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En soixante-dix années d’existence, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a à son actif des réalisations significatives en matière de santé internationale audelà des attentes de sécurité sanitaire, de gestion des besoins à l’origine de sa création. L’organisation a aussi essuyé plusieurs critiques autant à l’interne qu’à l’externe en raison notamment de sa lourdeur bureaucratique, son caractère plus normatif qu’opérationnel, son manque de réactivité face aux crises, sa gestion inefficace et inefficiente des ressources et du manque de participation politique, démocratique et citoyenne au sein de ses instances. Dans un contexte de mutations rapides, profondes et transfrontalières, caractérisé par une crise sanitaire qui a aujourd’hui un apogée, l’organisation en constante transition a de nouveau rendez-vous avec l’Histoire.

Cette contribution consacrée à ce « colosse aux pieds d’argile » porte un regard à la fois informatif et analytique sur les enjeux auxquels l’Organisation mondiale de la santé est confrontée. Après avoir rappelé les origines de l’OMS dans la première partie, nous présentons sa structure de gouvernance dans une seconde section. La troisième partie analyse le rôle normatif de l’organisation, tout en le replaçant dans le contexte actuel de la pandémie. La section qui suit, fait état du financement de l’OMS. Enfin, dans les deux dernières parties, les grandes réalisations et programmes stratégiques développés au cours des soixante-dix dernières années sont présentés, les défis auxquels l’OMS doit encore faire face sont abordés. En ce sens, si la crise actuelle de la COVID19 a imposé au monde entier l’urgence d’agir du local au global pour contenir la propagation de l’épidémie, elle offre aussi un momentum privilégié pour « repenser la gouvernance mondiale de la santé ».

I. Des origines de l’OMS

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Conférence des Nations Unies sur les organisations internationales s’est réunie à San Francisco en avril 1945 pour poser les fondations d’« un monde meilleur […] où tous les êtres humains pourront vivre une vie décente d’hommes libres »[1]. Parmi ces bases, la création d’une nouvelle organisation internationale de la santé a été votée.

Des experts venant de seize pays et des représentants des institutions existantes (Bureau sanitaire panaméricain, Office International d’Hygiène Publique (OIHP), Organisation d’hygiène de la Société des Nations (OH-SDN), Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (UNRRA)) ont été mandatés par le Conseil économique et social de l’ONU pour mener des travaux au sein d’une commission technique préparatoire. Cette commission a planché sur les enjeux et préoccupations soulevés par la création de cette nouvelle organisation entre autres, l’impact des nouveaux arrangements sur le bien-fondé des organisations régionales existantes, le choix du siège de l’organisation pour lui garantir une pleine autonomie politique, l’absorption de l’OIHP par l’OMS, la question de la représentation des pays non membres, etc.

Un an plus tard au terme de débats juridiques et de négociations, la Conférence internationale sur la santé réunit à New York le 19 juin 1946, approuva la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (Constitution de l’OMS)[2].

Ainsi créée, l’OMS, institution internationale spécialisée du système des Nations Unies, s’est donnée pour objectif ambitieux d’amener « tous les peuples du monde au niveau de santé le plus élevé possible ». En effet, le préambule de la Constitution de l’OMS adoptée par la Conférence internationale de la Santé tenue à l’été 1946 et entrée en vigueur le 7 avril 1948 définit la santé comme : « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » ; reconnaît qu’il s’agit d’un droit humain fondamental. Il précise également que « la santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité : elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États »[3].

En 1948, la Constitution de l’OMS a obtenu suffisamment de signatures pour entrer en vigueur. Ce texte marque le passage d’une santé internationale exclusivement centrée sur la prévention de la propagation des maladies infectieuses à des problématiques plus élargies de santé publique globale[4]. L’Organisation panaméricaine de la santé devient alors l’une des six organisations régionales de l’OMS. La Première Assemblée mondiale de la Santé s’est réunie à Genève à l’été 1948 et a établi les priorités pour l’organisation. À cette époque, le budget de l’OMS était estimé à 5 millions de dollars américains.

Il faut rappeler que l’avènement de l’OMS est intervenu à la suite de plusieurs conférences et conventions sanitaires à partir de 1851, d’une organisation régionale solide (le Bureau panaméricain de la santé crée en 1902) et de trois organisations sanitaires internationales (l’Office international d’Hygiène publique instauré en 1907, l’Organisation d’hygiène de la Société des Nations en 1923 et de l’Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction ou UNRRA en 1943) (Tableau 1). Ces instances ont coexisté et ont agi en faveur de la protection des populations surtout européennes contre les épidémies telles que le choléra, la fièvre jaune et la peste à travers les mesures de quarantaine, mais également pour favoriser l’expansion des échanges commerciaux grâce au développement du transport maritime notamment. Cette coopération internationale a deux visages – santé publique et commerce international – a souvent abouti à des décisions contradictoires des États représentés par des médecins et diplomates.

Tableau 1

Évolution des conférences sanitaires internationales

Évolution des conférences sanitaires internationales

Tableau 1 (suite)

Évolution des conférences sanitaires internationales
Source : Traduit de Charles Clift, The role of the World Health Organization in the International System, Centre on Global Health Security Working Group Papers, Londres, Chatam House, 2013

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Pour parvenir à son but, la nouvelle organisation est appelée à exercer 22 fonctions dont la première consiste à « agir en tant qu’autorité directrice et coordonnatrice, dans le domaine de la santé, des travaux ayant un caractère international »[5]. Elle a également conservé certaines activités héritées des anciennes organisations sanitaires telles que le service d’information épidémiologique ; l’application et la révision des conventions sanitaires existantes ; le contrôle des produits pharmaceutiques ; la classification des causes de décès et de maladie ; la lutte contre la malaria, la tuberculose et les maladies vénériennes ; la formation de personnel sanitaire et l’amélioration des systèmes nationaux de santé[6].

L’une des particularités de l’organisation est la mise en place au départ de cinq bureaux régionaux autonomes en Asie du Sud-Est, Europe, le Pacifique occidental, la Méditerranée orientale et les Amériques et l’Afrique. Ces régions regroupent des pays ayant une proximité géographique et partageant un profil épidémiologique similaire. La régionalisation de l’OMS est le résultat d’une résistance du Bureau sanitaire panaméricain (BSP), secrétariat et l’organe directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) créée en 1902 et qui craignait de perdre son identité et son autonomie dans une fusion avec l’OMS. Dans un accord conclut en 1949 avec l’OMS, le BSP accepta d’oeuvrer à la fois comme bureau régional et agence spécialisée de l’Organisation des États d’Amérique[7]. Par ailleurs, la régionalisation a connu plusieurs configurations en raison des antagonismes politiques en contexte de guerre froide de l’impérialisme européen dont les acteurs souhaitaient maintenir un contrôle sur leurs colonies en Afrique notamment. Le Bureau régional de l’Afrique a été le dernier à être créé au début des années 50 et le nombre d’États membres a progressivement augmenté avec la vague décolonisation amorcée une décennie plus tard.

II. La structure de gouvernance de l’OMS

La structure de gouvernance de l’OMS est composée l’Assemblée mondiale de la Santé, organe décisionnel suprême, appuyé par un Conseil exécutif, responsable de la mise en oeuvre des décisions de l’Assemblée. Le Secrétariat enfin est nommé par l’Assemblée mondiale de la Santé sur proposition du Conseil exécutif, et dirigé par le Directeur général.

À ce jour, l’OMS compte 194 États membres[8] qui ont élu lors de la SoixanteDixième Assemblée mondiale de la Santé en mai 2017 le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus Directeur général de l’OMS pour un mandat de 5 ans. Le nouveau Directeur est « la première personne de la région africaine à remplir les fonctions de chef des services techniques et administratifs de l’Organisation ». Le siège central de l’Organisation est à Genève (Suisse), les sièges des organisations régionales sont situés à Alexandrie (Égypte), Brazzaville (Congo), Copenhague (Danemark), Manille (Philippines), New Delhi (Inde) et Washington, D.C (USA)[9].

L’Assemblée de la santé de l’OMS est composée de délégués représentant les États membres. Chaque État membre a droit à un vote[10]. Tous les pays membres des Nations Unies peuvent devenir membres de l’OMS dès lors qu’ils en acceptant la Constitution. D’autres pays peuvent être admis, s’ils en font la demande et que celle-ci est approuvée par vote de l’Assemblée mondiale de la Santé à la majorité simple. La Constitution de l’OMS souligne par ailleurs que « les territoires n’ayant pas la responsabilité de la conduite de leurs relations internationales peuvent être admis comme membres associés sur demande présentée en leur nom par le membre ou l’autorité chargée de la conduite de leurs relations internationales »[11].

L’Assemblée est responsable de l’orientation de la politique de l’Organisation. Elle conseille les États membres en matière de politiques de santé, contrôle la politique financière de l’Organisation, examine et approuve son budget. Il lui revient également d’étudier des recommandations ayant trait à la santé, émanant de l’Assemblée générale, du Conseil économique et social et des Conseils de Sécurité ou de Tutelle des Nations Unies. Grâce au personnel de l’Organisation, ou en créant des institutions qui lui seront propres, ou en coopérant avec des institutions officielles ou non officielles de chaque État membre, elle encourage ou dirige les recherches conduites dans le domaine de la santé.

Le Conseil exécutif est composé de trente-quatre personnes, désignées par autant d’États membres. L’Assemblée de la Santé choisit les États appelés à désigner un délégué au Conseil en tenant compte d’une répartition géographique équitable. Au moins trois de ces membres doivent être élus parmi chacune des organisations régionales. Le Conseil inclut également des représentants des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie). Il existe une certaine zone grise quant à l’indépendance des membres du Conseil exécutif par rapport à leur gouvernement[12]. La Constitution de l’OMS les considère comme des personnes (et non pas des États membres) et stipule que « le Conseil exerce, au nom de l’Assemblée de la Santé tout entière, les pouvoirs qui lui sont délégués par cet organisme »[13].

Le Conseil se réunit au moins deux fois par an ; la réunion principale se tient habituellement en janvier et une deuxième réunion plus courte a lieu en mai, immédiatement après l’Assemblée de la Santé. Les fonctions principales du Conseil consistent à appliquer les décisions et les directives de l’Assemblée de la Santé ; à agir comme organe exécutif de l’Assemblée de la Santé en exerçant toute autre fonction confiée par l’Assemblée de la Santé. Il est aussi chargé de préparer les ordres du jour des sessions de l’Assemblée de la Santé et de soumettre à l’Assemblée de la Santé un programme général de travail s’étendant sur une période déterminée pour examen et approbation. Les membres du Conseil sont élus pour trois ans et sont rééligibles[14].

Le Secrétariat est l’organe permanent de l’Organisation, assure la cohérence de l’action sanitaire des États membres. Il comprend le Directeur général nommé par l’Assemblée de la Santé, sur proposition du Conseil et suivant les conditions que l’Assemblée de la Santé pourra fixer. Le Directeur général, placé sous l’autorité du Conseil, est le plus haut fonctionnaire technique et administratif de l’Organisation. Il maintient d’étroites relations avec les organisations internationales dont les activités relèvent de la compétence de l’Organisation[15]. La Constitution lui confie la tâche de préparer les prévisions budgétaires et les rapports financiers de l’Organisation[16] qui sont ensuite soumis au Conseil qui les examine et les transmet, avec les recommandations à l’Assemblée[17]. Par ailleurs, le Directeur général est autorisé à nommer son personnel, conformément au règlement approuvé par l’Assemblée de la Santé[18]. La Constitution de l’OMS interdit aux membres du personnel de solliciter ou de recevoir des instructions des gouvernements ou d’autres autorités étrangères à l’Organisation. De même, les États membres doivent aussi respecter le caractère exclusivement international du Directeur général et du personnel et ne doivent pas l’influencer[19].

III. Le rôle normatif de l’OMS

L’OMS se positionne comme une institution normative dotée d’importants pouvoirs malgré les tensions institutionnelles qui peuvent entraver l’exercice de son leadership dans l’amélioration de la santé mondiale[20]. L’article 2 de sa Constitution stipule d’ailleurs que l’une de ses fonctions consiste à « proposer des conventions, accords et règlements, faire des recommandations concernant les questions internationales de santé et exécuter telles tâches pouvant être assignées de ce fait à l’Organisation et répondant à son but ». Cette compétence normative élargie lui permet notamment d’élaborer des normes au contenu très divers et varié ainsi que des instruments de santé non contraignants et contraignants pour atteindre son but ultime[21].

Pour autant, certains auteurs constatent que cette autorité normative se traduit soit par des « recommandations » aux États membres[22], autorisées par la Constitution, soit par des actions plus informelles de l’Assemblée, du Conseil d’administration et/ou du Secrétariat. Il s’agit davantage de l’exercice d’un pouvoir d’influence ou de persuasion (soft power) que d’une réelle autorité contraignante[23].

Bien que l’OMS exerce rarement un pouvoir normatif contraignant, elle réussit toutefois, à faire adopter la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac en 2003 malgré des pressions politiques et économiques fortes. De plus, elle a également oeuvré pour l’adoption du Règlement Sanitaire international (RSI) visant à prévenir la propagation des maladies infectieuses (choléra, peste, fièvre jaune et variole) par 196 pays, dont les États membres signataires. Ceux-ci s’engagent à collaborer au profit de la sécurité sanitaire mondiale tout en renforçant leurs capacités en matière de détection, d’évaluation et de notification des événements de santé publique[24]. Cet instrument juridique obligatoire a plusieurs fois été révisé en 1951, 1969, 1973 et 1981. En 1995, un projet de révision est alors lancé en vue de combler le vide juridique relatif aux autres maladies émergentes d’une part et de l’autre de proposer des mécanismes de collaboration et d’incitation forte pour les États qui ne s’y conformaient pas. Ce n’est qu’en 2005 que l’actuel RSI a été adopté. Cette accélération dans le processus d’adoption s’explique notamment par l’apparition dès 2003 de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

En 2015, lors de l’épidémie de maladie à virus Ebola, le Directeur général convoqua pour la première fois, la réunion du Comité d’urgence au titre du RSI. Ce comité, composé d’experts internationaux ayant une expérience pratique en matière de santé publique, de sécurité, de droit et de commerce, est chargé de donner des avis techniques au Directeur général de l’OMS dans le contexte d’une « urgence de santé publique de portée internationale ». Il revient au comité de déterminer si un événement sanitaire peut être qualifié en urgence de santé publique de portée internationale ; de proposer aux pays des recommandations temporaires visant à prévenir ou limiter la propagation internationale de la maladie et à éviter les entraves au commerce et aux voyages internationaux et enfin, de déclarer la fin d’une urgence de santé publique de portée internationale.

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, le comité d’urgence s’est plusieurs fois réuni et a notamment recommandé à l’OMS de poursuivre sa collaboration avec les pays et les partenaires pour permettre les déplacements essentiels nécessaires en vue de la riposte à la pandémie, de l’action humanitaire, des rapatriements et de l’acheminement des marchandises ; a conseillé aux pays de mettre en oeuvre des mesures coordonnées et fondées sur des données probantes pour assurer la sécurité des voyages et de communiquer à l’OMS les expériences et les meilleures pratiques observées. Elle a plus récemment, souligné la nécessité d’un accès équitable aux vaccins par l’intermédiaire du mécanisme COVAX[25] et encouragé les fabricants de vaccins à fournir rapidement à l’OMS des données sur l’innocuité et l’efficacité de leurs produits afin que ceux-ci puissent recevoir une autorisation d’utilisation d’urgence[26].

Malgré l’obligation pour les États de déclarer tout événement « pouvant constituer une urgence de santé publique de portée internationale », la question épineuse des sanctions exécutoires fait toujours l’objet de débats. Certains, comme le Dr David Nabarro, Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’action climatique, considèrent que la puissance juridique du RSI (et normative de l’OMS) ne peut s’exprimer que dans le cadre des attributions que lui confèrent les États membres[27]. D’autres en revanche (par exemple : Pr. Gian Luca Burci), estiment que l’absence de sanctions exécutoires ne remet pas en cause le caractère contraignant du RSI[28]. Au final, l’article 4.3 du RSI 2005 dispose que les États ont « le droit souverain de légiférer et de promulguer la législation en vue de la mise en oeuvre de leurs politiques en matière de santé »[29] et l’on peut observer son application binaire en temps de COVID, entre les défenseurs d’une approche multilatérale et globale de la santé publique et les partisans du souverainisme et du protectionnisme étatique qui remettent en cause le leadership de l’OMS.

La pandémie actuelle redistribue donc les cartes de la gouvernance sanitaire et constitue une occasion pour les États y compris l’ensemble des (nouveaux) acteurs de l’écosystème international de faire évoluer la sécurité sanitaire vers un « nouveau multilatéralisme ».

IV. Le financement de l’OMS[30]

Le budget de l’OMS est alimenté par les contributions d’États membres et d’organisations privées pour financer son plan de travail. Selon le récent rapport de l’OMS sur les résultats de l’organisation[31], l’Assemblée de la Santé a approuvé en mai 2015, un budget d’un montant de US$4,385 milliards pour l’exercice 2016-2017. En mai 2016, elle a décidé d’augmenter le budget à US $4,545 milliards (dont 50 % sont alloués aux bureaux de pays), fournissant US $160 millions supplémentaires pour le Programme de gestion des situations d’urgence sanitaire. Les programmes de base représentent 74 % du budget programme approuvé, soit US $3,354 milliards. Le reste des fonds du budget programme est consacré à la poliomyélite, aux interventions en cas d’épidémie ou de crise et aux programmes spéciaux (Figure 1). La totalité des fonds disponibles pour 2016-2017 s’élevait à US $5,059 milliards, dont US $2,923 milliards pour les programmes de base, représentant 87 % du budget des programmes de base. Quant aux dépenses totales du budget programme, elles s’élevaient au total à US $4,572 milliards en 2016-2017 contre US $4,357 milliards (en 2014-2015), soit une augmentation de 4 %. En 2016-2017, les programmes de base représentaient 59 % des dépenses (61 % en 2014-2015), tandis que la poliomyélite, les situations d’urgence sanitaire et les programmes spéciaux en représentaient 41 % (39 % en 2014-2015)[32].

Figure 1

Budget, fonds disponibles et dépenses pour le budget programme 2016 2017 (en millions de US $)

Budget, fonds disponibles et dépenses pour le budget programme 2016 2017 (en millions de US $)
Source : Organisation mondiale de la santé, Rapport sur les résultats de l’OMS : Budget programme 2016-2017, Genève, Organisation mondiale de la santé, 2018 à la p 4

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Il existe deux principales sources de financement pour le budget programme : les contributions volontaires à objet désigné et les fonds souples, comprenant les contributions fixées, les dépenses d’appui au programme et les contributions volontaires de base. Le financement provenant de contributions volontaires à objet désigné représentait 72 % des fonds (Figure 2). Le total des recettes comptabilisées pour le budget programme 2016-2017 était de US $4,756 milliards, dont US $928 millions de contributions fixées des États membres et US $3,828 milliards de contributions volontaires[33].

Alors que les cotisations des pays membres représentaient 80 % du budget dans les années 1970[34], le rapport s’est aujourd’hui complètement inversé avec une proportion importante au budget total de l’OMS provenant des dons. Sur la figure suivante, on constate que les États-Unis sont les premiers contributeurs de l’organisation en la matière, suivis de la Fondation Bill & Melinda Gates, puis la Grande-Bretagne. En quatrième position se trouve l’Alliance globale pour la vaccination (GAVI) dont le principal financeur est la Fondation Bill & Melinda Gates.

Figure 2

Les 20 premiers contributeurs au budget programme 2016-2017 (en millions de US $)

Les 20 premiers contributeurs au budget programme 2016-2017 (en millions de US $)
Source : Organisation mondiale de la santé, Rapport sur les résultats de l’OMS : Budget programme 2016-2017, Genève, Organisation mondiale de la santé, 2018 à la p 5

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Figure 3

Recettes pour 2016-2017, par source

Recettes pour 2016-2017, par source
Source : Organisation mondiale de la santé, Rapport sur les résultats de l’OMS : Budget programme 2016-2017, Genève, Organisation mondiale de la santé, 2018 à la p 7

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Les États membres restent la principale source de contributions volontaires, avec 51 % du total en 2016-2017. Le principal changement par rapport à l’exercice 2014-2015 est une augmentation des recettes provenant des fondations philanthropiques due notamment à des contributions plus importantes à l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite (Figure 3)[35]. Toutefois, ce changement soulève des questions quant à la dépendance de l’Organisation vis-à-vis de ses bailleurs de fonds. Par ailleurs, il faut souligner que les dons provenant de la Fondation Bill & Melinda Gates servent une cause et non l’organisation comme l’atteste la figure ci-dessous (Figure 4)[36]. La lutte pour éradiquer la polio soutenue par la Fondation bénéficie du budget le plus élevé pour l’exercice 2016-2017. Dans tous les cas, il existe une réflexion importante quant au poids de la Fondation et d’autres bailleurs de poids dans l’orientation de la politique de l’OMS.

Figure 4

Budget par secteur de programme de l’OMS (en millions de dollars pour l’exercice 2016-2017)

Budget par secteur de programme de l’OMS (en millions de dollars pour l’exercice 2016-2017)
Source : Organisation mondiale de la santé, Projet de budget programme pour l’exercice 2018-2019, Doc OMS A/70/7, Genève, 2017

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Le graphique suivant représente la répartition du budget programme par poste de dépenses pour 2016-2017. On note une augmentatation de 4% par rapport à 2014-2015 pour le poste de dépenses associé au personnel de santé qui compte pour 40% des couts totaux. Cette croissance s'explique notamment par l'augmentation des situations d'urgence sanitaire qui mobilisent un nombre important de ressources humaines tant au siège que sur le terrain. Le nombre de membres du personnel a augmenté de 5 %, avec un effectif total de 8027 personnes en 2017». 29 % des coûts totaux sont associés aux services contractuels, second poste de dépenses. Il s’agit des prestataires de services appuyant des activités programmatiques de l’OMS notamment les campagnes de vaccination dirigées par l’OMS en collaboration avec les gouvernements nationaux[37].

Figure 5

Recettes pour 2016-2017, par source

Recettes pour 2016-2017, par source
Source : Organisation mondiale de la santé, Rapport sur les résultats de l’OMS : Budget programme 2016-2017, Genève, Organisation mondiale de la santé, 2018 à la p 9

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V. Les grandes réalisations et programmes stratégiques de l’OMS

A. L’infini combat pour l’éradication des maladies

En près de 70 ans d’existence et en collaboration avec les pays, l’OMS a contribué à d’importantes avancées dans le domaine de santé[38]. Les efforts pour combattre, vaincre ou maîtriser les maladies transmissibles ont figuré parmi les principales priorités de l’action sanitaire mondiale.

Dès sa création, l’OMS a repris la Classification internationale des maladies, référence internationale qui répertorie les maladies et autres problèmes de santé et est utilisée à des fins épidémiologiques. Entre 1952 et 1957, les campagnes de masse contre la poliomyélite sont largement menées avec l'aide de l'OMS suite à la découverte des vaccins anti-polio, contribuant ainsi à la quasi-éradication de cette maladie. Aujourd’hui, grâce aux actions coordonnées menées depuis l’initiative mondiale pour l’éradication du mal, le nombre de cas a été réduit de plus de 99 % épargnant 1,1 à 5,4 millions le nombre de décès d’enfants ayant été évités[39]. Au 1er mars 2019, on compte environ 33 cas notifiés contre 350 000 quelques décennies auparavant[40].

Dès 1952, le Programme mondial de lutte contre le pian, une affection déformante, est lancé. Grâce au programme qui prévoyait une injection unique de pénicilline entre 1952 et 1964 mis en oeuvre par l’OMS dans 46 pays, le taux de prévalence chuta de 95 % en 1965[41].

En 1969, l’Assemblée mondiale de la santé établit le premier Règlement sanitaire international, un accord de collaboration entre les États membres de l’OMS, visant la surveillance et la lutte contre 6 maladies infectieuses graves : le choléra, la peste, la fièvre jaune, la variole, la fièvre récurrente et le typhus[42].

Ces efforts ont précédé l’adoption en 1974 du programme élargi de vaccination pour fournir des vaccins salvateurs auprès d’enfants partout dans le monde. La même année (et ce, après trente ans d’efforts) pour éliminer l’onchocercose ou cécité des rivières, celle-ci est enfin éradiquée évitant ainsi la maladie à 18 millions d’enfants sur le continent africain notamment. En 1979, c’est au tour de la variole, première plus grande maladie infectieuse et la seule jusqu’à présent, d’être éradiqué à la suite d’une ambitieuse campagne de vaccination mondiale menée par l’OMS pendant 12 ans[43].

En 1983 et 1987, le virus de l’immunodéficience humaine, qui provoque le sida, est découvert. Le premier médicament antirétroviral visant à lutter contre l’infection à VIH et à empêcher son évolution en sida est homologué, ce qui bouleverse les priorités de l’OMS[44].

En 1995, la Stratégie DOTS (traitement sous observation directe), visant à limiter le décès dû à la tuberculose, est lancée. À la fin de l’année 2013, plus de 37 millions de vies avaient été sauvées grâce au diagnostic et au traitement de la tuberculose dans le cadre de cette stratégie. Dans le même registre, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a pu être maîtrisé en 2003 de même que la dracunculose dont on ne recensait plus que 25 cas en 2016. Un nouveau virus de grippe H1N1 apparaît en 2009 et l’OMS et ses partenaires s’investissent dans le développement de vaccins contre la grippe[45].

Ces efforts pour éradiquer les maladies ont eu des effets positifs sur la santé dans le monde. Par exemple, ces dix dernières années, l’OMS a enregistré de nombreux succès sur le plan de l’allongement de la durée de vie, notamment en ce qui concerne l’espérance de vie. Celle-ci a augmenté dans toutes les régions du monde. En Europe par exemple, les hommes peuvent aujourd’hui vivre en moyenne jusqu’à 75 ans et les femmes jusqu’à 81 ans. Par ailleurs, de 2007 à 2015, le nombre de pays avec une espérance de vie supérieure à 80 ans est passé de 15 à 29. Mais c’est en Afrique que l’espérance de vie a le plus progressé. Cette progression de l’espérance de vie est associée à deux facteurs principaux : la longévité des personnes âgées dans les pays riches et dans les pays les plus pauvres, l’augmentation du nombre de nouveau-nés qui survivent jusqu’à l’âge adulte[46].

De plus, d’importants succès ont été constatés en matière de de la santé maternelle. En effet, le taux de mortalité maternelle a connu une chute de 25 % en dix ans (2005-2015). De même, la mortalité des moins de 5 ans a diminué du tiers au cours de la même période. En Europe par exemple, la mortalité maternelle à diminué de près de 50 % entre 2000 et 2015[47].

Enfin, des progrès majeurs ont été réalisés en matière de maladies transmissibles. La mortalité due au VIH avait chuté de moitié. Il en est de même pour le paludisme (49 %) ainsi que pour la tuberculose (25 %). En ce qui concerne le cas du paludisme, plus de 900 millions de moustiquaires ont ainsi été distribués notamment en Afrique, région du monde où le mal sévit le plus, depuis 2004[48].

B. L’adoption d’orientations et programmes stratégiques, reflet d’une organisation en perpétuelle réforme

L’OMS a depuis sa naissance été à l’origine de concepts clés qui ont « transformé l’élaboration des politiques, inspiré des initiatives majeures et continué de guider l’action aux niveaux mondial et national pendant des années voire des décennies »[49].

Ainsi en 1977, l’OMS établit la première liste de médicaments essentiels suite à l’adoption par l’Assemblée de la santé des concepts de « médicaments essentiels » et de « politique pharmaceutique nationale » mis en oeuvre par près de 156 pays malgré la résistance féroce de l’industrie pharmaceutique qui y voyait une menace pour leurs intérêts commerciaux[50].

L’année suivante, l’objectif historique de la « Santé pour tous » est fixé lors de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, tenue à Alma-Ata (Kazakhstan) et visant à rendre accessibles les éléments essentiels des soins de santé primaires et garantir la santé pour tous en l’an 2000. S’appuyant sur les agents de santé communautaire, cette Déclaration a émergé dans un contexte où l’approche du modèle purement médical était remise en question ; le développement en général connaissait un changement de paradigme et où les mouvements d’indépendance étaient en cours dans de nombreux pays[51]. Selon Ridde, « Alma Ata est principalement une Déclaration de principes » qui ne s’est pas traduite par des stratégies précises de mise en application ni de financement des services de santé[52]. Face aux difficultés de mise en oeuvre des soins de santé primaires (SSP), l’Initiative de Bamako (IB), adoptée en 1987 par les ministres africains de la Santé visait à relancer les SSP tout en assurant des sources permanentes de financement à travers notamment « la vente directe aux usagers de médicaments génériques acquis à faible prix et revendus avec une marge bénéficiaire doit assurer le réapprovisionnement en médicaments et le financement des dépenses de fonctionnement des centres de santé »[53]. Ridde[54] rappelle également que cette même période, la Banque Mondiale a publié un document majeur intitulé Financing health services in developing countries : an agenda for reform[55] qui faisait l’apologie du paiement direct des usagers et du rôle du secteur privé[56] et a fortement influencé les réformes sanitaires des années 90, particulièrement controversées en raison de leur orientation libérale notamment. Le caractère exogène des politiques de santé sous influence internationale[57] n’a pas permis d’atteindre tous les effets escomptés.

En 1986, la première Conférence internationale pour la promotion de la santé à Ottawa a émis la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé visant la santé pour tous d’ici l’an 2000 et au-delà. Bien que les discussions étaient orientées vers les besoins des pays industrialisés, elle a tenu également pris en compte les problèmes de santé toutes les autres régions, notamment en s’inspirant des progrès accomplis grâce à la Déclaration d’Alma Ata sur les soins primaires, au document Les buts de la Santé pour tous, et au débat sur l’action intersectorielle pour la santé dans le cadre de l’Assemblée mondiale de la Santé[58].

Au milieu des années 80, la crise économique qui sévissait dans de nombreux, l’apparition du VIH/sida, la résurgence connexe de la tuberculose et l’augmentation du nombre de cas de paludisme ont changé l’orientation de la santé publique internationale. Ceci a été amplifié par la restriction budgétaire imposée depuis une décennie par les bailleurs de fonds d’influence aux organisations spécialisées des Nations-Unies, dont l’OMS[59], en raison de multiples dysfonctionnements[60]. L’OMS conclura alors tristement que l’objectif de la santé pour tous en l’an 2000 ne serait pas atteint[61], mais maintiendra ce leitmotiv, posant ainsi les bases de la revendication actuelle de l’OMS en faveur de la couverture sanitaire universelle sont posées[62]. Ces bases accompagneront les orientations politiques des décennies suivantes en matière de couverture universelle pour répondre aux besoins exprimés par les pays riches comme par les pays pauvres[63].

Sous la direction du Dre Gro Harlem Brundtland[64], l’OMS a retrouvé une place de choix sur la scène internationale, notamment en faisant de la santé un objectif central de l’agenda global du développement et en encourageant de nouveaux partenariats stratégiques[65]. Parmi les réalisations importantes de son quinquennat, on note l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement présentés comme le cadre général de la coopération pour le développement ; l’augmentation de l’aide en faveur de la santé mondiale, la mise en place dès 1998 de deux programmes majeurs gérés à l’interne – Roll back Malaria et Stop TB – ; développement de partenariats stratégiques avec des partenaires externes tels que la Fondation Medicines for Malaria Venture (MMV) et la TB Alliance ; l’Alliance GAVI financée par la Banque mondiale et la Fondation Gates, le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, notamment. À cette époque, la Convention-cadre pour la lutte antitabac, premier traité mondial négocié sous les auspices de l’OMS, est adoptée en 2003[66].

Dans sa marche vers la couverture universelle, l’organisation demeure aujourd’hui encore très ambitieuse. Selon sa directrice générale de 2007 à 2017, Dre Margaret Chan, « la couverture universelle en matière de santé constitue le concept le plus efficace que la santé publique puisse offrir »[67]. Avec l’adoption des Objectifs du développement durable, la santé maintient sa place au coeur de l’agenda global : plusieurs de ces objectifs ont une composante sanitaire et pourront contribuer à améliorer la santé mondiale avec attention particulière portée à l’équité, à la cohésion et à la stabilité sociales, communes à tous les pays sans que personne soit laissé de côté[68].

VI. Des défis importants à relever

Les défis à relever par l’organisation sont importants et divers et ceux de la santé globale au 21e siècle sont encore plus nombreux. Dans les prochains paragraphes, nous en présenterons trois : les défis de la gouvernance en santé globale face à l’explosion de nouveaux acteurs, les répercussions des programmes verticaux entre efficacité relative et risque d’iniquité et enfin, les défis du Dr Tedros[69], porteur d’espoir pour l’avenir de l’organisation.

A. Les défis de la gouvernance en santé globale face à l’explosion de nouveaux acteurs

Bien que l’OMS en revanche reconnaisse que le champ de la gouvernance de l’action sanitaire mondiale s’est élargi[70], certains auteurs affirment que l’organisation « n’est plus aux commandes de la santé mondiale » en raison de cette explosion d’acteurs multiples (Figure 5), souvent en compétition[71] et guidés par la mobilisation de ressources supplémentaires pour la santé, mais également la défiance des acteurs traditionnels[72]. En 2010, on estime qu’il existerait plus de 40 donateurs bilatéraux, 26 agences des Nations Unies, 20 fonds mondiaux et régionaux et 90 initiatives de santé mondiale[73]. Pour le nouveau directeur général, il s’agit davantage d’une opportunité à saisir pour plus d’impact :

d’aucuns disent que l’OMS est en péril précisément du fait de la multiplicité de ces acteurs. Je dis, quant à moi, que nous n’avons jamais eu d’aussi fortes chances de réussir qu’aujourd’hui. En travaillant en plus étroite collaboration avec nos partenaires, notre impact peut être exponentiellement plus vaste que si nous agissions seuls[74].

Figure 6

Principaux acteurs de la gouvernance mondiale de la santé au XXIe siècle

Principaux acteurs de la gouvernance mondiale de la santé au XXIe siècle
Source : Anna Okello, Alain Vandersmissen et Susan C. Welburn, « One Health into Action: Integrating Global Health Governance with National Priorities in a Globalized World » dans Jakob Zinsstag et al, dir, One Health : The Theory and Practice of Integrated Health Approaches, Wallingford, CAB International, 2015 à la p 293

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La question d’une « allocation efficace et plus équitable à travers une action collective transfrontalière » est centrale pour l’organisation qui identifie certains défis de gouvernance auxquels elle doit faire face[75]. Elle distingue la gouvernance de l’action de santé – fonction essentiellement coordinatrice, directrice et de cohérence interne – et la gouvernance pour la santé qui constitue une fonction de sensibilisation et de politique publique visant à influencer la gouvernance dans d’autres secteurs par des moyens ayant des effets positifs sur la santé humaine.

Pour la première, l’OMS mise en premier lieu sur la promotion de la santé dans un ensemble de processus mondiaux, régionaux et nationaux. Ensuite, il s’agit de mettre en évidence les problèmes de gouvernance implicites dans les autres priorités stratégiques du projet de programme de travail. Enfin, l’OMS établit un lien entre l’analyse de la gouvernance de l’action sanitaire, la gouvernance de l’OMS par les États membres et les éléments de la réforme qui accroîtront l’efficacité du rôle de l’OMS dans la gouvernance de l’action sanitaire[76].

Avec la persistance et l’augmentation des maladies non transmissibles, la gouvernance pour la santé implique une action dans d’autres secteurs et exige la prise en compte des déterminants sociaux, économiques et environnementaux interdépendants qui influencent les résultats de la santé. Cette complexité des enjeux ne peut être du ressort unique de l’OMS : « l’orchestration d’une action cohérente applicable à toutes les sociétés demeure l’un des plus grands défis pour la gouvernance dans le domaine de la santé mondiale »[77]. Dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et de ses Objectifs de développement durable (ODD) par exemple, les progrès à réaliser dans un domaine sont mis en corrélation avec ceux à accomplir dans d’autres domaines. Refléter la structure complexe des déterminants de la santé, assurer la santé et le bien-être de tous, à tous les âges, est un objectif en soi (objectif 3) qui, par ailleurs, influence et est influencé par d’autres ODD[78]. Cet élément a été réitéré dans la vision du nouveau directeur général[79].

Comme à ces débuts, l’organisation doit continuer à trouver un équilibre entre l’exigence de sécurisation de la santé pour tous et la libéralisation des échanges. En effet, les nations les plus riches et les plus puissantes peuvent influer sur les résultats en matière de santé à travers des accords commerciaux et la définition d’un agenda au sein de l’OMS en octroyant des fonds extrabudgétaires au bénéfice des nations à faible revenu[80].

Enfin, dans un contexte de mondialisation, la démocratisation des technologies de l’information et l’accès aux médias sociaux sont des canaux de pouvoir à travers ces nouveaux acteurs font entendre leurs voix et jouent de leur influence dans le domaine de la santé. L’OMS doit s’adapter et faire face au défi de

veiller à la primauté des États membres dans la prise des décisions concernant les grandes orientations, et de protéger l’action normative de l’OMS de tout intérêt catégoriel, tout en trouvant les moyens de dialoguer de manière constructive avec d’autres parties prenantes[81].

B. Les programmes verticaux : efficacité relative et risque d’iniquité ?

Il existe une distorsion dans la mise en oeuvre des programmes de santé en raison de l’allocation des ressources plus importantes pour ceux, plus verticaux, centrés sur des maladies ou problèmes de santé spécifiques et financés par de grands bailleurs (États membres, bailleurs multilatéraux ou Fondations) au détriment d’autres. Par exemple, certains États critiquent la quantité des fonds disponibles pour la vaccination, au VIH/Sida et à la tuberculose et l’insuffisance de ceux alloués au renforcement des systèmes de santé pourtant nécessaires pour assurer des services de santé de qualité et durables[82]. Cette volonté de cibler des maladies spécifiques répondrait non seulement au besoin de visibilité des bailleurs, mais également au potentiel de démontrer des résultats immédiats, difficiles à mesurer dans le cas de programmes intégrés ; ce qui engendrerait une certaine iniquité pour d’autres patients vulnérables en quête de soins. Selon le nouveau DG, « au lieu d’éliminer la segmentation, les contributions à objet désigné favorisent plutôt les cloisonnements et alimentent la concurrence interne pour l’obtention de fonds […] et nous divisent »[83].

De plus, par souci d’efficacité, la demande pour l’implication d’autres acteurs dans le domaine de la santé (opérateurs privés, sociétés fiduciaires, universités, ONG, etc.) engendre la mise en place de systèmes parallèles aux systèmes nationaux existants. Par exemple, l’approvisionnement des médicaments distribués gratuitement par des fonds verticaux ou encore les rémunérations différenciées au personnel de santé de ces organisations bénéficiant d’incitatifs non offerts par le secteur de santé publique, sont autant d’éléments qui créent des systèmes de santé à deux vitesses. Ce cercle vicieux se traduit également par un rationnement du secteur public, créant des comportements non éthiques de la part de ses professionnels de la santé.

Enfin, cette multitude d’acteurs affaiblit également la position du ministère de la santé de pays notamment en développement. De plus, la santé n’étant pas toujours reconnue comme pour sa contribution au développement socio-économique des pays, les ministères des finances n’allouent pas ou pas suffisamment de fonds à ce secteur. À ce niveau, c’est la Banque mondiale jouerait le rôle de « courtier » avec les ministères des finances en octroyant des prêts orientés vers des investissements de long terme, en contribuant au financement de programmes verticaux[84] voire en influençant l’adoption de législations par les pays récipiendaires.

C. Les défis du Dr Tedros et l’avenir de l’OMS

Dans sa Lettre annuelle publiée en 2018[85], le nouveau directeur général de l’OMS souhaite atteindre une cible de trois milliards de personnes d’ici 2023 soit un milliard de personnes supplémentaires bénéficiant de la couverture sanitaire universelle ; un milliard de personnes supplémentaires mieux protégées dans les situations d’urgence sanitaire ; et un milliard de personnes supplémentaires jouissant d’un meilleur état de santé et d’un plus grand bien-être. Pour y parvenir, il mise sur trois orientations principales présentées dans le plan stratégique élaboré et accepté par chacun des Directeurs régionaux :

Une organisation plus solide et transformée, mais plus efficace et efficiente notamment grâce à une rationalisation des pratiques opérationnelles. L’OMS est souvent critiquée pour sa lourdeur bureaucratique, car trop « accrochée à des institutions politiques obsolètes et à un modèle bureaucratique, mais que les États membres conservent en vie en tant qu’institution publique »[86]. De plus, bien que l’organisation se dit être universellement représentative à travers ses 193 États membres et son personnel et que son directeur général souligne que pour la première fois, la direction de l’organisation compte plus de femmes que d’hommes l’OMS serait loin d’être inclusive sur le plan politique[87]. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour faire des principes énoncés dans le Cadre de collaboration avec les acteurs non étatiques de 2016 une réalité aux trois niveaux de l’Organisation[88].

Par ailleurs, l’efficacité de son rôle opérationnel sur le terrain a encore été récemment remise en cause lors de crise Ebola de 2014-2015 où l’organisation a tardé à réagir pour gérer la situation d’urgence. Selon Margaret Chan, directrice de l’OMS à cette époque, « malgré les retards qui ont marqué les débuts de la riposte à la flambée de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest, cette crise sans précédent pour la santé est en voie d’être réglée »[89]. Suite à cet événement, le monde s’attendait à une réforme significative de l’OMS et à un renforcement de la gouvernance mondiale de la santé. Mais selon certains auteurs, les leçons n’ont pas été tirées de ce cas et la communauté mondiale est revenue au statu quo, « business as usual »[90].

L’engagement politique pour la couverture sanitaire universelle serait sans précédent. Les États seraient convaincus et reconnaissent l’importance de prendre en compte la trajectoire propre à chaque pays. « En revanche, tous les pays mettent l’accent sur des soins primaires correspondant aux besoins exprimés par la population plutôt que sur des services jugés nécessaires par des entités extérieures »[91]. Dans les faits et comme nous l’avions soulevé plus haut, les entités extérieures demeurent aujourd’hui des contributeurs importants de l’organisation. Parallèlement, des dynamiques géopolitiques actuelles montrent que plusieurs États possèdent aujourd’hui les moyens de participer plus activement et financièrement à la gouvernance globale, l’Afrique connaît une croissance économique et démographique rapide et de nouvelles institutions financières dont celle des BRICS, font leur apparition[92]. Ces changements pourraient changer la donne en matière de financement des initiatives de santé souvent initiées sans réelle participation du Sud. L’OMS est donc face au défi de s’affirmer dans un contexte très politique où les acteurs de la santé se sont multipliés, mais elle doit aussi convaincre les États membres de la renforcer, notamment sur le plan financier.

Enfin, l’OMS mise sur le partenariat sous le signe du renouveau dans la continuité : « nous confortons nos relations avec de vieux amis comme l’UNICEF et l’Alliance Gavi et nouons des relations avec de nouveaux partenaires »[93]. Par ailleurs, l’OMS opte pour une approche multisectorielle de santé publique – un monde, une santé –, afin de mieux comprendre les relations qui existent entre la santé animale, la santé humaine et la santé de l’écosystème, et ce en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE)[94]. Une action coordonnée est d’autant plus urgente dans un contexte de multilatéralisme pour gérer la sécurité sanitaire et notamment prévenir la propagation de la résistance aux antibiotiques, et faire de la santé, un bien public mondial.

***

L’OMS a fêté 70 ans d’existence dans un contexte de mutations caractérisées autant par les crises politiques, les mouvements migratoires, les risques de sécurité sanitaire et transfrontière ; les urgences sanitaires ; les répercussions du changement climatique, etc., que par l’explosion de nouveaux acteurs d’influence dans la santé, l’émergence de nouveaux marchés, la croissance démographique et économique de l’Asie et de l’Afrique et le dynamisme de la jeunesse. Si l’OMS, construite sur le modèle bureaucratique et fonctionnaliste des organisations internationales d’aprèsguerre, a enregistré de francs succès en santé internationale, elle a aussi montré ses limites en matière de santé globale. En effet, face aux bouleversements actuels d’un monde globalisé et au rythme auquel interviennent les changements dans toutes les sphères de la société, l’OMS doit changer et s’adapter pour survivre. La santé globale d’aujourd’hui a autant besoin d’innovation technologique que l’OMS a besoin d’« innovation institutionnelle »[108]. La rhétorique de la réforme (et de bonnes intentions) résistera-t-elle encore longtemps face à une nouvelle santé globale synonyme d’un nouveau contexte, d’une prise de conscience renouvelée et d’une nouvelle approche stratégique en matière de santé internationale et dont l’objectif est d’assurer un accès équitable à la santé dans toutes les régions du monde (avec ou sans l’OMS) ? Dans sa quête pour « un monde en meilleure santé, plus sûr et plus équitable », l’OMS réussira-t-elle à s’adapter rapidement au risque de voir sa raison d’être de nouveau questionnée et sa survie menacée ?

La réflexion suscitée par ces questions ne peut s’affranchir de la réalité actuelle. La pandémie soudaine de la COVID-19 à laquelle le monde n’était pas préparé remet en lumière les tensions inhérentes à la gouvernance sanitaire mondiale (par exemple : entre droit de la santé et droit à la santé ; entre approches multilatéraliste et partenariale et logiques nationaliste et isolationniste). Elle exacerbe aussi les inégalités sociales existantes (par exemple : accès inégal aux vaccins) et ne cesse de mettre à l’épreuve la science et le politique à travers la remise en question des politiques et pratiques basée sur les données probantes dans un contexte d’incertitude. Les leçons tirées des actions entreprises aujourd’hui pour gérer la crise et les institutions de gouvernance mondiale qui émergeront à la suite de celle-ci seront déterminantes dans la réponse aux menaces futures.

En même temps, à l’instar de Winston Churchill qui considérait qu’« il ne faut pas gaspiller une bonne crise », la crise actuelle place (encore une fois) la gouvernance mondiale de la santé à la croisée des chemins en offrant à l’ensemble de ses acteurs et partenaires, l’occasion de « repenser un multilatéralisme solidaire, mais pragmatique » et tenant compte des défis d’un monde fragmenté, mais interdépendant.