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La parution de cet ouvrage survient au moment où débats sociaux et querelles théoriques, loin de s’essouffler, redoublent de vigueur. La multiplication des plateformes d’expression, de la tenue d’évènements d’envergure (dont des États généraux du féminisme entre 2011 et 2013) mais aussi d’une certaine remise en question du féminisme de la part de la génération qui n’a pas assisté à certaines luttes fondatrices font en sorte que l’ouvrage est à la fois pertinent et nécessaire.
Dans une introduction synthétique, Lamoureux annonce les thèmes dont certains sont des éléments incontournables pour bien comprendre les débats actuels liés au féminisme (p. 8-10) : un retour sur la soi-disant obsolescence du discours féministe, sur la pertinence et la possibilité d’instaurer l’égalité hommes-femmes comme valeur fondamentale et le recours à la notion d’intersectionnalité pour penser et pratiquer le(s) féminisme(s). Le texte « Vivons-nous dans un monde postféministe? » répond par la négative à la question et explique ce qui, momentanément, a obligé les groupes de femmes à gommer leurs disparités pour agir de façon monolithique : « Enfoncé dans une logique utilitaire de la défense d’intérêts définis a priori comme collectifs, le mouvement des femmes a eu de la difficulté à fonctionner autrement que par consensus […]. Le prix à payer était un effacement du "je" au profit du "nous". Plus précisément, la logique revendicative nous contraignait au "front commun" pour laisser le moins de prise possible à "l’adversaire" » (p. 181).
L’ouvrage aborde sous plusieurs angles la question principale, l’action collective au sein du mouvement : est-ce possible ou même souhaitable? Les dernières décennies, explique l’auteure, ont montré que les points de tension ou les divergences entre les groupes militants impliqués rendent difficile de croire en la possibilité d’une action et d’une pensée véritablement communes, ce qui ne réduit pas l’importance d’un véritable mouvement, bien au contraire : « l’avenir du féminisme ne passe pas par l’unisson, mais par la polyphonie » (p. 16). Cela implique de repenser la radicalité fondatrice du mouvement et c’est dans ce contexte qu’il s’avère pertinent d’examiner la nature d’une soi-disant troisième vague (notion contestée par certaines théoriciennes), ainsi que le clivage produit par l’apparition d’un féminisme institutionnel (« de la chaire ») qui s’oppose potentiellement (mais non nécessairement) au féminisme qu’on pourrait qualifier « de rue » (p. 194). Lamoureux discute la pertinence de la critique elle-même, ce qui permet de retracer les grandes lignes qui opposent, de facto ou en apparence, les 2e et 3e vagues (p. 201).
L’ouvrage retrace également de façon succincte l’histoire de la lutte pour les droits des femmes au Québec (p. 21-34), récapitulatif qui illustre de façon saisissante le lien étroit entre droit et politique, de même que les problèmes posés par cette proximité. Vient ensuite une synthèse des principaux motifs d’oppression subie par les femmes, à partir d’une proposition d’Iris Marion Young, qui explique que l’oppression ne se présente pas nécessairement sous un visage totalitaire et violent (p. 37 et suivantes). En effet, celle-ci se répartit sur un spectre allant de la violence domestique à l’impérialisme culturel insidieux qui consiste notamment à passer sous silence la valeur de la contribution intellectuelle, artistique des femmes (p. 40).
Somme toute, l’ouvrage permettra à un lectorat néophyte de s’initier aux concepts de base de la pensée féministe tels que la réification ou le backlash (p. 136), la troisième vague (p. 191) ou l’empowerment (p. 196, n° 3). S’y trouvent également les éléments pour approcher la pensée d’auteures contemporaines associées à ce mouvement (Young, Nussbaum, Collin, notamment). L’absence d’index ne permet toutefois pas d’utiliser l’ouvrage à son plein potentiel (un index nominum aurait permis d’avoir un meilleur accès aux références). Le principal apport scientifique de cet ouvrage est de consigner dans un même lieu une pensée riche et prolifique qui s’est exprimée sur plusieurs tribunes au fil de trois décennies fastes en rebondissements. Les rassembler permet de mesurer l’évolution de la pensée d’une auteure dont le souci constant aura été d’arrimer théorie et pratique, en agissant à la fois comme militante, pédagogue et chercheure.
Lamoureux souligne elle-même que le fait de laisser les textes intacts (et de n’avoir pas procédé à une refonte tel qu’il est possible de le faire lorsqu’on regroupe des textes publiés séparément) entraine une redondance par moments. Ce choix se défend néanmoins puisqu’il comporte l’avantage de préserver l’autonomie de chaque texte et de rendre possible l’utilisation à la pièce dans un contexte d’enseignement, par exemple en guise d’introduction pour un texte théorique plus ardu (on sait que Lamoureux a beaucoup contribué à la diffusion en français des travaux de théoriciennes américaines). Lorsqu’il y a lieu, des précisions sur le contexte de publication initiale sont incluses en notes, ce qui permet à l’auteure d’ajouter une perspective critique, offrant ainsi au lectorat une analyse plus précise et nuancée.