Corps de l’article

INTRODUCTION

La résolution de problème est une stratégie utilisée pour composer avec une situation qui génère du stress. Si certaines tentatives de résolution de problème sont efficaces et permettent d’atténuer le stress ressenti, d’autres au contraire, ont pour effet de maintenir voire d’accentuer ce stress (D’Zurilla et Nezu, 2010). L’état affectif et la santé peuvent alors s’en trouver affectés sur des périodes plus ou moins longues (Aldao, Nolen-Hoeksema et Schweizer, 2010; D’Zurilla et Nezu, 2010). La résolution de problème jouerait un rôle important dans l’adaptation, soit dans la capacité à composer avec une situation stressante de façon à ce qu’elle devienne neutre ou positive (Lazarus, 1993). Cet article explore comment l’utilisation de la résolution de problème est perçue par des hommes ayant consulté un professionnel de la relation d’aide. Les perceptions des participants à l’égard de la résolution de problème sont analysées à l’aide du modèle de Linehan (1993).

CADRE CONCEPTUEL ET RECENSION DES ÉCRITS

La résolution de problème est définie comme l’utilisation de stratégies cognitives et comportementales dans le but de modifier une situation stressante. Elle implique un effort conscient et rationnel réalisé dans le but de résoudre une situation stressante ou d’en réduire les impacts sur le plan affectif (D’Zurilla et Nezu, 2010; Tobin, Holroyd, Reynolds et Wigal, 1989). Selon D’Zurilla et Nezu (2010), la résolution de problème s’applique à toutes les situations du quotidien qui n’apparaissent pas immédiatement solubles et qui génèrent un stress. Il peut s’agir, par exemple, de difficultés financières, de conflits relationnels, de problèmes de santé, de remise en question de la carrière, etc. Ces auteurs soulignent également que certains problèmes sont insolubles en eux-mêmes (décès d’un proche, handicap à la suite d’un accident, condamnation par un tribunal, etc.). La résolution de problème porterait alors, selon eux, sur les impacts affectifs et psychosociaux. À la différence, lorsque les problèmes sont solubles (conflit avec un proche, besoin insatisfait, etc.), la résolution de problème peut cibler ledit problème, ses impacts ou les deux. Pour compléter ce point de vue, Gross (2015a, 2015b) ajoute qu’il n’est pas nécessaire de régler un problème pour mieux se sentir. Il suffit parfois de modifier un seul aspect de la situation stressante.

Certains auteurs estiment que la résolution de problème est un processus qui se compose de plusieurs phases (D’Zurilla et Nezu, 2010; Gambrill, 2006; Lazarus et Folkman, 1984; Linehan, 1993). Dans son modèle, Linehan (1993) distingue deux phases : la première est l’acceptation de la situation stressante et la seconde est l’essai de solutions alternatives. La réalisation de chaque phase implique des stratégies spécifiques. La phase d’acceptation comporte trois stratégies. La première consiste à définir le problème en fonction des comportements qui l’alimentent, qu’ils proviennent de l’aidé ou de son environnement. La seconde stratégie est l’interprétation du comportement. Le professionnel de la relation d’aide propose des hypothèses établissant des liens entre les comportements de l’aidé et le maintien de la situation stressante. La troisième stratégie est de donner des informations susceptibles d’alimenter la réflexion de l’aidé à propos des comportements qui contribuent au maintien de la situation stressante. La phase d’implantation de solutions alternatives comporte quatre autres stratégies. La première est l’analyse préalable des solutions. Elle implique d’identifier le changement désiré, les solutions possibles, d’évaluer celles-ci, d’en expérimenter une et d’anticiper les obstacles. La seconde est la clarification des attentes de l’aidé envers l’aidant. La troisième stratégie vise à assurer que l’aidé s’implique dans le processus de résolution de problème. L’aidant ajuste ses interventions pour susciter et maintenir cette implication en tenant compte que l’objectif de l’aidé puisse changer en cours de route. La dernière stratégie vise à favoriser le développement des habiletés nécessaires à la mise en place de solutions alternatives. Linehan explique que cet apprentissage requiert du temps et que la résolution de problème se réalise progressivement dans la plupart des cas.

La résolution de problème efficace se caractérise par une conception positive de la situation stressante (voir celle-ci comme soluble, qu’elle représente un défi, etc.), ainsi qu’une démarche rationnelle pour la résoudre (les auteurs réfèrent ici aux étapes du processus de résolution de problème). À la différence, la résolution de problème inefficace, comporte une vision négative de la situation stressante (vu comme un désastre qu’on ne peut que subir, par exemple), des tentatives impulsives pour la résoudre et de l’évitement (D’Zurilla et Nezu, 2010). Le modèle de D’Zurilla et Nezu prévoit que la résolution de problème efficace entraîne une diminution du stress et une perception de la situation, comme n’étant plus un problème. La résolution de problème inefficace amène plutôt, selon ces auteurs, une augmentation du stress, ainsi qu’une détérioration objective de la situation ou de la façon dont celle-ci est perçue.

Les affects sont des états physiologiques produisant une attraction ou une répulsion (Scherer, 1984). Parmi les affects, Larivey (2002) distingue les émotions simples (colère, plaisir, etc.), les émotions mixtes (honte, fierté, etc.), les contre-émotions (fatigue, stress, etc.) et les pseudo-émotions (déprime, impuissance, etc.). Selon cette auteure, la difficulté à réguler les émotions simples contribuerait à les transformer en des états affectifs plus complexes (contre-émotions et pseudo-émotions), plus difficiles à gérer et néfastes pour la santé. Dans cette typologie, le stress est considéré comme une contre-émotion, soit une réaction physique à un ensemble d’émotions mal gérées (Larivey, 2002).

Lorsque la résolution de problème est mesurée en lien avec un problème qui peut être résolu, les résultats montrent une efficacité moyenne de celle-ci, à moduler les affects liés à un état dépressif ou à un état anxieux (Aldao et al., 2010; Kato, 2015). Les femmes utiliseraient davantage cette stratégie, ce qui serait surtout vrai, lorsqu’elles évaluent que la situation est plus stressante (Nolen-Hoeksema, 2012; Nolen-Hoeksema et Aldao, 2011). Chez les hommes, la planification serait associée à un faible niveau d’anxiété, de stress et d’inquiétude. Les auteurs estiment que la résolution de problème, dans laquelle est incluse la planification, est particulièrement efficace chez les hommes pour réguler les émotions (Zlomke et Hahn, 2010). Par ailleurs, une baisse de l’intensité des affects augmenterait la capacité de réinterpréter la situation stressante et les émotions associées (Grecucci, Theuninck, Frederickson et Job, 2015; Silverman, 2013). Ainsi, la réinterprétation serait efficace seulement lorsque l’intensité affective est faible (Grecucci et al., 2015; Sheppes et Gross, 2011). Utiliser efficacement, la réinterprétation est un précurseur de la résolution de problème et serait donc à même d’activer le processus de rétablissement de l’état dépressif (Arditte et Joormann, 2011). Ces études tendent à valider le postulat de Linehan (1993) selon lequel, l’efficacité de la résolution de problème, dépend de plusieurs facteurs qu’il faut apprendre à maîtriser.

Certaines études ont mesuré l’influence du conflit de rôle de genre sur l’utilisation de la résolution de problème. Selon O'Neil (2008), le conflit de rôle de genre se manifeste sous la forme d’une tension interne créée par la répression, la dévaluation ou la transgression d’une partie de soi, perçue comme en contradiction, avec le modèle de masculinité préconisé dans une société donnée. La suppression de l’expression émotionnelle dans certaines situations sociales, notamment de la peur et de la tristesse chez plusieurs hommes occidentaux, en est un exemple selon l’auteur. Dans une étude menée auprès de 126 hommes itinérants, il a été trouvé que plus le conflit de rôle de genre est élevé, moins les stratégies de résolution de problème sont efficaces et plus l’attitude envers la demande d’aide, est négative (Nguyen, Liu, Hernandez et Stinson, 2012). Les auteurs estiment que ces hommes préfèrent se débrouiller seuls, comme si c’était leur dernière source de valorisation après la perte de leur emploi, de leurs biens, de leur famille ou de leurs amis. Une autre étude abonde dans le même sens (Oliffe, Ogrodniczuk, Bottorff, Johnson et Hoyak, 2010). Les 38 hommes que les chercheurs ont interviewés souffraient de dépression. Ceux qui ont amélioré leur état de santé n’ont pas hésité à recourir à la résolution de problème, car ils ne la percevaient pas en contradiction avec leurs croyances, à propos de ce qu’un homme doit faire. Sur une note discordante, l’étude de Good, Heppner, DeBord et Fischer (2004) a plutôt trouvé que la perception négative de la capacité à résoudre les problèmes, est liée à la détresse psychologique, mais pas au conflit de rôle de genre. Les auteurs de cette étude croient que la restriction émotionnelle peut être vécue de façon positive chez certains hommes ayant le sentiment de préserver ainsi le contrôle de soi et de la situation. Il est également possible que l’échantillon composé d’étudiants puisse expliquer que leurs résultats ne concordent pas avec ceux de l’étude d’Oliffe et al. (2010).

La consultation est un processus lors duquel un client demande conseil à un professionnel de la relation d’aide dans le but de résoudre un problème. La relation d’aide est une relation temporaire durant laquelle l’aidant établit une relation de confiance réciproque dans le but d’accompagner l’aidé vers le changement désiré (Bohart et Tallmann, 2010; Turcotte, 2011).

L’approche centrée sur la résolution de problème, initialement développée par D’Zurilla et Goldfried (1971), postule que les individus qui éprouvent des difficultés à s’adapter à une situation stressante, utilisent de façon inefficace, la résolution de problème. Selon eux, ces individus peuvent apprendre à utiliser consciemment et de manière efficace la résolution de problème et ainsi être en mesure de s’adapter à une situation stressante (D’Zurilla et Nezu, 2007). Plusieurs études montrent que l’approche centrée sur la résolution de problème est efficace pour contrer une série de symptômes (dépressifs, anxieux, etc.), réduire la récidive de crimes, augmenter les compétences parentales, faciliter l’adaptation à un cancer, etc. (D’Zurilla et Nezu, 2010). D’autres études ont établi que cette approche contribue à l’amélioration des habiletés de résolution de problème et que celle-ci est associée à une réduction des symptômes dépressifs et anxieux (Bell et D'Zurilla, 2009; Cuijpers, van Straten et Warmerdam, 2007; Fehlinger, Stumpenhorst, Stenzel et Rief, 2013; Malouff, Thorsteinsson et Schutte, 2007).

OBJECTIF DE L’ÉTUDE ET QUESTION DE RECHERCHE

Bien qu’intéressant, le modèle de la résolution de problème de Linehan (1993) n’a pas fait l’objet d’études scientifiques à notre connaissance. On ignore si le processus de résolution de problème que l’auteure décrit correspond à l’expérience qu’en ont, des personnes qui consultent un professionnel de la relation d’aide. Très peu d’études ont considéré le fait que la résolution de problème puisse être utilisée de façon inefficace. Dans leur recension, Pena-Sarrionandia, Mikolajczak et Gross (2015) n’ont repéré qu’une seule étude sur le sujet. Les impacts de la résolution de problème sont mesurés par des questionnaires dans la plupart des recherches. Quelques rares recherches décrivent ces impacts à partir de données qualitatives comme des entrevues (Oliffe et al., 2010). Il existe donc très peu de données au sujet des impacts de la résolution de problème, qui permettent d’en saisir le sens, à partir des propos exprimés par des participants à une recherche. Enfin, selon les études recensées, le point de vue d’hommes, au sujet de leur utilisation de la résolution de problème, a été très peu investigué.

Les limites identifiées dans les études précédentes incitent à mener une nouvelle recherche. Cette recherche vise à décrire les perceptions d’hommes ayant consulté un professionnel de la relation d’aide, à propos de leur utilisation de la résolution de problème et de ses impacts. Ces perceptions seront ensuite comparées au modèle de résolution de problème de Linehan (1993), pour en identifier les ressemblances et les différences.

Cette étude tente de répondre à une question : comment des hommes, ayant consulté un professionnel de la relation d’aide, perçoivent-ils les changements dans leur utilisation de la résolution de problème et ses effets?

MÉTHODE DE RECHERCHE

Type d’étude et recrutement

L’étude de cas multiples (Stake, 2006; Yin, 2009) a été retenue afin d’explorer en profondeur les variables à l’étude. Dans ce type d’étude, le principal critère de sélection des participants repose sur leur capacité à fournir une description riche et détaillée de leur vécu, en lien avec les questions de la recherche. À cette fin, la stratégie de recrutement a consisté à diffuser dans la communauté, une fiche de recrutement. Cette fiche invitait les hommes à discuter avec le chercheur, de la façon dont ils estimaient que la consultation d’un professionnel de la relation d’aide les avait aidés à mieux gérer leurs émotions et à mieux composer avec une situation stressante. Une vingtaine de personnes ont manifesté un intérêt à participer à cette étude. Parmi eux, cinq se sont désistés après un échange d’informations par courriel, et un autre s’est retiré après l’entretien téléphonique. Un candidat n’a pas été admis dans l’étude, car il ne correspondait pas à l’un des critères de sélection (le sexe). Finalement, treize candidats correspondant aux critères de sélection ont accepté de prendre part à la recherche et ils ont signé le formulaire de consentement à cet effet. Chaque participant a reçu 60 $ pour son implication dans cette recherche.

Profil des participants

Le profil des participants à l’étude a été établi à partir des réponses à un questionnaire écrit. Ces réponses n’ont pas été vérifiées afin de respecter l’anonymat des participants. Les situations perçues comme stressantes par les participants continueront d’être nommées « situations stressantes » pour alléger le texte et préserver une continuité dans tout l’article. L’âge moyen des participants est de 44,1 ans, le plus jeune ayant 24 ans et 69 ans pour le plus âgé. Le revenu médian autour de 40 000 $, le minimum étant de 20 000 $ et le maximum au-delà de 80 000 $. Parmi eux, cinq sont en couple et sept ont au moins un enfant. Les situations stressantes qui ont amené ces hommes à consulter sont les conflits conjugaux (sept participants), la rupture amoureuse (sept participants), les difficultés familiales (six participants) et les problèmes dans les relations au travail (six participants). Certains participants cumulaient, plus d’une situation stressante. Les professionnels rencontrés par les participants sont des psychologues pour neuf d’entre eux, des travailleurs sociaux pour deux participants, et pour les autres, un psychoéducateur, un conseiller en ressources humaines et un autre, un conseiller en orientation. Ces professionnels avaient tous plus de cinq années d’expérience, sauf un, et travaillaient avec diverses approches (cognitivo-comportementale, humaniste, systémique et analytique). En tout, 10 participants avaient réalisé entre 7 et 20 rencontres avec un professionnel de la relation d’aide, alors que trois participants avaient effectué au-delà de 60 rencontres. En plus de la consultation individuelle, sept participants ont également pris part à un groupe de soutien animé par un professionnel de la relation d’aide.

Le profil des participants présente un bon équilibre entre l’homogénéité et l’hétérogénéité. Concernant l’homogénéité, les participants partagent des expériences communes, comme le fait d’avoir eu au moins sept rencontres avec un professionnel de la relation d’aide au cours de la dernière année, et d’être des hommes. En matière d’hétérogénéité, certaines caractéristiques les distinguent comme l’âge, les revenus et l’état civil, les rendant uniques. La diversité du profil des professionnels consultés ajoute à la richesse de la présente recherche. Cela permet d’analyser les variables à l’étude dans des contextes divers pour en faire ressortir l’essence. Chaque participant fournit un éclairage unique et permet de construire une vision d’ensemble plus riche et plus complète, pour répondre à la question de recherche (Pires, 1997; Stake, 2006).

Méthode de collecte des données

Les participants à l’étude ont été rencontrés à deux reprises pendant 60 à 90 minutes par le chercheur, afin de réaliser des entrevues semi-structurées. Les questions d’entrevues ont été élaborées à partir du cadre d’analyse proposé par Linehan (1993), à propos du rôle de la résolution de problème dans la régulation des affects. Ces entrevues ont permis de discuter des changements perçus par les participants dans : 1) la situation stressante (« Peux-tu me parler de la situation qui t’a amené à consulter? »; 2) les affects associés à cette situation (« Comment te sentais-tu dans cette situation avant de consulter? »); 3) et les stratégies de résolution de problème que le participant estime avoir utilisées en lien avec la situation stressante (« Si tu compares entre aujourd’hui et la période précédant la consultation, qu’estimes-tu avoir fait de semblable ou de différent, par rapport à ta façon de gérer cette situation? »). Durant les entrevues, le chercheur demandait aux participants de comparer chaque élément en distinguant deux périodes, soit celle lors de laquelle débute la situation stressante jusqu’avant la consultation, et celle débutant par la consultation, pour s’étendre jusqu’à la réalisation d’au moins sept rencontres avec un professionnel de la relation d’aide. Les entrevues ont été enregistrées sur bande audio et transcrites. Un résumé écrit a ensuite été remis à chaque participant afin de valider la compréhension du chercheur et rectifier certaines perceptions au besoin.

Comme il s’agissait d’une étude rétrospective, les participants ont dû se rapporter à leurs souvenirs, ce qui peut poser certains problèmes comme l’oubli de certains éléments, l’exagération de certains faits, la relecture des événements pour les rendre plus cohérents, etc. (Elliott, 2010; Van de Maren, 1996). Dans la présente étude, ces problèmes sont de moindres importances, puisque la reconstitution des faits importe moins que leur perception actuelle. Ceci est cohérent avec le but d’une consultation visant à constituer une perception du réel, autorisant la réalisation de changements (Elkaïm, 1989). Au final, la méthode de collecte de données utilisée a permis de recueillir des témoignages suffisamment riches, pour bien comprendre chaque cas, et répondre aux questions de la recherche, tel que conseillé par Pires (1997).

Analyse des données

Les données ont été examinées suivant la méthode d’analyse thématique. Celle-ci consiste à repérer de façon systématique les thèmes présents dans l’ensemble des données, pour ensuite les classer et les regrouper en un tout signifiant (Paillé et Mucchielli, 2012). Avant de procéder à l’analyse thématique, le chercheur s’est familiarisé avec les données en effectuant lui-même, les entrevues et les transcriptions. Il a ensuite relu la problématique, ainsi que la question de recherche, pour guider le repérage des thèmes.

L’analyse thématique a premièrement consisté à codifier le corpus en identifiant les thèmes. Un thème représente un ensemble de faits ou une idée repérable dans une phrase ou un ensemble de phrases (Paillé et Mucchielli, 2012). La codification s’est centrée sur le repérage des thèmes, susceptibles d’éclairer la question de recherche, tout en restant ouverte aux thèmes émergents. Elle a été réalisée à l’aide du logiciel MAXQDA dans sa onzième version.

Deuxièmement, la validation des thèmes a été effectuée suivant les recommandations de Paillé et Mucchielli (2012). La construction des thèmes s’est faite progressivement en codifiant les unités de sens à l’aide d’inférences faibles ou moyennes, ce qui permet de préserver un rapport plutôt étroit entre les thèmes et les indices qui les décrivent. Les thèmes se sont précisés au fur et à mesure que des indices, apparentés ou distincts, apparaissaient. Certains thèmes ont été fusionnés, alors que d’autres ont été scindés. Le début de l’analyse thématique a été inductif en partant des données pour aller vers les thèmes. Le deuxième mouvement a été davantage déductif en allant des thèmes vers les données. Un troisième mouvement a consisté à comparer les thèmes et leur définition à ceux existant dans les écrits scientifiques, de façon à alimenter les réflexions du chercheur sur la désignation et la définition des thèmes. Le quatrième et dernier mouvement a impliqué un aller-retour constant entre les données, les thèmes et leur conception dans les écrits scientifiques, dans le but d’assurer une cohérence d’ensemble et un ancrage dans les données. La construction des thèmes a été complétée autour de la septième étude de cas, de sorte que les thèmes créés suffisaient presque entièrement à coder le nouveau matériel.

Troisièmement, une fois les thèmes repérés, le chercheur a procédé à leur analyse. Il a comparé les thèmes de façon à en identifier les récurrences, les ressemblances et les différences. Il a aussi examiné le sens de ces thèmes et de leurs liens, pour voir de quelle manière ils répondent à la question de recherche (Paillé et Mucchielli, 2012). Les changements identifiés par les participants ont été établis sur la base d’une différence de perception par rapport à un même objet comparé à deux temps différents, soit la période précédente et celle débutant avec la consultation. L’analyse a d’abord été effectuée pour chaque cas. Elle a amené le chercheur à rédiger un résumé des propos de chaque participant, en fonction des thèmes repérés. Le résumé de cas permet de situer un cas par rapport aux autres cas, sans perdre de vue les particularités de chacun (Miles et Huberman, 2003; Yin, 2009). Ensuite, l’analyse des thèmes a porté sur l’ensemble des cas. Le travail d’interprétation a alors consisté à rechercher une logique dans l’ensemble des données. Pour y parvenir, une analyse horizontale des données a permis de comparer les cas entre eux, de façon à identifier les ressemblances et les différences ainsi qu’à dégager les tendances (Stake, 2006).

La rigueur de l’analyse a été renforcée par différentes stratégies suggérées par Lietz et Zayas (2010), comme une collecte prolongée des données, la proximité dans le temps de la collecte et de l’analyse des données, le retour vers les participants avec le résumé de cas, pour valider une première analyse des données, la prise de notes à propos des procédures d’investigation, la prise en considération de l’influence du chercheur sur les témoignages des participants, et enfin, en demandant l’avis d’autres chercheurs, notamment pour valider la codification, les thèmes et les résumés de cas.

RÉSULTATS ET ANALYSE DES DONNÉES

La présentation des résultats se base sur l’ensemble des cas étudiés. Elle se décline en trois parties : 1) la résolution de problème avant la consultation; 2) la résolution de problème après un certain cheminement en consultation; 3) les impacts de la résolution de problème sur la situation stressante et les affects.

La résolution de problème avant la consultation

Tous les participants décrivent avoir utilisé, avant la consultation, des moyens inefficaces pour résoudre leurs problèmes tels d’éviter de faire face à la situation stressante, de l’endurer en silence, de tenter de se débrouiller seul, de répéter des stratégies infructueuses, de demander de l’aide en dernier recourt, etc. La plupart ont persisté dans ce type de moyens, jusqu’à s’en rendre malades : « Fa que là, j'ai décidé de prendre tout sur moi, de fermer ma gueule et de prendre mon truck de merde jusqu'à tant que ça déborde » (Merla). Même en étant conscient que cette stratégie les affectait, il leur apparaissait alors difficile de changer quelque chose comme l’expose Marc : « Parce que j'étais dans une situation où je n'étais pas bien, mais je faisais tout pour que ça continue ».

Ils expliquent cette difficulté à résoudre la situation stressante par : a) la non-acceptation de celle-ci, b) le sentiment d’être paralysé et incapable d’agir, c) l’incapacité de voir une solution à la situation stressante, c) la décision de tenter de contenir la situation stressante pour éviter qu’elle ne se détériore, d) la préservation d’une vision du problème comme insoluble, e) le fait de ne pas tenir compte de ces échecs, dans leurs nouvelles tentatives pour résoudre le problème. Ainsi, Luca raconte comment de penser, à tenter quelque chose de différent, active des peurs comme celle de faire pire : « C'est peut-être encore là de casser le moule, tsé, de casser la barrière mentale de ça, pis une fois franchie, peut-être que ça sera bien correct, mais à première vue, c'est anxiogène ».

De même, Komi affirme qu’il est difficile pour lui de changer quelque chose, que le changement demande un effort et qu’il faut être prêt à le faire :

Oui, ça commence à bouger. Mais ç’a été dur de faire ça. Je pense que c'est ça le plus dur à faire, de bouger, d'essayer de changer, d'être déterminé à changer. Je pense que c'est ça. Ça fait quand même des années que j'essaie de changer et je n'y arrive pas. Je me retrouve toujours comme j'étais et je ne voyais pas de changement depuis plusieurs années.

Selon Luca, changer une mauvaise habitude n’est pas simple. Même en étant conscient que certains comportements ne l’aidaient pas, il les répétait : « Tu te dis que tu ne le referas pu, pis tu le refais pareil parce que, tsé, c'est comme une impulsion un peu... »

En somme, avant la consultation, les participants rapportent que leur façon de composer avec la situation stressante en favorise le maintien, voire la détérioration. Même s’ils en sont conscients, ils continuent d’employer ces moyens inefficaces pour diverses raisons. Certains en sont venus à croire que la situation stressante est insoluble et que tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de l’endurer. L’évitement apparaît pour plusieurs, comme un moyen pour ne pas être confronté à une situation stressante.

La résolution de problème après un certain cheminement en consultation

Après un certain cheminement en consultation, soit au moins sept rencontres, la plupart des participants (12 sur 13) estiment avoir appris à utiliser plus efficacement la résolution de problème. L’analyse de leurs témoignages révèle sept caractéristiques de la résolution de problème efficace, soit la capacité à : a) accepter la situation stressante, b) réinterpréter la situation stressante, c) rechercher des solutions alternatives, d) prendre certaines décisions, e) expérimenter de nouvelles solutions, f) évaluer les résultats, g) ajuster ou reprendre le processus de résolution de problème.

a) Accepter la situation stressante et les affects associés. Plusieurs participants (4 sur 13) estiment qu’accepter la situation stressante conduit à « suivre le courant » et à « faire avec ». Accepter, exige de renoncer à obtenir quelque chose, à faire le deuil de certains espoirs et à prendre acte des changements survenus comme le raconte Navan : « Oui, il y a plus d'ouverture d'esprit de ma part, de comprendre plus, que le marcher change, pis que c'est à moi à m'adapter en restant dans le domaine ».

C’est encore, selon Paul, s’ouvrir à de nouvelles possibilités : « Fa que à ce moment-là, tu te rends compte que ça [cet emploi] ne marche pas et que t'es aussi bien de te r'virer de bord pis de faire autre chose ».

L’acceptation implique également d’avoir conscience des affects, de leur faire une place et d’y porter attention selon plusieurs participants (8 sur 13). Comme le souligne Martial, cela imprime un mouvement positif et énergisant : « De dire, non, oui, ça peut être stressant, ça peut faire vivre toutes sortes d'émotions, mais laisse-toi aller, donne ton mieux, arrête de vouloir bloquer ça. Ça me donnait plus d'adrénaline en changeant ça ».

Ainsi, l’acceptation n’est pas passive, mais entraîne un mouvement vers des solutions de l’avis de ces participants.

b) Réinterpréter la situation stressante. La plupart des participants (11 sur 13) ont mentionné qu’il est avantageux de dédramatiser et de mettre en perspective la situation stressante, afin d’en développer une vision plus réaliste.

J'essaie de porter une autre paire de lunettes, de ressentir ça autrement, de dire qu'il ne faut pas voir ça comme ou de ressentir ça, comme du dégoût, comme de rentrer travailler... J'essaie de relativiser et de voir les choses autrement

Martial

Cela leur permet de ne pas « amplifier les problèmes » ou de les voir « moins gros ». Ils estiment parvenir ainsi à dégager un espace mental pour réfléchir calmement à la situation stressante. C’est à ce moment qu’ils décrivent avoir pu relire la situation stressante d’une façon plus neutre et non comme une impasse. Il leur est alors possible d’identifier le pouvoir qu’ils ont face à cette situation, comme l’explique Éric en parlant de sa mère :

J'étais comme, sacrement que c'est ça? Parce que je n'ai pas le pouvoir sur elle. Si elle a une problématique, oui, je vais l'accompagner, mais je ne veux pas gérer sa vie, je ne peux pas gérer sa vie.

Les participants (13 sur 13) disent avoir compris que certains de leurs comportements alimentaient l’impasse. Ils ont commencé à voir autrement la situation stressante et la façon de composer avec celle-ci comme l’explique Marc.

J'étais capable de démêler la situation pis de ne plus me sentir obligé d'être celui qui fait avancer le bateau, pis qui voit en avant de lui les rochers, pis les vagues qui arrivent. Je reprenais mon rôle là

Marc

c) Rechercher des solutions alternatives. Selon la plupart des participants (11 sur 13), la nouvelle vision de la situation stressante exige de chercher des solutions différentes de celles tentées jusqu’ici. Ils réalisent que la répétition des mêmes solutions infructueuses alimente l’impasse dont ils veulent s’extirper. Ainsi, Paul explique s’être souvent obstiné avec des gestionnaires, ce qui aggravait la situation stressante et son état affectif. Il a alors songé à une manière d’éviter ce genre de conflit :

Fa que je lui racontais des histoires pour avoir la paix, pour me protéger. J'ai aussi appris à quand je sens la soupe chaude ou qu'elle s'en vienne vers moi, je la voyais venir et je m'accumulais un inventaire d'os. C'est une analogie, je prenais un os pis je lui tirais un os pour qu'elle le ronge, le gruge. Comme ça, elle me laissait tranquille.

Pour certains participants (4 sur 13), le processus de résolution de problème était bloqué par des attentes et des buts irréalistes. C’est seulement en reconnaissant et en acceptant de modifier leurs buts ou leurs attentes, que les participants disent être parvenus à débloquer leur processus de résolution de problème.

Je m'ouvre à d'autres choses et ça se peut que j'aille travailler dans un café. Je vois ça quand même bénéfique, parce que ça se peut que ça me fasse juste du bien, du gros bien que de voir du monde et de ne pas être devant un ordi à réfléchir

Marc

d) Prendre certaines décisions. La plupart des participants (11 sur 13) considèrent que la capacité à prendre des décisions importantes, à des moments clefs, leur a permis de faire progresser la situation stressante et d’améliorer leur état affectif. Par exemple, certains participants rapportent avoir arrêté de consommer de l’alcool ou avoir considérablement réduit cette consommation qui ne les aidait pas.

J'ai arrêté le lundi pis j'ai appelé au CLSC[2] pour qu'elle envoie le formulaire, pis j'avais une évaluation (au CRDQ[3]) le vendredi. Ça fa que j'ai arrêté juste avant. Mais ç’a été important cette rencontre-là au centre de la famille, parce que j'ai accepté d'aller au CRDQ, j'ai reconnu [mon problème avec l'alcool], j'ai accepté d'aller voir mon médecin pour des symptômes dépressifs

Willy

D’autres disent avoir décidé de racheter la maison après une rupture amoureuse ou encore de demander de l’aide, lorsque leur état affectif se détériorait et devenait intolérable. Certaines de ces décisions ont été prises sur un coup de tête, alors que d’autres, ont été mûries, comme pour Martial qui a consulté pendant plusieurs mois, en vue de réfléchir à un changement de profession, ce qu’il a finalement réalisé.

Ces décisions manifestent une reprise en main et les amènent à mieux s’occuper de leurs besoins. Ils expriment une fierté d’avoir pris ces décisions.

Pis là, j'ai décidé que je travaille trois jours par semaine, pis la paperasse une journée. Trois jours de ventes et une journée de paperasse. Des fois, c'est trois jours total, parce que je ne fais pas de vente, mais c'est du cas par cas. J'ai décidé que je prends comme une semi-retraite, de penser à moi vraiment, de faire des activités

Navan

e) Expérimenter de nouvelles solutions. Selon les propos des participants, certaines tentatives pour résoudre la situation stressante sont le fruit d’une réflexion bien mûrie, alors que d’autres sont plus instinctives. Par exemple, après une longue réflexion en consultation, Éric a référé sa mère à sa travailleuse sociale ou à sa soeur, pour ne plus être sa seule source d’aide. Du coup, il a appris à mettre une frontière entre lui et sa mère, tout en continuant à l’aider à certains moments.

Dans le sens que c'est difficile parce qu'elle vit beaucoup de choses, mais asteure qu'elle a un suivi, j'utilise le ricochet. Je lui dis : « Est-ce que tu en as parlé à ta travailleuse sociale de ça? »

Éric

Certaines solutions sont plutôt trouvées à la suite d’événements fortuits, comme le raconte Navan :

En lui référant un de mes clients, on est allé le faire. On était avec son épouse, pis il a complété les documents. C'est là que je me suis dit que ce n'était pas la fin du monde de compléter cette paperasse-là, mais qu'il fallait le faire. Ça m'a débloqué beaucoup.

Du point de vue de certains participants (11 sur 13), l’affirmation de soi, a aussi permis de changer leur façon de composer avec des situations dans lesquelles ils se disent émotionnellement inconfortables. Plutôt que de réprimer leurs émotions, de ruminer ou d’exploser de rage, ils considèrent avoir appris à dire non à certaines demandes, à refuser qu’on leur parle d’une manière désobligée, etc.

J'ai dit : « Bon, si je ne suis pas à l'aise avec sa relation de proximité, je vais le dire, pis sans faire de reproche. Après ça, je vais pouvoir avancer ». C'est ce que j'ai fait, pis c'est un gain, parce qu’avant, je n'étais pas capable de faire ça, [de] fixer les limites

Marc

f) Évaluer les résultats. L’évaluation des résultats consiste, selon les participants, à mesurer l’impact des solutions tentées sur la situation stressante et l’état affectif. Ces résultats sont évalués au fur et à mesure, de même que sur une longue période comme le démontre Sam :

Dans l'ensemble, j'ai eu une stratégie de patience. Et quand je parle à certaines personnes de leurs problèmes, je leur dis d'être patients : « C'est toi l'adulte, le père et qu'il te faut assurer une certaine harmonie, reste calme ». J'ai fait ça en grande partie et ç’a marché.

Les participants rapportent qu’à certaines occasions, des changements positifs surviennent rapidement, alors que dans d’autres cas, les solutions tentées aggravent la situation stressante ou l’état affectif. Entre les deux, plusieurs options sont possibles comme des changements positifs, mais jugés lents; l’absence de changement; des changements minimes. On comprend de leurs propos qu’une seule action règle rarement tout; généralement, plusieurs petits problèmes sont à résoudre (lesquelles composent la situation stressante) et impliquent autant de solutions à trouver. Ce faisant, le résultat d’une action doit être regardé tant en fonction du petit problème à résoudre que de l’ensemble de la situation stressante. Par exemple, certains participants (6 sur 13) ont rapporté avoir cessé de consommer de l’alcool durant la consultation. Ce problème une fois réglé, il leur restait encore à trouver de meilleurs moyens pour gérer leurs affects et pour résoudre la situation stressante. Cependant, leurs propos suggèrent que les premiers succès suscitent un espoir de s’en sortir et soulagent de certaines tensions liées à l’accumulation d’affects négatifs : « Ça m'aide à mieux me sentir de savoir que j'vais avoir la maison à moé » (Henry). Même si petit, ce pas est estimé être dans la bonne direction. Il est parfois nécessaire de répéter régulièrement ces solutions, soit pour en maintenir les effets, soit pour mieux les maîtriser. Dans cet extrait, Merla explique comment il apprend à s’affirmer davantage sans exploser :

Ça m'a appris à m'ouvrir, à parler, à dire ce que je pense, pas tout le temps de la bonne façon... Là, il me reste à apprendre à gérer ça. Ce n'est pas facile, pas facile, j'ai de la misère avec ça parce que des fois, quand ça sort, ça sort raide! C'est là où je veux continuer à travailler : c'est pour ça que je veux continuer à y aller au groupe.

Peu à peu, un sentiment de compétence, dans la capacité à composer avec certaines situations stressantes, se développe, selon les témoignages des participants.

g) Ajuster ou refaire le processus de résolution de problème. Durant cet apprentissage d’une résolution de problème efficace, les participants disent avoir appris par essais-erreurs, ce qui nécessite des ajustements réguliers de leur façon de faire.

J'ai essayé d'arrêter de me faire beaucoup de reproches. Même quand je me mettais à boire, même quand je ne travaillais pas. C'est essayer de me dire que je ne le fais pas, ce n'est pas grave, j'essaierai de le faire demain. J'essaie de le faire demain

Komi

Dans d’autres cas, lorsqu’il y a une rechute par exemple, plusieurs racontent (12 sur 13) avoir repris, en tout ou en partie, le processus de résolution de problème, pour mieux comprendre ce qui contribue à la dégradation de la situation et de l’état affectif. De cette façon, Paul a réalisé que bien manger ne suffisait pas, et qu’il lui fallait aussi apprendre à s’affirmer :

Bien là, j'étais complètement perdu, je n'étais plus moi-même. C'est une gestion répressive, tu n'as pas le droit de t'exprimer. Tu essaies de bien manger, d'être correct dans la vie, mais tout ce qu'ils font c'est de t'écraser, de te piler dessus. Fa qu'un moment donné, ça ne faisait plus là

Paul

Impacts de la résolution de problème sur la situation stressante et les affects

La résolution de problème inefficace a eu des impacts négatifs sur la situation stressante et les affects, aux dires des participants. Ces derniers estiment que l’utilisation inefficace de la résolution de problème a contribué au maintien de la situation stressante, qui s’est étirée sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Par exemple, Navan dit avoir été quatre ans à rager contre la personne qui l’avait mis dans ce pétrin, en plus d’avoir perdu le goût pour sa profession.

Les impacts de la résolution de problème inefficace sur les affects sont tout aussi négatifs selon les participants. La plupart (12 sur 13) ont relaté des symptômes fréquents et persistants comme l’anxiété, la déprime, la fatigue, l’irritabilité, la colère, la tristesse et la culpabilité. Plusieurs mentionnent également s’être isolés (5 sur 13) et avoir été en arrêt de travail (9 sur 13) pendant un certain temps.

Un moment donné, c'est venu me rejoindre dans les tripes plus que je ne l'aurais pensé. Ça ne marchait plus! J'étais tout le temps renfermé dans mon coin. Je ne parlais pas, ne disait pas un mot à personne et je ne voulais rien savoir. J'étais bien au travail, pis la coupure se faisait carrer : je m'assoyais dans l'auto, pis ça ne me disait même pas de m'en aller chez nous

Merla

Lorsque la résolution de problème est utilisée efficacement, tous les participants observent des améliorations, tant dans la situation stressante que dans leur état affectif. Par exemple, après avoir fait le bilan de ses 30 années de pratique, Navan décide de la poursuivre et de la faire de façon à avoir du plaisir. Il dit avoir ainsi retrouvé un certain plaisir au travail, en alternant entre des activités agréables et celles professionnelles : « Je me dis qu'il faut que j'aie du plaisir dans les sports, parce qu’après ça, j'en ai plus au travail, ça m'aide ». Aussi, plutôt que de voir la paperasse comme un fardeau, il se concentre davantage sur les côtés positifs : « Dans le fond, les lois ont du bien-fondé quand même, je commence à le comprendre plus. Je dis à mes clients que c'est dans le but de protéger tout le monde » (Navan).

La plupart des participants (11 sur 13) perçoivent aussi une diminution importante de l’intensité des affects négatifs (tristesse, déprime, détresse, colère, insatisfaction, peur, anxiété, culpabilité et dévalorisation). Ils leur paraissent moins fréquents, plus faciles à contrôler et durent moins longtemps, lorsqu’ils resurgissent. De plus, pour plusieurs d’entre eux (10 sur 13), des affects positifs (joie, plaisir, fierté, satisfaction et soulagement) commencent à émerger, souvent depuis quelques mois seulement, au moment des entrevues avec les participants.

Toutes les émotions positives, comme la joie, le bonheur, on dirait que ça faisait un bout que je ne ressentais plus ça au travail ou par rapport aux études. Mais là, je le sens et à chaque matin, c'est mon drive. Même si je suis un peu fatigué, ça me propulse, ce qui me donne l'énergie. Ce n'est pas comme avant de faire mon changement de carrière où c'était l'inertie, des émotions négatives qui étaient lourdes

Martial

DISCUSSION

Cette étude visait à mieux comprendre les changements dans l’utilisation de la résolution de problème et ses impacts à partir du point de vue d’hommes ayant consulté un professionnel de la relation d’aide. Les 13 études de cas réalisées ont permis d’alimenter cette question de recherche de plusieurs façons. Premièrement, tous les participants ont révélé qu’ils avaient tendance, avant de consulter, à utiliser des moyens inefficaces pour résoudre un problème comme l’évitement de la situation stressante, le fait d’endurer celle-ci en silence, de répéter des stratégies infructueuses, de se débrouiller seul, de demander de l’aide qu’en dernier recours, etc. Ces façons de composer avec la situation stressante ont eu pour effet, selon eux, de maintenir et parfois d’aggraver la situation stressante et l’état affectif. Ces résultats contrastent avec un courant dominant dans la littérature scientifique qui conçoit la résolution de problème comme une stratégie favorisant l’adaptation. Par exemple, dans une recension des études sur cette question, des chercheurs n’ont trouvé qu’une seule recherche ayant adopté le point de vue que la résolution de problème puisse être adaptée ou non sur les 25 repérées (Pena-Sarrionandia et al., 2015). Or, à la lumière de la présente étude, il apparaît primordial de considérer que la résolution de problème peut être utilisée plus ou moins efficacement. D’Zurilla et Nezu (2010) abondent dans le même sens, puisque le modèle qu’ils proposent distingue, d’une part, une résolution de problème efficace marquée par une conception positive de la situation, ainsi qu’une démarche rationnelle pour la solutionner, et d’autre part, une résolution de problème inefficace caractérisée par une vision négative de la situation, une façon impulsive d’y réagir et de l’évitement.

Deuxièmement, pendant la consultation, la plupart des participants (12 sur 13) jugent avoir appris à utiliser plus efficacement la résolution de problème. Selon leurs témoignages, la résolution de problème efficace comporte sept caractéristiques, soit la capacité à : a) accepter la situation stressante, b) réinterpréter la situation stressante, c) rechercher des solutions alternatives, d) prendre certaines décisions, e) expérimenter de nouvelles solutions, f) évaluer les résultats, g) ajuster ou reprendre le processus de résolution de problème. Ces caractéristiques de la résolution de problème efficace ont déjà été identifiées par d’autres chercheurs (D’Zurilla et Nezu, 2010; Gambrill, 2006; Lazarus et Folkman, 1984; Linehan, 1993). En comparaison avec le modèle de Linehan (1993), la présente étude comporte des ressemblances et des différences (voir Tableau 1). Parmi les ressemblances, on trouve les deux phases identifiées par Linehan ainsi que plusieurs stratégies comme l’interprétation, l’analyse préalable de solutions, etc. Les différences principales concernent l’absence de quatre stratégies décrites par Linehan dans l’étude actuelle, lesquelles sont précédées d’un astérisque dans le Tableau 1.

Une autre différence mérite d’être traitée plus amplement. Celle-ci est liée au fait que les participants ont très peu parlé d’un plan d’action et de son application, alors que Linehan (1993) accorde beaucoup d’importance à cette stratégie. Ils disent plutôt fonctionner dans le désordre, sans nécessairement prendre le temps de réfléchir aux solutions ou encore de les planifier. Ils affirment aussi prendre parfois des décisions importantes sur un coup de tête ou encore tenter de régler un problème par essais-erreurs, avec comme inconvénient, de souvent répéter les mêmes erreurs. Dès lors, on peut penser que l’évaluation des résultats et l’identification de solutions alternatives ne sont pas réalisées. Cela permet de mieux comprendre comment certains participants sont demeurés dans une situation stressante pendant des années. Dans cette optique, les données de cette recherche renforcent l’importance d’évaluer, en consultation, les résultats des tentatives de résolution de problème et de générer des solutions alternatives comme le suggère également Linehan (1993).

Par ailleurs, selon les participants (8 sur 13), l’acceptation joue un rôle fondamental dans l’amorce du processus de résolution de problème. L’acceptation, telle que vue par ces participants, rejoint en partie cette idée de D’Zurilla et Nezu, selon laquelle une attitude positive face à la situation stressante, a plus de chances d’aboutir à des solutions efficaces. Elle pourrait ouvrir la voie à la réinterprétation, comme l’ont noté certaines études (Watson, McMullen, Prosser et Bedard, 2011; Wolgast, Lundh et Viborg, 2011).

Tableau 1

Comparaison des caractéristiques de la résolution de problème

Comparaison des caractéristiques de la résolution de problème

-> Voir la liste des tableaux

Quant à la réinterprétation de la situation stressante, à la lumière de certains témoignages, celle-ci apparaît comme un précurseur de la résolution de problème. Cette réinterprétation rendrait possible la résolution ou, à tout le moins, l’atténuation de la situation stressante. Arditte et Joormann (2011) ont également émis cette hypothèse à la suite d’une étude longitudinale portant sur les stratégies utilisées par des personnes déprimées. Ainsi, en regard de la présente étude, on peut estimer que la réinterprétation a permis aux participants de modifier favorablement leur perception de la situation diminuant ainsi leur stress. De plus, la résolution de problème a facilité le dénouement concret de l’impasse liée à la situation stressante, ce qui rejoint encore l’hypothèse de la thérapie centrée sur la résolution de problème (D’Zurilla et Nezu, 2010).

Troisièmement, la plupart des participants (12 sur 13) associent, d’un côté, la résolution de problème inefficace au maintien, voire à la dégradation de la situation stressante et de l’état affectif. D’un autre côté, ils perçoivent la résolution de problème efficace comme étant davantage liée à l’amélioration de la situation stressante et de l’état affectif. Dans l’ensemble, ces résultats appuient les recherches affirmant l’apport positif de la résolution de problème (Aldao et al., 2010; Bell et D'Zurilla, 2009; Cuijpers et al., 2007; Fehlinger et al., 2013; Malouff et al., 2007; Neacsiu, Rizvi et Linehan, 2010) de même que l’idée selon laquelle elle peut bloquer le processus d’adaptation si elle n’est pas maîtrisée (Gambrill, 2006; Linehan, 1993).

Quatrièmement, les participants, 13 hommes, ont dans un premier temps éprouvé d’énormes difficultés à composer avec la situation stressante. Après un certain temps avec le soutien d’un professionnel de la relation d’aide, ils rapportent une utilisation efficace de la résolution de problème. Pour comprendre ce résultat, une première hypothèse serait que la résolution de problème ne pourrait être utilisée efficacement lorsqu’un stress élevé est éprouvé. Les individus seraient alors davantage portés à éviter la situation stressante, d’endurer celle-ci en silence et de répéter des stratégies infructueuses. À l’inverse, lorsque le stress diminue, les habiletés nécessaires à la résolution de problème efficace seraient progressivement réactivées. Le soutien d’un professionnel de la relation d’aide jouerait un rôle crucial dans cette transformation (D’Zurilla et Nezu, 2010). Une deuxième hypothèse voudrait que le fait d’endurer une situation stressante en silence, de se débrouiller seul malgré l’incapacité de s’en sortir, et de demander de l’aide, qu’en dernier recours, seraient des stratégies typiques des hommes éprouvant un conflit de rôle de genre. On peut penser que ces hommes, honteux devant ce qu’ils considèrent comme un échec, tenteraient de préserver un certain contrôle jusqu’à ce que le masque craque. À bout de souffle, ils se résigneraient à chercher d’autres solutions d’où le constat que ces hommes consultent lorsqu’ils sont en crise (Tremblay et Roy, 2017; Vogel et Heath, 2016). La demande d’aide que ces hommes effectuent les amènerait à assouplir leur vision de la masculinité, de même que le fait de parler de leurs émotions et d’exprimer leur impuissance face à la situation. Leur conception de la masculinité étant moins en contradiction avec certaines solutions, les possibilités de résoudre le problème s’en trouveraient augmentées (Oliffe et al., 2010). Ces hypothèses ont leurs limites, car l’absence de sujets de sexe féminin dans la présente étude ne permet pas de savoir, si des perceptions semblables se retrouvent chez les deux sexes et si le genre y joue un rôle distinct. Dans cette perspective, il serait pertinent de mener d’autres études, incluant les deux sexes, afin de vérifier si l’utilisation inefficace ou efficace de la résolution de problème diverge selon le sexe ou le genre, et implique d’ajuster les interventions.

Parmi les autres limites de cette étude, notons qu’elle a été réalisée avec un petit nombre de participants, qui ont eu une expérience positive en consultation, décrivant son apport ainsi que la pertinence d’y avoir abordé la résolution de problème. Il serait intéressant de conduire une étude semblable avec un échantillon plus diversifié, composé d’hommes et de femmes, qui n’ont pas discuté de la résolution de problème, ou qui n’ont pas perçu l’utilité de l’avoir fait. Un plus grand échantillon permettrait aussi de mieux comprendre les différences entre les participants, qui ont davantage exploité la résolution de problème à la suite de la consultation, et ceux qui l’ont moins fait. Se pourrait-il, par exemple, que la régulation des affects et l’adaptation puissent s'effectuer sans la résolution de problème dans certains cas? Il serait intéressant aussi, d’évaluer l’effet de l’empathie de l’intervenant sur la perception de la situation par le client. Le fait de partager sa détresse et de ne plus être seul avec celle-ci pourrait avoir un effet positif au-delà de la résolution de problème.