Québec, voir le Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec publié par l’Office québécois de la langue française en avril 2019.
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[13]
Statistique Canada, Série « Perspective géographique », Recensement de 2016, Ottawa-Gatineau (RMR) – Ontario/Québec, Immigration et diversité culturelle, Produit no 98-404-X2016001 au catalogue de Statistique Canada.
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[14]
Le politologue Jean Laponce a été un des premiers intellectuels à analyser les langues du point de vue du territoire dans un ouvrage à la croisée de la psychologie, de la biologie, de la sociolinguistique, de la géographie et de la science politique (Laponce, 1984). La série de colloques Langue et territoire, initiée par Julie Boissonneault et Ali Reguigui de l’Université Laurentienne, s’inscrit dans la même veine. Voir Boissonneault et Reguigui (2014), Cheadle, Boissonneault et Reguigui (2014),Dokhtourichvili,Boissonneault et Reguigui (2017), Messaoudi, Reguigui, Boissonneault, El Amrani et Bendahmane (2019), Reguigui, Boissonneault et Dokhtourichvili (2017) et Reguigui, Boissonneault, Messaoudi, El Amrani et Bendahmane (2019).
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[15]
L’indice P*, ou « exposure index » en anglais, a été discuté et utilisé extensivement par le sociologue Stanley Lieberson, un chercheur qui était fasciné par les enjeux linguistiques au Canada et plus particulièrement à Montréal (Lieberson, 1965, 1981). Dans son expression la plus générique, l’interaction potentielle entre deux groupes (x et y) est indiquée par xP*y, et elle est calculée de la façon suivante : ∑(i=1)n [xi/X] [yi/ti] où xi, yi et ti sont le nombre absolu d’adhérents de groupe X, d’adhérents de groupe Y, et la population totale d’une unité géographique i, respectivement, et X est le nombre absolu d’adhérents du groupe X à l’échelle d’une géographie plus vaste, telle la région métropolitaine.
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[16]
Pour sa part, le géographe Don Cartwright (1988) a développé l'indice L.I.* ou « index of language intensity » pour mesurer la probabilité que les membres de l’une et l’autre des populations de langue officielle utilisent une autre langue que leur langue d’usage à la maison dans les zones de transition culturelles de l’est du pays. Cet indice tient compte de leur connaissance des langues officielles. Il pourrait s’avérer un complément utile à l’indice P*.
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[17]
Cet indice s’est avéré fort utile pour l’analyse des multiples facettes de la séparation spatiale entre les immigrants et la population hôte dans les villes canadiennes (Ray, 1999).
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[18]
Sur une note plus technique, dans le recensement, la question sur la « première langue apprise et encore comprise » est posée à toute la population en entier et non à un échantillon seulement. Il s’agit donc d’une mesure particulièrement fiable des langues en présence.
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[19]
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler les restructurations, les réductions de personnel, les privatisations et les limitations de l’embauche dans le secteur public qui ont marqué les années 1993 à 1997. La fonction publique fédérale a subi une autre cure minceur à partir de 2010.
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[20]
Les taux de croissance des populations francophone, anglophone et allophone entre 1991 et 2016 sont respectivement de 21,4 %, de 45,9 % et de 122 % pour Ottawa-Gatineau (Divisions de recensement de Gatineau et d’Ottawa combinées).
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[21]
Notre description s’est avérée d’autant plus difficile que des fusions municipales ont changé la carte administrative du territoire de part et d’autre de la rivière des Outaouais au début des années 2000 (Andrew, 2006). En 2001, 11 municipalités, dont Ottawa, Vanier, Gloucester et Cumberland, et la Région d’Ottawa-Carleton étaient fusionnées pour former l’actuelle ville d’Ottawa. L’actuelle ville de Gatineau est née en 2002 de la fusion des villes de Hull, Gatineau, Aylmer, Buckingham et Masson-Angers.
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[22]
La carte illustre la proportion de francophones à l’échelle des aires de diffusion de la région métropolitaine de recensement d’Ottawa-Gatineau. Une aire de diffusion est une petite unité géographique relativement stable formée d’un ou de plusieurs îlots de diffusion avoisinants dont la population moyenne est de 400 à 700 habitants d’après les données du Programme du recensement précédent sur la population. Il s’agit de la plus petite région géographique normalisée pour laquelle toutes les données du recensement sont diffusées (Dictionnaire, Recensement de la population, 2016. [http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/ref/dict/geo021-fra.cfm]. L’aire de diffusion correspond assez bien à la notion de voisinage.
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[23]
L’aire de diffusion classée dans la catégorie des 30 à 50 % fait partie de la municipalité voisine de Pontiac.
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[24]
Langlois (1986) avait déjà observé cette tendance de 1961 à 1981. Gilbert (1999) en a étudié l’effet sur l’espace institutionnel et la vie quotidienne dans les secteurs de Vanier et d’Orléans.
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[25]
Nos recherches antérieures démontrent en effet que les immigrants francophones de la région s’assurent pour plusieurs que leurs enfants connaissent suffisamment bien l’anglais pour accéder aux meilleurs postes offerts sur le marché du travail. Certains immigrants allophones pour leur part encourageront leurs enfants à atteindre un certain degré de bilinguisme (Veronis et Ray, 2013).
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