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Bien qu’encore modeste comparativement à son pendant anglo-saxon, l’historiographie militaire francophone se développe lentement mais sûrement au Canada. L’ouvrage d’Yves Tremblay s’inscrit dans cette mouvance en proposant une analyse de la trajectoire de volontaires canadiens-français durant la Seconde Guerre mondiale. À partir d’une banque de dix-neuf témoignages, l’auteur explore la transformation du civil en soldat, ses motivations à s’engager, ses réactions et sa performance au combat, sa démobilisation ainsi que sa place dans la mémoire collective. La démarche mérite d’être soulignée dans la mesure où l’historien francophone d’Amérique se hasarde rarement sur les champs de bataille – a fortiori ceux du Second conflit mondial – si ce n’est pour aborder le phénomène de la guerre à sa périphérie par le biais des études sociales ou culturelles. On cherche donc clairement ici à combler une lacune. L’objectif est-il atteint ?

Le néophyte trouvera une synthèse éclairante et fiable. En 122 pages, Tremblay condense habilement un sujet complexe. Au préalable, il prend soin de rappeler que les conscrits canadiens envoyés au combat ne furent qu’une infime minorité, l’épreuve du feu étant réservée aux seuls volontaires jusqu’à la presque toute fin de la guerre – d’où le titre du livre, Volontaires. Les principaux thèmes de l’étude mentionnés précédemment sont traités en autant de chapitres avec sobriété, concision et rigueur. Ainsi, l’auteur confronte-t-il le plus systématiquement possible les propos des vétérans à la littérature la plus récente correspondant au sujet abordé, n’hésitant pas ici et là à réfuter ou à remettre en perspective les déclarations des principaux intéressés. Par cet effort d’objectivation et de contextualisation, Tremblay cherche à esquiver les principaux écueils de l’histoire orale, dont les inévitables déformations et trahisons de la mémoire.

Sur le fond, cependant, quelques réserves s’imposent. Les chapitres abordant le retour à la vie civile et la mémoire collective de la guerre au Québec ajoutent peu à la littérature déjà publiée sur le sujet. En revanche, les parties consacrées à la « fabrique du soldat » et à sa performance au combat, plus originales, auraient gagné à prendre toute la place. Comment le combattant réagit-il au coeur de la bataille ? Quelles sont ses motivations, ses frustrations, ses peurs, ses espoirs ? Si cette problématique, amorcée par Ardant du Picq au XIXe siècle, constitue un chemin amplement fréquenté par des auteurs anglo-saxons tels que John Keegan, Paul Fussell ou plus récemment Peter S. Kindsvatter, personne ne l’avait encore appliquée au cas des Canadiens français. L’exercice permet à Tremblay de dresser un bilan sans concession que confirment d’autres études : mal entraînés, mal équipés, mal dirigés, les hommes se révèlent peu efficaces face à des Allemands aguerris et fanatisés de longue date, la production de masse en armement et munitions des alliés peinant à compenser ces tragiques lacunes.

Deux questions demeurent : en quoi mettre en scène des Québécois dans ce contexte apporte-t-il un éclairage nouveau au sujet ? Y a-t-il une façon canadienne-française de vivre et de faire la guerre ? L’ouvrage ne les élucide pas, si ce n’est pour rappeler que les unités francophones ont souffert davantage que d’autres de la crise de renfort de 1944, les réticences du Québec à contribuer au sacrifice suprême empêchant de regarnir les rangs. À cet égard, Yves Tremblay aura sans doute été prisonnier de ses sources – des entrevues menées en 1995 par un autre historien. Quoi qu’il en soit, ce petit ouvrage tricoté serré met l’eau à la bouche ; espérons qu’il y aura un Volontaires II.