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Je remercie la direction de Recherches sociographiques de m’avoir accordé un bref droit de réplique au texte de M. Gérard Bouchard. Je dois d’abord préciser que je ne prétendais aucunement, dans ma note critique, parler au nom de la nouvelle sensibilité historique, qui n’a pas de porte-parole. La nouvelle sensibilité historique ne possède pas le degré de cohésion doctrinale et professionnelle de l’école révisionniste, ni surtout celui des anciennes écoles de Laval et Montréal. D’ailleurs, au sens strict, la nouvelle sensibilité n’est pas une école historique, c’est une mouvance pluridisciplinaire aux contours assez flous et dont les ténors sont unis par le malaise qu’ils ressentent à l’égard de certaines tendances de l’historiographie québécoise contemporaine.
M. Bouchard rejette mes affirmations quant au caractère partisan de La pensée impuissante. Son ouvrage, prétend-il, ne se fonde que sur des préceptes scientifiques et, à la limite, sur « la tradition humaniste de l’historiographie occidentale ». Pourtant, M. Bouchard indique clairement que son ouvrage – ou du moins le chapitre qui porte sur l’abbé Groulx – possède un but politique :
En définitive, cette histoire longue, en dents de scie, dicte la question qui se pose aux nationalistes – et tout particulièrement aux souverainistes : comment briser ce cycle ? À cette fin, que peut nous apprendre l’expérience de Groulx ? Que nous enseignent les échecs qu’il a vécus ? En d’autres mots, comment éviter de retomber dans la pensée fragmentaire ? Comment prolonger ou renouveler de quelque façon l’épisode de pensée radicale (assortie de pensée organique) qui a suivi le Révolution tranquille ?
p. 233.
Si je ne vois aucun problème à ce que M. Bouchard rédige des essais pour raffermir la pensée souverainiste, je m’étonne qu’il s’offusque lorsqu’un critique se penche sur le côté essayistique de son ouvrage.
M. Bouchard trouve étrange que ma note critique en dise aussi peu sur sa démarche d’analyse. Honnêtement, puisque d’autres historiens, notamment Fernande Roy dans le numéro 71 d’Études d’histoire religieuse, avaient déjà critiqué les méthodes d’analyse qu’on retrouve dans La pensée impuissante, j’ai préféré me concentrer sur d’autres questions. Je partage toutefois les inquiétudes de Mme Roy quant aux méthodes de M. Bouchard. Celui-ci s’intéresse peu à l’évolution des idées, à leur synergie ou à leur contexte social. Ce qui compte chez lui, c’est de créer des oppositions binaires en plaçant côte à côte de courtes citations (généralement de moins de trois lignes) qui semblent se contredire. Or, plusieurs de ces oppositions sont fausses – on peut être à la fois nationaliste et s’opposer à l’indépendance du Québec sans verser dans la contradiction – et reposent parfois sur des fragments de texte rédigés à des décennies de distance. Il n’est guère surprenant qu’une pensée puisse paraître fragmentaire lorsqu’elle est présentée en fragments. Or, l’histoire intellectuelle est un champ de recherche exigeant qui tolère mal les analyses fragmentaires. Pour bien comprendre les nuances et les contradictions des courants de pensée, il faut analyser les idées dans la diachronie et chercher à les contextualiser. Il faut également, dans l’élaboration des ouvrages d’histoire intellectuelle, privilégier les citations de longue haleine. Malheureusement, La pensée impuissante répond mal à ces exigences.