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Lors de l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, certains auteurs s’étaient questionnés sur la capacité du Mexique à respecter une certaine orthodoxie monétaire afin de ne pas dévaluer sa monnaie à des fins compétitives[1]. Cette inquiétude se nourrissait notamment de la pratique mexicaine postérieure à la Seconde Guerre mondiale[2]. Depuis, force est de constater que ces inquiétudes étaient infondées puisque ni le Mexique ni les deux autres États parties au Traité n’ont procédé à de telles manipulations monétaires.

Dès lors, les taux de change ne paraissaient pas être un enjeu de la renégociation forcée par le président Trump et lorsque le texte de l’ACÉUM fut publié, l’apparition d’un chapitre sur la monnaie fut une relative surprise, bien que l’influence des taux de change sur le commerce ait déjà été à l’agenda multilatéral[3].

Historiquement, l’encadrement de la monnaie fut confié au Fonds monétaire international (FMI). Ayant la stabilité monétaire comme axiome, le système monétaire international mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avait comme ambition de limiter très fortement les fluctuations monétaires par l’instauration d’un « code de conduite monétaire »[4]. Non seulement un système de taux de change fixes fut instauré, mais diverses interdictions, dont celle d’utiliser l’arme monétaire à des fins concurrentielles, furent introduites dans le traité. L’idée était d’user de l’outil juridique pour encadrer très fortement la marge de manoeuvre des États[5]. La volonté des rédacteurs était fondée sur la guerre des monnaies de l’entre-deux-guerres, qui « avait été une cause d’instabilité, généré un risque extra commercial, encouragé les manipulations, contribué à la dépression et exacerbé les tensions » [notre traduction][6]. En d’autres termes, l’effet de l’arme monétaire sur le commerce était bien connu. Toutefois, le raisonnement de l’époque ne visait pas à confier la gestion de la monnaie et du commerce à une seule et même institution, mais à mandater le trio Organisation internationale du commerce (OIC) — FMI — Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) de s’occuper de ces questions et coordonner leurs actions[7]. Or, la non-création de l’OIC empêcha cette idée de voir le jour.

Quelques années plus tard, en 1971, le système des taux de change fixes vola en éclats[8] avec l’annonce américaine de cesser la convertibilité du dollar en or. En effet, l’augmentation par sept des dollars en circulation par rapport à 1945 et la chute du stock d’or détenu par les États-Unis avaient rendu intenable la parité[9]. Entériné par le second amendement aux Statuts du Fonds monétaire international[10] (Statuts du FMI), le retour à un système de change flottant fut qualifié de recul de « la règle de droit »[11]. Impossible entre 1945 et 1971, le risque de manipulation monétaire, fléau de l’entre-deux-guerres, redevint envisageable du jour au lendemain.

Diverses accusations furent portées à l’encontre de certains États. Ainsi, la Suisse et l’Espagne furent pointées du doigt en 1982[12], l’Italie, le Portugal ou encore le Royaume-Uni subirent le même traitement[13], ou encore la Chine à intervalles réguliers[14]. Certains États jouent à ce point avec leur monnaie que la littérature scientifique n’hésite pas à dénoncer leur comportement. Ainsi, Dominique Carreau mentionne que « la Suisse, au début de l’année 2009, recourut à cette méthode en intervenant massivement sur le marché des changes afin de faire baisser le cours du franc par rapport à la monnaie européenne de façon à maintenir ses relations commerciales dans la zone euro »[15].

Malgré l’impact qu’une dévaluation peut avoir sur le commerce, jamais le FMI n’a formellement reconnu que l’un de ses membres recourrait à une telle pratique. D’un point de vue matériel, si les Statuts du Fonds prohibent la dévaluation compétitive à l’article I iii) et précisent, à la section I iii) de l’article IV, que chaque membre « évite de manipuler les taux de change […] afin de s’assurer des avantages compétitifs inéquitables », jamais ces derniers — ni les travaux préparatoires — ne donnent de balises quant à l’interprétation du terme. En outre, la pratique du consensus au sein des organes décisionnels du Fonds rend illusoire toute accusation à l’encontre d’un membre puisqu’il suffirait à son représentant de s’opposer pour annihiler toute prise de décision. Enfin, l’arsenal de sanctions très limité du Fonds rendrait la qualification purement symbolique.

Face à ce constat d’impuissance, certains auteurs ont tenté d’identifier d’autres options, notamment dans le cadre du système commercial multilatéral[16]. Or, le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’a pas été conçu pour répondre efficacement aux manipulations monétaires, et si des avenues sont envisageables, force est de constater qu’elles nécessiteraient d’être vérifiées par une contestation, notamment devant l’Organe de règlement des différends. Par ailleurs, les questions monétaires ne sont pas au centre de l’agenda actuel de négociation à l’OMC. Au niveau régional, hormis les expériences de monnaies uniques comme dans le cadre européen, rien ne paraît non plus adapté à un encadrement des dévaluations compétitives.

Pourtant, les manipulations de taux de change peuvent générer des déséquilibres importants et avoir, par ricochet, un effet commercial. En effet, si un État décide de faire perdre artificiellement de la valeur à sa devise, il va, de facto, rendre ses exportations plus attrayantes, car elles coûteront moins cher aux étrangers. Dans cette situation, il se pourrait que d’autres États soient tentés de réagir eux aussi en procédant de manière analogue. Cette situation a d’ailleurs prévalu entre les deux guerres mondiales, en particulier entre les États-Unis et l’Angleterre[17].

Face à l’inaction du FMI, l’idée d’encadrer de telles pratiques par le biais des accords commerciaux régionaux apparaît moins saugrenue que de prime abord, d’autant plus que le système commercial international est plus contraignant notamment grâce aux mécanismes de règlement des différends. Au surplus, le fait de présenter un tel chapitre sans qu’il soit un enjeu pour les négociateurs a pu faciliter son inclusion. Au contraire, il semble même que le Canada ne voyait pas non plus de telles dispositions d’un mauvais oeil, si l’on se fie aux déclarations antérieures du gouverneur de la Banque centrale du Canada[18].

Ainsi, l’avant-dernier chapitre de l’ACÉUM concerne, comme son titre l’indique, les politiques macroéconomiques et les questions relatives aux taux de change. Il n’y avait pas de dispositions équivalentes dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA); il s’agit donc d’un chapitre entièrement nouveau. L’ACÉUM est d’ailleurs le premier accord commercial à contenir un chapitre sur les politiques macroéconomiques et les questions relatives aux taux de change. Qu’est-ce qui a poussé les États parties à inclure un tel chapitre lors de la renégociation de l’ALÉNA?

Ainsi, le contenu du chapitre 33 de l’ACÉUM ressemble à certaines dispositions non contraignantes[19] figurant dans les Statuts du FMI, mais il se distingue en soumettant les exigences de transparence au mécanisme de règlement des différends de l’ensemble de l’Accord. Même si ce chapitre ne modifiera pas les politiques monétaires des parties, puisqu’elles se conforment déjà à toutes les obligations qu’il contient, l’inclusion d’un tel chapitre constitue en soi un pas en avant vers une meilleure réglementation des transactions monétaires internationales. Il semble donc que l’ACÉUM soit, notamment en raison de ce qu’il ne dit pas, un chapitre pouvant être repris dans certains accords (I) bien que son apport demeure modeste (II).

I. Les non-dits : le chapitre 33, un cheval de Troie pour les futurs accords ?

Lorsque l’ALÉNA a été initialement conclu en 1993, les politiques macroéconomiques et les questions relatives aux taux de change ne faisaient pas partie de l’ordre du jour des négociations, et aucun chapitre sur ces questions n’a donc été inclus dans l’accord final. Plus largement, si l’utilisation de la monnaie à des fins commerciales était bien connue depuis la guerre des monnaies de l’entre-deux-guerres, le début des années quatre-vingt-dix a vu la structuration du commerce s’effectuer de manière plus compartimentée avec la monnaie ou la finance. La question se pose alors de savoir pourquoi le Mexique, le Canada et surtout les États-Unis ont insisté pour intégrer un tel chapitre dans une version renouvelée de l’ALÉNA. Les États-Unis semblent en effet être le pays instigateur, ayant, dès 2017, comme objectif de négociation commerciale de « [t]hrough an appropriate mechanism, ensure that the NAFTA countries avoid manipulating exchange rates in order to prevent effective balance of payments adjustment or to gain an unfair competitive advantage »[20].

Les États-Unis avaient déjà tenté de lier les questions de politiques monétaires au commerce international lors de la négociation du Partenariat transpacifique, réussissant à faire annexer à l’Accord une déclaration conjointe des autorités de politique macroéconomique[21]. Toutefois, signe que les États-Unis étaient les véritables initiateurs d’une telle déclaration, celle-ci n’a pas été reprise par la suite dans l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, conclu après le retrait des ÉtatsUnis par le président Trump. L’ACÉUM est donc le premier accord de libreéchange connu à couvrir les politiques macroéconomiques et de taux de change[22].

A. Manipulations monétaires

Cet objectif de négociation de la part des États-Unis peut s’expliquer par les multiples manipulations monétaires qui ont eu lieu entre 2003 et 2013, où certains pays ont maintenu leur monnaie sous-évaluée pour gagner en compétitivité internationale et en excédents commerciaux. Au cours de cette décennie, les pays manufacturiers d’Asie, les exportateurs de pétrole et les centres financiers, comme la Suisse et Singapour, sont intervenus massivement sur les marchés des changes, la Chine étant le plus grand manipulateur[23]. Selon le Peterson Institute for International Economics, les États-Unis ont été les plus grands perdants, voyant leur déficit commercial augmenter de 200 à 500 milliards de dollars[24]. Sous le président Obama, lors du renouvellement de la Trade Promotion Authority (TPA) en 2015[25], deux objectifs de négociation commerciale liés à la monnaie ont donc été ajoutés[26]. Les onzième et douzième objectifs énoncent que les « parties to a trade agreement with the United States [shall] avoid manipulating exchange rates in order to prevent effective balance of payments adjustment or to gain an unfair competitive advantage over other parties to the agreement » et que les ÉtatsUnis

[will] seek to establish accountability through enforceable rules, transparency, reporting, monitoring, cooperative mechanisms, or other means to address exchange rate manipulation involving protracted large scale intervention in one direction in the exchange markets and a persistently undervalued foreign exchange rate to gain an unfair competitive advantage in trade over other parties to a trade agreement[27].

Cela explique en partie pourquoi les États-Unis ont été enclins à promouvoir les dispositions relatives aux devises dans les accords de libre-échange négociés après 2015, comme le Partenariat transpacifique et l’ACÉUM, mais aussi les accords commerciaux avec la Corée du Sud et la Chine[28].

B. Modèle pour les accords futurs

Outre leur objectif général de négociation commerciale inscrit dans la TPA et le fait que le FMI ne dispose pas des outils nécessaires pour empêcher les dévaluations compétitives, les États-Unis semblent avoir insisté pour un chapitre sur les politiques macroéconomiques afin de créer un modèle pour les futurs accords commerciaux. En effet, étant donné que les États-Unis, le Canada et le Mexique ont tous un régime de taux de change flottant et répondent déjà aux exigences de transparence édictées dans le chapitre, l’impact réel du chapitre sur les politiques et pratiques actuelles des trois pays est presque inexistant[29]. Dans sa déclaration de mise en oeuvre, le Canada mentionne d’ailleurs à propos du chapitre 33 que « la mise en oeuvre de ce chapitre n’exige aucune modification aux lois canadiennes »[30].

Le phénomène de la modélisation conventionnelle est de plus en plus répandu en droit économique international. Il peut être défini comme l’adoption d’un ensemble de dispositions, à titre indicatif, afin de fournir un cadre à une future négociation bilatérale[31]. Cette technique est particulièrement présente dans le domaine du droit des investissements avec les modèles de traités bilatéraux d’investissement (TBI). Les États-Unis ont élaboré leur premier modèle de TBI en 1981 en réponse à l’expansion du commerce international et à l’absence de protection internationale des investissements. Il a été utilisé lors de la négociation d’accords avec l’Égypte et le Panama, entre autres[32].

Depuis lors, le modèle de TBI des États-Unis a été révisé à plusieurs reprises, notamment en 2004 et en 2012[33]. L’une des raisons qui ont conduit à la révision de 2004 était la nécessité d’assurer la cohérence du modèle avec les accords de libreéchange récemment négociés, notamment l’ALÉNA, qui contient un chapitre sur l’investissement. Si le modèle d’accord bilatéral d’investissement est fréquemment utilisé par les États-Unis dans les négociations bilatérales, on constate aujourd’hui une tendance mondiale à utiliser également des modèles conventionnels. En effet, outre les pays développés comme le Canada, la France et les Pays-Bas, de nombreux pays comme le Maroc, le Brésil, la Colombie, l’Équateur, l’Inde et le Nigeria ont récemment adopté des modèles de traités bilatéraux d’investissement[34].

Le concept de modélisation conventionnelle a également été utilisé par les États-Unis dans les accords de libre-échange. Après l’impasse des négociations agricoles lors du Cycle d’Uruguay menant à la création de l’Organisation mondiale du commerce, les États-Unis ont conclu des accords de libre-échange bilatéraux avec Israël et le Canada, et plus tard avec le Mexique dans le cadre de l’ALÉNA. Pour certains, cette propension des États-Unis au régionalisme s’explique comme une stratégie visant à offrir un modèle de ce qui pourrait être négocié au plan multilatéral, notamment en ce qui concerne le commerce des services et les droits de propriété intellectuelle[35]. Après l’entrée en vigueur de l’ALÉNA en 1994, la négociation d’accords de libreéchange régionaux et bilatéraux est devenue l’un des moyens utilisés par l’administration Bush pour promouvoir la libéralisation du commerce, les États-Unis ayant de la difficulté à atteindre leurs objectifs au plan multilatéral[36]. L’approche de la « libéralisation compétitive » a alors été développée, la théorie sous-jacente étant que les efforts régionaux et bilatéraux dynamiseraient et orienteraient les négociations à l’OMC[37]. Afin d’atteindre cet objectif et d’imposer leur programme commercial dans le monde entier, les accords de libre-échange conclus par les États-Unis devaient être assez similaires, d’où les modèles d’accords de libre-échange[38].

Comme indiqué ci-dessus, si l’on considère que le chapitre 33 de l’ACÉUM a un impact limité sur les trois États parties en raison de leur taux de change flottant déjà existant et de leurs exigences en matière de transparence, il est raisonnable de supposer que ce chapitre servirait de modèle pour les futurs accords négociés par les États-Unis, notamment avec les pays figurant sur la liste de surveillance du Trésor américain des principaux partenaires commerciaux qui méritent une attention particulière à leurs pratiques monétaires, tels que le Japon, la Chine, la Corée du Sud et l’Allemagne[39]. Le chapitre 33 de l’ACÉUM a déjà été utilisé comme modèle dans la phase 1 de l’accord avec la Chine, qui avait été désignée comme un « manipulateur de devises » par le département du Trésor des États-Unis en 2019[40]. En effet, le chapitre 5 de l’accord avec la Chine, intitulé « Macroeconomic policies and exchange rate matters and transparency », est extrêmement similaire au chapitre 33 de l’ACÉUM, à l’exception de quelques différences mineures. Les parties s’engagent dans les dispositions générales « to refrain from competitive devaluations and the targeting of exchange rates for competitive purposes »[41]. Les engagements concernant les pratiques en matière de taux de change sont à peu de choses près identiques, à l’exception de l’obligation d’informer les autres parties lorsqu’une intervention a été effectuée, qui n’est présente que dans l’ACÉUM[42]. Les exigences de transparence sont également analogues dans les deux accords[43].

L’accord avec la Chine reste à ce jour le seul exemple d’utilisation du chapitre 33 de l’ACÉUM comme modèle, même si des contre-exemples existent puisque les accords avec la Corée et le Japon ne comportent pas de telle clause[44]. Lors de la négociation de l’accord avec la Corée, la question de la manipulation des devises a effectivement été abordée. Le représentant des États-Unis au commerce a même déclaré en 2018 que « an agreement is being finalized on robust provisions to prohibit competitive devaluation and exchange rate manipulation in order to promote a level playing field for trade and investment »[45]. Si l’accord final ne contient pas de telles dispositions, la Corée du Sud a commencé en mars 2019 à déclarer publiquement ses interventions sur le marché des changes[46].

À la lumière de la pratique de modélisation conventionnelle des États-Unis dans le passé et de son impact limité sur les États parties à l’ACÉUM, le chapitre 33 semble avoir été créé pour servir de modèle aux futures négociations des États-Unis, en particulier avec les pays susceptibles de manipuler leur monnaie à des fins de concurrence.

II. Les dits : entre un encadrement modeste et la transparence

Comme le décrit le gouvernement canadien, le chapitre 33 de l’ACÉUM

comprend des engagements non contraignants relatifs à la politique de change et à la poursuite du dialogue entre les Parties sur les politiques macroéconomiques et de change, ainsi que des engagements exécutoires visant à assurer un degré élevé de transparence et l’établissement de rapports publics sur certains facteurs qui sont susceptibles d’influer sur le cours des taux de change et d’autres questions macroéconomiques[47].

Les parties ont toutefois limité le champ d’application du chapitre en excluant « les activités de réglementation ou de surveillance, à la politique monétaire, à la politique de crédit connexe et les activités qui s’y rattachent, d’une autorité monétaire, budgétaire ou responsable des taux de change d’une Partie »[48], excluant ainsi les politiques monétaires mondiales. Cela était nécessaire pour que la Réserve fédérale américaine conserve une certaine souplesse dans la conduite de politiques monétaires expansionnistes pour stimuler l’économie si nécessaire[49].

Trois domaines couverts par le chapitre 33 de l’ACÉUM méritent une attention particulière : la définition de la dévaluation compétitive, les obligations liées à la manipulation des taux de change et les exigences de transparence.

A. Définition de la dévaluation compétitive

L’une des innovations du chapitre 33 de l’ACÉUM est la définition de la dévaluation compétitive. En effet, si la dévaluation compétitive entre naturellement dans le champ de compétence du FMI, ce dernier ne l’a jamais définie explicitement, n’a jamais qualifié officiellement une dévaluation de compétitive. Outre l’absence de définition dans les Statuts du FMI eux-mêmes[50], la mise en oeuvre d’un régime de « flottement généralisé de la monnaie »[51] en 1978 rend difficile la qualification d’une dévaluation de compétitive. Plus important encore, le système de prise de décision qui prévaut au FMI rend presque impossible cette qualification, pourtant cela donnerait au moins des indices sur ce qui constitue une telle manipulation monétaire[52].

Au FMI, le conseil d’administration est l’organe compétent pour traiter des manipulations monétaires[53], car il examine tous les aspects du travail du FMI, depuis les évaluations de la santé économique préparées chaque année par les services de l’institution pour tous les États membres jusqu’aux questions de politique économique qui concernent l’économie mondiale dans son ensemble[54]. La pratique du consensus comme méthode de prise de décision empêche toute qualification de dévaluation comme concurrentielle puisque la simple opposition du pays concerné invalidera la décision[55]. Même si un vote formel est demandé, la qualification d’une dévaluation comme compétitive serait à la merci des intérêts politiques en jeu. Par exemple, un pays comme la Chine, dont le pouvoir de vote au FMI atteint plus de 6 %[56], pourrait facilement mobiliser une opposition institutionnelle à une telle qualification[57].

Contrairement au FMI, le chapitre 33 de l’ACÉUM définit la dévaluation concurrentielle comme étant « les mesures entreprises par une autorité responsable des taux de change d’une Partie afin d’empêcher l’ajustement effectif des balances des paiements ou de s’assurer un avantage concurrentiel inéquitable sur le plan commercial vis-à-vis d’une autre Partie »[58]. Il s’agit d’un grand pas en avant, car il sera plus facile de qualifier une dévaluation de compétitive en analysant les buts poursuivis par les mesures prises par l’autorité de change selon des critères objectifs. Cette définition est intéressante, car elle objective la dévaluation compétitive. En effet, elle est basée sur la théorie des effets, c’est-à-dire que la manipulation doit générer un gain commercial indu, plutôt que sur l’intention lorsqu’il s’agit d’interpréter les Statuts du FMI.

B. Manipulation des taux de change et politiques macroéconomiques

Dans l’article 33.4 de l’ACÉUM, les parties confirment qu’elles sont liées par les Statuts du FMI afin d’éviter la manipulation des taux de change. L’article ajoute également des obligations, notamment celles d’établir et de maintenir des taux de change déterminés par le marché, de s’abstenir de toute dévaluation compétitive et de poursuivre des politiques macroéconomiques saines[59]. Ces engagements ressemblent toutefois aux « [o]bligations relatives aux régimes de change » contenues dans l’article IV des Statuts du FMI, et ne constituent donc pas en soi une innovation juridique à cet égard, d’autant plus que les obligations ne sont pas impératives[60]. Il est toutefois intéressant que l’article oblige les parties à s’informer mutuellement lorsqu’une intervention a été effectuée sur la monnaie d’une autre partie à l’accord.

C. Exigences de transparence

Les États-Unis, le Canada et le Mexique ont accepté de divulguer publiquement diverses données économiques, notamment les données mensuelles sur les réserves de change et les positions à terme, les interventions effectuées chaque mois dans le marché des changes au comptant et le marché des contrats de change à terme, les flux de capitaux de portefeuille trimestriels au titre de la balance des paiements, ainsi que les exportations et importations trimestrielles[61]. En outre, les parties ont convenu de la divulgation publique par le FMI de son rapport au titre de l’article IV sur leur pays respectif, ainsi que de la confirmation de la participation de chaque partie à la base de données du FMI sur la composition en devises des réserves de change[62].

Comme il a déjà été dit, ces exigences de transparence étaient déjà respectées par les États-Unis, le Canada et le Mexique avant l’entrée en vigueur de l’ACÉUM. L’innovation de ce chapitre tient au fait que ces dispositions relatives à la transparence sont soumises au mécanisme de règlement des différends de l’ensemble de l’accord, à condition qu’une partie ait manqué à ses obligations de manière récurrente ou soutenue et qu’elle n’ait pas remédié à la situation lors de consultations préalables entre les représentants des États parties[63]. Par conséquent, ces exigences de transparence sont pour la première fois exécutoires dans le cadre d’un accord international.

Bien que le chapitre 33 ait très probablement été inclus dans l’ACÉUM afin de servir de modèle aux futurs accords commerciaux pour garantir que les manipulations monétaires concurrentielles ne soient pas utilisées, il représente néanmoins une innovation importante dans le monde du commerce international[64]. Il démontre la volonté de certains États d’inclure de plus en plus de questions non commerciales dans les accords de libre-échange afin de bénéficier des mécanismes de règlement des différends qu’ils contiennent généralement. Il reste à voir quelle sera la mise en oeuvre de ce chapitre, si d’éventuelles violations d’obligations de transparence seront soumises au mécanisme de règlement des différends et, enfin, si ce texte sera effectivement reproduit dans les accords de libre-échange à venir. Dans tous les cas, il apparaît que si le souhait est de commercer sur la base de règles équitable, une meilleure prise en compte de l’externalité monétaire est souhaitable, car ni les États pris individuellement ni le système multilatéral tel qu’il existe actuellement[65] n’ont la capacité de répondre efficacement aux manipulations des changes.