Résumés
Résumé
La protection des droits fondamentaux est depuis longtemps ancrée dans la jurisprudence de la Cour de justice européenne. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, entrée en vigueur en 2000, est d’ailleurs profondément imprégnée des notions dégagées par la Cour dans l’arrêt Hauer, rendu en 1979. Bien que la Charte existe et que la Cour de justice l’applique, cette dernière n’est pas pour autant devenue une Cour des droits de l’homme. L’existence de la Charte a toutefois une incidence sur les rapports du droit de l’Union européenne avec les droits nationaux, de même que sur ceux de la Cour de justice avec les hautes juridictions nationales. La Cour est désormais confrontée à de nouvelles problématiques, dont les effets extra territoriaux de la protection européenne des droits fondamentaux. La jurisprudence de la Cour de justice en matière de droits fondamentaux est par ailleurs confrontée au développement galopant des techniques dans tous les domaines et, en particulier, dans les nouvelles technologies de l’information.
Abstract
The protection of fundamental rights has long been anchored in the case law of the European Court of Justice. The Charter of Fundamental Rights, which entered into force in 2000, is moreover deeply imbued with the concepts identified by the Court in the Hauer judgment, rendered in 1979. Although the Charter exists and the Court of Justice applies it, the latter did not become a Court of Human Rights for all that. The existence of the Charter, however, has an impact on the relationship of European Union law with national law, as well as on that of the Court of Justice with national high courts. The Court is now confronted with new issues, including the extra-territorial effects of the European protection of fundamental rights. The case law of the Court of Justice in the field of fundamental rights is also confronted with the galloping development of techniques in all fields and, in particular, in new information technologies.
Resumen
La protección de los derechos fundamentales ha estado anclada durante mucho tiempo en la jurisprudencia del Tribunal de Justicia de las Comunidades Europeas. La Carta de los Derechos Fundamentales, que entró en vigor en 2000, está además profundamente imbuida de los conceptos identificados por el Tribunal en la sentencia Hauer, dictada en 1979. Aunque la Carta existe y el Tribunal de Justicia la aplica, esta última no se convirtió en un Tribunal de Derechos Humanos para todo eso. La existencia de la Carta, sin embargo, tiene un impacto en la relación del Derecho de la Unión Europea con el Derecho nacional, así como en la del Tribunal de Justicia con los tribunales superiores nacionales. El Tribunal se enfrenta ahora a nuevos problemas, incluidos los efectos extraterritoriales de la protección europea de los derechos fundamentales. La jurisprudencia del Tribunal de Justicia en el ámbito de los derechos fundamentales también se enfrenta al desarrollo galopante de técnicas en todos los campos y, en particular, en las nuevas tecnologías de la información.
Corps de l’article
Le thème des « aspects récents de la protection des droits fondamentaux » est aujourd’hui associé, comme par réflexe, à celui de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne[1] (ci-après, la Charte) proclamée au Conseil européen de Nice le 7 décembre 2000 et intégrée au droit primaire avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne[2]. C’est un réflexe à mon avis quelque peu pavlovien, tant la protection des droits fondamentaux est ancrée de longue date dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après, la Cour de justice). Elle est même au nombre des audaces prétoriennes qu’il faut mettre à son crédit.
Dès 1969, dans l’arrêt Stauder[3], la Cour a dit pour droit qu’une décision destinée à favoriser l’écoulement du beurre excédentaire (ce qu’on a appelé plus tard le « beurre de Noël ») ne portait pas atteinte aux « droits fondamentaux de la personne compris dans les principes généraux du droit communautaire, dont la Cour assure le respect ». Dix ans plus tard, l’arrêt Hauer[4] pose les jalons de la jurisprudence en la matière. Saisie de la question de la conformité aux droits fondamentaux d’une réglementation agricole, la Cour a dégagé les principes suivants qui doivent être gardés présents à l’esprit, car ils ont inspiré toute la jurisprudence postérieure et même la Charte des droits fondamentaux :
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la protection des droits fondamentaux fait partie des traditions communes aux États membres et, dès lors, ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus par leurs Constitutions;
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les « instruments internationaux » avec lesquels les États membres ont coopéré ou auxquels ils ont adhéré « peuvent également fournir des indications » utiles;
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les droits fondamentaux ne sont pas des prérogatives absolues et doivent être envisagés par rapport à leur fonction dans la société, mais les restrictions qui y sont apportées doivent être justifiées par l’intérêt général et ne doivent pas constituer des interventions « démesurées et intolérables qui porteraient atteinte à la substance même de ces droits »;
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cette exigence de respect des droits fondamentaux lie non seulement les institutions de la Communauté dans leur activité législative et administrative, mais aussi les États membres « lorsqu’ils mettent en oeuvre des règlementations communautaires »;
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lorsqu’une réglementation communautaire laisse aux autorités nationales une marge d’appréciation suffisante, elles doivent appliquer les règles communautaires dans un sens conforme aux exigences de la protection des droits fondamentaux.
À l’énumération de ces lignes directrices de la jurisprudence ̶ lignes du reste aussi raisonnables que classiques ̶ comment ne pas être frappé, non seulement par leur précocité (il y a plus de trente ans!), mais aussi par leur pérennité au travers des développements récents ?
Le célèbre arrêt international Handelsgesellschaft[5] avait été une première occasion d’éprouver et de conforter les bases de l’édifice. Était en cause le système du cautionnement pour les restitutions à l’exportation, dont la validité était mise en cause dans le cadre d’un litige devant une juridiction allemande. La Cour de justice stabilise sa formule désormais classique selon laquelle « le respect des droits fondamentaux fait partie des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect ». Mais elle y ajoute deux éléments essentiels. En premier lieu, elle affirme qu’il ne saurait être question d’apprécier la validité d’actes des institutions européennes par rapport à des règles ou notions juridiques de droit national : en effet, cela aurait eu pour effet de porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit communautaire. Mais elle apporte aussitôt cette précision essentielle qu’il lui appartient néanmoins de vérifier que le droit de l'Union n’offre pas de « garanties analogues » : et voici posé le principe d’équivalence des protections. En second lieu, la Cour affirme que la sauvegarde des droits fondamentaux, dont on sait qu’ils ne sont pas des prérogatives absolues, doit se faire « dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communauté ».
Si ce rappel m’a paru nécessaire[6], c’est parce que les notions dégagées par la Cour imprègnent en profondeur la Charte des droits fondamentaux. Instrument nouveau dont il faut se féliciter de l’existence (1), la Charte n’est pas pour autant une révolution juridique. Comme nous allons le voir, ceci ne veut pas dire, tant s’en faut, qu’elle est dépourvue d’incidence sur les rapports du droit de l’Union avec les droits nationaux (2) et avec la Convention européenne des droits de l’homme[7] (3).
1. La Charte est certes un texte d’envergure qui égale le droit primaire en valeur et le dépasse peut-être en portée[8]. Elle comporte 54 articles de fond, bien plus que la Convention européenne des droits de l'homme n’en comporte elle-même. C’est un texte moderne qui va au-delà du spectre des droits de l’homme « classiques ». Mais la Charte s’enracine dans un terreau connu : celui des « traditions communes aux États membres, de leur « identité nationale ». Elle lie les États membres « lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l'Union ». Elle prévoit que les droits fondamentaux peuvent faire l’objet de limitations, notamment « si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ».
Cette dernière précision est essentielle. Elle indique que les États membres, en consentant à la Charte, ont explicitement entendu voir ses dispositions appliquées dans le contexte de l’Union européenne, c'est-à-dire au regard des objectifs de l’Union et des principes sur lesquels elle repose. À cet égard, la Charte conforte expressément l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. Il est frappant de constater que la formule qu’elle emploie à son article 52§1 est très similaire à celle utilisée par la Cour de justice dans son célèbre arrêt Internationale Handelsgesellschaft[9].
Mais gardons-nous des erreurs de perspective : ce n’est pas parce que la Charte existe que la Cour de justice serait devenue une Cour des droits de l’homme. Son office premier n’est pas, et ne sera jamais, d’appliquer la Charte. Il est bien plus comparable à celui des cours supérieures ou constitutionnelles nationales : assurer simplement le respect de la légalité par les Institutions et assurer l’unité d’application du droit de l'Union. Ceci ne veut pas dire que, dans l’exercice de ces fonctions, la Cour ne soit pas amenée à garantir le respect des droits fondamentaux. Mais elle le fait ni plus ni moins que le font la Cour de cassation, le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel français - pour reprendre des exemples qui me sont familiers. Sa position est donc très différente de celle de la Cour européenne des droits de l'homme, et on ne le soulignera jamais assez. Quand la Cour de Strasbourg applique des stipulations de fond qui se comptent sur les doigts des mains[10], la Cour de justice applique, outre les traités, une législation qui comprend des milliers de textes, règlements, directives ou décisions et qui est, en substance, très comparable aux législations nationales.
La Cour de justice a immédiatement appliqué la Charte[11]. Elle l’a appliquée même pour contrôler la validité d’actes pris antérieurement à son entrée en vigueur[12] - ce qui n’a rien que de très normal. En principe, elle se réfère désormais exclusivement à la Charte et ne fait référence à la Convention européenne des droits de l'homme que lorsqu’il y a lieu de faire bien apparaître la compatibilité de la solution qu’elle adopte avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il est, à cet égard, symptomatique que dans son récent arrêt rendu à propos de l’élargissement par le Traité de Lisbonne du recours en annulation des particuliers aux actes « réglementaires » qui ne comportent pas de mesures d’exécution[13], la Cour ait répondu aux critiques tirées d’un défaut de protection juridictionnelle à la seule lumière de l’article 47 de la Charte sur le droit au recours.
2. L’existence de la Charte n’est pas sans incidence sur les rapports du droit de l'Union avec les droits nationaux ni, par voie de conséquence, sur ceux de la Cour de justice avec les hautes juridictions nationales.
La Charte étant une véritable déclaration des droits, il ne faut pas exclure tout risque d’empiètement de son interprète de Luxembourg sur la compétence des juridictions nationales, notamment constitutionnelles. Cet enjeu prend une dimension symbolique dans le domaine des libertés fondamentales, sujet sensible s’il en est. Tout dépend, finalement, du champ d’application reconnu à la Charte ainsi que du contenu et de la portée donnée à ses dispositions qui ne peuvent pas être neutres dans le dialogue entre la Cour et des juridictions nationales.
La Cour de justice, pleinement consciente de ce risque, a récemment adressé un signal clair dans deux importants arrêts du 26 octobre 2013, Åkerberg Fransson et Melloni[14]. La Grande chambre y a, tout d’abord, rappelé que, selon les propres termes de la Charte, les États membres ne sont tenus par ses dispositions que pour les mesures nationales par lesquelles ils « mettent en oeuvre le droit de l'Union ». Elle a interprété cette formule dans le sens de sa jurisprudence constante selon laquelle les droits fondamentaux tels qu’ils découlent des principes généraux du droit de l'Union s’appliquent dès que l’on se trouve dans le champ d’application du droit de l'Union. En décider autrement en donnant à la notion de « mise en oeuvre » une portée restrictive aurait constitué un pas en arrière par rapport à une jurisprudence de plus de quarante ans d’existence. Ensuite et surtout, la Cour précise que dans tous les cas où, se trouvant dans le champ d’application du droit de l'Union, les États disposent d’une marge de manoeuvre pour le mettre en oeuvre, les autorités ou juridictions nationales peuvent se borner à
[a]ppliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l'Union[15].
Il résulte de cette jurisprudence que la Charte n’est pas un instrument par lequel se produirait un transfert du contrôle du respect des droits fondamentaux des juridictions nationales vers la Cour de justice, mais plutôt une déclaration des droits qui vient s’ajouter aux garanties nationales et qui joue, d’une certaine manière, à titre subsidiaire, pourvu que ne soit pas compromise la bonne application du droit de l'Union. Dans l’affaire Åkerberg Fransson[16], la Cour a d’ailleurs renvoyé au juge national le point de savoir si des faits de fraude fiscale pouvaient faire l’objet successivement d’une sanction administrative puis d’une sanction pénale, sous la seule réserve, résultant du principe ne bis in idem protégé par la Charte, que la sanction administrative ne puisse pas être regardée comme revêtant un caractère pénal au sens de la jurisprudence de la Cour[17].
Dans l’arrêt Melloni[18], la Cour a fait une application topique de ces nouveaux principes. Elle a jugé que les États membres ne disposent d’aucune marge d’appréciation dans la mise en oeuvre des dispositions de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen[19] relatives à la condamnation par défaut, selon lesquelles la remise ne peut pas être refusée lorsque la personne condamnée avait été, sous une forme ou une autre, informée de ce qu’elle allait être jugée ou avait été représentée au procès. Cette règle, posée par le nouvel article 4 bis de la décision-cadre, exprime l’équilibre qu’ont trouvé les États membres entre le respect de l’équité dans le procès et les besoins de la répression pénale. La Cour en a déduit que cette disposition de la décision-cadre s’opposait à l’application d’une règle du droit espagnol, pourtant de niveau constitutionnel[20], selon laquelle un condamné par défaut ne pouvait être remis à un autre État pour purger sa peine que s’il avait, dans cet État, le droit d’être rejugé.
On relèvera par ailleurs que c’est cette même jurisprudence qui a joué pour répondre à la première question préjudicielle posée en 2013 par le Conseil constitutionnel français, à l’occasion de la retentissante affaire Jeremy F[21]. La Cour de justice a très souplement jugé que rien, dans la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen, ne s'opposait à ce qu'un recours en cassation soit organisé contre la décision d'extension du mandat à l’égard d’une personne déjà remise, dès lors que le délai global de soixante jours prévus par la décision-cadre est respecté, mais que rien, non plus, n'y oblige[22]. Ce faisant, la Cour ne pouvait pas mieux consacrer la marge d'appréciation dont disposent les États membres quant au choix des modalités de mise en oeuvre de la décision-cadre. Cette mise en oeuvre doit bien sûr s'effectuer dans le respect de l'article 47 de la Charte consacrant le droit à un recours effectif[23]. Dans ce cadre, les législateurs nationaux sont donc libres d'exercer comme ils l'entendent leur autonomie procédurale, et le fait que la décision d'extension du mandat soit insusceptible de recours en droit français n'a rien de problématique, au regard du droit de l'Union du moins, dès lors que ce dernier ne détermine pas complètement le contenu de la législation nationale. À la suite de l’arrêt de la Cour de justice, le Conseil constitutionnel a jugé[24] que l’absence de possibilité de former un recours en cassation ne satisfaisait pas à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective qui implique, d’une part, qu’il ne soit pas porté d’atteintes substantielles au droit à un recours effectif, d’autre part, que les différences dans les règles de procédure ne doivent pas résulter de distinctions injustifiées et doivent assurer aux justiciables des garanties égales, ce qui implique « l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties". Le dialogue des juges a ainsi abouti à un réel progrès de l’état du droit français en matière de mandat d’arrêt européen. Il était, en effet, tout à fait anormal qu’un pourvoi en cassation fût possible contre la décision initiale de remise et pas contre une décision d’extension alors que, comme le montrait avec évidence l’affaire en cause, l’extension peut être accordée pour des infractions bien plus graves et donc sévèrement punies que celle qui avait motivé le mandat d’arrêt lui-même.
Le Conseil constitutionnel se situe ainsi dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d'État français qui, avec son désormais célèbre arrêt Société Arcelor Atlantique et Lorraine, a déterminé le partage de compétence entre les juridictions nationales et la Cour de justice dans le cas où est invoquée une violation de principes constitutionnels par un acte national de transposition d’une directive communautaire[25].
3. Comment cette jurisprudence s’articule-t-elle aujourd’hui, et s’articulera-t-elle demain, avec le droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme ?
Nul doute que la Convention européenne des droits de l'homme soit depuis bien longtemps une source d’inspiration forte pour la Cour de justice, et celle-ci a toujours été soucieuse de ce que sa propre jurisprudence soit compatible avec celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Un exemple fort topique peut en être trouvé dans un arrêt un peu ancien, mais toujours éclairant : l’arrêt Hoechst[26]. Dans cette affaire, l’entreprise contestait la perquisition qui avait été opérée dans ses locaux dans le cadre d’une enquête sur une entente. Elle soutenait que l’inviolabilité du domicile s’étendait aux locaux commerciaux. La Cour de justice a constaté que, si le domicile des particuliers était évidemment protégé, il n’y avait pas de tradition commune dans les États membres s’agissant des locaux commerciaux. Et comme la requérante mettait en avant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour de justice a répondu que cela ne la conduisait pas à une interprétation différente en constatant expressément l’absence de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur ce point. L’arrêt Digital Rights Ireland[27], rendu postérieurement à cette intervention, est un dernier exemple en date de cette imprégnation des jurisprudences. La Cour a constaté que la directive sur la conservation des données de trafic sur internet et les réseaux mobiles constituait une ingérence particulièrement grave, avant d'exercer un contrôle de nécessité et de proportionnalité sur le fondement de l'article 52, § 1er, de la Charte. Elle s’est calée en cela sur la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui adapte le degré de contrôle du juge en fonction, notamment, du domaine concerné, de la nature du droit en cause, de la nature et de la gravité de l'ingérence[28].
La prégnance de la Convention européenne des droits de l'homme dans l’ordre juridique communautaire est d’autant plus réelle que la Charte prévoit expressis verbis dans son article 52§3 que ses dispositions, lorsqu’elles correspondent à des dispositions de la Convention, doivent avoir la même portée. Il n’y a, à mes yeux, qu’un bémol à cette règle, qui émane de la Charte elle-même : comme nous l’avons vu, ce même article 52 prévoit que les droits et libertés que consacre la Charte ne trouvent de limites que dans les droits et libertés d’autrui et dans les « objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ». Il s’agit là d’une disposition essentielle, qui signifie que les droits et libertés de la Charte, alors même qu’elle se réfère à la Convention européenne des droits de l'homme, doivent être mis en oeuvre et protégés dans le cadre d’un système qui a ses caractéristiques propres : celui de l’Union européenne. Au nombre de ces caractéristiques propres figure, par exemple, la confiance mutuelle entre États membres, dont le rôle est déterminant dans les questions relatives à l’espace de sécurité, de liberté et de justice, comme la Cour a eu l’occasion de le rappeler avec force dans son avis sur l’adhésion de l’Union à la Convention[29]. La Charte, comme d’autres dispositions du droit primaire, renforce ainsi l’autonomie de l’ordre juridique communautaire[30]. La mise en oeuvre de cette autonomie constitue l’un des enjeux majeurs de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l'homme, comme le montre de manière éclatante le récent avis 2/13 de la Cour de justice.
4. La question de l’adhésion a fait apparaître toute la singularité de l’Union. Elle était soumise, ce qu’on a eu tendance, semble-t-il, à oublier, par le Traité lui-même à d’assez strictes conditions et la Cour de justice a considéré qu’elles n’étaient pas remplies. À cette occasion elle a mis en lumière toute la spécificité, mais aussi toute la fragilité de l’édifice communautaire.
Contrairement à ce qui a souvent été dit, l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l'homme n’est pas une obligation pure et simple. Elle est certes expressément prévue par le TUE et a été à l’évidence souhaitée par les Masters of the Treaties que sont les États membres. Elle est donc très certainement un objectif. Mais elle est soumise, par les auteurs du Traité de Lisbonne, à un régime juridique précis et très spécifique[31].
L’adhésion est d’abord soumise à une procédure spéciale. Elle suppose un accord d'adhésion, c'est-à-dire un accord international[32]. La conclusion de cet accord, du côté de l'Union européenne, est soumise à des règles spéciales fixées à l'article 218 TFUE : unanimité au Conseil, approbation par le Parlement européen et approbation par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives.
En second lieu, des conditions de fonds précises sont fixées dans le Protocole N° 8 au Traité de Lisbonne qui, comme tous les Protocoles, a la même valeur juridique que les Traités eux-mêmes. Ce Protocole forme, ensemble avec l’article 6§2 TUE, le régime juridique de l’adhésion[33]. Ces conditions correspondent à un certain nombre d'impératifs politiques et techniques qui doivent être pris en considération.
Le Protocole impose à l’accord d’adhésion de « préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union »[34]. Sont notamment visés les « modalités particulières de l'éventuelle participation » de l'Union aux instances de contrôle de la Convention et les mécanismes permettant d'assurer que les recours soient correctement dirigés contre les États ou contre l'Union.
Le Protocole impose aussi de ne pas modifier les compétences de l'Union ni les « attributions de ses institutions », de ne pas affecter la position particulière de tel État par rapport à la Convention et de respecter la règle selon laquelle les différends entre États membres doivent être réglés selon les seules procédures prévues par les Traités[35].
Saisie pour avis par la Commission, la Cour de justice a estimé dans son avis 1/13, rendu le 18 décembre 2014, que les instruments d’adhésion qui lui étaient soumis ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6§2 TUE et du Protocole N° 8[36]. L’avis de la Cour, dans lequel elle dit que l’Union n’est pas un État et constate que « l’approche » retenue par le projet d’accord « consistant à assimiler l’Union à un État (…) méconnaît précisément la nature intrinsèque de l’Union »[37] donne de précieuses indications sur les conditions essentielles de préservation des caractéristiques propres du projet communautaire qui ne sont, en fin de compte, que la traduction juridique du processus d’intégration[38].
Toute une partie liminaire de l’avis est consacrée à l’énumération des « bases constitutionnelles » de l’Union : interdépendance des États membres, confiance mutuelle, nécessité d’une interprétation des droits fondamentaux dans le cadre de la structure et des objectifs de l’Union[39], réalisation du processus d’intégration « qui est la raison d’être de l’Union elle-même »[40]. C’est précisément pour en assurer le respect que le Traité de Lisbonne a prévu les conditions énumérées au Protocole N° 8.
La Cour de justice considère que les exigences du Traité ne sont pas respectées à cinq points de vue.
En premier lieu, l’accord ne garantit pas l’autonomie du droit de l'Union, et cela de trois points de vue. D’abord, il ne permet pas de préserver l’équilibre voulu par la Charte entre le niveau de protection qu’elle garantit et les standards nationaux de protection des droits fondamentaux. En effet, l’article 53 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit expressément que les États peuvent avoir des exigences de protection plus élevées, alors que la Charte prévoit non moins expressément que des limitations des droits peuvent résulter « des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ». Ensuite, il permet de porter directement atteinte au principe de confiance mutuelle, condition même de l’espace sans frontières intérieures qui est l’un des buts mêmes de l’Union, en obligeant les États membres à appliquer la Convention dans leurs relations réciproques alors qu’elles sont régies par le droit de l'Union[41]. Le principe de confiance mutuelle se voit ainsi hissé, comme il se doit, au nombre des principes constitutionnels. Enfin, l’existence du Protocole 16 à la Convention européenne des droits de l'homme qui permet d’adresser à la Cour de Strasbourg des demandes d’avis consultatifs permet de contourner l’obligation de renvoi préjudiciel qui est, selon l’expression consacrée, la « clé de voûte » de la construction communautaire. L’ensemble de ces lacunes fait que l’accord ne respecte pas « les conditions essentielles de préservation » de la nature des compétences de la Cour de justice[42].
En deuxième lieu, l’accord ne garantit pas cette règle fondamentale de l’Union, figurant aujourd’hui à l’article 344 TFUE, selon laquelle les États membres ne peuvent soumettre un différend relatif à l’application du droit de l'Union à un mode de règlement autre que ceux prévus par les traités[43].
En troisième lieu, le mécanisme du « codéfendeur » ne permet de garantir ni le respect de l’ordre des compétences à l’intérieur de l’Union, ni la prise en compte des réserves des États.
Les règles sur la procédure essentielle de « l’implication préalable » de la Cour de justice[44] ne respectent, en quatrième lieu, pas la compétence exclusive de la Cour de justice pour interpréter le droit de l'Union. D’une part, elles laissent à la Cour européenne des droits de l'homme le soin de se prononcer sur le point de savoir si la Cour de justice a ou non déjà tranché une question de droit de l'Union, d’autre part, elles ne prévoient pas son intervention pour donner, le cas échéant, une interprétation prioritaire du droit dérivé[45].
Enfin, n’a pas été résolue la question, évidemment épineuse, du contrôle juridictionnel de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), dont la Cour de justice est expressément exclue par l’article 24 TUE. L’adhésion aurait automatiquement donné compétence à une juridiction extérieure à l’Union pour contrôler les actes et omissions des organes de l’Union, ce qui est parfaitement incohérent, mais va aussi à l’encontre des principes les mieux établis du droit de l'Union[46].
Quelles conclusions faut-il tirer de cet avis, tant pour une future adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme que pour la nature même de l’Union européenne? Je ne pense pas, pour ma part, que l’avis de la Cour de justice rende l’adhésion impossible. Elle implique seulement que le travail soit repris et que soient traitées correctement des questions dont la difficulté a été volontairement ou non manifestement sous-évaluée[47]. En tout état de cause, il a fallu se rendre à l’évidence : l’adhésion est loin d’être une question simple, et des outils de coordination appropriés devront être mis en place pour rendre harmonieuse l’interdépendance de deux systèmes conçus pour fonctionner en totale indépendance…
5. La jurisprudence de la Cour de justice en matière de droits fondamentaux vogue aujourd’hui vers de nouveaux horizons qui feront peut-être rapidement apparaître quelque peu surannés certains aspects des débats actuels. Elle est confrontée au développement galopant des techniques dans tous les domaines et, en particulier, dans celui que l’on continue à appeler les nouvelles technologies de l’information.
On en a un exemple particulièrement topique avec la question des conditions de circulation des données personnelles, autrement dit la question des transferts de données qui a donné lieu à ce que l’on peut d’ores et déjà qualifier de « grand arrêt » de la Cour de justice : l’arrêt Schrems, du 6 octobre 2015[48]. La Cour y a déclaré que les conditions des transferts de données vers les États-Unis définies par la Commission européenne en 2000 étaient incompatibles avec les règles de l’Union telles qu’elles doivent être interprétées compte tenu de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. L’affaire avait son origine dans un recours formé par un citoyen autrichien client de Facebook qui s’était opposé à ce que ses données personnelles soient envoyées sur des serveurs aux États-Unis au motif que les autorités américaines y auraient accès comme le prouvaient les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de la NSA et du FBI. L’intéressé avait saisi le commissaire irlandais à la protection des données, le siège européen de Facebook étant en Irlande. La High Court (Haute Cour de justice) de l'Irlande, saisie du litige, interrogeait la Cour sur les pouvoirs des autorités nationales. La question venait de ce que, sur le fondement de la directive 95/46 du 24 octobre 1995, relative à la protection des données personnelles [49], la Commission avait pris en 2000[50] une décision admettant que le transfert de données vers une organisation située aux États-Unis était réputé bénéficier d’une protection adéquate, c’est-à-dire équivalente à celle existant dans l’Union, dès lors que celle-ci s’était engagée à respecter certaines règles du droit américain. Les règles en question reposaient sur une sorte de directive du ministère du Commerce des États-Unis constituée des « principes de la sphère de sécurité » et des « frequently asked questions », c’est-à-dire d’une série de précisions apportées par l’administration américaine à la demande des entreprises.
L’arrêt de la Cour commence par préciser les pouvoirs des autorités nationales dans ce cas de figure : une autorité administrative nationale de protection des données personnelles ne peut écarter l’application de la décision 2000/520 au motif qu’elle serait invalide, car les actes de l’Union sont obligatoires tant qu’ils n’ont pas été annulés ou suspendus. Toutefois, cela ne prive pas les autorités compétentes de leur pouvoir d’examiner les plaintes dont elles sont saisies. Dans le cas de rejet de sa plainte, le plaignant doit bénéficier d’un recours juridictionnel à l’occasion duquel la juridiction saisie pourra saisir la Cour d’une question préjudicielle en appréciation de validité. Si, au contraire, l’autorité considère que la protection n’est pas assurée et doute donc de la validité de la décision 2000/520, il lui appartient de saisir les juridictions compétentes afin que le juge saisi puisse, le cas échéant, procéder à un renvoi préjudiciel à la Cour de justice. Si la possibilité d’un tel recours n’existe pas, il appartient à l’État membre en cause de prendre les mesures pour l’instituer[51].
La Cour constate ensuite l’illégalité de la décision 2000/520. Elle pose à cette occasion un certain nombre de principes de grande importance. En premier lieu le niveau de protection adéquat exigé de la directive 95/46 s’entend d’un niveau de protection « substantiellement équivalent » à celui assuré sur le territoire de l’Union. Dès lors que la législation du pays tiers concerné peut changer, la Commission doit vérifier périodiquement la situation et il appartient à la Cour de justice de constater, le cas échéant, que la décision est devenue illégale du fait du changement des circonstances de droit ou de fait. Le contrôle exercé par la Cour est « strict » dès lors que, les droits fondamentaux étant en cause, le pouvoir d’appréciation de la Commission est réduit[52]. Enfin, le système des États-Unis n’offre pas de garanties suffisantes du fait qu’il s’agit d’un système d’autocertification qui ne s’applique qu’aux entreprises, mais pas aux autorités publiques, celles-ci pouvant, sur la base du droit des États-Unis, avoir accès sans limites ni contrôles suffisants aux données transférées[53]. Après que l’ouvrage eut été remis sur le métier, a été adoptée une nouvelle décision d’adéquation le 12 juillet 2016. Celle-ci a de nouveau été déclarée invalide par la Cour de justice au motif que les garanties offertes n’étaient toujours pas suffisantes par un arrêt du 16 juillet 2020[54].
***
Fort illustratif des questions auxquelles est aujourd’hui confrontée la Cour de justice, l’arrêt Schrems[55] est aussi topique de l’apparition d’une nouvelle problématique : celle des effets extra territoriaux de la protection européenne des droits fondamentaux. Il s’agit là d’une fort importante question à laquelle, d’ailleurs, le Conseil d'État français, la Société française de législation comparée et l’Institut français des sciences administratives ont consacré un cycle de conférences intitulé « droit comparé et territorialité du droit »[56]. Mais tout a commencé avec le « beurre de Noël » …
Parties annexes
Notes
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[1]
CE, Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, [2000] JO C 364/1.
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[2]
Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, 17 décembre 2007, [2007] JO C 306 (entrée en vigueur : 1er décembre 2009).
-
[3]
Erich Stauder c Ville d'Ulm - Sozialamt, C-29-69, [1969] Rec CE I-1969 à la p I-419 [Stauder]. J’avais, en 1991, étudié comment le système communautaire venait renforcer celui de la Convention européenne des droits de l’homme : « L’application de la CEDH par les juridictions nationales, par l’intermédiaire de la CJCE » (1991) RTDH, Actes du colloque de Montpellier 317.
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[4]
Liselotte Hauer c Land Rheinland-Pfalz, C-44-79, [1979] Rec CE I-1979 à la p I-3727 [Hauer]. Cet arrêt développe les principes posés dans l'important arrêt Nold, du 14 mai 1974, 4/73, Rec. CE page 491.
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[5]
Internationale Handelsgesellschaft mbH c Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel, C-11-70, [1979] Rec CE I-1970 à la p I-1125 [Handelsgesellschaft]; Les grands arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne, Dalloz 2014, N° 15, page 200.
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[6]
Pour un aperçu récent de l’ensemble de cette évolution : Allan Rosas et Lorna Armati, EU Constitutional Law, 3ᵉ éd, Hart Publishing, 2018 aux pp 157 et ss.
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[7]
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953) [Convention EDH].
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[8]
Koen Lenaerts et José Gutiérres-Fons, The Place of the Charter in the EU Constitutional Edifice dans Steve Peers, Tamara Hervey, Jeff Kenner et Angela Ward, The EU Charter of Fundamental Rights, A Commentary, 1ᵉ éd, Hart Publishing, 2014 aux pp 1559-1637.
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[9]
Handelsgesellschaft, supra note 5 : la sauvegarde des droits « doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communauté »; art 52§1 Charte : les limitations ne peuvent être apportées « que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ».
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[10]
Somme toute, douze ou treize articles de fond de la Convention EDH ainsi que quelques dispositions de ses Protocoles.
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[11]
Allan Rosas, « Five years of Charter Case Law : Some Observations » dans Sybe de Vries, Ulf Bernitz et Stephen Weatherill, dirs, The EU Charter of Fundamental Rights as a Binding Instrument, Hart Publishing 2015, 11; V Skouris, Die Europäische Grundrechte-Charta in der Rechtsprechung des EuGH, Arbeit und Recht 8-9, 2015 à la p 294.
-
[12]
Volker und Markus Schecke GbR et Hartmut Eifert c Land Hessen, affaires jointes C- 92/09 et C-93/09, [2010] Rec CE I-11063 à la p I-11117.
-
[13]
Inuit Tapiriit Kanatami ea c Parlement européen et Conseil de l'Union européenne, C-583/11 P, [2013] non encore publié au Rec.
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[14]
Åklagaren c Hans Åkerberg Fransson, C-617/10, [2013] non encore publiés au Rec [Åkerberg Fransson]; Stefano Melloni c Ministerio Fiscal, C-399/11, [2013] non encore publiés au Rec [Melloni] ; Koenraad Lenaerts, « Human Rights Protection through Judicial Dialogue between National Constitutional Courts and the European Court of Justice » dans Andre Alen, Veronique Joosten, Riet Leysen et Willem Verrijdt , dirs, Liberae Cogitationes, Liber Amicorum Marc Bossuyt, Intersentia, 2013, 367 ; V Skouris, Aspekte des Grundrechtsschutzes in der Europäischen Union nach Lissabon, Vom Recht auf Menschenwürde, Mohr Siebeck, à la p 83.
-
[15]
Melloni, ibid au para 53.
-
[16]
Åkerberg Fransson, supra note 14.
-
[17]
Prokurator Generalny c Łukasz Marcin Bonda, C-489/10, [2012] non encore publié au Rec [Bonda] ; en appliquant les critères de l’arrêt Bonda, du point 37, eux-mêmes conformes à ceux de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
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[18]
Melloni, supra note 14.
-
[19]
CE, Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, [2002] JO L 190 à la p 1.
-
[20]
En l’espèce, seulement jurisprudentielle, mais c’est sans incidence aucune sur la solution.
-
[21]
Jeremy F c premier ministre, C-168/13, [2013] non encore publié au Rec [Jeremy F]; Jean-Claude Bonichot, « Le Conseil constitutionnel, la Cour de justice et le mandat d'arrêt européen » (2013) 26 Dalloz 1805.
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[22]
Or la loi française - et là résidait le noeud du problème - ne prévoyait pas un tel recours, ce qui résultait à l’évidence d’un oubli au moment de la transposition de la décision-cadre.
-
[23]
Principe qui n’implique pas l'existence d’un double degré de juridiction.
-
[24]
Cons const, 14 juin 2013, [2013] Rec 31, 2013-314 QPC.
-
[25]
CE, 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, [2007], Rec XX, n°287110 [Société Arcelor Atlantique et Lorraine] ; Marceau Long, Prosper Weil, Guy Braibant, Pierre Delvolvé et Bruno Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 20ᵉ éd, Dalloz, 2015 à la p 831.
-
[26]
Hoechst AG c Commission des Communautés européenne, C-46/87, [1989] Rec CE I-1989 [Hoechst].
-
[27]
Digital Rights Ireland Ltd, Kärntner Landesregierung, Michael Seitlinger, Christof Tschohl e.a. c Minister for Communications, Marine and Natural Resources, Minister for Justice, Equality and Law Reform, The Commissioner of the Garda Síochána, Ireland and the Attorney, Affaires jointes C-293/12 et C-594/12, [2014] JO C 175 [Digital Rights Ireland].
-
[28]
CEDH, S et Marper c Royaume-Uni, C- 30562/04 et C-30566/04, [2008] au para 102. En matière de droits fondamentaux, la Cour a donc abandonné l’ancienne jurisprudence communautaire selon laquelle elle n'exerce qu'un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation sur les choix normatifs du législateur lorsqu'il intervient dans un domaine impliquant de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c Conseil de l'Union européenne, C-84/94, [1996] Rec CE I-05755; Philippe Martin, « L'harmonisation sociale en débat » (1997) 3 Dr soc 303). La formule employée par la Cour est la suivante (points 47 et 48) : « En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, dès lors que des ingérences dans des droits fondamentaux sont en cause, l’étendue du pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union peut s’avérer limitée en fonction d’un certain nombre d’éléments, parmi lesquels figurent, notamment, le domaine concerné, la nature du droit en cause garanti par la Charte, la nature et la gravité de l’ingérence ainsi que la finalité de celle-ci …En l’espèce, compte tenu, d’une part, du rôle important que joue la protection des données à caractère personnel au regard du droit fondamental au respect de la vie privée et, d’autre part, de l’ampleur et de la gravité de l’ingérence dans ce droit que comporte la directive 2006/24, le pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union s’avère réduit de sorte qu’il convient de procéder à un contrôle strict. » Sur l’ensemble de cette importante question, voir : Steve Peers et Sacha Prechal, « Scope and Interpretation of Rights and Principles » dans Steve Peers et al., dir., The EU Charter of Fondamental Rights : A Commentary, Hart Publishing, 2014, 1455.
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[29]
La confiance mutuelle ne peut toutefois pas être regardée comme de nature à compromettre la protection des droits fondamentaux. En effet, elle joue plutôt comme une très forte présomption que les droits fondamentaux sont respectés partout dans l’Union, mais sans que celle-ci soit irréfragable. La Cour de justice a eu l’occasion de le préciser très clairement dans son arrêt NS c Secretary of State for the Home Department et ME et autres c Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, affaires jointes C-411/10 et C-493/10, [2011] Rec CE I- 2011-00000, rendu à propos du « système de Dublin » de traitement des demandes d’asile, après que la Cour européenne des droits de l'homme eut condamné la Belgique pour avoir renvoyé un demandeur d’asile en Grèce dans son arrêt CEDH, 21 janvier 2011, MSS c Belgique, [2011] n° 30696/09. La Cour de justice de l'Union européenne a indiqué qu’en cas de défaillance « systémique » il appartient aux autorités de l’État dans lequel la demande a été déposée et qui n’est normalement pas compétent, soit de renvoyer l’intéressé vers un autre État compétent, soit de traiter lui-même la demande. Cette jurisprudence a été tout récemment complétée et adaptée au droit du mandat d’arrêt européen par le très important arrêt Pál Aranyosi et Robert Căldăraru, affaires jointes C- 404/15 et C- 659/15, [2016] non publié au Rec : le juge de l’État d’exécution, en présence d’éléments « objectifs, fiables, précis et dûment actualisés » de nature à établir qu’existent, dans l’État d’exécution, des défaillances systémiques ou généralisées dans les conditions de détention telles qu’elles exposeraient l’intéressé à un traitement inhumain ou dégradant, doit vérifier « de manière concrète et précise » si la personne réclamée risque sérieusement d’y être exposée en demandant des informations aux autorités compétentes de l’État d’émission et en tirer les conséquences en reportant sa décision et, le cas échéant, en rejetant la demande de remise. Voir sur cette question : Jean-Claude Bonichot et Michel Aubert, « Les limites du principe de confiance mutuelle dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : comment naviguer entre Charybde et Sylla ? » (2016) 22 : 1-6 RUDH 1.
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[30]
Sur cet aspect : Jean-Claude Bonichot, « Des rayons et des ombres : les paradoxes de l'article 6 du Traité sur l'Union européenne » dans Jean-Paul Costa, dir, La conscience des droits, Mélanges en l'honneur de Jean-Paul Costa, Dalloz, 2011, 49.
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[31]
Sur l’ensemble de cette question, je me permets de renvoyer à mon intervention aux « Entretiens du Conseil d'État » sur : Jean-Claude Bonichot, « Les interférences entres les sources du droit Européen et les influences croisées entre la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme », dans Droits et Débats, Le droit européen des droits de l’homme, Un cycle de conférences du Conseil d'État, La documentation française, 2011, 90 et 103.
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[32]
Il ne s'agit pas d'une adhésion unilatérale comme c’est normalement le cas pour les États. Le projet d’accord modifie d’ailleurs la Convention européenne des droits de l'homme elle-même et dit qu’il en fait « partie intégrante », ce qui n’est pas sans poser la question de son statut et, en particulier, de qui a le pouvoir d’en donner une interprétation authentique puisque, s’il est un élément de la Convention, il ferait aussi partie intégrante du droit de l'Union dès son entrée en vigueur.
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[33]
Toutes ces dispositions auraient aussi bien pu figurer dans différents paragraphes de l’article 6 TUE…
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[34]
La Déclaration n°2 annexée à l'acte final de la Conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007, [2008] JO, C 115 à la p 339 dit pour sa part que l'adhésion « devrait s'effectuer selon des modalités permettant de préserver les spécificités de l'ordre juridique de l'Union ».
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[35]
Actuel art. 344 TFUE.
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[36]
Pour une pénétrante analyse des conséquences de l’avis 1/2013 : J Malenovski, « Comment tirer parti de l’avis 1/2013 de la Cour de l’Union européenne sur l’adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme ? » (2015) 4 RGDIP 705.
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[37]
Points 49 et 193. Point 156 : « l’Union, du point de vue du droit international, ne peut pas, en raison de sa nature même, être considérée comme un État ».
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[38]
Emmanuelle Broussy, Hervé Cassagnabère et Christian Gänser, « Chronique de jurisprudence de la CJUE », (2015) 6 AJDA 329.
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[39]
On reconnaît là la formule de l’arrêt international Handelsgesellschaft, supra note 5 à laquelle fait écho la seconde phrase du §1 de l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux.
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[40]
Point 213.
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[41]
Hélène Gaudin, « Si proches, si lointaines », AJDA (2015) 1079 ; Koen Lenaerts, The principle of mutual recognition in the area of freedom, security and justice, Intervention à la Fourth Annual Sir Jeremy Lever Lecture, Oxford, 30 janvier 2015.
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[42]
Exigence qui résulte d’une jurisprudence aussi ancienne que constante : CJE, Avis de la Cour du 14 décembre 1991, Avis 1/91, [1991] Rec CE I-06079 à la p 06079.
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[43]
De ce seul fait qu’une fois introduite dans l’ordre juridique communautaire la Convention européenne des droits de l'homme en fera partie intégrante, alors que son article 33 permet de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d’un manquement d’une autre partie à la Convention. Il s’agit là d’une violation directe de l’une des exigences du Protocole n° 8.
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[44]
Ce mécanisme dit du « prior involvment » avait été réclamé par la déclaration conjointe des présidents Costa et Skouris du 24 janvier 2011. Il a pour objet de permettre à la Cour de justice, dont c’est le rôle naturel, de prendre position sur une question de compatibilité du droit de l'Union avec la Convention qui n’aurait pas encore été tranchée ou ne l’aurait pas été complètement, avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne soit appelée à statuer. Seul un tel système permet d’assurer l’effectivité du principe de subsidiarité, c’est-à-dire de garantir que le respect des droits fondamentaux soit assuré en priorité, à l’intérieur de l’ordre juridique communautaire, par le juge de l’Union. La règle de l’épuisement des recours internes jouerait ainsi dans l’Union européenne comme elle joue à l’intérieur des États membres.
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[45]
Il s’agit là d’une question essentielle. En effet, en s’en tenant, pour l’implication préalable, aux questions de validité, les négociateurs ont complètement perdu de vue que l’interprétation tant du droit primaire que du droit dérivé peut permettre d’éviter une violation des droits fondamentaux par le moyen, notamment, d’une « interprétation neutralisante », technique couramment utilisée par les cours suprêmes des États membres aussi bien que par le Conseil constitutionnel français, la Cour de cassation ou le Conseil d'État. Pour la Cour de justice, voir l’exemple particulièrement topique de l’arrêt : Ordre des barreaux francophones et germanophone et autres c Conseil des ministres, C-305/05, [2007] Rec CE I-05305 et l’arrêt rendu ensuite par le Conseil d'État français : CE, 10 avril 2008, Conseil national des barreaux, [2008] Rec 129 conclusions Guyomar, RFDA 2008-575, conclusions Guyomar.
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[46]
Rappelés en dernier lieu par : CJUE, Avis de la Cour (assemblée plénière) du 8 mars 2011, Avis 1/09, [2011] JO 211.
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[47]
Voir par exemple : Jeau-Claude Bonichot, Cour de justice des Communautés européennes et Convention européenne des droits de l'homme : vers un partenariat enregistré ? Le droit dans une Europe en changement, Liber Amicorum Pranas Küris, 2007 à la p 95.
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[48]
Maximillian Schrems c Data Protection Commissioner, C-362/14, [2015] Rec non publié [Schrems] ; Emmanuelle Broussy, Hervé Cassagnabère et Christian Gänser, « Chronique de jurisprudence de la CJUE » (2014) 40 AJDA 2257, à la p 2263.
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[49]
CE, Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, [1995] JO, L 281, art 25.
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[50]
CE, Décision 2000/520/CE de la Commission du 26 juillet 2000 conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la pertinence de la protection assurée par les principes de la «sphère de sécurité» et par les questions souvent posées y afférentes, publiés par le ministère du Commerce des États-Unis d'Amérique, [2000] JO L 215 à la p 7.
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[51]
La Cour tire ainsi toutes ses conséquences de l’article 19§1 TUE selon lequel « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union ».
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[52]
C’est la reproduction du raisonnement fait dans l’arrêt Digital Rights Ireland.
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[53]
Sur l’ensemble des questions posées par les nouvelles technologies de l’information : Jean-Claude Bonichot, « la Cour de justice de l'Union européenne et les nouvelles technologies de l’information », Petites Affiches, n° 53 (15 mars 2016) 8. Sur la différence entre protection de la vie privée et protection des données : Julianne Kokott et Christoph Sobotta, « The distinction between privacy and data protection in the jurisprudence of the CJEU and the ECtHR » (2013) 3 : 4 Intl Data Privacy L 222.
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[54]
Data Protection Commissioner c Facebook Ireland Ltd et Maximilian Schrems, C-311/18, [2020] Rec non publié.
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[55]
Schrems, supra note 48.
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[56]
Dont on peut trouver le compte rendu sur le site web du Conseil d'État : « Conseil d'État » (2020), en ligne : Conseil d'État <www.conseil-etat.fr>.