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Cet ouvrage collectif présente différentes études sur des aspects du discours et des actions du mouvement masculiniste dans une perspective bien campée, soit celle de la dénonciation de son antiféminisme. Les auteurs partagent l’objectif de mettre en lumière pour le critiquer ce mouvement encore largement méconnu mais pourtant influent. La position exprimée en introduction est on ne peut plus claire : « Le discours alarmiste sur la situation des hommes relève d’un mouvement appelé ici le « masculinisme » [… qui] est avant tout une forme particulière d’antiféminisme » (p. 13). En précisant que ce mouvement est diversifié et qu’il doit être compris comme un continuum allant du plus modéré au plus radical, les auteurs ont choisi néanmoins de se concentrer sur les manifestations les plus radicales du mouvement dans le but d’en montrer les aspects réactionnaires qui constituent selon eux une menace directe au progrès des femmes et de l’égalité des sexes.
Cette critique généralement bien menée nous amène à découvrir que non seulement les masculinistes sont organisés, écrivent, participent aux débats politiques, et font pression sur les institutions publiques – comme tout mouvement social – mais encore que certains ciblent des organisations de femmes et des féministes en particulier par des manoeuvres d’intimidation et de menace. L’intérêt de l’ouvrage réside dans son analyse des présupposés et de la vision du monde de ces tendances radicales du mouvement masculiniste : les violences faites aux femmes seraient équivalentes aux violences (psychologiques) perpétrées par les femmes sur les hommes (théorie de la symétrie de la violence) ; le système judiciaire serait corrompu et à la solde des femmes en procédure de divorce ; Marc Lépine (le tueur de Polytechnique) serait un héros martyr ; la « vraie nature masculine » aurait été émasculée par des décennies de féminisme et devrait ressurgir ; l’État et les politiques publiques seraient biaisés en faveur des femmes et oublieraient les hommes et leurs problèmes ; le plus haut taux de suicide chez les hommes s’expliquerait par le manque de modèles masculins forts, etc.
L’ouvrage réussit à démontrer que les tendances radicales de ce mouvement sont effectivement antiféministes. L’intention des auteurs de faire leur procès pour visibiliser le caractère sournois et rétrograde de leur plaidoyer est bien servie par plusieurs chapitres fort bien documentés et argumentés. Le chapitre de Janik Bastien Charlebois sur l’homophobie implicite du masculinisme et celui de Francis Dupuis-Déri sur la récupération de la thématique du suicide par ce mouvement sont particulièrement efficaces. Ces chapitres sont d’autant plus utiles qu’ils insistent sur la diversité de la situation des hommes – que ce soit en matière d’orientation sexuelle, d’âge, de catégorie ethnique – pour démonter l’essentialisme du discours masculiniste et sa prétention à parler au nom de tous les hommes.
Cela dit, l’ouvrage aurait justement bénéficié d’une nuance encore plus grande dans son traitement du sujet et dans sa façon d’aborder le féminisme et les enjeux de genre. Par exemple, on ne retrouve nulle part une attention portée à la question du changement social dans les identités de genre, et on aborde la notion de « crise de la masculinité » non pas comme un phénomène sociologique potentiellement intéressant pour comprendre l’émergence du mouvement mais plutôt comme une « prétendue crise » (p. 11) ou comme une « stratégie discursive s’inscrivant dans le cadre d’une manoeuvre plus large […], le backlash » (p. 34). En conclusion, les directeurs de l’ouvrage concluent que le mouvement masculiniste représente tout simplement des hommes incapables de s’adapter à l’idée de l’égalité entre les sexes (p. 245). Soit, on peut en convenir aisément. Mais pourquoi ? La seule réponse apportée par l’ouvrage tient dans l’analyse des rapports de force entre classes de sexe. Les hommes en tant que classe dominante n’accepteraient pas de perdre leurs privilèges et leur pouvoir. Tous les hommes sont-ils donc susceptibles d’adhérer au mouvement masculiniste ? Et que dire des femmes qui, selon les auteurs, soutiennent et endossent certains éléments du discours masculiniste ? Celles-ci sont qualifiées de naïves ou d’être à la solde du patriarcat.
Ce manque de nuance est particulièrement visible dans le chapitre de Karine Foucault portant sur le projet de réforme du Conseil du statut de la femme, puisque celle-ci n’hésite pas à parler de « la conception féministe de l’égalité » (p. 187, je souligne) comme s’il existait un consensus au sein du mouvement féministe. Ce chapitre vilipende tous ceux et celles qui ont pu émettre des propositions de transformation visant à inclure les hommes dans un nouveau Conseil de l’égalité, voyant ces démarches comme preuves du succès du mouvement masculiniste. Il ressort malencontreusement de ce chapitre, comme dans d’autres chapitres, dans une moindre mesure, qu’il ne saurait y avoir de critique interne (ou externe) au féminisme. On sait bien au contraire que le mouvement féministe est extrêmement fécond en autocritique, ce qui sans doute explique sa longévité et ses succès.
Cet ouvrage a cependant plusieurs mérites dont celui de proposer une analyse fouillée du discours et des réseaux masculinistes au Québec en ce qui a trait aux tendances les plus antiféministes. Il reste que plusieurs lecteurs seront déçus : ceux qui, comme Michel Dorais dans son ouvrage L’homme désemparé paru chez VLB en 1988, proposaient de transformer la masculinité pour que les hommes s’adaptent positivement au changement social lié au féminisme. Le mouvement masculiniste au Québec n’apporte aucune analyse de ces mouvances masculinistes progressistes (y en a-t-il ?) et ne propose au contraire qu’une vision d’échec.