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Cet ouvrage s’inscrit dans une réflexion amorcée — et toujours en cours — sur la montée inquiétante du stress au travail en France. Bien qu’entamée plus tardivement que dans les pays d’Europe du Nord, cette réflexion a donné lieu, depuis 2008, à la publication d’une dizaine de rapports. De manière générale, la souffrance au travail a pris une place prépondérante dans les préoccupations du Ministère du Travail. Pourtant, malgré l’avancée des recherches et les différentes initiatives mises en place, ce problème de santé publique demeure en croissance. À la suite de son premier livre paru en 2001, Légeron revient, dans cet ouvrage, sur les avancées survenues au cours des deux dernières décennies. De plus, il y décortique le concept de « stress » au travail et s’attarde à comprendre les raisons de sa croissance fulgurante. Son analyse se décline en cinq parties.
La première partie de l’ouvrage aborde les différentes situations de stress au travail. L’auteur revient sur les éléments du climat de travail contemporain qui maintiennent et qui alimentent le sentiment de stress. Il évoque, notamment, la charge de travail ou, encore, la culture de la performance, et il s’attarde, ensuite, au facteur de changement, source importante de stress. Légeron explique que le stress induit par cette situation représente un état qui doit être pris en compte par les organisations afin de mieux le gérer, et ce, à tous les niveaux hiérarchiques, à défaut de pouvoir l’éliminer. L’auteur évoque également le sentiment de frustration qui peut être nourri par des efforts qui ne sont pas assez reconnus ou récompensés. Ce sentiment s’avère d’autant plus présent dans une époque où l’on prône l’engagement émotionnel des employés envers leur organisation. Par ailleurs, les relations sociales représenteraient aussi une source de tension. Avec des attentes de plus en plus élevées et devant des tempéraments complexes, les relations interpersonnelles pèsent sur les employés et peuvent occasionner davantage de stress. De plus, la violence physique ou verbale au travail constitue un phénomène qui engendre un important stress, ainsi que de l’anxiété. Il s’agit d’une réalité présente dans de plus en plus de secteurs. Cette partie aborde, également, l’environnement professionnel davantage exigeant qui vient souvent porter atteinte à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, d’autant qu’avec l’informatisation, cet environnement se détache maintenant du lieu physique du travail et s’impose comme un facteur de stress continu. En conclusion de cette première partie, Légeron souligne un élément essentiel : la réponse face aux facteurs de stress va s’avérer différente pour chaque personne, ce qui vient complexifier l’analyse.
La seconde partie porte sur les mécanismes biologiques et psychologiques induits par une réaction au stress. Sur le plan biologique, l’auteur détaille les manifestations physiques ressenties au cours des différentes phases que vivra un individu en situation de stress. En ce qui a trait au volet psychologique, comme tous les individus n’ont pas la même réaction, l’auteur approfondit son analyse du phénomène avec une approche individualisée. Une approche psychologique du stress montre, dès lors, l’importance de la manière dont l’individu perçoit et interprète la situation à laquelle il est confronté. Cette réaction, propre à chacun, fait appel au sentiment de contrôle. Les mécanismes biologiques et psychologiques ont pour but de préparer au mieux un individu faisant face à une situation difficile. Pour clore cette seconde partie, l’auteur souligne l’importance d’avoir un niveau de stress raisonnable pour une meilleure gestion des différentes situations.
Les nombreuses conséquences du stress font l’objet de la troisième partie de ce livre. Légeron débute celle-ci en s’attardant sur les troubles psychologiques, notamment l’anxiété et la dépression, des troubles en augmentation dans le monde du travail des pays de l’OCDE. Au-delà de la santé mentale, cette partie traite des différentes maladies somatiques. Les recherches, qui n’en sont qu’à leurs débuts, établissent déjà un lien entre stress et différentes maladies physiques. L’importance de la prise en compte des coûts élevés engendrés par la souffrance psychique clôture cette partie. Bien que difficiles à évaluer à cause des nombreux coûts cachés, ces montants sont en croissance et peuvent, par conséquent, être particulièrement élevés, tant pour l’employé que pour son entreprise, et, par conséquent, pour l’économie nationale.
La quatrième partie traite de la réaction des organisations face au stress. En premier lieu, l’auteur s’intéresse au lien entre stress et risques psychosociaux (RPS), en explicitant ce dernier concept. Légeron situe le stress par rapport aux RPS et considère ce dernier comme étant le risque le plus fréquent. Par la suite, l’auteur s’intéresse à la réponse des dirigeants face au stress, réponse qui peut différer aussi bien en France qu’à travers le monde. Entre manque de volonté, déni et initiatives isolées, l’auteur explique qu’il y a rarement un déploiement des trois niveaux de prévention dans les organisations.
Quant à la dernière partie du livre, celle-ci s’intéresse aux différentes techniques de gestion du stress, à commencer par certaines techniques de relaxation qui visent à améliorer la réponse physique face au stress. En second lieu, l’importance de raisonner autrement et de repenser la manière de traiter l’information est soulignée. Pour terminer, l’auteur expose les types de comportements qui sont à développer avec l’entourage de la personne vivant du stress.
En somme, ce livre s’adresse à un large public, soit à toute personne qui désire mieux comprendre le stress au travail et apprendre à mieux le gérer. Il regroupe de nombreux tests et questionnaires simples qui ont différents objectifs, notamment identifier les niveaux de stress. Ces derniers sont faciles à faire et peuvent même être diffusés au sein d’une équipe de travail. Ce livre comprend aussi de nombreux témoignages qui permettent d’illustrer les différentes situations vécues afin de faciliter la compréhension du stress au travail. Bien qu’il réfère à bon nombre de théories, cet ouvrage est rédigé dans un langage accessible, ce qui devrait permettre à un plus large public de maîtriser le concept de stress au travail, ainsi que de comprendre ses enjeux et ses conséquences, tout comme les différentes méthodes de gestion sur le plan individuel. Toutefois il existe, dans cet ouvrage, un certain flou autour du concept de RPS. Ce concept se trouve mêlé à celui du stress et, bien que l’auteur tente de dégager ce dernier de manière distincte, l’analyse met de l’avant les frontières approximatives et difficiles à délimiter des RPS. De plus, même si ce livre s’intéresse au phénomène global du stress au travail, la dernière partie évoque seulement des techniques de gestion du stress à utiliser sur le plan individuel. Même si la croissance de ce phénomène dans les organisations est bien démontrée tout au long de l’ouvrage, l’auteur propose peu de pistes de réflexion pour une meilleure prévention collective.
En conclusion, ce livre amène à mieux saisir le concept de stress au travail et à repenser notre manière de l’aborder et de le gérer au quotidien. Il permet également de comprendre l’importance et l’urgence d’agir dans les organisations. Cependant, il offre seulement la possibilité d’amorcer des actions individuelles relatives à la gestion du stress et ne contient pas de réflexions ayant une portée collective qui pourraient mener à une prise en charge organisationnelle du phénomène. Il s’agit là, selon nous, de sa lacune principale.