Corps de l’article
Après un premier tome portant sur la carrière politique de René Lévesque avant 1976, Jean-Charles Panneton présente un second ouvrage dont le contenu est, cette fois, fidèle au titre. L’auteur ambitionne de nous offrir une synthèse complète et diachronique des premières années du gouvernement Lévesque, une énumération juste des réalisations de ce nouveau gouvernement et tout cela condensé dans un livre de 295 pages. Nombreux sont les ouvrages traitant de cette époque. René Lévesque, le fondateur de cette formation politique, a aussi fait l’objet de solides biographies. En dire plus sur ce rendez-vous historique constitue donc un défi.
L’auteur ne fait pas de choix, il relate tout. L’inventaire des projets de loi est exposé rigoureusement ainsi que leur évolution. Les procès-verbaux du conseil des ministres, qu’il a consultés, nous permettent d’observer comment les discussions entre ministres transforment en lois des mémoires déjà solides. Au plan économique, tous les discours du budget de Jacques Parizeau sont décortiqués en tenant compte de la situation économique du moment. L’hyperactivité parlementaire du premier gouvernement Lévesque était déjà entrée dans la légende; elle se voit confirmée par la description factuelle qu’en fait Jean-Charles Panneton.
Par ses nombreuses réformes, le gouvernement Lévesque a indisposé bien des groupes d’intérêts. La bataille épique de la ministre Lise Payette contre le Barreau du Québec en est un exemple. L’auteur expose clairement l’opposition de ce puissant lobby à la future loi de l’assurance automobile – les bureaux d’avocats faisaient alors une fortune avec les accidents de la route. Alors que le débat faisait rage, la ministre responsable du dossier n’écartait pas la possibilité que la nouvelle loi entraine une hausse des primes d’assurance, en déclarant, candidement : « J’ai refusé de faire une promesse partisane » (p. 66). Cette franchise, affichée publiquement, apparaît aujourd’hui bien peu orthodoxe. Ce recueil des réformes, colligé minutieusement par l’auteur, nous rappelle que plusieurs d’entre elles ont été structurantes et pérennes. Outre cette loi sur l’assurance automobile, il en est de même de la législation portée avec entêtement par Jean Garon sur le zonage agricole (1978). L’année suivante, le ministre Jacques Léonard innove en créant les municipalités régionales de comtés.
L’essai historique de Panneton n’oublie pas de relater les relations tendues qu’entretient le gouvernement Lévesque avec son parti, en particulier avec l’assemblée régionale de Montréal-Centre, présidée par Louise Harel. Désirant supprimer tous les privilèges accordés à la minorité anglophone et fondre les écoles anglaises dans un unique système d’éducation de langue française, les militants de Montréal-Centre doivent débattre avec René Lévesque et plusieurs de ses ministres qui s’y opposent. Autre point de discorde, le concept de souveraineté-association. René Lévesque lie la proposition d’association économique avec le Canada à la réalisation de la souveraineté. Panneton démontre bien que dès octobre 1978, Lévesque précise « que le mandat que nous confierait le référendum […] serait un mandat de négociation » (p. 188), ce qui rebute les militants les plus indépendantistes. Lors du congrès du Parti québécois, l’année suivante, Louise Harel, en dépit de l’opposition de René Lévesque, est élue présidente de l’exécutif de la formation politique. La proposition de souveraineté-association est toutefois entérinée par les membres.
L’auteur est scrupuleux dans sa démarche. Il pousse parfois la précision à l’excès. Ainsi il va jusqu’à donner la liste complète des nouveaux membres (12) de l’exécutif du Parti québécois (p. 91) ou à faire l’énumération de tous les projets de loi que le gouvernement prévoit déposer à chaque session parlementaire. Ces longues énumérations remplissent plus d’une dizaine de lignes et alourdissent inutilement le texte. Ces informations auraient pu être annexées à l’ouvrage.
La revue des activités gouvernementales que mène Panneton est détaillée. L’auteur rappelle autant le très protocolaire déjeuner officiel de René Lévesque avec le roi Baudouin et la reine Fabiola de Belgique (p. 101) en visite au Québec en septembre 1977, que l’importante rencontre du premier ministre du Québec avec Valéry Giscard d’Estaing, à Paris, en novembre de la même année. C’est à cette rencontre que le président français initie ce qui deviendra la politique de non-ingérence et de non-indifférence de la France à l’égard d’un Québec capable de choisir librement son destin (p. 114).
L’essai de Panneton plonge enfin au coeur d’une campagne référendaire. Après avoir fait part des tiraillements au sein des troupes souverainistes, l’auteur décrit les tensions qui opposent le chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan, au premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau. Ce dernier convainc finalement l’ancien directeur du Devoir de ne plus parler de sa proposition de réforme du fédéralisme élaborée dans son nouveau livre : Une nouvelle fédération canadienne (1980). La stratégie du premier ministre canadien consiste plutôt à démolir celle de René Lévesque et d’affirmer qu’il ne négociera jamais avec le Québec si le OUI l’emportait. L’approche permet au camp du NON de recueillir 60 % d’appuis lors du référendum du 20 mai 1980.
Le tome II se termine sur l’éclatante victoire électorale de l’équipe de René Lévesque. Le 13 avril 1981, après avoir écarté toute possibilité de tenir un référendum, le Parti québécois, qui compte 200 000 membres, reçoit l’appui de 49,3 % de la population.
Cet essai de Jean-Charles Panneton est très bien documenté. Bien qu’il ne comporte pas de révélations d’ordre historique, le contenu est riche et juste. Il n’y a pas d’imprécisions ou d’erreurs de fait. C’est pour cette raison que ce travail aurait eu avantage à être mis en valeur par de nombreuses références en bas de page ou en fin de chapitre, voire par une bibliographie complète.