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Il est toujours difficile de rendre justice à un ouvrage collectif, d’autant plus que celui-ci comprend quatorze textes, outre ceux d’introduction et de conclusion. L’ouvrage est explicitement présenté comme les Actes d’une rencontre tenue en 2008 dans le cadre d’un colloque de l’ACFAS. Dans de telles situations, le lecteur s’attend généralement à une série de textes disparates, agencés tant bien que mal, dont l’unité tient davantage à leur insertion matérielle au sein d’un même document qu’à leur contenu. Tel n’est heureusement pas le cas de cet ouvrage.
Ce qui me semble en sous-tendre la problématique générale, c’est l’observation décisive qu’a profondément changé le contexte qui a mené à l’élaboration de politiques culturelles dans nombre de pays occidentaux ainsi qu’au Québec. On a voulu, délibérément, par des actions publiques parfois très ambitieuses, par des investissements financiers collectifs importants, rendre accessible au plus grand nombre le domaine de la culture et des arts. Curieusement, l’ouvrage ne s’interroge pas sur les objectifs des politiques culturelles et leur évaluation ; car pourquoi, dans la deuxième moitié du 20e siècle, a-t-on choisi d’entreprendre des politiques de la culture ? Si la culture renvoie à l’ensemble des manières de faire, de penser et d’agir, il est évident qu’une politique des manières de faire, de penser et d’agir n’a pas de sens ; le mot culture est ici trompeur, c’était plutôt d’art, voire d’art savant, dont il s’agissait, ce qui fut reconnu assez rapidement, au point, par exemple, que les enquêtes de participation culturelle ont élargi les perspectives dites culturelles pour traiter aussi de sport, de télévision et d’ordinateur (c’est en ce sens que certains ont pu conclure que la culture était contre l’art).
Or tout cela a été remis en cause. Comme le rappelle Gérald Grandmont dans le premier chapitre de l’ouvrage, la mondialisation, la montée du numérique (un chapitre traite d’ailleurs de cette question), la diversification des publics mais aussi le tassement des pratiques culturelles cultivées, des demandes grandissantes de diversité culturelle ont fait en sorte que s’impose une nécessaire mise à jour des politiques culturelles et de leurs finalités ; l’interrogation peut même aller jusqu’à se demander : quel rôle pour l’État dans une politique culturelle ?
La question est à ce point importante que Philippe Teillet, dans un autre chapitre, évoque les difficultés croissantes de légitimité des politiques culturelles nationales dans un contexte de diversité culturelle, de montée des différences et d’affirmation d’identités locales ou régionales. Pour ce qui est de la diversité culturelle, d’ailleurs, Gérald Grandmont dans un premier temps, puis Yvan Bernier dans un second temps évoquent et analysent la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, pour l’adoption de laquelle le Québec a joué un très grand rôle. Quelques chapitres, consacrés aux politiques culturelles des grandes villes françaises (lesquelles misent sur leur dimension internationale), à de grandes régions européennes, en constituent des exemples frappants : autant de politiques qu’il y a de niveaux de pouvoir ? Dans un autre chapitre, Jean-Claude Wallach reprend le débat sur la démocratisation culturelle pour en souligner l’ambivalence, le caractère rhétorique et sans doute l’échec ; proposant même d’en abandonner l’usage, il propose plutôt de revenir aux véritables enjeux sociaux de l’action publique culturelle ; ce qui consisterait à passer d’un État prescripteur de politiques publiques à un État animateur et architecte « de politiques coconstruites » visant une capacité plus grande d’autonomie et de création culturelle pour tous et chacun ; ses réflexions s’achèvent hélas dans la généralité.
Le fil d’Ariane du livre est bien tissé par la conclusion de Pierre Lucier. Si en matière de culture nos sociétés diffèrent d’histoire, de contexte et d’action, elles sont confrontées à des changements apparentés, sinon communs, comme les phénomènes migratoires, le vieillissement de la population, l’éclectisme des goûts et des intérêts, les diversités d’accès à l’art via les nouveaux médias, les recompositions régionales, etc. Les objets mêmes des politiques culturelles s’en trouvent infléchis, doivent être modifiés, avec, en prime, de nouvelles querelles d’acteurs pour le partage des compétences et des responsabilités (par exemple entre les villes, les régions et les États nationaux).
Si l’ouvrage apporte un éclairage et des réflexions intéressantes, tisse assez bien la trame fondamentale du débat, on aurait aimé quelques textes plus descriptifs offrant des exemples concrets de renouvellement des politiques. Certes un certain nombre de chapitres que je n’ai pas cités évoquent des études de cas, mais elles restent cantonnées dans la généralité. Peut-être faudra-t-il se rabattre sur un second tome annoncé, portant sur une « analyse consacrée aux enjeux et défis des politiques culturelles nationales d’une dizaine de pays » (p. 10).