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Par une lettre du 1er mars 2016[1], le Rwanda notifiait à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples son intention de retirer la déclaration faite au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples[2]. Avec ce retrait, le Rwanda entendait non seulement empêcher les nouveaux recours à son encontre, mais aussi suspendre les procédures en cours[3].

La nécessité de formuler une déclaration afin de permettre la saisine de la Cour par des personnes privées est une particularité africaine à la différence des autres juridictions régionales de protection des droits humains. Le retrait de la déclaration rwandaise réduisait à sept le nombre de pays permettant de tels recours[4]. Depuis, la Cour a vu le nombre remonter à huit avec la Tunisie qui a notifié une déclaration à la Cour au titre de l’article 34(6) et peut-être bientôt l’Égypte tel que l’a indiqué la Cour récemment[5]. À l’évidence, ce faible nombre traduit une lacune de la protection des droits humains en Afrique. En effet, certains auteurs fondaient beaucoup d’espoir dans ces dispositions, bien que soumises au bon vouloir des États; par exemple, Allain et O’Shea considéraient que

[w]hen the Protocol to the African Charter on the Establishment of the African Court on Human and Peoples’ Rights comes into force, it will provide for an African court having the responsibility to hold States for their obligations and to establish continent-wide standards. Thus within the domain of human rights, the States will take a step closer to realizing common norms worthy of a continent which has, as its fundamental underpinning and ethos, the notion of African unity[6].

Or, malgré les efforts diplomatiques multiples de la Cour, le faible nombre de déclarations ainsi que le retrait du Rwanda traduisent un échec – certes relatif – dans l’espoir d’une « nouvelle ère pour les droits de l’homme en Afrique[7] ». L’absence de « volonté politique[8] », d’abord manifeste pour établir la Cour[9], se prolonge malheureusement aujourd’hui encore dans l’ouverture de son prétoire aux individus et aux organisations non gouvernementales (ONGs).

Il va sans dire que les personnes privées sont, en raison des rigidités du Protocole relatif à la CADHP, les parents pauvres du système africain de protection des droits de l’homme[10]. Adopté en 1998 après trois sommets durant lesquels les négociations furent intenses[11], le Protocole relatif à la CADHP venait combler une lacune en créant une instance juridictionnelle de protection des droits de la personne. Selon certains observateurs, l’accès des personnes privées au prétoire de la Cour a été l’une des questions les plus débattues par les États impliqués dans les discussions[12]. Lors des négociations du Cap, suivant les recommandations des experts de l’Organisation de l’Union africaine (OUA), l’article 6 du projet de Protocole relatif à la CADHPavait été rédigé comme suit :

1. Notwithstanding the provisions of Article 5, the Court may, on exceptional grounds, allow individuals, non-governmental organizations and groups of individuals to bring cases before the Court, without first proceeding under Article 55 of the Charter.

2. The Court will consider such a case, taking into account the conditions enunciated in Article 56 of the Charter.

3. The Court itself may consider the case or refer it to the Commission.[13]

Dans cette première version, la possibilité pour les personnes privées de saisir la Cour n’était pas, comme cela est aujourd’hui le cas, dépendante d’une déclaration préalable de l’État membre visé, rendant ainsi le prétoire plus ouvert. Toutefois, le premier paragraphe mentionnait que la soumission des plaintes devait être acceptée par la Cour uniquement dans des conditions exceptionnelles, dont on peine aujourd’hui à comprendre les contours. Les discussions sur le projet se poursuivirent lors de la rencontre de Nouakchott et l’article 6 fut ainsi reformulé :

1. The Court may entitle NGOs with observer status before the Commission, and individuals to institute directly before it, urgent cases or serious, systematic or massive violations of human rights.

2. As the Court decides on the admissibility of a case instituted under the first paragraph of this article, it requests the opinion of the Commission which must give it as soon as possible[14]

Finalement, c’est lors de la troisième rencontre, en septembre 1997, que fut rédigée la formule actuelle impliquant une lecture parallèle des articles 5(3)[15] et 34(6) du Protocole relatif à la CADHP. Cette « ombre de nature rédactionnelle[16] » fut clarifiée par la suite par la Cour qui, elle, s’estima incompétente en l’absence de déclaration unilatérale formulée par un État au titre de l’article 34(6) du Protocole pour apprécier un litige qui lui était soumis par un particulier[17]. Bien que ses représentants aient été absents lors des négociations visant à rédiger le Protocole relatif à la CADHP, le Rwanda apparut rapidement comme l’un des soutiens de la Cour en signant et ratifiant le texte rapidement, mais aussi et surtout en étant le sixième État à déposer une déclaration conformément à l’article 34(6) du Protocole relatif à la CADHP[18]. Le retrait de sa déclaration permettant aux ONGs et aux individus de saisir la Cour par le Rwanda est une surprise, tant il fut soudain et inattendu.

Or, à la date du 1er mars 2016, des affaires impliquant le Rwanda étaient pendantes devant la Cour et on pouvait légitimement s’interroger sur la possibilité future de saisine. La Cour devait donc réagir, ce qu’elle fit le 3 juin 2016 en rendant une décision sur le retrait de la déclaration rwandaise dans l’affaire Ingabire Victoire Umuhoza c Rwanda[19]. Dans sa décision, la Cour rejette l’argument rwandais d’une prise en compte immédiate du retrait rwandais. En outre, la Cour développe un raisonnement par analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités[20] pour appliquer un délai d’un an pour que les justiciables aient le temps de formuler leur recours et écarte toute possibilité de suspendre les affaires pendantes. Cette décision de la Cour, dont les motivations tiennent en quelques paragraphes, était attendue pour deux raisons : en premier lieu, les règles d’interprétation des actes unilatéraux demeurent floues et il s’agissait d’une occasion de les clarifier; en second lieu, les raisons ayant conduit le Rwanda à se retirer semblent difficiles à comprendre et l’arrêt aurait pu lever le voile sur celles-ci. Le retrait rwandais posait un double défi à la Cour : en effet, il semblait se fonder davantage sur des considérations politiques et soulevait la question des règles d’interprétation des actes unilatéraux qui est assez mal encadrée par le droit international (I). La Cour africaine avait donc l’occasion de clarifier ces dernières, tout en s’appuyant sur l’acte de retrait comme justification contextuelle. Or, si la décision veut manifestement protéger les droits des justiciables, la démarche argumentative de la Cour est trop limitée pour être considérée comme un réel apport à l’interprétation des actes unilatéraux (II).

I. Les défis posés par le retrait du 1er mars 2016 : entre considérations politiques et vide juridique

Les déclarations formulées par les États afin de reconnaître la compétence d’une juridiction relèvent de l’exercice de leur souveraineté. Le retrait rwandais procède de cette logique, les autorités ne souhaitant plus être poursuivies devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples par des personnes privées. Or, les motivations du Rwanda visant une partie des requérants actuels et futurs vont à l’encontre du Protocole relatif à la CADHP (A). Par ailleurs, le retrait rwandais met en exergue les incertitudes du cadre juridique, tant dans la lex specialis que de la lex generalis, applicables au retrait des déclarations unilatérales de compétence (B).

A. Un retrait allant à l’encontre du texte et de l’esprit du Protocole relatif à la CADHP

La lettre de retrait envoyée par le Rwanda à la Cour le 1er mars 2016 ne mentionne pas simplement la volonté du gouvernement de Kigali, il en explique aussi les raisons. Celles-ci sont de deux ordres, soit personnelles et institutionnelles.

Dans un premier temps, la lettre du Rwanda commence par faire référence au génocide rwandais en expliquant que celui-ci a durablement marqué le pays. En effet, dans sa lettre, le gouvernement de Kigali explique à la Cour qu’il considère que « the 1994 genocide against the Tutsi was the most heinous crime since the Holocaust and Rwanda, Africa and the world lost a million people in a hundred days »[21]. À ce stade, rien de surprenant tant le génocide a meurtri le Rwanda[22].

Le paragraphe suivant est plus étonnant, visant à mots couverts une situation personnelle. La lettre dénonce en effet le fait que

a Genocide convict who is a fugitive from justice has pursuant to the above-mentioned Declaration, secured a right to be heard by the Honourable Court, ultimately gaining a platform for re-invention and sanitization, in the guise of defending Human rights of the Rwandan citizens[23].

Le fugitif dont il est ici question est l’ancien sénateur Stanley Safari[24] qui a été condamné en 2009 par un tribunal Gaçaça de Huye à la prison à vie pour son implication dans le génocide rwandais. Ce dernier est un opposant de longue date au président Kagame et il a, avec six autres requérants, saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples le 22 juillet 2015[25] pour objet de contester le processus de révision de l’article 10 de la Constitution rwandaise[26]. Cette modification, adoptée entre temps par référendum le 19 décembre 2015, avait pour objet de permettre au « président (Kagame) de briguer un troisième mandat[27] ». La requête ne concerne pas directement le statut de M. Safari, alors que même sa condamnation pourrait être à la base d’une saisine de la Cour, et s’apparente davantage à une motion d’opposants au régime actuel. Le Rwanda justifie son retrait par le fait que, lors du dépôt de sa déclaration permettant aux individus et aux ONGs de saisir la Cour, il n’avait pas envisagé que des personnes suspectées ou condamnées pour génocide ne puissent le poursuivre devant la Cour. Pourtant, ni la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples[28] ni le Protocole relatif à la CADHP ne contiennent de dispositions relatives à l’exclusion de certaines catégories de personnes du bénéfice de leur droit en raison des infractions qu’ils ont commises, de leurs opinions politiques, de leur race, ou encore de leur genre. Plus largement, une telle mesure contreviendrait à l’interdiction des discriminations qui est un principe cardinal du droit international des droits de la personne[29].

Dans un second temps, la lettre de l’ambassade motive aussi le retrait en estimant que le pays est capable de juger les litiges et de protéger effectivement les droits humains : « considering that Rwanda has set up strong legal and judicial institutions with and capable of resolving any injustice and human rights issues[30] ». Ces motivations semblent aller à l’encontre de la lettre et de l’esprit du Protocole relatif à la CADHP. En effet, si les conditions de saisine de la Cour en font un mécanisme supplétif, puisque l’épuisement des voies de recours internes est une condition de recevabilité des requêtes au titre de l’article 56(5) de la Charte africaine[31], il n’est nullement destiné à pallier temporairement aux lacunes des systèmes internes, le temps que ceux-ci relèvent leurs standards. Le retrait du Rwanda manifeste un retour en arrière, ramenant le pays à une conception très nationale de la protection des droits humains allant dans le sens contraire des tendances dégagées depuis près de cinquante ans[32]. Cette dernière a été expliquée par la doctrine en ce que les États

recourent plus volontiers à d’autres solutions, et en particulier, plutôt qu’internationaliser les recours, préfèrent ouvrir des possibilités de protection des droits fondamentaux des personnes privées dans un ou, le cas échéant, plusieurs ordres juridiques nationaux[33].

En outre, si le Rwanda prétend qu’il dispose aujourd’hui d'un droit et d’institutions judiciaires fiables lui permettant de protéger efficacement les droits fondamentaux, il est permis de douter de la solidité de l’argument – déjà superfétatoire – de Kigali. En effet, dans le dernier Examen périodique universel du Rwanda, le Comité des droits de l’homme a souligné l’incapacité du gouvernement Kagamé à répondre aux besoins d’aide juridictionnelle formulés par les individus : « Legal assistance at the state expense for those who did not have the means to pay for it, despite efforts, was insufficient. Lawyers needed to provide legal representation and not simply legal advice[34] ». Au cours des sessions, certains États ont mentionné aussi des problèmes d’indépendance du système judiciaire. Par exemple, la Hongrie a relevé que des interrogations relatives au droit à un procès équitable avaient été soulevées lors de procès impliquant des dossiers politiques sensibles[35]. D’autres, comme le Canada, ont demandé au Rwanda d’inviter le rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats[36]. Human Rights Watch a regretté qu’en dépit de l’engagement pris par le Rwanda lors de l’Examen périodique universel de 2011 de réviser son système judiciaire, ce dernier soit toujours en proie à des ingérences du politique et ne respecte pas les droits de la défense[37]. Dès lors, il ne semble pas que la communauté internationale partage l’avis rwandais sur sa propre capacité à pouvoir régler les problèmes relatifs à la protection des droits fondamentaux tant son système judiciaire semble perfectible.

Ainsi, les raisons avancées par le Rwanda pour retirer sa déclaration apparaissent particulièrement discutables. En effet, la protection des droits fondamentaux de tous est l’essence même des systèmes régionaux, peu importe qu’il s’agisse de personnes accusées des crimes les plus graves ou d’opposants politiques. En outre, avancer la qualité du système juridique et judiciaire n’est pas non plus une raison valable pour se désengager du régionalisme en matière de droits de la personne. Les justifications rwandaises relèvent en effet davantage de considérations politiques et ne sauraient être reçues juridiquement. Cependant, au-delà des motifs invoqués, le retrait rwandais est bien effectif. Or, le cadre juridique existant en matière de retrait des actes unilatéraux est lacunaire.

B. Les incertitudes du cadre juridique applicable au retrait des déclarations de compétence

Comme le relevaient certains auteurs, « le Protocole ne prévoit aucune disposition quant à sa dénonciation. Est-ce à dire qu’un État après avoir fait une déclaration peut la dénoncer à tout moment ?[38] ». En plus des questions précédemment exposées, il est possible de se demander si le retrait est immédiat, concerne les affaires en cours, ou si un délai raisonnable doit être laissé aux requérants pour déposer d’éventuelles requêtes devant la Cour. Autant de questions auxquelles ni la Charte africaine ni le Protocole relatif à la CADHP n’offrent de réponse.

Par ailleurs, la lettre officiant le retrait rwandais est aussi muette sur les délais envisagés :

Now therefore, the Repuplic of Rwanda in exercise of its sovereign prerogative, withdraws the Declaration it made on the 22nd day of January 2013 accepting the jurisdiction of the African Court on Human and Peoples’ Rights to receive cases under article 5 (3) of the Protocol and shall make it afresh after a comprehensive review.[39]

Toutefois, dans les courriers échangés avec la Cour, le Rwanda demandait la suspension immédiate des procédures, y compris dans les affaires en cours[40]. Ainsi, les autorités de Kigali demandaient une prise d’effet immédiat du retrait.

En l’absence de lex specialis, c’est vers la lex generalis qu’il faut se tourner pour tenter de trouver des réponses aux questions soulevées par le problème. Or, les réponses du droit international laissent aussi planer une incertitude quant à la prise en compte du retrait rwandais. En effet, la question centrale est de connaitre le délai applicable au retrait de la déclaration. De 1997 à 2006, la Commission du droit international a travaillé sur les actes unilatéraux et notamment sur leur interprétation. Malheureusement, la Commission a rencontré de grandes difficultés. En effet, les membres ont eu toutes les peines du monde à s’entendre sur une classification des actes unilatéraux[41], notamment en raison des débats doctrinaux : une partie préférant une classification selon leurs effets[42]; une autre proposant une classification selon leur objet[43]. Dès lors, la question des règles applicables à leur interprétation fut, par ricochet, difficile à traiter. Très rapidement, un différend entre les membres surgit. Certains militaient pour une application mutatis mutandis des règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités[44], d’autres étant beaucoup plus nuancés, considérant l’analogie trop simpliste[45]. Au terme de travaux particulièrement débattus, le résultat demeure modeste[46]. En effet, si les membres ont pu s’entendre sur un certain nombre de principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, aucun consensus n’a pu être dégagé au sujet de leur interprétation[47].

De son côté, la jurisprudence internationale a aussi eu à se prononcer sur l’interprétation des actes unilatéraux. En 1986, la Cour internationale de justice (CIJ) avait pu laisser entrevoir de manière implicite la possibilité d’appliquer les règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités aux actes unilatéraux. En effet, sans l’énoncer clairement, la Cour renvoyait aux règles d’interprétations contenues notamment aux articles 31(1) et 31(2) : « pour apprécier les intentions de l’auteur d’un acte unilatéral, il faut tenir compte de toutes les circonstances de fait dans lesquelles cet acte est intervenu[48] ». Interpelée sur le point plus spécifique des déclarations facultatives de juridiction obligatoire effectuées au titre de l’article 36(2) de son Statut[49], la Cour modula les ardeurs des militants de l’analogie. Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c États-Unis d’Amérique)[50], la Cour a, dans un premier temps, constaté que « le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi[51] ». Par la suite, la Cour a fait référence à l’application de la Convention de Vienne sur le droit des traités et notamment à son article 56, mais a précisé que l’appréciation du retrait devait se faire considérant un « délai raisonnable[52] ». La Cour a continué dans ce sens en précisant que l’application par analogie des règles énoncées par la Convention de Vienne sur le droit des traités aux actes unilatéraux ne pouvait être automatique. En ce sens, dans l’Affaire de la compétence en matière de pêcherie (Espagne c Canada)[53], la Cour considéra que « les dispositions de la Convention de Vienne peuvent s'appliquer seulement par analogie dans la mesure où elles sont compatibles avec le caractère sui generis de l'acceptation unilatérale de la juridiction de la Cour[54] ». En définitive, la Cour laisse la possibilité d’appliquer les règles de la Convention de Vienne, mais en fait une simple faculté, devant se justifier au cas par cas. Dès lors, le problème de l’interprétation du retrait rwandais soulevait tout un défi pour la Cour africaine : elle devait en effet se justifier dans son choix de retenir l’analogie avec la Convention de Vienne ou de l’écarter.

En outre, la pratique conventionnelle n’est pas uniforme en matière de dénonciations de traités relatifs aux droits fondamentaux. En effet, l’article 78(1) de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme[55] pose le principe d’un délai d’un an :

Les États parties peuvent dénoncer la présente Convention à l'expiration d'un délai de cinq ans à partir de la date de son entrée en vigueur, moyennant un préavis d'un an, adressé au Secrétaire général de l'Organisation, qui doit en informer les autres États parties.[56]

Il est intéressant de noter que si un délai est fixé, la possibilité de retrait de la déclaration de compétence n’est offerte que cinq ans après l’entrée en vigueur. Cet article a par ailleurs été interprété par les juges de San José :

L’action unilatérale d’un État ne peut ôter à une Cour internationale la compétence qu’il lui a déjà reconnue [lorsqu’] un État [est autorisé à] retirer sa reconnaissance de la compétence contentieuse de la Cour, il devra donner une notification formelle un an avant que le retrait puisse prendre effet, pour des raisons de sécurité juridique et de continuité.[57]

De son côté, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[58] impose un délai de six mois à son article 56(1) en posant la même condition préalable de cinq ans que son homologue américaine : 

Une Haute Partie contractante ne peut dénoncer la présente Convention qu’après l’expiration d’un délai de cinq ans à partir de la date d’entrée en vigueur de la Convention à son égard et moyennant un préavis de six mois, donné par une notification adressée au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, qui en informe les autres Parties contractantes.[59]

En tant que tel, il ne s’agit pas de déclaration unilatérale de compétence comme le prescrit le système africain, mais de dénonciation de traités, nécessitant donc encore un raisonnement par analogie.

La question posée à la Cour africaine par le retrait rwandais soulevait des incertitudes juridiques relatives à l’interprétation des actes unilatéraux. De plus, la Cour devait soupeser les arguments de manière à ne pas rendre une décision trop attentatoire à la souveraineté de l’État, mais aussi ne restreignant pas à l’accès à son prétoire, tant pour les litiges pendants que futurs. Cette tension transparait dans la décision de la Cour. Toutefois, le comportement subséquent du Rwanda met en péril les droits des justiciables dont des affaires sont encore pendantes devant la Cour.

II. L’arrêt du 3 juin 2016 de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples : entre souci des justiciables et déni de justice manifeste

Considérant l’absence de dispositions claires applicables au cas d’espèce et parce que des affaires étaient pendantes, la Cour dut se prononcer sur le retrait rwandais et les conséquences à en tirer. Dans son arrêt rendu le 3 juin 2006, la Cour africaine des droits de l’homme entérine le retrait rwandais en indiquant que celui-ci sera effectif un an après sa notification, soit le 1er mars 2017. Les juges prennent aussi le soin de préciser que les procédures engagées avant cette date poursuivront leur cours. Pour cela, la décision de la Cour a appliqué par analogie la Convention de Vienne sur le droit des traités, et notamment l’article 56 (A). Or, cette analogie a été débattue au sein de la Cour et le Rwanda refuse aujourd’hui de se présenter devant la Cour, semblant ne pas accepter la décision (B).

A. L’analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités retenue par la Cour africaine

Le retrait inattendu du Rwanda de sa déclaration faite au titre de l’article 34(6) a contraint la Cour à modifier son calendrier en urgence afin de trancher sur le devenir des litiges pendants et futurs. En effet, alors que la lettre du Rwanda a été reçue au Greffe de la Cour le 2 mars[60], des audiences étaient prévues le 4 mars dans le litige opposant Ingabire Victoire Umuhoza au Rwanda[61]. Dans les échanges entre Kigali et la Cour, les autorités rwandaises demandaient une prise d’effet immédiat de son retrait qui devait, bien évidemment, opérer dans le futur et ce, jusqu’à nouvel ordre : « La République du Rwanda demande qu’après le dépôt dudit instrument, la Cour suspende toutes les affaires concernant la République du Rwanda, notamment l’affaire citée ci-dessus, jusqu’à ce qu’une révision de la déclaration soit faite[62] ». Une telle requête fut soumise à la Cour dans toutes les autres affaires pendantes.

À bien des égards, le litige qui devait être plaidé devant la Cour est aussi une affaire éminemment politique, même si le Rwanda ne vise pas Ingabire Victoire Umuhoza explicitement ou implicitement dans son acte de retrait. Cette dernière est une opposante politique de longue date au président Kagamé et depuis son retour au Rwanda en 2010 afin d’agir en politique, elle se plaint d’être victime d’un harcèlement judiciaire et d’une condamnation abusive à 15 ans d’emprisonnement[63]. Au-delà des motifs non juridiques conduisant le Rwanda à se retirer, trois questions de droit se sont posées à la Cour : le retrait est-il permis ? Doit-on suspendre les affaires en cours ? Sinon, à partir de quand le retrait rwandais sera-t-il effectif ?

À la première question, la Cour considère à l’unanimité que le retrait est licite[64]. D’ailleurs, la requérante ne contestait pas ce point, ses conseils estiment qu’empêcher un retrait serait « trop radical[65] ». De leur côté, les juges d’Arusha mentionnent que ce droit découle de la souveraineté de l’État[66] et reconnaissent sa validité, non seulement, au regard du droit international général, mais aussi du Protocole relatif à la CADHP. Sans le dire, la Cour fait une application de la règle résiduelle de liberté[67], telle qu’énoncée dans l’Affaire du Lotus (France c Turquie)[68] :

Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l'indépendance des États ne se présument donc pas[69].

Toutefois, la Cour africaine précise rapidement que le droit de retrait rwandais n’est cependant pas « absolu[70] », préparant ainsi sa réponse aux questions suivantes.

Par la suite, les juges d’Arusha vont entremêler les justifications au délai à appliquer au retrait de la déclaration. Dans un premier temps, la Cour va rappeler le principe de sécurité juridique pour considérer qu’un délai de notification est nécessaire, commençant ainsi à rejeter l’application immédiate du retrait[71]. Les juges vont considérer que la Convention de Vienne sur le droit des traités peut s’appliquer par analogie et retenir l’application de l’article 56 qui prescrit un délai d’un an[72]. En outre, les juges renvoient à la pratique du système américain pour justifier leur décision[73]. Sur ce fondement, la Cour a alors décidé que « l’acte ne prendra effet qu’après la période de préavis [d'un an][74] » et que, par ricochet, il n’aura pas d’effet rétroactif[75].

Dans ses conclusions, la Cour est allée plus loin que la requérante qui invoquait, certes, l’applicabilité de l’article 56 de la Convention de Vienne sur le droit des traités[76], mais concluait surtout en l’application d’un délai raisonnable à l’application de la décision de retrait[77]. Si les juges s’entendent sur la non-rétroactivité des affaires en cours, deux font dissidence sur le délai d'un an[78], et l’un deux, s’il se range à la solution retenue, en critique les motivations[79]. Au regard des doutes énoncés précédemment, on peut regretter que la Cour ait fait l’économie de commentaires justifiant son analogie, notamment au regard de l’imprécision du droit international applicable à la matière. Par ailleurs, la CIJ a déjà retenu une telle méthode pour interpréter les actes unilatéraux, tout en prenant bien soin de motiver très largement son choix, ce que ne fait pas la Cour. Les juges d’Arusha ont indéniablement manqué une occasion de fournir une contribution importante à l’interprétation des actes unilatéraux et ont ouvert la voie aux critiques, tant de certains juges que du Rwanda.

B. Une décision critiquée aux conséquences fâcheuses

Si la décision de la Cour a été adoptée à une large majorité de ses membres, il n’en demeure pas moins que la brièveté de sa motivation, notamment en ce qui a trait à l’analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, est sujette à discussion.

Dans l’opinion dissidente, le court argumentaire de la Cour est mis à mal par les juges Ramadhani et Niyungeko[80] et ils le considèrent comme « empreint d’ambigüité[81] ». Ils expriment être en désaccord avec leurs collègues tant sur la démonstration que sur le délai d’un an appliqué au retrait rwandais. Dans un premier temps, ils regrettent que la Cour ne se soit pas inscrite dans les lignes tracées par la CIJ dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcherie dans laquelle les juges de La Haye avaient énoncé que bien que l’analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités demeurait possible, elle n’était que simple faculté et qu’il fallait la justifier[82]. À l’évidence, le raisonnement de la Cour africaine ne convainc pas et le renvoi à des pratiques sélectives n’a pas convaincu ces deux juges[83]. En effet, la Cour aurait dû justifier davantage une analogie ambitieuse. Ensuite, les juges considèrent la durée d’un an comme un « délai excessif[84] ». Poursuivant leur critique, ils mentionnent que les droits protégés sont en l’espère limités à certains requérants sur le point de saisir la Cour africaine. En effet, ils estiment qu’

on pourrait considérer que de telles personnes ou ONG sont celles qui étaient sur le point ou qui venaient d’épuiser les voies de recours internes ou qui envisageaient d’invoquer la prolongation anormale de ces recours ou encore leur inefficacité[85]

et que « si l’on admet cette ligne de raisonnement, il est clair qu’un délai d’un an est excessif et déraisonnable[86] », préférant un délai de six mois[87]. Un peu plus d’un an plus tard, on peut se demander si le délai fixé par la Cour était si excessif que cela, car deux dossiers ont été déposés au greffe de la Cour dans les derniers jours de février 2017[88].

De son côté, le juge Ouguergouz ne conteste pas le fond de la décision, mais simplement la manière dont la Cour arrive à sa conclusion. À l’instar de ses collègues, il déplore que l’arrêt de la Cour soit insuffisamment justifié[89]. Dans son opinion individuelle, le juge utilise la méthode prescrite par la Cour internationale de justice dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcherie en tentant de déterminer le caractère de l’acte unilatéral en cause[90] avant de tenter de l’interpréter, offrant ainsi un texte d’une grande rigueur. Le juge commence par constater que les déclarations faites par les États afin que les ONGs et les individus puissent saisir la Cour au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la CADHPsont profondément différentes des autres déclarations d’acceptation de juridiction, comme par exemple, celles faites dans le cadre de l’article 36 du Statut de la CIJ[91]. Ce constat est facilement partageable, car l’exigence de ce type de déclaration est assez unique dans le cadre de la protection des droits fondamentaux et se présente davantage dans les litiges interétatiques. En outre, le juge regrette à bon escient que la Cour n’ait pas pris le soin de constater que la déclaration rwandaise n’est pas un acte unilatéral autonome, mais un acte rattachable à un traité, en l’espèce le Protocole relatif à la CADHP[92]. Dès lors, il considère que la Cour aurait dû imprégner sa décision de ces éléments de contexte pour s’interroger davantage sur le délai raisonnable applicable au retrait de la déclaration du Rwanda qui lui aurait permis d’arriver au même résultat, mais de manière plus argumentée.

À la suite de l’arrêt de la Cour du 3 juin 2016, le Rwanda n’a pas fait de commentaires immédiats. Toutefois, il a semblé continuer à s’engager dans le système africain de protection des droits humains en faisant élire, lors du 17e sommet de l’Union africaine à Kigali qui s’est tenu en juin 2016, l’honorable Marie-Thérèse Mukamulisa comme juge à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples[93]. À l’approche de nouvelles audiences programmées dans l’affaire Ingabire le 16 mars 2017, le gouvernement rwandais changea sa stratégie du tout au tout. Après avoir demandé le report des plaidoiries au 22 mars, le comportement du gouvernement de Kigali devint très peu compréhensible. En effet, le gouvernement rwandais commença par contester le rectificatif fait par la Cour à l’arrêt du 3 juin 2016[94], considérant que « the court’s judgment of June 3, 2016, which ruled that proceedings in the cases pending before the court would continue, was changed[95] ». Or, le rectificatif fourni par la Cour contient trois paragraphes et ne vise qu’à ajouter des indications mineures, relatives à l’applicabilité de la Convention de Vienne sur le droit des traités[96] et une précision sur la poursuite de la procédure dans le dossier Ingabire[97]. La Cour ne modifie pas, comme le prétend le Rwanda, sa décision dans son rectificatif, son arrêt étant clair sur l’ensemble du dispositif. Elle apporte simplement des petites précisions afin que son arrêt soit plus compréhensible. Dès lors, on ne peut comprendre les arguments du gouvernement rwandais, et encore moins l’accusation portée par le ministre de la Justice qui considère que la Cour tente de ternir la réputation du pays en matière de respect des droits de l'homme[98]. À vrai dire, le Rwanda ne peut invoquer sa propre turpitude et faire porter l’odieux à la Cour. En effet, le retrait de la faculté laissée aux individus et aux ONGs de saisir la Cour contre le Rwanda est davantage attentatoire à sa réputation que l’arrêt du 3 juin, qui se borne à constater les effets de cette regrettable décision. Le point d’orgue de ces auditions fut le refus du Rwanda de se présenter devant la Cour le 22 mars et donc, son absence aux auditions. Le gouvernement Kagame trouva encore une autre justification discutable en accusant la Cour de ne pas avoir reçu favorablement la contestation de la participation comme amicus curiae de certaines ONGs aux procédures[99].

Par la suite, la Cour a continué à communiquer avec le Rwanda notamment en raison du dépôt de nouvelles plaintes contre lui. Ainsi, elle a informé le Rwanda des dossiers Mugesera et Mulindahabi en fixant des délais de réponse au défendeur[100]. Malheureusement pour les droits fondamentaux des requérants, le Rwanda s’est entêté à refuser de se présenter devant la Cour, et ce, dans des termes particulièrement durs. En effet, dans un courrier du 9 mai, le Rwanda mentionne que

notified the Hon. Court its cessation to participate in applications pending before the Hon. Court due to strong grounds indicating that the process with regard to cases involving Rwanda is not independant, impartial and the results are pre-determined[101].

La remise en cause de l’indépendance et de l’impartialité de la Cour est particulièrement surprenante, et il est permis de s’interroger sur la réalité d’une telle critique. En effet, il s’agit là des fondements mêmes de la justice internationale qui sont ébranlés par Kigali. En outre, comment une juridiction composée de plusieurs juges reconnus et venant de plusieurs États du continent pourrait-elle en vouloir autant au Rwanda ? La critique n’a pas de sens. Évidemment, la lettre indique aussi que le Rwanda ne souhaite pas se présenter devant la Cour, se faisant ainsi le propre interprète du retrait de sa déclaration[102]. Plus encore, la lettre demande à la Cour de cesser de notifier tout acte de procédure dans lequel le Rwanda serait impliqué, et ce jusqu’à ce que la position du gouvernement change, rompant ainsi les canaux de communication avec l’institution[103].

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Alors que l’année 2016 était celle des droits humains pour l’Union africaine, le retrait de la déclaration du Rwanda de sa déclaration faite au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la CADHPest un recul manifeste pour la protection des droits des personnes privées. Ce sentiment est d’autant plus renforcé que les motifs avancés par Kigali relèvent de considérations discutables, visant à exclure du prétoire de la Cour une certaine catégorie de requérants. Devant les incertitudes du droit applicable, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avait l’occasion de clarifier les règles d’interprétation des actes unilatéraux. C’est ce qu’elle a tenté de faire en proposant une analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, mais ses justifications insuffisantes ont soulevé critiques et contestations. S’engouffrant dans cette brèche, le Rwanda en a profité pour ne plus se présenter aux audiences programmées par la Cour et ce, en méconnaissance de l’arrêt du 3 juin 2016, en justifiant son comportement par des motifs difficiles à suivre. La décision de la Cour, et ses conséquences, permettent de rappeler une lacune du système africain de protection des droits de la personne, celle de « la foi en l’étatisme éclairé s’impose dans le cadre du Protocole relatif à la CADHPau détriment de la confiance en l’individu sujet de droits[104] ». Au surplus, l’ouverture limitée du prétoire de la Cour, encore renforcée par le retrait rwandais, constitue « une limite à la protection des droits fondamentaux en ce qu’elle limite l’accès du prétoire aux justiciables les plus susceptibles de mettre en lumière les violations les plus flagrantes des droits de l’homme[105] ». Évidemment, à l’instar de certains auteurs[106], il est possible d’espérer et d’appeler une réforme permettant de garantir plus efficacement les droits de la personne, mais cela ne semble malheureusement pas être pour demain.