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Le 2 octobre 2018, le journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi, est entré au consulat saoudien à Istanbul et n’en est jamais ressorti. Khashoggi était en exil depuis plusieurs années en raison des opinions critiques qu’il avait envers le régime de son pays[1]. Après des pressions de sa famille et de la société civile, ainsi que des dénonciations par les procédures spéciales des Nations Unies, dont le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (WGEID)[2], les autorités du Royaume d’Arabie Saoudite ont finalement admis qu’il avait été exécuté, mais ont indiqué que l’opération avait été menée par des « rogue agents ». Alors que certaines personnes ont été rapidement condamnées par la justice saoudienne, beaucoup ont suggéré que ce résultat avait ciblé les mauvaises personnes et empêché de jeter la lumière sur les auteurs intellectuels de ce crime[3]. Il est encore plus préoccupant de rappeler qu’à ce jour, le sort ou le lieu où se trouve Jamal Khashoggi n’a pas encore été établi[4].

Alors que les disparitions forcées sont souvent perçues comme un outil utilisé par les anciens régimes répressifs latino-américains pour éliminer la dissidence politique, elles sont encore utilisées aujourd’hui aux quatre coins du globe dans divers objectifs et dans un large éventail de contextes[5].

Après avoir abordé rapidement le cadre normatif et institutionnel se rapportant aux disparitions, il est proposé de passer en revue les conceptions traditionnelles concernant cette violation odieuse des droits de la personne, et d’aborder ce que certains peuvent considérer comme de nouvelles formes de disparitions forcées. Il convient enfin de se demander si les disparitions forcées du passé et du présent partagent des caractéristiques similaires et comment cela devrait alimenter les débats contemporains sur la manière dont la communauté internationale se doit d’aborder le phénomène à l’avenir.

I. Les disparitions forcées et le Groupe de travail des Nations Unies

En droit international des droits de la personne, les disparitions forcées sont généralement comprises comme

l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi[6].

Le premier instrument à traiter spécifiquement des disparitions, la Déclaration pour la protection de toute personne contre les disparitions forcées[7] (Déclaration de 1992), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1992, prévoit les obligations des États relativement à la prévention, la sanction et la réparation de ce crime. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées[8] (Convention contre les disparitions forcées ou Convention internationale), adoptée en 2006, « reprend et, parfois, améliore et complète les principes établis dans la Déclaration, quant à la définition des disparitions, quant à leur incrimination sur le plan national et international, de même que quant à la prévention, la répression et la réparation des disparitions forcées »[9]. Ainsi, « [a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit […] ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée »[10]. Alors que la Convention contre les disparitions forcées ne s’applique qu’aux pays l’ayant ratifiée, la Déclaration de 1992 s’applique à tous les États.

En effet, il est généralement reconnu que les disparitions forcées sont aujourd’hui interdites par une norme de droit international coutumier[11], reconnue à titre de norme impérative de droit international[12] et qu’elles constituent un crime au sens du droit pénal international[13].

Une disparition forcée constitue une violation composite de plusieurs droits de la personne garantis par le droit international[14], dont le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le droit à un procès équitable, le droit aux garanties judiciaires, le droit à un recours effectif – y compris le droit à réparation et à indemnisation, le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et morale de la personne – y compris le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit de chacun à la reconnaissance de sa personnalité juridique, le droit à l’identité, de même que le droit à la vérité[15].

En 1980, la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies[16] créait le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires, aujourd’hui une procédure spéciale du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, chargée d’aider les familles des disparus à communiquer avec les autorités étatiques pour localiser ou établir le sort de ceux-là et assister les États dans la mise en oeuvre des obligations issues de la Déclaration de 1992[17].

Le Groupe est composé de cinq experts indépendants. Il siège trois fois par année, instruit des cas individuels - y compris suivant sa procédure urgente; il adopte également des allégations générales relatives à des problèmes de nature systémique portant sur la situation des disparitions forcées dans des États donnés, et peut aussi s’adresser aux gouvernements via des appels urgents ou des interventions rapides. Il accomplit environ deux visites de pays par année, après lesquelles il adopte des rapports portant sur la situation des disparitions forcées au pays et qui contiennent des recommandations destinées aux gouvernements. Le Groupe est, entre autres, régi par la Déclaration de 1992 et ses propres Méthodes de travail[18]. Rappelons qu’en vertu de son mandat humanitaire, le Groupe de Travail peut se pencher sur des allégations de disparitions commises par tous les États, puisque tous les États ont l’obligation coutumière de respecter la Déclaration[19].

II. Les obligations étatiques relatives à l’interdiction des disparitions forcées

En plus d’interdire aux États le recours aux disparitions forcées pour quelque motif que ce soit[20], le droit international oblige ceux-ci à adopter des mesures à la fois législatives, administratives, judiciaires ou autres relatives à la prévention et à l’élimination des disparitions forcées[21]. Ainsi, chaque État doit faire du concept de disparition forcée un crime autonome[22], doté d’une peine adaptée à la gravité du crime[23], régi par les règles relatives aux divers modes de participation criminelle[24].

De plus, les États doivent adopter des mesures permettant de garantir les droits des personnes privées de liberté, permettant d’enquêter et de localiser ces personnes[25]. Ainsi, chaque État doit assurer la détention des personnes dans des lieux officiellement reconnus, assurer que chaque capture, détention et libération soit dûment enregistrée[26] et menée que par des autorités habilitées pour ce faire[27]. Par ailleurs, tous les États doivent garantir le droit des proches de porter plainte et de demander une enquête en cas de disparition[28]. En effet, les autorités ont l’obligation d’enquêter sans délai sur toute disparition et de juger et sanctionner toute personne ayant pris part à ce crime[29].

Ainsi, les autorités compétentes pour ce faire doivent disposer des ressources, des pouvoirs et des mesures de protection appropriés[30]. Les États doivent juger ou extrader les personnes soupçonnées d’avoir commis le crime de disparition forcée[31]. Ces personnes doivent être jugées par des tribunaux ordinaires et ne peuvent atténuer leur responsabilité du fait d’ordres supérieurs ou bénéficier d’amnisties ou de mesures analogues[32]. Les règles relatives à la prescription doivent être appliquées en tenant compte du fait que ce crime est de nature continue tant que la victime n’a pas été localisée ou que le sort de celle-ci n’a pas été élucidé[33].

De plus, les États ne peuvent renvoyer des individus vers des pays où ils pourraient être assujettis à des disparitions forcées[34]. Par ailleurs, les États doivent adopter une série de mesures relatives aux enfants disparus ou aux enfants de personnes disparues[35].

Enfin,

[l]es victimes d’actes ayant entraîné une disparition forcée et leur famille doivent obtenir réparation et ont le droit d’être indemnisées de manière adéquate, notamment de disposer des moyens qui leur permettent de se réadapter de manière aussi complète que possible. En cas de décès de la victime du fait de sa disparition forcée, sa famille a également droit à indemnisation[36].

Ce droit ne se limite pas

au droit à une réparation pécuniaire, mais [comprend], entre autres, les soins de santé physique et mentale et les services de réadaptation en cas de préjudice corporel ou mental, ainsi qu’une réhabilitation juridique et sociale, des garanties de non-répétition, le rétablissement des libertés personnelles et d’autres mesures similaires de remise en état et de réparation susceptibles d’éliminer les conséquences de la disparition forcée[37].

En effet, la Convention internationale prévoit expressément que

[l]e droit d’obtenir réparation […] couvre les dommages matériels et moraux ainsi que, le cas échéant, d’autres formes de réparation telles que : a) la restitution; b) la réadaptation; c) la satisfaction, y compris le rétablissement de la dignité et de la réputation; d) des garanties de non-répétition[38].

Comme l’a établi la Cour interaméricaine des droits de l’homme à maintes reprises, les disparitions forcées constituent ainsi un ensemble de violations qui a des caractéristiques particulières. Elles ont entre autres comme effet de suspendre la jouissance des autres droits de la victime[39], plaçant celle-ci dans une situation sans défense, dans un no man’s land juridique[40]. Par ailleurs, les familles des personnes disparues sont aussi considérées comme des victimes au sens du droit international[41]. En effet, il est généralement reconnu que les disparitions forcées constituent une forme de torture[42], tant pour les personnes disparues que pour leurs proches. D’une pertinence toute particulière en ce qui a trait à la justice transitionnelle, rappelons que le crime de disparition forcée est un crime continu[43], auquel la prescription n’est applicable que de façon limitée, qui ne peut être jugé par des tribunaux militaires[44] et qui ne peut faire l’objet d’amnistie[45].

III. Les disparitions forcées : un phénomène latino-américain du passé?

Alors que les disparitions forcées ont des origines historiques plus anciennes, leur judiciarisation est généralement associée aux procès de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale, en particulier avec le procès du maréchal Keitel[46]. Le Tribunal a notamment traité de l’adoption et de la mise en oeuvre du Décret Nuit et Brouillard par le Haut Commandement allemand, qui exigeait la détention secrète des membres présumés de la résistance capturés dans les territoires occupés[47].

Cela dit, le crime est couramment associé à des exactions commises par des régimes autoritaires ou lors de conflits armés internes, souvent en application des politiques de contre-insurrection et de la doctrine de sécurité nationale qui ont caractérisé l’Amérique latine pendant les années les plus sombres de la guerre froide[48]. En effet, l’utilisation massive de cette pratique pour réprimer les opposants politiques a été bien documentée dans les guerres civiles guatémaltèques et plus tard salvadoriennes. Des cas similaires ont été signalés au cours des années qui ont suivi le coup d’État au Chili et en Argentine, ainsi que sous les régimes répressifs au Brésil, au Paraguay, en Uruguay, y compris dans le cadre d’un plan d’oppression régional plus large appelé l’Opération Condor[49].

En réponse, les victimes et leurs proches latino-américains, les organisations de la société civile, les organisations multilatérales, et plus tard les États, ont été très actifs localement et internationalement pour lutter contre ce phénomène. En effet, à la fin des années soixante-dix, les courageuses initiatives de plaidoyers menés par la Fédération latino-américaine des associations de proches de détenus-disparus (FEDAFEM) et les Grands-mères de la plaza de Mayo, par exemple, ont mené la Commission interaméricaine des droits de l’homme à aborder la question lors de missions, dans des rapports portant sur divers pays et dans le cadre d’affaires individuelles[50]. Elles ont également réussi à pousser les Nations Unies à créer le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires en 1980[51].

De même, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a adopté, en 1988, sa célèbre affaire Velásquez Rodríguez c Honduras[52], abordant de manière approfondie le concept juridique des disparitions forcées interdit par le droit international. En outre, les États membres de l’Organisation des États américains ont adopté, en 1994, la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes[53], le premier instrument contraignant en la matière, qui a évidemment beaucoup influencé l’élaboration de la Convention onusienne adoptée plus tard en 2006[54].

S’il est vrai que de nombreuses disparitions historiques emblématiques se sont produites en Amérique latine entre les années soixante et le milieu des années quatre-vingts, il convient de rappeler que la pratique a été largement utilisée dans d’autres régions et contextes. En effet, ce crime a été largement employé comme outil de répression contre des opposants politiques présumés en Union soviétique[55]. De même, dans le contexte colonial, l’Organisation de l’armée secrète, une unité spéciale des forces militaires françaises, a fait disparaître de force de nombreux militants anticoloniaux pendant la guerre d’indépendance algérienne[56].

Plus récemment, dans son rapport annuel 2021, le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires a indiqué que, depuis sa création en 1980, il a transmis un total de 59 212 cas à cent dix États différents[57]. S’il faut être très prudent avec ces chiffres, car ils ne représentent évidemment qu’une très petite partie du nombre réel de cas, on peut observer que des disparitions ont été officiellement documentées dans environ 57 % des États membres de l’ONU et que seules 23 % du nombre total d’affaires signalées par le Groupe de travail seraient imputables aux États d’Amérique latine[58].

En effet, les gouvernements ont utilisé les disparitions forcées pour réprimer l’opposition politique dans une multitude de contextes. Des cas emblématiques ont été documentés lors des « années de plomb » au Maroc des années soixante-dix et du début des années quatre-vingts[59], ainsi qu’au cours du tristement célèbre massacre des prisons de 1988 en Iran[60], par exemple. De même, un nombre important de disparitions ont eu lieu lors de conflits armés, notamment pendant la guerre à Chypre[61], la guerre en Iran-Irak[62] et la guerre en Ex-Yougolsavie[63], par exemple.

Lors de conflits armés non internationaux, un nombre important de cas ont également été documentés, comme dans la guerre civile libanaise[64] ou la guerre civile tchétchène[65]. Enfin, la pratique des disparitions forcées s’est répandue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le monde entier, et ce, bien avant le 11 septembre, comme en témoignent les cas largement rapportés lors des violences de masse perpétrées contre des terroristes communistes présumés en Indonésie et aux Philippines pendant la guerre froide[66] ou pendant la « décennie noire » de l’Algérie[67].

Comme l’a récemment indiqué le Groupe de travail des Nations Unies, « les disparitions forcées ne sont pas un crime du passé mais continuent d’être utilisées à travers le monde »[68] .

En effet, alors que le phénomène est encore très présent dans certaines régions d’Amérique latine, comme au Mexique, en Colombie ou au Salvador, par exemple, le crime est actuellement dénoncé quotidiennement dans toutes les régions du globe dans des contextes différents. En outre, les disparitions forcées contemporaines ont de nombreux visages. Au cours de son mandat de membre du Groupe de travail, l’auteur a été confronté à ce type de violation des droits de la personne dans différents contextes, notamment en tant que stratégie d’oppression politique, dans le cadre de conflits armés, dans le cadre de mesures antiterroristes - y compris lors de transferts transnationaux, ou dans le contexte des migrations.

IV. Les disparitions forcées comme outil de répression des opposants

En effet, les disparitions forcées font toujours partie des principaux outils de certains gouvernements pour faire taire l’opposition politique aujourd’hui. L’objectif principal du crime consistant à dissuader un grand nombre d’opposants, comme cela était expressément prévu dans le Décret nuit et brouillard du Haut Commandement nazi, est toujours présent dans les stratégies répressives contemporaines. Dans certaines circonstances, les disparitions forcées récentes ont été commises dans le cadre d’une attaque massive et systématique contre la population civile et pourraient très bien constituer des crimes contre l’humanité[69].

Par exemple, le WGEID a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation face au nombre de disparitions forcées qui auraient été commises contre des opposants présumés en République populaire démocratique de Corée. À cet égard, il a demandé au Conseil de sécurité d’envisager de renvoyer la situation de la Corée du Nord à la Cour pénale internationale en raison de l’ampleur des disparitions forcées dans le pays, comme l’ont également souligné les travaux de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée qui a révélé la nature des crimes contre l’humanité des disparitions forcées qui ont été commis et se poursuivent dans le pays[70].

Le WGEID est parvenu à des conclusions similaires concernant les violations généralisées et systématiques des droits de la personne, y compris les disparitions forcées, commises en Érythrée au cours des vingt-cinq dernières années. Encore une fois, il a approuvé l’appel lancé par la Commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en Érythrée pour que le Conseil de sécurité envisage de renvoyer la situation en Érythrée à la Cour pénale internationale[71].

Des préoccupations analogues ont été formulées par le WGEID concernant la situation au Soudan et les allégations d’augmentation du nombre de disparitions forcées de manifestants, de militants et membres de l’opposition commises dans le contexte des manifestations à grande échelle dans le pays[72].

Ce fut également le cas du nombre important de disparitions forcées commises lors des manifestations et troubles survenus lors des violences politiques qui ont eu lieu au Burundi entre 2015 et 2018, comme l’ont dénoncé le WGEID[73] et la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi[74], qui a conduit le procureur de la Cour pénale internationale à ouvrir une enquête sur la situation au Burundi, notamment sur les présumés crimes contre l’humanité de disparitions forcées[75].

De même, au Myanmar, le WGEID a réitéré sa préoccupation concernant les informations fiables faisant état de violations graves et systématiques des droits de la personne dans l’État de Rakhine, y compris des disparitions forcées, visant en particulier la minorité Rohingya[76]. Des conclusions similaires ont été formulées par la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar[77] qui, avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar et le WGEID, ont recommandé au Conseil de sécurité de déférer la situation au Myanmar à la Cour pénale internationale ou, à défaut, de créer un tribunal pénal international ad hoc[78].

En outre, le Groupe de travail a également dénoncé un nombre important de disparitions forcées commises dans le cadre de la répression politique dans certains pays, sans les qualifier de crimes contre l’humanité. Par exemple, il a documenté des disparitions forcées commises au Pakistan par des Rangers, des Frontier Corps et d’autres forces de sécurité ciblant des groupes d’opposition politique ou des minorités dans la région du Balouchistan, du Sind ou des régions pachtounes du Pakistan[79].

Des méthodes comparables de répression contre les groupes d’opposition politique ont également été signalées au Groupe de travail concernant l’utilisation fréquente de la disparition forcée au Bangladesh par le Rapid Action Batallion, par l’armée ou des groupes paramilitaires pour détenir et même exécuter des individus de manière extrajudiciaire[80].

V. Les disparitions forcées dans le contexte des conflits armés

De nombreuses disparitions contemporaines surviennent dans des contextes de conflits armés. Du moins, c’est le cas de la grande majorité des pays pour lesquels un nombre important de dossiers ont été traités par le WGEID[81] comme l’Algérie, l’Argentine, le Salvador, le Guatemala, l’Irak, le Pérou, le Sri Lanka, la Colombie et le Pakistan.

En effet, depuis 1980, le Groupe de travail s’occupe des disparitions forcées survenant dans les conflits armés non internationaux[82]. Ce faisant, elle n’a traditionnellement considéré que les allégations de disparitions commises par les forces étatiques, conformément à la définition du crime, et non les disparitions attribuées aux forces rebelles[83]. Ce n’est toutefois que depuis 2011 que le WGEID s’occupe des disparitions forcées survenues dans les conflits armés internationaux[84].

Alors qu’il a ensuite traité des disparitions dans une série de conflits, y compris ceux qui ont eu lieu dans l’ex-Yougoslavie[85] et en Tchétchénie[86], ainsi que pendant et après la dernière guerre en Irak[87], il a traité plus récemment de telles allégations dans le cadre des conflits au Sri Lanka, en Turquie, en Ukraine, en Libye, en Syrie et au Yémen.

En effet, après sa visite à Sri Lanka en 2015, le Groupe de travail s’est penché sur les disparitions forcées qui se sont produites pendant le conflit armé interne opposant les forces armées sri-lankaises et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE)[88]. Le WGEID a documenté un nombre important de disparitions survenues pendant ou après la reddition du LTTE en mai 2009. Il a également fait référence à des centres de détention clandestins et à des fosses communes dans des établissements militaires dans le nord-est du pays[89].

De même, dans son rapport relatif à sa visite de 2016 en Turquie, le Groupe de travail a également traité des disparitions dans différents contextes de conflits armés. Il s’est d’abord attaqué aux opérations militaires qui avaient été menées dans le sud-est du pays, opposant l’armée turque et les membres armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Il s’est référé, en particulier, à la prétendue disposition des corps lors des opérations de sécurité à Diyarbakir et à la façon dont cela empêche les familles d’identifier les disparus[90].

Il a également examiné la question des refoulements des migrants entrant à la frontière turco-syrienne et fuyant la guerre en Syrie[91]. Le WGEID a également saisi cette occasion pour indiquer comment la Turquie devrait remplir ses obligations concernant la recherche et l’identification des personnes disparues du conflit chypriote de 1974[92].

Après sa visite en Ukraine en 2018, le Groupe de travail a dénoncé l’existence de centres de détention clandestins ainsi que des cas de disparition forcée de diverses durées par des agences militaires et des forces de sécurité des deux côtés du conflit dans la région du Donbass. Il a également abordé les obstacles rencontrés par les familles et les victimes pour obtenir des informations et établir la vérité en raison du conflit, de la division du territoire et de l’accès difficile aux archives militaires. Le WGEID a adressé une série de recommandations aux autorités ukrainiennes, mais aussi à celles de la Fédération de Russie et des « République populaire de Donetsk » et « République populaire de Lougansk » autoproclamées, réitérant l’obligation des États d’enquêter et de poursuivre les cas de disparition forcée, par le biais de la justice civile, en tenant compte de la doctrine de la responsabilité du commandement, de l’inapplicabilité de la défense des ordres supérieurs et de l’interdiction des lois d’amnistie pour de tels crimes[93].

Outre ces rapports de visite, le Groupe de travail a également réitéré ses dénonciations des disparitions survenues en Libye par les forces militaires des deux côtés du conflit[94]. En 2019, après une attaque contre un centre de détention à Tripoli, il a exhorté la Libye à

rechercher et localiser les migrants disparus, en usant de tous les moyens dont il dispose, notamment des moyens d’investigations scientifiques, et à intégrer dans une base de données centralisée les informations ante-mortem pour permettre aux familles des victimes de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches[95].

Au Moyen-Orient, le WGEID a dénoncé les abus commis dans le cadre du conflit syrien[96], faisant notamment référence à des dizaines de milliers de disparitions signalées comme correspondant à des schémas spécifiques de capture par les autorités de l’État et des milices, de même qu’au recours à des installations de détention clandestines suivies d’exécutions massives[97]. Le Groupe de travail a également exhorté le Conseil de sécurité à envisager de renvoyer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale[98].

Concernant le conflit au Yémen, le WGEID a également dénoncé les disparitions forcées qui auraient été commises par des agents du gouvernement du Yémen, les autorités de facto, ainsi que par des agents des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite[99].

VI. Disparitions forcées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, y compris lors de transferts transnationaux

De nos jours, les disparitions forcées se produisent de plus en plus dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre ou de sécurité, en particulier celles liées à la lutte contre le terrorisme aux quatre coins du globe[100]. À ce sujet, la Convention internationale prévoit qu’« [a]ucune circonstance quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une menace de guerre, d’un état de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées »[101].

Il convient de rappeler que l’étude conjointe de 2010 sur les pratiques mondiales en matière de détention secrète dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, réalisée par le WGEID, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le Groupe de travail sur la détention arbitraire, a examiné cette réalité de manière très détaillée[102]. Plus récemment, le Groupe de travail a appelé de nombreux pays à mettre un terme à l’utilisation abusive de la lutte contre le terrorisme, y compris la persécution des militants de la société civile, des avocats, des journalistes et des défenseurs des droits de la personne, qui conduit souvent à leur disparition forcée.

Un cas emblématique est la disparition forcée par l’État du Pakistan du principal défenseur des droits de la personne et militant de la société civile Idris Khattak qui a été enlevé par des agents de sécurité en novembre 2019 et a été soumis à sept mois de disparition forcée. En juin 2020, les autorités ont reconnu qu’il était détenu, sans révéler son lieu de détention, et il est détenu au secret depuis lors. En décembre 2021, il a été condamné à quatorze ans d’emprisonnement à la suite d’un procès apparemment inéquitable devant un tribunal militaire au Pakistan. Le WGEID a indiqué que

la détention et la condamnation de Khattak s’inscrivent dans un schéma alarmant de réduction au silence des défenseurs des droits humains et des dirigeants de la société civile par l’abus systématique de la législation antiterroriste et de sécurité, l’intimidation, la détention secrète, la torture et la disparition forcée [notre traduction][103].

De même, le Groupe de travail a dénoncé les dispositions de la loi antiterroriste égyptienne comme allant au-delà de la portée nécessaire pour lutter contre le terrorisme et comme limitant l’espace civique et l’exercice des libertés fondamentales en Égypte. Le WGEID s’est dit préoccupé par la loi et les tribunaux de circuit du terrorisme, estimant que l’utilisation systématique de définitions du terrorisme trop larges et vagues qui ciblent les défenseurs est préjudiciable aux droits humains et ne respecte pas le droit international des droits de la personne, le droit international humanitaire et le droit des réfugiés[104].

Plus récemment, il a appelé à un moratoire immédiat sur l’application de la loi sri-lankaise sur la prévention du terrorisme (PTA), exhortant le gouvernement à revoir et à réviser la législation pour se conformer au droit international des droits de la personne, car cette loi est utilisée depuis des décennies pour permettre des actes arbitraires prolongés, des disparitions forcées, et la détention de suspects pendant des décennies sans inculpation[105].

En outre, dans son rapport annuel de 2021, le Groupe de travail a recommandé aux États de « [c]esser de justifier les disparitions forcées par la nécessité de protéger la sécurité nationale, de lutter contre le terrorisme et de s’attaquer à l’extrémisme »[106]. Il a ensuite traité de manière approfondie de la question des disparitions forcées dans le contexte des transferts transnationaux[107], dans une section spécifique de son rapport annuel. Ainsi, il a documenté de nombreux cas d’enlèvements extraterritoriaux et de retours forcés, y compris des expulsions, souvent entrepris dans des opérations d’infiltration en coopération entre deux ou plusieurs États, sous prétexte de lutter contre le terrorisme et de protéger la sécurité nationale.

Le WGEID a fait référence à une série de cas qui auraient impliqué de nombreux pays. Les cas les plus emblématiques ont concerné la capture d’individus soupçonnés d’appartenir au mouvement Hizmet/Gülen par les autorités turques, capturés depuis l’Afghanistan[108], l’Albanie[109], l’Azerbaïdjan[110], le Cambodge[111], le Gabon[112], le Kazakhstan[113], le Kenya[114], le Liban[115], la Malaisie[116], le Pakistan[117], le Panama[118] et l’Ouzbékistan[119], ainsi que du Kosovo[120], et envoyés en Turquie[121] pour faire face à des accusations liées au terrorisme. De même, d’autres cas ont été dénoncés en lien avec la capture de ressortissants chinois d’origine ouïghoure en Égypte[122], au Myanmar[123] et aux Émirats arabes unis[124] qui ont été envoyés en Chine où ils auraient été envoyés dans de prétendus camps de rééducation[125].

Selon l’étude, les États ont signé des accords bilatéraux de coopération en matière de sécurité, faisant souvent référence à des justifications larges et vagues liées à la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale. Dans de nombreux cas, les transferts semblent avoir eu lieu peu de temps après l’entrée en vigueur de ces accords de coopération. Conformément à cette étude, des listes d’individus sont diffusées et des opérations de surveillance sont menées, suivies de perquisitions domiciliaires souvent menées lors d’opérations clandestines.

Des personnes sont capturées sans mandat ni explication, transportées dans des véhicules banalisés et détenues pendant des périodes variables dans des centres de détention clandestins, sans contact avec des proches ou des représentants juridiques, et sont souvent confrontées à des interrogatoires et à la torture pour leur extorquer des aveux. Ils sont ensuite transférés vers un autre pays, souvent leur pays d’origine, en marge des procédures d’expulsion régulières[126] ou dans le cadre d’opérations extraterritoriales secrètes, y compris lors des fameuses « extraodinary renditions ».

Les services de renseignement civils ou militaires disposeraient d’aéronefs banalisés ou auraient recours à des vols commerciaux pour ces opérations. De nombreuses personnes enlevées auraient été inculpées à leur arrivée dans l’État hôte et placées en détention provisoire conformément à la législation antiterroriste et aux décrets d’urgence. Certains sont maintenus en détention secrète, y compris sous surveillance résidentielle[127].

Enfin, il convient de rappeler que certaines disparitions forcées peuvent être de nature transnationale, même en l’absence de consentement de l’État hôte ou de transfert transnational de la victime à proprement parler, comme ce fut le cas de la disparition tristement célèbre du journaliste Jamal Khashoggi, mené par l’Arabie saoudite au consulat saoudien à Istanbul[128].

VII. Disparitions forcées dans le contexte de la migration

Ces dernières années, de plus en plus de disparitions ont été documentées par la société civile dans le cadre de la « crise migratoire »[129]. Cela inclut, par exemple, le cas célèbre des migrants disparus à San Fernando, Tamaulipas, Mexique, en 2011[130] ou de ceux qui ont disparu en Méditerranée alors qu’ils tentaient de passer de la Tunisie à l’Italie[131] ou de la Turquie à la Grèce[132].

En 2017, le WGEID a achevé son rapport thématique sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations[133], après avoir lancé un appel à contributions et tenu des consultations avec des experts en la matière. Il a d’abord examiné comment les disparitions forcées peuvent être une cause de migration, par exemple lorsque des individus migrent pour échapper à des menaces de disparition forcée, soit en tant que proches de victimes qui ont déjà disparu, soit en tant que personnes harcelées en raison de leurs initiatives pour rechercher la vérité et la justice dans de tels contextes[134]. De même, les proches des migrants disparus peuvent également migrer vers le pays de transit ou de destination où la disparition se serait produite, afin d’y chercher plus directement la vérité et la justice, car le faire depuis leur pays d’origine peut être plus difficile, voire impossible[135].

Le rapport a abordé principalement le phénomène des disparitions forcées à la suite de l’enlèvement de migrants pour des raisons politiques ou autres, lorsque les victimes sont capturées par des agents de l’État d’origine sur le territoire de l’État de transit ou de destination, avec l’autorisation ou la complicité de ces derniers, ou lorsqu’ils sont capturés par des agents de l’État de transit ou de destination puis transférés aux autorités de l’État d’origine des victimes[136].

Ces opérations peuvent impliquer l’échange de renseignements entre les États concernés afin que les migrants « politiques » puissent être localisés sur le territoire de l’État d’accueil[137]. Ce type de situation concerne, par exemple, les ressortissants disparus de la République populaire démocratique de Corée qui avaient traversé la frontière chinoise, auraient été capturés par des autorités chinoises et rapatriés[138], dans certains cas où les deux États auraient échangé des informations à ce sujet[139].

Le WGEID a également indiqué que les migrants peuvent disparaître pendant la détention ou l’expulsion, en grande partie à cause du manque de transparence, du fait que les migrants sont souvent détenus dans des centres de détention non officiels avec peu ou pas de systèmes d’enregistrement, l’accès très limité des migrants au système de justice et de l’absence d’un mécanisme de surveillance indépendant pour ces détentions[140], comme cela a été documenté, par exemple, dans les centres de détention exploités conjointement par des agents étatiques et des acteurs non étatiques en Libye[141].

Il a également fait référence aux expulsions arbitraires de migrants qui sont renvoyés ou éloignés soit en dehors des procédures légales, soit conformément à des procédures judiciaires non conformes au droit international, en particulier au principe de non-refoulement ou à l’interdiction des expulsions collectives. De même, la pratique des refoulements peut mener à des disparitions forcées et contrevient à l’article 11 de la Déclaration de 1992[142] qui prévoit que « [t]oute personne privée de liberté doit être libérée dans des conditions qui permettent de vérifier avec certitude qu’elle a été effectivement relâchée et, en outre, qu’elle l’a été de telle manière que son intégrité physique et sa faculté d’exercer pleinement ses droits sont assurés »[143]. Rappelons par exemple que, dans son rapport sur sa visite en Turquie, le WGEID avait évoqué un nombre important de retours massifs de réfugiés syriens depuis la Turquie et le recours à la violence par les gardes-frontières pour empêcher les ressortissants syriens d’entrer en Turquie[144].

Les disparitions forcées de migrants peuvent également se produire aux mains d’agents de l’État qui agissent en tant que passeurs ou trafiquants, organisent la traite ou le trafic de migrants, facilitent la migration sans papiers, permettent des séjours, etc. Les acteurs étatiques peuvent également engager la responsabilité de l’État, par exemple lorsque le trafic ou la traite sont étroitement liés à la corruption ou à la collusion d’agents de l’État, ou se produisent avec leur autorisation, leur soutien ou leur acquiescement implicite ou explicite[145].

Les facteurs qui contribuent aux disparitions forcées de migrants seraient notamment le fait que les migrations se produisent souvent dans des contextes de conflits armés et de violence, le fait que les migrants sont souvent exposés à des défis socio-économiques plus importants, sont confrontés à la discrimination et à l’impunité, et font souvent l’objet de politiques migratoires et antiterroristes dures de l’État. En outre, très peu de données statistiques traitent des disparitions forcées de migrants, ce qui contribue à leur invisibilité[146].

VIII. Adapter les disparitions forcées aux nouvelles réalités ?

Dans son rapport annuel 2019, le Groupe de travail a indiqué que

[d]epuis plusieurs années, [il] reçoit des informations sur l’augmentation des cas d’enlèvements commis par des acteurs non étatiques, qui peuvent s’apparenter à des actes de disparition forcée. Compte tenu de son mandat humanitaire et du fait que les victimes de ces actes ne disposent d’aucun recours pour remédier à leur sort, le Groupe de travail a décidé de documenter les cas de disparitions forcées qui auraient été perpétrées par des acteurs non étatiques qui exercent un contrôle effectif et /ou des fonctions de type gouvernemental sur un territoire[147].

Cette nouvelle position, sur une question très délicate et controversée[148], est le résultat de longues consultations et discussions que le WGEID a tenues ces dernières années[149].

Alors que le Groupe de travail voulait aborder d’une manière ou d’une autre la question des disparitions commises par des acteurs non étatiques, il n’était manifestement pas prêt à modifier la définition juridique de cette forme très spécifique de violation des droits de la personne. Néanmoins, cette position médiane apparaît comme une bonne approche d’une réalité bien présente. Cette évolution peut en effet contribuer au mandat humanitaire du WGEID consistant à aider les proches à obtenir des informations sur le sort ou le lieu où se trouvent ceux-ci.

Cette pratique permettra également de conserver une trace officielle de ces cas de disparition, dans les registres des Nations Unies. Enfin, dans la mesure où les acteurs non étatiques deviennent, parfois plus tard, des agents de l’État, dans des contextes de transition (pensons au Népal, par exemple), cette nouvelle pratique aidera l’État dans son obligation de fournir aux proches les informations que d’anciens acteurs non étatiques devenus agents de l’État peuvent avoir quant à ces crimes.

Ce nouveau développement est récent et la pratique du WGEID est encore en plein essor : jusqu’à présent, le WGEID a documenté trente-six cas de ce type concernant l’armée nationale libyenne, la « République populaire de Donetsk » autoproclamée, les autorités de facto de Sana'a - Yémen et le Hamas[150]. Ce faisant, le Groupe de travail a rappelé qu’il agissait « conformément à son mandat humanitaire afin de combler une lacune de plus en plus importante dans la protection des personnes disparues et des membres de leur famille qui n’ont accès à aucune information sur le sort de leur proche et sur le lieu où il ou elle se trouve »[151].

En mettant en oeuvre cette pratique, le Groupe de travail souligne que les cas transmis aux acteurs non étatiques n’impliquent en aucune manière « l’expression d’une quelconque opinion concernant le statut juridique d’un territoire, ville ou région, ou de ses autorités »[152]. Il sera intéressant de voir comment le Groupe de travail abordera sur cette question à l’avenir et, éventuellement, reflétera cette nouvelle pratique dans ses Méthodes de travail[153].

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Bien que cette contribution ait tenté de démontrer que les disparitions forcées contemporaines se produisent dans le monde entier et dans divers contextes, notamment en tant que stratégie d’oppression politique, dans le contexte de conflits armés, dans le cadre de mesures antiterroristes ou lors de transferts transnationaux, ou dans un contexte migratoire, il faut bien sûr rappeler que des crimes similaires ont eu lieu dans l’Amérique latine des années soixante-dix et quatre-vingts[154].

En effet, des disparitions massives se sont produites pendant le conflit armé au Salvador et au Guatemala[155], par exemple. De même, les disparitions forcées survenues à la suite de la tristement célèbre Opération Condor[156] étaient également des cas de disparitions s’inscrivant dans une stratégie d’oppression politique sous prétexte de lutter contre le terrorisme, impliquant des transferts transnationaux dans le cadre de la migration des personnes enlevées[157].

Comme il l’avait fait en 2011 lorsqu’il avait décidé de modifier sa pratique traitant des cas de disparitions forcées survenant dans des conflits armés internationaux, le WGEID s’est à nouveau adapté aux réalités actuelles et a décidé, dans le cadre de son mandat humanitaire, de commencer à documenter les cas d’enlèvements commis par des acteurs non étatiques, qui peuvent s’apparenter à des actes de disparition forcée.

À mesure que le temps passe et que les disparitions forcées persistent au-delà des frontières, l’impunité perdure et les souffrances des proches aussi.

Aujourd’hui, l’interdiction de ce crime odieux est considérée comme une norme de jus cogens et les États ont une obligation erga omnes de le prévenir et de le sanctionner[158]. Cette obligation ne connaît aucune limite spatio-temporelle[159]. La communauté internationale doit continuer à soutenir les victimes de disparitions forcées, y compris les proches des personnes enlevées, qui, par leurs efforts courageux, sont sans relâche aux premières lignes d’un combat crucial pour la dignité humaine.