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Ce livre regroupe une série de textes présentant l’état des recherches et des réflexions du linguiste Benoît Cazabon sur des enjeux relatifs à la langue et à la culture en milieu francophone minoritaire au Canada et plus particulièrement en Ontario français. Retraité depuis 1995, l’auteur, qui a connu une reluisante carrière en tant que professeur en didactique du français, signe un ouvrage important et qui participe à l’édifice des connaissances sur l’éducation en milieu minoritaire et sur le fait français au Canada.
L’ouvrage comporte deux parties bien distinctes. La première rassemble cinq articles scientifiques produits entre 1990 et 1996 que l’auteur considère « parmi les plus importants [qu’il a] produits en cours de carrière » (p. 47). Ces textes permettent de bien camper sa posture sur les concepts de culture, d’identité et d’appartenance à partir de démarches théoriques et empiriques originales. Si la deuxième partie de l’ouvrage est une suite logique de la première, elle se situe à un tout autre niveau puisque l’auteur a choisi de s’y révéler en tant qu’intellectuel engagé en présentant une quinzaine de textes publiés initialement dans des journaux ou produits à titre d’avis pour divers organismes. Cazabon y dénonce des rapports de pouvoir généralement défavorables aux francophones et met en évidence les limites de certaines formules d’aménagement linguistiques fondées sur le bilinguisme, en raison de la dynamique assimilante qu’elles engendrent. Tournons-nous maintenant vers la première partie de l’ouvrage nettement plus importante au plan scientifique.
D’abord, précisons que Cazabon emprunte une perspective interprétative pour cerner les rapports qu’entretiennent les individus, en particulier les jeunes franco-ontariens, avec la langue et la culture. Il montre bien la tension qui traverse la construction identitaire des jeunes entre le désir d’appartenir au groupe majoritaire (anglophone) et celui d’appartenir au groupe minoritaire (francophone), et qui peut aboutir à une discordance au plan des valeurs et des expériences vécues. L’auteur met alors le doigt sur ce qui constitue l’un des plus grands défis que doit affronter le membre d’une communauté culturelle minoritaire, soit « le rapport entre la liberté individuelle et la volonté de la communauté dans la définition de la culture » (p. 32). À partir des journaux de bord d’événements linguistiques tenus par des étudiants à l’université en 1986, il dégage un « malaise culturel » qu’il s’emploie à décrire en vue d’améliorer les actions communautaires, notamment au plan éducatif.
Le premier chapitre ouvre la marche à partir d’un contenu théorique riche mais extrêmement dense où l’auteur expose une grille conceptuelle puisant à la psychologie sociale et destinée à analyser, à travers des « traces linguistiques », le processus complexe de formation de l’identité chez les individus (et non le groupe). Cette grille établit l’ordre et la compétence comme fondements de l’identité. Les résultats de son analyse dressent un portrait inquiétant de la jeunesse franco-ontarienne en tant que victime et qui se manifeste par deux types d’attitudes, soit la soumission devant des injustices rationalisées, soit la révolte vis-à-vis le majoritaire (vu comme l’oppresseur). Au plan de la compétence, il appert que la langue est source d’inquiétude chez les jeunes : « Une menace pèse sur cette langue. C’est une langue mal reçue dans certaines situations, alors il vaut mieux la dissimuler. C’est une langue que l’on associe à l’échec ou, à tout le moins, à l’effort » (p. 85). Il en conclut qu’il serait mal avisé d’imposer l’appartenance alors qu’à ses yeux, l’identité francophone n’est pas pleinement réalisée. Le deuxième chapitre, qui examine les mêmes données sous l’angle interculturel, en vient à la conclusion que la crise identitaire chez les jeunes résulterait de rapports interculturels de surface qui ne conduisent pas à la reconnaissance de la culture minoritaire et au respect des différences.
Malgré un diagnostic préoccupant, Cazabon adopte, selon Monique Lebrun, un discours « proactif » (p. 19) en tant qu’intellectuel engagé. Le chapitre 3 porte d’ailleurs sur les conditions (difficiles) de réalisation de la recherche sur l’objet minoritaire et sur ses retombées. Pour Cazabon, on doit à la fois veiller à mettre au profit de la société les résultats de la recherche tout en maintenant la créativité et une fonction critique vis-à-vis la recherche traditionnelle pour « ouvrir l’espace minoritaire » (p. 138). De même, avec sa contribution à la mise sur pied de l’Alliance canadienne des responsables et des enseignants et enseignantes en français (ACREF), il a tenté d’assurer un dialogue entre les divers acteurs du monde de l’éducation.
C’est d’ailleurs dans l’école française qui a pour mission de « favoriser l’épanouissement culturel de la collectivité française » (p. 168), qu’il trouve le principal levier pour pallier les difficultés rencontrées par les jeunes dans la construction de leur identité de francophones en situation minoritaire. Il propose une approche pédagogique qui viserait à « corriger le sentiment d’infériorité » (p. 161) par la mise en action des élèves. Celle-ci vise à leur faire vivre des expériences culturelles significatives plutôt que miser sur la transmission culturelle fondée sur une « substance » spécifique (et potentiellement dépassée). Pour y parvenir, il insiste sur la formation du personnel enseignant et le développement de projets adaptés. Par ailleurs, il reconnaît que laissée à elle-même l’école est limitée dans ses actions et qu’elle doit nécessairement bénéficier de l’appui de son milieu.
Cet ouvrage intéressera sans contredit tout lecteur préoccupé par l’avenir de la minorité francophone au Canada à travers l’oeuvre d’un auteur qui a marqué le champ de l’éducation. Nous tenons toutefois à suggérer la prudence à la lecture de ces textes qui sont en grande partie fondés sur des données recueillies à la fin des années 1980. Ajoutons qu’un contexte particulier a pu marquer les réflexions des sujets de sa recherche dans un contexte où la langue, ainsi que le nationalisme québécois, étaient à l’avant-scène des débats politiques de l’époque. Qu’en est-il de la jeunesse contemporaine en Ontario français ? Pourrions-nous encore parler d’une crise identitaire ? Une grille d’analyse prenant en compte les appartenances multiples des individus conduirait d’ailleurs à interpréter autrement l’identité culturelle des jeunes. Dans une telle perspective, l’ambivalence identitaire serait peut-être moins le résultat d’une crise qu’une façon de s’adapter à l’hétérogénéité des situations sociales. C’est pourquoi à notre avis, l’enjeu de la langue et de la culture se pose davantage au plan collectif qu’individuel. Ce n’est qu’en dynamisant la vie culturelle française, en misant à la fois sur des spécificités locales et des réalités internationales, qu’on pourra créer des conditions qui interpelleront les jeunes et qui pourront favoriser à la fois leur appartenance collective (intégration), leur réussite sociale (stratégie) et leur créativité (subjectivation) – conditions essentielles à la construction de leur identité. Sur ce plan, nous partageons l’avis de Cazabon, à savoir qu’il est nécessaire de développer des stratégies éducatives permettant aux jeunes de devenir producteurs de culture plutôt que des réceptacles passifs. Enfin, l’école ne doit surtout pas agir en vase clos, car c’est lui faire porter un fardeau qu’elle ne peut raisonnablement assumer seule.