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Si vous découvrez le Québec, voici un ouvrage collectif qui vous intéressera, comme il pourra par ailleurs intéresser les étudiants novices en sciences humaines. Pour sa part, la communauté scientifique restera sur sa faim. En effet, comme le signalent plusieurs auteurs, leur texte est essentiellement descriptif : « Ce portrait, tracé à grands traits » (Madeleine Gauthier, p. 22), « Pour les fins de ce texte, nous avons procédé à d’importantes généralisations » (Gilles Pronovost et Chantal Royer, p. 153), « Ce chapitre présente un survol des données et recherches » (Marc Molgat et Johanne Charbonneau, p. 73).
Composé de neuf chapitres, l’ouvrage présente des résultats de recherches sur différents thèmes (migration régionale, santé, scolarisation, loisir, insertion professionnelle, etc.) en rapport avec la jeunesse, plus exactement en rapport avec des tranches d’âge. Seule exception notable, le chapitre traitant des jeunes « en marge ». Ici, Michel Parazelli ne se contente pas d’affirmer comme plusieurs que les profils, cheminements, parcours sont variés, il donne à voir et analyse différentes configurations de la marginalité. C’est le seul article qui n’est pas désespérément banal. Les autres alignent des données, sous forme de statistiques (le plus souvent sans analyse ni raisonnement tant soit peu multivariés) ou sous forme de descriptions s’apparentant aux publications gouvernementales. C’est un livre qui se décline sous le registre de l’énumération.
Les auteurs sont issus d’institutions et de disciplines diverses. Claire Boily de l’Institut national de la recherche scientifique aborde les loisirs, caractérisés par l’importance accordée aux pairs. Johanne Charbonneau (Institut national de la recherche scientifique) et Marc Molgat (Service social, Université d’Ottawa) traitent des relations sociales : relations aux parents (cohabitation prolongée), aux amis (importance de la sociabilité juvénile, colocation), au conjoint (union libre) et à l’enfant (souvent unique). Serge Côté (Sciences humaines, Université du Québec à Rimouski) étudie les migrations régionales. Antoine-Lutumba Ntetu (Sciences infirmières, Université du Québec à Chicoutimi) dresse un « portrait-synthèse » de l’état de santé des 15-24 ans. Michel Parazelli (Service social, Université du Québec à Montréal) cherche à comprendre des pratiques marginales en fonction du sens qu’y attachent leurs auteurs, « établir un lien social véritable en dehors du monde institutionnel ». Gilles Pronovost, Chantal Royer et Sarah Charbonneau, tous trois du Département des sciences du loisir et de la communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières, se penchent sur les valeurs. Claude Trottier et Claire Turcotte des sciences de l’éducation (Université Laval) traitent des taux de diplomation. Mircea Vultur (Institut national de la recherche scientifique) suit l’évolution des taux d’activités, de chômage, etc., rappelle la place centrale du travail bien que les jeunes accorderaient une importance « accrue aux autres dimensions de leur vie ».
En présentation de l’ouvrage, Madeleine Gauthier (responsable de l’Observatoire Jeunes et Société, Institut national de la recherche scientifique) ne présente ni ne contextualise les auteurs et leur contribution à l’ouvrage. Si certaines formulations sont alléchantes à l’exemple du titre (« La jeunesse, au coeur des changements de la société québécoise »), ou à l’exemple de certains intitulés de paragraphe (« De victime à acteur ») ou encore de phrases (« les jeunes Québécois ne sont pas d’abord des héritiers générationnels, mais des héritiers institutionnels »), il est toutefois désespérant de trouver peu de concordance entre l’effet d’annonce de telles formulations et le contenu développé à leur suite. Arrêtons-nous un instant sur l’attitude caractérisée d’« ambiguë » de la jeunesse québécoise face à l’éducation (p. 11-12). Après un rappel des « efforts collectifs déployés » depuis les années 1960, Madeleine Gauthier note « qu’il existe encore des différences d’accès aux études supérieures », ainsi indique-t-elle des variations de diplomation entre francophones et anglophones, ruraux et urbains, hommes et femmes et signale, en finale, le retour aux études de certains décrocheurs. Ces paragraphes, censés parler de l’ambiguïté de la jeunesse face à l’éducation, se terminent par la phrase : « Les jeunes contemporains pourraient avoir développé cette attitude qui consiste à continuer sa formation ’tout au long de la vie’ en regard des fluctuations du marché du travail et de la nécessité de s’y adapter » (p. 12). Étonnamment aucune référence n’est faite ici à l’article de Gilles Pronovost et Chantal Royer qui pourtant, eux, font part d’une attitude mitigée des jeunes face aux études (p. 150).
Comme notre jeunesse est belle ! Il est vrai que les institutions ont beaucoup de « sollicitude » à l’égard des jeunes (p. 16). « Même les plus pauvres d’entre eux ont droit à l’éducation, au système de santé et à l’aide sociale » (p. 10). Les institutions fournissent aussi des plates-formes de revendication. Il manque seulement parfois des « motifs de s’en prévaloir » (p. 15). Toutefois, « Par un effet inattendu, elles [les institutions] laissent à la marge une portion d’individus qui n’est pas toujours minime » (p. 19). S’éloignant des analyses de Michel Parazelli, Madeleine Gauthier y voit d’une part une « réactions aux normes » (crise d’adolescence ?) et d’autre part une « absence de défis dans le contexte de la vie privée » (p. 19). Formule largement tautologique avec la précédente, car cette absence concernerait des jeunes « qui se sentent trop encadrés » (p. 20). Autre phénomène surprenant : des taux de suicide ou d’accidents élevés chez les garçons. Par contre, les filles se caractériseraient par un taux de détresse psychologique élevé (p. 18). En choisissant d’aborder la santé sous le seul angle des différences entre sexes, Madeleine Gauthier passe sous silence le fait que les 15-24 ans connaissent, comme le signale Antoine-Lutumba Ntetu, un taux de détresse psychologique plus élevé que les autres classes d’âge de même que l’augmentation de la prévalence des problèmes de santé physique entre 1987 et 1998. Tout ne serait-il pas aussi beau sous le soleil ? Madeleine Gauthier le pressent-elle lorsqu’elle écrit que cette jeunesse rappelle peut-être « le réveil de la jeunesse qui a préparé la Révolution tranquille » (p. 22) ?
Madeleine Gauthier serait-elle victime de l’erreur numérique ? Le non-étudié (le non-chiffré) serait-il inopérant ? Par exemple, Claude Trottier et Claire Turcotte signalent que les différences d’accès aux études selon l’origine sociale « sont celles qui persistent le plus » (p. 49) et que les données à ce sujet sont « éparses » (p. 47). Madeleine Gauthier déclare pour sa part : « Bien que des différences socio-économiques continuent d’exister entre les jeunes Québécois eux-mêmes, elles sont rarement étudiées à partir des catégories classiques de classes sociales ou de classes d’âge. Ces catégories n’arrivent pas à rendre compte de la variété des manières d’être jeune aujourd’hui » (p. 10). Le sort des classes sociales, un concept fondateur de la sociologie classique, est vite réglé. Son voisinage avec la catégorie « classes d’âge » est pour le moins problématique dans un livre où jeunesse et âge sont synonymes.
Bref, un Regard sur… étroit et sans surprise : quelques écarts sont observés mais tout reste dans les parages du point de mire.