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Introduction

L’objectif clé de la formation infirmière en France réside dans le développement des dix compétences déterminées dans le programme de formation, dont le socle est le raisonnement clinique. Ce programme de formation, élaboré selon le principe de didactique professionnelle (Mayen et al., 2017) permet de construire la formation des compétences professionnelles d’adultes au regard de l’analyse de l’activité travail dans le but d’établir les contenus et les méthodes associés. Une des particularités de l’approche de la didactique professionnelle par la simulation permet l’analyse réflexive et rétrospective de l’activité professionnelle au cours de la phase de debriefing (Pastré et al., 2006). Cette stratégie éducative peut ainsi mettre en lumière les processus cognitifs et métacognitifs en jeu, au cours de cette analyse, lors de la prise en soins d’un patient ou d’une patiente dans une situation clinique donnée. La qualité et l’efficience de cette prise en soins à l’issue de raisonnement clinique professionnel permettent de limiter la survenue de dysfonctionnements, voire d’erreurs, associés à des soins réalisés (d’investigation, de traitement ou de prévention) qui ont un impact négatif sur le patient ou la patiente, que l’on nomme évènements indésirables graves associés aux soins. Une étude récente de l’évolution de l’incidence des évènements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé entre 2009 et 2019 révèle que 4,4 évènements indésirables graves (EIG) en moyenne se produisent pour 1 000 jours d’hospitalisation en 2019 (Michel et al., 2022, p. 131). L’analyse des facteurs contributifs fait émerger plusieurs causes à la survenue de ces évènements indésirables graves, dont la principale est la défaillance humaine avec notamment les biais cognitifs, suivi de la communication entre les membres du personnel professionnel. En France, la Haute Autorité de santé (HAS) élabore des recommandations pour les professionnels et professionnelles de la santé. Elle promeut la simulation en santé comme méthode pédagogique innovante et contributive à la gestion des risques associés aux soins, en permettant un environnement de détection ou de prévention de l’erreur (HAS et Société francophone de simulation en santé, 2019). De plus, le Programme national pour la sécurité des patients (PNSP) a été mis en place dans une volonté de structurer et de renforcer les actions dans le domaine de la sécurité des patients et patientes : « faire de la simulation en santé sous différentes formes une méthode pédagogique prioritaire, en formation initiale et continue, pour faire progresser la sécurité » (Ministère de la Santé et de la Prévention, 2022). La simulation en santé permet de travailler sur cette gestion des risques en situations simulées. Ainsi peut être exercée la capacité des équipes à faire face à des situations potentiellement ou objectivement à haut risque d’erreurs et de développer la synergie d’équipe, facteur majeur de la sécurité (HAS et Société francophone de simulation en santé, 2019). D’autre part, le dernier rapport d’octobre 2022 sur l’évolution de la profession et de la formation infirmières recommande de diminuer le volume du temps de stage en première année et d’augmenter la formation en simulation (Fournier et al., 2022). Cette simulation en santé a été introduite depuis l’arrêté du 26 septembre 2014 dans les modalités pédagogiques du programme de formation. Cet arrêté permet de travailler sur des expériences qui seront guidées et qui modélisent, de façon interactive, la plupart des aspects de la réalité des tâches infirmières, qui seront ainsi mieux appréhendés au cours des stages cliniques. Le raisonnement de l’être humain est très souvent illogique, biaisé par des émotions, des préjugés, des opinions (Houdé, 2019). Toutefois, comme le soulèvent les premières interrogations dans l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), l’être humain est fait de paradoxes, d’omissions et de particularités, si bien que les algorithmes de l’IA, certes en mode d’apprentissage automatique, ne permettraient pas à ce jour de se dispenser de l’outil incontournable à toutes les professions de la santé : le raisonnement clinique. L’IA est composée essentiellement d’algorithmes logiques. Ceuxci, codés par des développeurs qui sont eux aussi soumis aux biais cognitifs, sont mécanisés et dénués de sentiments et ne laissent que peu de place à l’intelligence émotionnelle (Houdé, 2019; Pelaccia et al., 2020).

Problématique

En France, un changement de paradigme s’est opéré dans la profession infirmière par la Loi n°78-615 du 31 mai 1978 avec l’officialisation du rôle propre et autonome de l’exercice infirmier. L’infirmier ou l’infirmière doit mettre en oeuvre son jugement clinique afin de poser des problèmes de santé relevant de son champ de compétences et mener les actions appropriées. Ce changement de paradigme et l’évolution de la technologie en santé, de la priorisation de la sécurité des patients et patientes, de l’intégration de la qualité dans les soins, ainsi que de l’évolution des métiers de la santé ont influé sur le programme de formation professionnelle des étudiantes et étudiants en santé. Il faut également prendre en compte le profil de ces personnes entrant dans la formation aux métiers de la santé. Elles sont issues des générations des natifs numériques, avec des particularités qui nécessiteraient des stratégies pédagogiques particulières. Selon Boulé (2012), les étudiants et étudiantes de la génération Y (nés entre 1981 et 1996) ont :

[...] besoin de rétroaction fréquente chez un apprenant qui accepte mal la critique et gère mal les difficultés et les déceptions [...] l’omniprésence des technologies et son impact, l’expertise des étudiants dans le travail collaboratif, leur difficulté d’apprentissage. [...] D’une façon générale, ces étudiants ne sont pas contestataires, ils veulent simplement comprendre.

p. 23

Les caractéristiques de la génération Y qui ressortent sont principalement la recherche de sens et de diversité, la recherche de motivation, des objectifs clairs et des instructions détaillées pour avancer (Hernaus et Vokić, 2014). Quant à la génération suivante, la génération Z (nés entre 1996 et 2009), elle souligne « l’importance du sens de l’équité dans les relations de travail, la valeur accordée au professionnalisme, et enfin l’intérêt porté à l’action, portée par l’innovation et la prise de risques » (Dalmas, 2019, p. 109). En France, depuis 2009, la formation doit prendre en compte à la fois la formation d’une ou d’un professionnel réflexif et compétent et la mise en oeuvre d’une formation de qualité en tenant compte des besoins et spécificités de ces étudiants et étudiantes, mais doit également répondre aux injonctions des tutelles d’intégrer des méthodes pédagogiques actives et innovantes comme la simulation depuis l’arrêté du 26 septembre 2014. La formation conduisant au diplôme d’État d’infirmier vise à l’acquisition de dix compétences professionnelles dont les deux premières sont axées sur le raisonnement clinique. Le processus de raisonnement clinique est régi par le concept de compétence où le professionnel ou la professionnelle doit réaliser une tâche complexe, identifiée comme étant le savoir-agir, à la fois en tenant compte du contexte et en analysant et contrôlant ses propres activités cognitives. Ce processus de réflexion, verbalisé ou non, qui se met en place lorsque l’environnement est perçu comme relevant d’un problème, enclenche une tâche cognitive. Pour cela, les exigences liées à la tâche et la gestion de la pensée pour y parvenir reposent sur la métacognition. La métacognition est la capacité d’un individu d’analyser sa propre façon de penser (Stassen et al., 2012). Elle permet de mobiliser les connaissances introspectives conscientes qu’un individu particulier a de ses propres états ou processus cognitifs et les capacités qu’il a de délibérément contrôler et planifier ses propres processus cognitifs dans un but de performance. Cette prise de conscience permet une autorégulation de la personne apprenante dans le contrôle (repérer les erreurs, éviter la digression du but à atteindre) et la régulation dans l’intention de corriger ces erreurs (Noël et al., 2016).

Le fait de favoriser le développement de la métacognition dans l’enseignement permet à l’étudiant ou l’étudiante d’établir les processus cognitifs qui lui sont propres, mais aussi au personnel enseignant de mettre en lumière les stratégies étudiantes utilisées afin de les exploiter dans l’accompagnement du processus d’apprentissage. Le rôle de l’enseignant ou l’enseignante sera d’accompagner la personne apprenante dans sa construction d’un savoir métacognitif par l’explicitation de son fonctionnement cognitif, l’analyse de ce fonctionnement et sa conceptualisation métacognitifs (Romainville et al., 1995). Ainsi, selon Testevide (2012) :

Le formateur en institut de formation en soins infirmiers joue le rôle de médiateur en entrainant les étudiants à améliorer leur efficacité cognitive, à comprendre ce qu’ils font quand ils travaillent, à stabiliser des procédures efficaces, à prendre le recul nécessaire à l’acquisition de connaissances transférables.

p. 43

Ce savoir-agir découle d’un processus d’analyse complexe mobilisant les trois dimensions de la compétence, les savoirs (les connaissances), le savoir-faire (les habiletés) et le savoir-être (les attitudes). La démarche de raisonnement clinique est un processus complexe où différentes étapes interagissent presque simultanément et qui a été formalisé grâce au travail de six cliniciennes et cliniciens de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal accompagnés par une cogniticienne (Charlin et al., 2012) De nombreuses études ont permis d’établir la typologie des erreurs dans le processus de raisonnement clinique qui peuvent engendrer des conséquences défavorables pour le patient ou la patiente (Pelaccia, 2018; Ratté et al., 2017; Sanche et al., 2012). Afin d’accompagner l’apprentissage du raisonnement et du jugement clinique, un modèle de réflexion sur la pratique du raisonnement clinique a été développé pour les formateurs et formatrices en soins infirmiers (Lavoie et al., 2017). Celuici gravite autour de cette modélisation d’autres théories au regard de l’environnement et de la personne, par exemple la cognition sociale en lien avec l’étude des processus par lesquels les personnes donnent du sens à elles-mêmes, aux autres, au monde qui les entoure, ainsi qu’aux conséquences de leurs pensées (Mondada et Pekarek Doehler, 2000). Mais également, il souligne l’influence du rôle du social dans le raisonnement cognitif avec l’importance de l’interaction dans la zone proximale de développement (Rochex, 1997). Ou encore, il prend en compte l’influence des environnements sociaux et physiques dans le développement de l’individu avec la théorie écologique d’Urie Bronfenbrenner (Stassen et al., 2012). La zone d’apprentissage optimale des étudiants et étudiantes sera facilitée grâce à l’interaction de l’environnement social.

Concernant les processus logiques mis en oeuvre par notre cerveau selon les approches de Jean Piaget (Stassen et al., 2012), plusieurs nuances ont été soulignées. Le cerveau n’est pas à l’abri de processus illogiques, au contraire. C’est, par exemple, ce que postule la théorie du système 1 et du système 2 de Daniel Kahneman (2012) :

Nous avons deux systèmes de pensée qui se relaient, se complètent et provoquent nos erreurs de jugement [...]. Les erreurs humaines ne sont pas toutes absurdes, irrationnelles, elles sont souvent le produit d’heuristique, de raisonnements qui semblent justes, mais ne le sont pas parce qu’ils reposent sur des biais cognitifs (raisonnements apparemment fiables, mais qui comportent des erreurs).

p. 21

Cette théorie des systèmes a été reprise par plusieurs auteurs et autrices dans la théorie du double processus (Croskerry et al., 2013). Il existerait un moyen d’inhiber le système intuitif afin de favoriser le système analytique et de limiter ainsi les erreurs, selon la théorie du système 3 d’Olivier Houdé (2014), qui fait suite aux travaux de Daniel Kahneman : il s’agit de l’inhibition cognitive dans le raisonnement. Ce système exécutif, dépendant du cortex préfrontal, permettrait d’inhiber le système 1 (intuitif) afin d’activer le système 2 (analytique), selon les cas. Le système 3 peut se schématiser comme une course entre l’heuristique (H) avec la réponse incorrecte et l’algorithme exact (A) avec la réponse correcte, ce qui nécessite l’intervention de l’inhibition (I) issue du cortex préfrontal pour arrêter l’heuristique (Brault Foisy et al., 2015). Suite à ces différents constats, une question se pose : comment améliorer la pertinence du processus de raisonnement clinique des étudiants et étudiantes en soins infirmiers en formation initiale afin de développer la sécurité dans les soins tout en maintenant un climat sécuritaire dans le processus d’apprentissage?

L’hypothèse émise par ce travail de recherche est que la simulation haute-fidélité permet à l’étudiant ou l’étudiante en soins infirmiers de prendre conscience de ces processus cognitif et métacognitif et d’évaluer la pertinence de son raisonnement clinique.

Contexte de la recherche

Cette recherche s’appuie sur les travaux de la genèse instrumentale de Pierre Rabardel qui précise la distinction entre l’artéfact (l’objet) et l’instrument (la finalité de l’utilisation), ainsi que les médiations qu’ils sous-tendent dans l’utilisation par le sujet de l’objet sur lequel porte l’action (Rabardel, 1995). Cette recherche utilisera la médiation de l’apprentissage du raisonnement clinique infirmier à l’aide de l’artéfact qui sera ici le mannequin haute-fidélité dans un objectif d’analyse de l’activité en situation simulée (Rogalski, 2005). Cette instrumentation permettra de déterminer de quelle façon l’artéfact va contribuer à préstructurer l’action du sujet (avec l’émergence des schèmes chez le sujet) pour réaliser la tâche en question, en situation la plus proche de la réalité professionnelle (théorie de l’action située) (Pastré, 2011). Cette recherche a adopté un devis quasi expérimental afin de chercher une éventuelle relation entre l’acquisition des compétences en lien avec le raisonnement clinique et la prise de conscience de biais cognitif suite à un raisonnement intuitif.

Méthode générale

Échantillon

L’étude s’orientera vers un échantillonnage par choix raisonné au vu des critères, mais aussi dans la faisabilité de la réalisation. Celuici sera constitué d’étudiantes et étudiants infirmiers de deux promotions du même institut de formation. Pour cette recherche, deux échantillons d’étudiantes et étudiants en soins infirmiers ont été constitués avec des critères spécifiques :

  • Le premier échantillon (promotion 2014-2017), qui sera le groupe témoin, est constitué d’étudiantes et étudiants de début de troisième année de l’Institut de formation en soins infirmiers de Versailles qui ont reçu le même apport théorique sur le processus de raisonnement clinique infirmier que le deuxième échantillon. Cet échantillon représente 63 étudiantes et étudiants.

  • Le deuxième échantillon (promotion 2015-2018), qui sera le groupe test, est constitué d’étudiantes et étudiants de début de deuxième année de l’Institut de formation en soins infirmiers de Versailles, qui ont reçu le même apport théorique sur le processus de raisonnement clinique infirmier que le premier échantillon. Cet échantillon représente 64 étudiantes et étudiants.

  • Tous les étudiants et étudiantes, promotion témoin et promotion test, ont effectué leurs stages en milieux cliniques dans le même secteur géographique, ce qui garantit que l’évaluation des compétences du portfolio sera mesurée de manière équivalente;

  • Tous les étudiants et étudiantes, de la promotion témoin et de la promotion test, ont eu les mêmes modalités et critères de notation pour les évaluations théoriques en lien avec les deux compétences du raisonnement clinique.

Le choix du semestre de formation de la promotion test a été arrêté sur le troisième, car l’apprentissage de la démarche clinique par raisonnement hypothético-déductif (formulation d’hypothèses et diagnostics, et élaboration de stratégies pour les vérifier de façon systématique selon Stassen et al. (2012), en lien avec les deux premières compétences, se déroule au cours des trois premiers semestres de formation. Les trois derniers semestres de formation permettent à l’étudiante ou l’étudiant de s’approprier et de maitriser ce raisonnement clinique, en lien avec le développement de la professionnalisation (Poumay et al., 2017).

Méthode de recherche

L’hypothèse de recherche était de caractériser une éventuelle relation de causalité entre la variable indépendante qu’est l’introduction de la simulation haute-fidélité dans les méthodes pédagogiques de l’apprentissage du raisonnement clinique infirmier et la variable dépendante qui est la pertinence du raisonnement clinique ainsi que la prise de conscience du processus cognitif de l’étudiant ou l’étudiante. Les différents postulats posés sont des hypothèses de causalité qui cherchent à mettre en évidence les liens entre le bénéfice de séances de simulation avec un mannequin haute-fidélité et une meilleure prise de conscience des biais possibles liés à un raisonnement plutôt intuitif (Hoyelle-Pierre, 2020, p. 152).

Pour mesurer la pertinence du diagnostic infirmier, l’évaluation s’appuiera sur deux critères. Le premier est l’évaluation du critère « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » du portfolio au cours des stages cliniques des semestres 1 à 5, quelles que soient la discipline et la nature du stage clinique. Pour cela, on évaluera le niveau d’acquisition de l’évaluation finale de stage de ce critère pour chaque individu des deux échantillons étudiants, chaque semestre. Cette évaluation finale est faite par le tuteur infirmier ou la tutrice infirmière du stage. Les niveaux d’acquisition peuvent être « Non mobilisé », « Non acquis », « À améliorer » ou » Acquis ».

Le deuxième critère sera « l’exactitude et la conviction du problème de santé posé » au cours des séances de simulation par les étudiantes et étudiants ayant participé aux scénarios proposés. Pour mesurer cela, immédiatement après chaque séance, le formateur ou la formatrice demandera aux étudiants et étudiantes qui ont participé à la séance de simulation d’évaluer à haute voix l’exactitude et la conviction du problème de santé posé. Pour ce faire, le test spectral métacognitif (TSM) développé par Dieudonné Leclercq (2014) a été utilisé. Cet outil d’autoévaluation permet à l’étudiant ou l’étudiant d’exprimer un degré de certitude pour le problème de santé qu’il a posé et la probabilité que sa réponse soit correcte sur une échelle allant de 0 % à 100 %, graduée de 20 en 20 (0 % qualifiant une réponse absente, ± 0 % une certitude de 0 %, et 100 % une certitude absolue,). Les résultats seront exprimés selon un axe en deux hémispectres, réponses incorrectes (valeurs négatives) et réponses correctes (valeurs positives), qui permettra de qualifier l’appropriation des connaissances par l’étudiant ou l’étudiante (figure 1).

Figure 1

La signature spectrale des qualités de réponses (d’après Leclercq, 2014)

La signature spectrale des qualités de réponses (d’après Leclercq, 2014)

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Cette approche cognitiviste vise à expliquer, au regard du résultat obtenu, le processus cognitif de l’appropriation et de l’utilisation de ses connaissances et à ainsi permettre à l’étudiant ou l’étudiante de prendre conscience de son processus métacognitif.

Puis le formateur ou la formatrice évaluera les étapes des opérations nécessaires pour le raisonnement clinique : le recueil de données, le raisonnement clinique et la formulation d’hypothèses de problème.

La prise de conscience de l’étudiant ou l’étudiante de son processus cognitif sera évaluée au cours de la phase de débriefing après la simulation. Les séances de simulation se dérouleront selon la théorie de l’activité au niveau du triangle outil-communauté-objet d’Yrjö Engeström (Carrot Quentin, 2012) par l’utilisation du mannequin haute-fidélité des étudiantes et étudiants en soins infirmiers de semestre 3 dans l’apprentissage du raisonnement clinique à l’aide du groupe de simulation. Dans le cadre de notre recherche, les sujets seront les étudiantes et étudiants infirmiers qui partagent le même objectif, soit la détermination du problème de santé d’un patient ou d’une patiente grâce au raisonnement clinique infirmier. Les règles de fonctionnement concernent à la fois les règles de la simulation, le respect du champ de compétences infirmières et les protocoles ou procédures de soins. La division du travail comprend à la fois le rôle de formateur en simulation – celui de guide, d’accompagnateur et de facilitateur de l’apprentissage –, mais aussi le groupe d’étudiants et étudiantes dans leurs savoirs expérientiels, que ce soit en tant que personne participant à la simulation ou ayant un rôle d’observateur, au moment du débriefing. Douze scénarios ont été créés pour ces séances de simulation (figures 2 et 3). Les thématiques de chaque scénario ont été choisies selon l’avancement de l’apprentissage des processus physiopathologiques du programme de formation et le choix a été fait d’exclure les situations d’urgence vitale. Ce choix d’exclusion de l’urgence vitale a été fait d’une part au regard de l’objectif de l’expérimentation, c’est-à-dire l’apprentissage du raisonnement clinique et non l’apprentissage de la gestion de l’urgence, qui correspond à une autre unité d’enseignement et à une autre compétence. Et d’autre part, la littérature démontre que le stress génère de l’anxiété qui, en fonction de son intensité, peut influencer ou non l’apprentissage (Bauer et al., 2013, p. A161; Evain et al., 2015, p. A279). Cependant, la sécurité psychologique peut être garantie pendant la formation par simulation en indiquant clairement lors du briefing que les personnes participantes peuvent quitter la session si elles en ressentent le besoin (Couarraze et al., 2021). Ces émotions peuvent aussi être utilisées en simulation afin de travailler les compétences émotionnelles (Bourgeon et al., 2021, p. 164). En raison de la possibilité que l’anxiété puisse persister au-delà de la séance de simulation (anxiété résiduelle), ce qui pourrait influencer la participation des personnes apprenantes à jouer les scénarios suivants, les scénarios incluant l’urgence n’ont pas été retenus.

Déroulement de recherche

Les séances de simulation ont été organisées selon les recommandations préconisées pour la simulation (HAS, 2012) ainsi que les règles de simulation prescrites (Boet et al., 201). Un briefing a lieu au début de chaque séance de simulation. Le briefing matériel et le briefing scénario sont des temps indispensables de familiarisation pour les étudiants et étudiantes avec le matériel (possibilités et limites du mannequin, matériel à disposition...) et de présentation du contexte de la situation (ce qui a précédé la situation du scénario) ainsi que de l’environnement dans lequel ils vont évoluer (possibilité d’appeler un médecin ou tout autre professionnel qu’ils jugeraient pertinent). Au cours du troisième semestre de leur formation, les étudiantes et étudiants de la promotion 2015-2018 (promotion test) ont été divisés en six groupes restreints (11 à 12 par groupe). Douze séances de simulation ont été programmées au cours des cinq dernières semaines du stage clinique du semestre 3. Chaque groupe a eu deux séances de simulation. Chaque séance de simulation a duré au total trois heures au maximum et deux scénarios ont été joués à chaque séance. Pour chaque scénario, deux étudiants ou étudiantes volontaires ont participé au scénario pendant que le restant du groupe avait un rôle d’observateur dans une salle à part avec une retransmission vidéo en direct de ce qui se passe dans la salle de simulation. La possibilité de faire intervenir un facilitateur ou une facilitatrice a été prévue dans les scénarios afin de pouvoir débloquer une situation.

Au cours de ce briefing, des règles générales sont établies entre les participantes et participants du groupe. Cette phase est essentielle en simulation, elle cadre la séance de simulation et permet aux personnes apprenantes de se familiariser avec le matériel et de présenter l’environnement dans lequel va se dérouler cette séance. Ce temps permet de créer un environnement propice à l’apprentissage et de favoriser une certaine sécurité psychologique en diminuant la charge émotionnelle des personnes apprenantes (Spill et Gatin, 2019). Une fois le briefing terminé, deux volontaires étudiants joueront le scénario prévu et le formateur ou la formatrice adaptera l’évolution de ce scénario en fonction de leurs réactions ou des actions qu’ils entreprendront grâce aux fonctionnalités du mannequin de haute-fidélité qui représente le patient ou la patiente (p. ex. : changement des paramètres vitaux, réponses données par le patient ou la patiente selon les questions posées). Au cours des séances de simulation, le formateur ou la formatrice prendra des notes manuscrites en plus du marquage horodaté possible grâce à l’interface de contrôle de la simulation sur les émotions, attitudes et interactions sociales qui se sont présentées au cours de la séance de simulation. Tout de suite après la séance de simulation, le débriefing débute. C’est un temps d’analyse et de synthèse afin de faire émerger les points correspondant aux objectifs du scénario joué. Pour le débriefing, la fiche du Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé de la HAS (2012) a été utilisée. Ce débriefing comporte habituellement trois phases. Tout d’abord se déroule la phase descriptive où les étudiantes et étudiants ayant participé au scénario expriment leurs émotions, leurs sentiments. Ceuxci sont ensuite invités à décrire les faits, les raisons et les modalités des actions qu’ils ont effectuées, leurs motivations ainsi que leurs intentions. Le formateur ou la formatrice peut, au cours de cette phase, les aider en les questionnant par des phrases simples (p. ex. : Que s’est-il passé?). Suit la phase d’analyse qui permet d’explorer les raisons pour lesquelles les actions ont été réalisées ou non et d’interpréter le raisonnement qui sous-tendait leurs décisions. Au cours de cette phase, tous les étudiants et étudiantes, y compris ceux et celles qui avaient un rôle d’observateur, sont invités à s’exprimer. Et enfin s’amorce la phase de synthèse où les étudiantes et étudiants ayant participé à la séance de simulation sont invités à faire une synthèse de ce qu’ils ont appris, de ce qu’ils auraient pu faire différemment et de la manière dont cette séance de simulation pouvait avoir une influence sur leur future façon de faire.

La phase de débriefing de la séance de simulation permet d’accéder à la formalisation du raisonnement clinique réalisé par les étudiants et étudiantes au cours de l’activité, un accès au processus métacognitif. C’est au cours de cette phase que ceux-ci expliciteront le déroulement de leur action en conscientisant tout leur processus de raisonnement clinique, les savoirs mobilisés. Ils pourront ainsi contrôler et prendre conscience de leur fonctionnement cognitif propre.

Une limite à prendre en compte quant aux résultats obtenus concerne le positionnement du formateur ou de la formatrice qui évaluait les étudiants et étudiantes et qui pourrait introduire un biais sur les résultats obtenus. Il faut également garder en mémoire que la méthode de simulation mise en place a représenté moins de 2 % des enseignements consacrés au raisonnement clinique infirmier.

Résultats

S’agissant du niveau d’évaluation du critère « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » au cours des stages cliniques, si on regarde les différents niveaux de validation de cet indicateur au cours des semestres pour chaque promotion (tableau 1), on constate les résultats quantitatifs suivants : l’introduction en semestre 3 de la simulation pour la promotion test ne permet pas une meilleure acquisition de la pertinence du diagnostic de situation clinique posé au cours de l’évaluation de stages cliniques sur le portfolio, par rapport au semestre précédent. Cependant, cette tendance s’inverse au cours du semestre 4, avec une augmentation plus importante pour la promotion test. Mais cette tendance ne se maintient pas au cours du semestre 5 où la promotion témoin obtient de bien meilleures acquisitions de cet indicateur.

Tableau 1

Acquisition du critère « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » selon les semestres, pour la promotion témoin (2014-2017) et pour la promotion test (2015-2018), participant ou non à la simulation

Acquisition du critère « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » selon les semestres, pour la promotion témoin (2014-2017) et pour la promotion test (2015-2018), participant ou non à la simulation

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De plus, après l’introduction des séances de simulation, les tests khi 2 d’indépendance (tableau 2) ne permettent pas de conclure qu’il existe une différence dans la validation de l’indicateur de la pertinence du diagnostic de situation clinique posé (l’intervalle de la valeur p se situe entre 0,257 et 0,829). Ceci à l’exception de l’évaluation de stage en hospitalisation de court séjour où il existe une différence au cours des semestres 3 et 4 pour la nature où on obtient un test de khi 2 d’indépendance avec une corrélation d’influence sur l’acquisition puisque la valeur p est à 0,050 pour le semestre 3 et à 0,004 au semestre 4. C’est également au cours des semestres 3 et 4 que les étudiants et étudiantes de la promotion test ont un nombre de validations de cet indicateur supérieur à ceux et celles de la promotion témoin, voire même une progression supérieure sur le semestre 4 pour la promotion test par rapport à la promotion témoin. Ce critère de « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » évalué en stage peut aussi être croisé avec la pertinence de la détermination du problème de santé des étudiants et étudiantes ayant participé aux séances de simulation (promotion test). Au cours de chacune des deux séances de simulation, les 24 étudiantes et étudiants y ayant participé étaient invités à poser chacun un diagnostic de situation clinique juste avant le débriefing afin de pouvoir analyser leurs processus de pensée et leur permettre de juger leurs diagnostics posés avec la qualité qu’ils attribuent à ceuxci (l’opération du jugement dans la métacognition). La figure 2 présente les résultats obtenus.

Tableau 2

Résultats khi 2 sur la validation de l’indicateur « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » selon le semestre et la nature du stage

Résultats khi 2 sur la validation de l’indicateur « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » selon le semestre et la nature du stage

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Le spectre des qualités de réponses données par les étudiants et étudiantes permet de qualifier la mobilisation des savoirs au cours du processus de raisonnement clinique selon quatre niveaux : des connaissances jugées comme étant dangereuses puisqu’elles mobilisent des savoirs erronés avec un degré de certitude élevée; une ignorance reconnue avec des savoirs erronés et/ou inconnus, mais un degré de certitude faible; des connaissances peu assurées avec des savoirs pertinents, mais un degré de certitude peu élevé; et enfin, des connaissances utilisables avec des savoirs pertinents et un degré de certitude élevé.

Sur les 24 étudiantes et étudiants ayant participé à la première séance de simulation, un seul (4 %) a eu un diagnostic de situation clinique posé avec des connaissances considérées comme dangereuses, puisque l’affirmation de ce diagnostic était incorrecte avec un degré de certitude de 60 %. Pour 42 % d’entre eux, le diagnostic de situation clinique a été posé avec des connaissances considérées comme inutilisables. Et seulement 54 % d’entre eux ont posé un diagnostic de situation clinique correct avec un degré de certitude élevé, ce qui laisse penser que ces étudiants et étudiantes ont utilisé à bon escient leurs savoirs (théoriques ou expérientiels).

Figure 2

Qualité spectrale des réponses à la première session de simulation, promotion test 2015-2018 (N = 24)

Qualité spectrale des réponses à la première session de simulation, promotion test 2015-2018 (N = 24)

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Au cours de la deuxième session de simulation, nous obtenons les résultats suivants (figure 3).

Figure 3

Qualité spectrale des réponses à la deuxième session de simulation, promotion test 2015-2018 (N = 24)

Qualité spectrale des réponses à la deuxième session de simulation, promotion test 2015-2018 (N = 24)

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Au cours de cette deuxième session, les diagnostics de situation clinique se sont un peu complexifiés afin d’augmenter progressivement le spectre de la zone proximale de développement de l’étudiant ou l’étudiante. Les résultats obtenus par les 24 étudiants et étudiantes révèlent ce qui suit :

  • 25 % d’entre eux ont posé un diagnostic clinique de situation erroné avec un fort degré de certitude, ce qui confirme l’existence de connaissances dangereuses;

  • 37,5 % d’entre eux ont posé un diagnostic clinique de situation soit erroné soit juste, mais avec un degré de certitude assez faible, ce qui confirme l’existence de connaissances inutilisables;

  • 37,5 % d’entre eux ont posé un diagnostic clinique de situation correct avec un degré de certitude assez fort, ce qui confirme l’existence de connaissances utilisables.

Nous pouvons donc faire l’hypothèse que le diagnostic posé en post-simulation ainsi que le degré de certitude évoluent sur le plan de la qualité spectrale de la première à la deuxième séance de simulation, mais nous constatons toujours une proportion importante des connaissances considérées comme dangereuses. La proportion d’étudiants et étudiantes ayant des connaissances dangereuses n’était pas un effet attendu de cette recherche.

De plus, on peut observer à la dernière colonne du tableau 1 la progression des étudiantes et étudiants ayant été acteurs au cours des séances de simulation (soit 48 sur 64) et la validation de cet indicateur 3 (pertinence du diagnostic de situation clinique posé) au cours des stages.

Au vu des différents résultats obtenus, on ne peut pas déduire que la simulation peut avoir une influence sur l’acquisition du critère « pertinence du diagnostic de situation clinique posé » puisqu’avant l’introduction de la simulation (semestres 1 et 2), les étudiantes et étudiants qui ont été acteurs en simulation représentent plus de 75 % de l’effectif de validation de cet indicateur au sein de la promotion. Puis, pour les semestres 3 à 5, cette tendance se confirme avec un taux de validation représentatif de plus de 72 % de la promotion.

Discussion

En synthèse, dans les points positifs, on peut noter qu’il n’y a pas eu d’effet négatif à l’introduction de cette méthode et on constate une amélioration de l’acquisition de la pertinence des réactions en situation d’urgence, bien que cet aspect ait été écarté volontairement dans les scénarios de la simulation, comme explicité précédemment.

Cependant, à distance de cette recherche, on a pu constater également que l’identification d’étudiantes et étudiants ayant des connaissances jugées comme dangereuses aurait pu permettre de poser un diagnostic pédagogique sur les connaissances à retravailler avec eux. L’intérêt de relever les connaissances jugées comme dangereuses en situation de simulation, sans jamais mettre une personne réelle en danger, permet de déterminer les stratégies de remédiation à implanter.

Un point particulier a été relevé au cours du débriefing dans la phase d’analyse, lors de leur description de la situation, soit l’utilisation de frames (Schneider, 1996), c’est-à-dire la modélisation de savoirs et de savoir-faire dans des situations très complexes. Ces frames sont utilisés par les étudiants et étudiantes de façon intuitive et ont été relevés dans leur raisonnement au cours de certaines séances de débriefing en faisant le lien avec des signes caractéristiques modélisés par rapport à certaines situations cliniques (p. ex. : hémorragie et pâleur). Cette perception modélisée permet de faciliter la perception et la réflexion tout en économisant le processus de raisonnement. Par exemple, au cours d’un des débriefings d’une séance de simulation sur l’hémorragie externe, lorsque l’étudiante a donné les signes cliniques qui ont orienté la pertinence de son diagnostic clinique posé, elle a évoqué la pâleur qu’elle aurait relevée sur le mannequin. Or, dans les fonctionnalités du mannequin haute-fidélité, cette possibilité de pâleur n’existe pas. Ceci laisse supposer que les étudiants et étudiantes peuvent construire et utiliser des frames sans que ceux-ci soient enseignés au cours de l’apprentissage du raisonnement clinique infirmier. L’étudiant ou l’étudiante est en mesure d’organiser des connaissances pour l’action clinique et donc d’affiner ses connaissances professionnelles de santé ou d’en acquérir de nouvelles en activant ces frames en lien avec les données pour analyser la situation de soins.

Un des intérêts de l’utilisation d’une méthodologie de débriefing des situations cliniques a permis d’avoir accès à la dimension métacognitive des étudiants et étudiantes et donc de verbaliser et raisonner à haute voix sur le processus de raisonnement clinique. Le débriefing favorise donc l’accès à la dimension métacognitive de l’étudiant ou l’étudiante et pourrait permettre de travailler l’inhibition du système intuitif en faveur du système analytique. En effet, la métacognition qui est un processus verbalisé ici dans les séances de simulation donne l’impulsion initiale à la perception de l’environnement de l’étudiant ou l’étudiante face à une situation problématique (Hessels-Schlatter et al., 2021). Ce processus implique les facultés mentales, mais est également à l’oeuvre dans la motivation de l’étudiant ou l’étudiante ainsi que dans ses émotions qui auront une influence sur le processus d’apprentissage (Noël et al., 2016). La mise en lumière de ce processus métacognitif permet ainsi de relever les erreurs et d’en comprendre l’origine, avec pour objectif de connaitre ses propres processus cognitifs et d’accroitre de ce fait la vigilance quant aux biais cognitifs.

Les notes prises au cours de ces séances de debriefing ont permis de voir des attitudes en retrait, des étudiants et étudiantes n’osant pas s’approcher du mannequin haute-fidélité. On note également des attitudes défensives à type de fuite, d’excuses pour ne pas participer aux séances ou au contraire des attitudes de désintéressement de la situation qui peuvent traduire un désengagement de la personne apprenante. Ces émotions vont avoir un impact direct à la fois sur l’implication des étudiants et étudiantes dans leur apprentissage et sur le processus cognitif. Depuis plus d’une trentaine d’années, les études insistent sur l’existence de relations étroites entre émotion et cognition (Damasio et Fidel, 2012). L’influence des émotions peut orienter vers les différents systèmes cognitifs (système 1 : intuitif; système 2 : logique; système 3 : exécutif), c’est le cerveau cognitivo-émotionnel (Houdé, 2019). Les travaux de recherche d’Antonio Damasio ont explicité la relation qui existe entre le corps, qui est notre substance grise de réflexion, et les automatismes de régulation biologique (l’homéostasie) avec la notion des émotions et sentiments qui sont en constantes relations avec notre cerveau. L’auteur démontre que nous produisons des images à la suite de la perception des objets et des actions du monde extérieur grâce à nos différents sens (la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût). Ces images, fabriquées sur la base des informations sensorielles, deviennent les composants abondants et les plus divers de l’esprit, aux côtés des sentiments continuellement présents et liés à ces sensations. La plupart du temps, ces composants sont dominants dans les opérations mentales. Une des interprétations des travaux de Damasio (2021) nous renvoie à la notion de frame précédemment citée puisqu’il précise que :

Lorsque nous relions et associons des images dans notre esprit, lorsque nous les transformons au sein de notre imagination créatrice, nous produisons de nouvelles images qui sont autant d’idées, concrètes ou abstraites; nous produisons des symboles; et nous confions à la mémoire une bonne partie de tout ce produit d’images. Ce faisant, nous enrichissons l’archive d’où nous tirerons en abondance de futurs contenus mentaux.

p. 62

Le lien peut également être fait entre les travaux d’Antonio Damasio et le double système de pensée de Daniel Kahneman ainsi que la métacognition, puisque selon Damasio (2021) :

Pour résoudre les problèmes, les intelligences secrètes ont des solutions simples et économiques (en lien avec le système 1) [...]. Les intelligences explicites sont compliquées (en lien avec le système 2) [...]. Elles requièrent les sentiments et la conscience (en lien avec la notion de métacognition).

p. 52

Il serait intéressant d’explorer les travaux d’Antonio Damasio dans le cadre de l’apprentissage par simulation.

Conclusion

Cette étude a permis une première approche de mise en lumière de certaines influences de ce simulateur haute-fidélité dans l’apprentissage du raisonnement clinique. L’introduction d’un médiateur qu’est le mannequin haute-fidélité permet sur le plan de la didactique professionnelle aux savoirs d’être mis en oeuvre autour de situations concrètes de soins. Elle permet de développer les compétences nécessaires à tous les professionnels et professionnelles de la santé pour démontrer des savoir-faire pertinents, de qualité et efficients, en traitant la situation clinique.

Si nous reprenons les différents éléments des travaux d’Antonio Damasio sur le plan des émotions et des sentiments, lors de l’apprentissage, mettre la personne apprenante dans un contexte d’homéostasie (équilibre dynamique entre le bien-être et l’épanouissement au service de ce qui doit être entrepris) permet à la fois une fluidité du raisonnement et une prise de conscience des effets de ces émotions et sentiments sur la coopération et sur la motivation, mais également sur la prise de conscience de décision pertinente et juste.

Concernant l’axe de réflexion sur la motivation en formation des professionnelles et professionnels de la santé, Thierry Pelaccia et Rolland Viau (2016) insistent sur la perception de l’intérêt ou de l’utilité de l’activité pédagogique dans l’influence que cela peut avoir sur leur perception de la valeur de cette activité ainsi que sur leur motivation à apprendre. En tenant compte de la motivation dans l’enseignement, les deux auteurs proposent des recommandations autour du modèle de Rolland Viau (2016) sur la dynamique motivationnelle.

D’autre part, André Tricot (2017) met en évidence dans une méta-analyse que les résultats des recherches dans le domaine de l’intérêt pour une matière ou pour une connaissance indiquent que celuici produit généralement un meilleur apprentissage non seulement par un effet sur la motivation, mais aussi par les stratégies mises en oeuvre pour apprendre.

De plus, la simulation travaillée en interdisciplinarité faciliterait le processus d’intelligence collective qui serait un axe d’amélioration sur un des facteurs de survenue des évènements indésirables graves, la communication. La capacité à travailler en interdisciplinarité permet de faire converger les intelligences et les compétences pour avancer dans l’intérêt commun de prendre soin du patient ou de la patiente, pour sa sécurité. Un raisonnement clinique individuel peut alors passer à un raisonnement clinique partagé.

D’autres pistes de travail concernant la simulation haute-fidélité peuvent être envisagées, notamment l’évaluation de l’impact de cette méthode de simulation lorsque les individus participants ne sont pas acteurs, mais spectateurs, en utilisant peut-être la théorie des neurones miroirs en neurosciences cognitives, apparue dans les années 1990, qui tente de prendre en considération le rôle de ces neurones dans l’apprentissage par imitation. Est-ce que l’activité de l’observation, au cours de séances de simulation, peut être une approche de l’apprentissage par imitation selon la théorie des neurones miroirs?

Une autre piste de recherche pourrait être exploitée sur les biais cognitifs et un travail de refonte de l’enseignement du raisonnement clinique tourné vers une approche de prise de conscience d’un système de pensée intuitive source de ces biais (travail autour du système 3 de la pensée).

Le raisonnement clinique reste une opération cognitive très complexe qu’il est difficile de matérialiser, comme le montre le modèle élaboré par l’Université de Montréal. L’erreur est stigmatisée et elle peut avoir des conséquences graves dans les métiers de la santé lorsque les professionnels et professionnelles ont en charge des personnes. Le programme de formation en soins infirmiers est orienté vers l’apprentissage réflexif. L’approche de l’erreur pourrait permettre de mieux comprendre l’apprentissage, mais également de démontrer aux étudiants et étudiantes que l’apprentissage peut être déterminant pour leur motivation à apprendre.

De nombreux axes de recherche peuvent être explorés sur la simulation haute-fidélité dans la formation initiale et continue des professionnelles et professionnels paramédicaux, notamment en ce qui a trait au métier d’infirmière ou infirmier. L’axe de recherche sur la dimension des émotions et sentiments dans le processus cognitif en formation semble peu exploité, la littérature professionnelle étant surtout orientée vers les compétences émotionnelles en situation de crise ou d’urgence.