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Elatiana Razafimandimbimanana établit d’abord le contexte de sa recherche en proposant un exposé assez détaillé de la situation linguistique du Québec. La première partie de l’ouvrage est consacrée à cette description : sont abordés tour à tour les thèmes langue et population, langue et politique, langue et culture. La seconde partie de l’ouvrage décrit les paramètres et la méthodologie de l’enquête qu’elle a effectuée en 2001-2002 auprès d’élèves et d’enseignants québécois. Appuyant ses propos par des extraits de son corpus, l’auteure fait état des perceptions positives et négatives des jeunes relativement à cette langue qui définit leur identité et qu’ils disent moduler différemment selon qu’ils s’adressent à des enseignants, à des parents ou à leurs amis. Elle expose la complexité du rapport des élèves à l’écrit et traite des dimensions pédagogiques de l’apprentissage du français à l’école, de son évaluation par les enseignants. Elle formule enfin des propositions destinées à enrichir le contenu des cours de français, les modes d’enseignement et les modalités d’évaluation.
Le parcours particulier de la chercheuse, qui a vécu à Madagascar, au Kenya, au Québec et en France, lui donne une distanciation intéressante, un recul bienvenu dans l’observation de la situation de la langue française au Québec. Ce point de vue en partie extérieur a conduit l’auteure à présenter longuement les caractéristiques démographiques, politiques et culturelles du Québec. Si les lecteurs étrangers pourront tirer profit de cette présentation, par contre, ceux qui connaissent bien le contexte sociolinguistique québécois trouveront peut-être un peu scolaire et fastidieuse cette entrée en matière, qui ne constitue pas moins de la moitié de l’ouvrage. En outre, force est de constater que cet exposé comporte plusieurs erreurs d’interprétation. À titre d’exemples, la chercheuse se demande si la Charte de la langue française peut « encadrer l’utilisation d’un certain registre de la langue française au Québec » (p. 48) ; elle juge que « l’officialisation de la forme standard du français au Québec est une étape récente et polémique dans l’évolution du français nord-américain » (p. 58). Razafimandimbimanana semble penser que la mise en oeuvre de la Charte comprend la normalisation du français québécois standard et permet l’ingérence de l’État dans le choix des registres de langue, ce qui n’est évidemment pas le cas. On peut relever aussi dans ces pages plusieurs affirmations inexactes. En ce qui a trait à la féminisation, l’auteure écrit : « des titres comme docteure, pompière ou encore écrivaine sont ainsi normalisés au Québec » (p. 47). Dans les faits, c’est un avis de recommandation que l’Office québécois de la langue française (OQLF) a publié à cet égard et non une normalisation, qui aurait eu un caractère d’obligation. Plus loin, l’auteure confond la lexicographie et la terminologie quand elle écrit que « le français québécois possède l’une des descriptions lexicographiques les plus complètes de la communauté francophone » (p. 49), en songeant probablement au Grand dictionnaire terminologique de l’OQLF, qui comprend plus de trois millions de fiches portant sur des termes techniques et scientifiques.
Relativement à l’influence ou à la présence de la langue anglaise au Québec, plusieurs affirmations ne correspondent pas à la réalité. Par exemple, pour expliquer les emplois courants des noms déjeuner, dîner et souper au sens de « petit déjeuner », « déjeuner » et « dîner », elle recherche une analogie avec l’anglais : « certes souper et supper peuvent être associés sémantiquement mais dîner (repas du midi au Québec) ne correspond pas à dinner (repas du soir en anglais standard) » (p. 51). On sait que ces emplois ne sont pas influencés par l’anglais et qu’ils constituent plutôt des archaïsmes issus du fonds français qui se sont maintenus au Québec, au Canada et dans certaines régions de la France, de la Belgique et de la Suisse. La chercheuse mentionne également que la presse écrite montréalaise comprend de nombreux emprunts directs à l’anglais (p. 60). L’examen des titres de presse publiés à Montréal révèle au contraire que ces derniers comprennent relativement peu d’emprunts critiqués à l’anglais, exception faite des chroniques sportives, musicales ou humoristiques. On y relève toutefois de nombreux faux amis et calques. Quelques paragraphes plus loin, on ne peut s’empêcher de sourire en lisant le constat dressé par la chercheuse : « en dépit de l’influence signifiante de l’anglais à Montréal, les autres Québécois comprennent relativement bien les francophones montréalais. En fait, les différentes variations du français au Québec ne bloquent pas encore l’intercompréhension générale » (p. 60). Pas encore ? Cette possibilité ne peut être envisagée sérieusement. L’auteure écrit aussi que « en général, la diffusion d’événements sportifs et musicaux, les émissions de divertissement, les séries et jeux télévisés sont suivis sur les chaînes anglophones » (p. 61). Ce n’est certainement pas le cas de la majorité des Québécois francophones. Elle indique encore que « seuls quelques établissements sont spécialisés dans les ouvrages anglophones. De plus, leur coût demeure assez élevé » (p. 61). De fait, les ouvrages en langue anglaise sont généralement moins coûteux que les publications en langue française.
La seconde partie de l’ouvrage fait état de l’enquête sociolinguistique effectuée au cours du premier trimestre de l’année scolaire 2001-2002 auprès d’élèves fréquentant une école francophone au Québec. L’auteure a conçu un questionnaire (14 questions) auquel s’ajoute un sujet de rédaction (texte d’une vingtaine de lignes) consistant à exprimer son point de vue sur le français du Québec. Le questionnaire a été transmis par Internet aux directeurs des établissements, qui devaient le remettre ensuite aux enseignants. Six établissements, non situés dans la région métropolitaine, ont accepté de participer à l’enquête ; une vingtaine d’enseignants et près de 300 élèves du secondaire ont rempli le questionnaire. L’âge moyen de ces élèves a été établi à 12 ans et demi, mais la fourchette s’étend de 12 à 17 ans. Ils sont très majoritairement de langue maternelle française (96 %) ; 4 sont de langue maternelle anglaise et 5 sont allophones ; 78,4 % d’entre eux disent parler l’anglais couramment. Sur le plan méthodologique, l’absence de données quantitatives et de statistiques rend difficile l’interprétation des résultats de l’enquête : les commentaires cités traduisent-ils le sentiment de quelques élèves ou de la majorité ? Les chapitres 4 et 5, qui présentent les réponses des élèves, sont les plus intéressants, car ils donnent la parole aux jeunes Québécois et permettent de prendre connaissance de leurs réflexions, de leurs perceptions comme de leurs préoccupations relativement au français que se partagent tous les francophones, au français du Québec ainsi qu’à l’anglais, dans le contexte de l’école comme dans celui des communications familières avec les amis, les parents, etc. C’est ce qui constitue l’originalité de cette recherche.
L’auteure signale que, dans l’ensemble, les élèves s’identifient d’abord comme Québécois, puis comme francophones, mais non comme Canadiens. D’après les extraits cités, ces jeunes semblent conscients de variantes propres au français du Québec et ils tiennent à conserver cette langue particulière qui est la leur : « je parle québécois », affirment-ils. Fait intéressant, certains ont indiqué que le français du Québec leur paraissait plus moderne, plus dynamique que le français de France en raison de la féminisation, des nouveaux mots, notamment les termes du domaine de l’informatique. Plusieurs ont exprimé des inquiétudes quant à la survivance du français en terre d’Amérique et ont souhaité pouvoir conserver leur langue. Relativement à l’orthographe et à la syntaxe du français écrit, la chercheuse souligne que les élèves établissent une hiérarchie des usages et qu’ils distinguent les travaux scolaires ou les communications plus formelles des messages envoyés aux amis par Internet, par exemple. Dans ce dernier cas, ils disent recourir à une langue simplifiée, avec une orthographe phonétique et de multiples abréviations, le plus souvent sans accords grammaticaux ni ponctuation pour des raisons de rapidité, de simplicité et d’économie d’espace. Ces élèves indiquent aussi qu’il s’agit d’un langage codé que les adultes ont du mal à déchiffrer, un argot des jeunes, pour ainsi dire : « ce sont des mots d’ados que les adultes ne comprennent pas ». La notion d’appartenance au groupe est claire : « je change mon écriture pour paraître cool sur MSN », écrit l’un d’eux. Par contre, certains disent rédiger de façon plus soignée lorsqu’ils communiquent avec des enseignants ou des adultes, afin de favoriser la bonne transmission de leur message. Il s’agit donc du choix du code le plus efficace en fonction du contexte, du registre le mieux adapté à la communication. Dans sa conclusion, la chercheuse souligne que ce phénomène n’est nullement propre au Québec et que l’on observe la même situation en France et dans la francophonie.
Plusieurs élèves portent un jugement sévère sur le français québécois oral qui comprend souvent d’après eux « un emploi exagéré de jurons, d’anglicismes et de vocabulaire familier avec une prononciation associée au joual » (p. 133). Ils lient les formes dévalorisées au langage des jeunes, du groupe et les formes valorisées à la réussite professionnelle et sociale. Razafimandimbimanana déplore à juste titre l’absence d’apprentissage du français oral standard à l’école. Elle relève aussi des commentaires d’élèves et d’enseignants qui soulignent le nombre insuffisant de rédactions, de productions écrites par les élèves et juge que « tout comme pour l’oral, la pratique écrite en classe mérite davantage de place dans la répartition horaire des cours » (p. 160).
Malgré une présentation prolixe de la situation linguistique québécoise comportant de nombreuses inexactitudes et certaines lacunes méthodologiques, en particulier l’absence de données statistiques, cette enquête sociolinguistique met en évidence la capacité des jeunes de choisir le code linguistique qui convient le mieux au contexte de la communication. Elle a le mérite de présenter les perceptions des élèves sondés quant à la spécificité du français québécois, à son modernisme par rapport au français de France, à l’influence qu’exerce sur eux la langue anglaise, notamment par le biais de ses multiples produits culturels et de mettre en relief leurs préoccupations à l’égard du maintien du français au Québec.