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Au cours des années 1980, Diamond, Mortensen et Pissarides, les trois lauréats du prix Nobel d’économie en 2010, ont formellement démontré que la recherche d’emploi conduit à la coexistence de postes vacants et de chômage. Une des implications de ce résultat est qu’il y a de la place pour des intermédiaires entre les employeurs et les employés dont le rôle serait d’améliorer le fonctionnement des marchés du travail. Dans ce contexte, l’objectif de ce volume est de développer une réflexion théorique permettant de mieux analyser le rôle des intermédiaires sur le marché du travail, de préciser leur apport au fonctionnement de ces marchés ainsi que leur contribution au bien-être des travailleurs.
Les grands thèmes abordés par cet ouvrage sont, principalement, l’étude des coûts associés à l’appariement entre les travailleurs et les emplois (search costs), l’atténuation des problèmes d’asymétrie de l’information et la résolution de problèmes à caractère collectif. Une dernière section est réservée au cas des agences de placement temporaire.
Dans la première section, on trouve tout d’abord un article qui s’adresse aux organismes dont le but est de desservir la recherche d’emploi en ligne. Ce chapitre décrit comment les entreprises et les travailleurs en font usage et comment les entreprises du genre en profitent. L’étude de cas présentée en annexe illustre bien les changements qui ont été apportés par ce mode de recrutement: plus de candidats à moindres coûts en termes d’entrevue et de paperasse à manipuler. Autre constat confirmé par le deuxième article : ces modes de fonctionnement avantageraient davantage les gens à l’emploi plutôt que les chômeurs.
En matière de sélection adverse, deux études de cas sont tout d’abord proposées. La première est celle où l’entreprise recourt à l’information sur les dossiers criminels, la seconde se réfère à celle où le parcours des étudiants universitaires est mis à la disposition des employeurs. Dans le premier cas, on trouve que le résultat désavantage ceux qui ont un dossier judiciaire. Dans le second cas, on trouve une hausse du taux d’emploi des diplômés.
Par ailleurs, une étude sur l’émergence des services publics d’emploi aux États-Unis pendant la période 1890-1930 nous apprend que les dangers étaient grands, avant l’existence de tels centres, que les intermédiaires privés se servent de l’asymétrie de l’information à leur propre bénéfice plutôt qu’à celui de leurs clients. L’apparition de la concurrence entre le secteur public et le secteur privé aurait réduit ce problème.
Cependant, une étude menée auprès des courtiers immobiliers n’a pas conduit aux mêmes conclusions quant aux bénéfices à attendre de l’État. L’obligation de dépôts en garanti pour ces intermédiaires a pu réduire la concurrence, augmenter les prix et réduire la qualité des services. Autor en tire deux conclusions : les résultats dépendent de la forme d’intervention gouvernementale, et les institutions créées en vue de révéler l’information doivent rendre cela payant de le faire ou coûteux de ne pas le faire.
Le problème des comportements collectifs est tout d’abord étudié sous l’angle des effets de congestion : quand tous les diplômés d’une discipline sortent en même temps, la congestion du moment gêne le processus de sélection. Dès lors, les mécanismes pour contourner ce problème dont, notamment, les « engagements » pris longtemps d’avance et la possible explosion et surenchère des salaires qui s’ensuit, sont inefficaces.
Aux États-Unis, dans le cadre d’un processus centralisé, on a demandé aux candidats et aux entreprises d’ordonner leurs préférences, puis un algorithme s’est chargé d’effectuer les appariements. Cette « expérience » n’a pu fonctionner que quelques années, les entreprises se défilant dès qu’une pénurie s’est fait sentir.
En second lieu, l’étude de Freeman et Rehavi aborde le rôle que pourrait avoir une sorte de syndicalisme ouvert. Une telle institution existe, « Working America », groupe affilié au AFL-CIO, ne négocie pas les conditions de travail mais offre, à qui veut les acheter, des services-conseils, des avantages sociaux à rabais ainsi que des services de représentation auprès de l’État. Mis à part le fait de découvrir qu’il existe, aux États-Unis, une importante demande latente pour le syndicalisme traditionnel, il apparaît que les avantages à tirer de ce modèle sont réels mais faibles et limités.
La dernière section sur les agences de placement temporaire porte sur un phénomène émergent aux États-Unis. Plus précisément, leur usage serait passé d’un service de dépannage à celui de la sélection des employés. La question est alors devenue : est-ce que les travailleurs sont pénalisés par ces agences ou leur servent-elles, au contraire, de tremplin vers des emplois stables et bien rémunérés ? La réponse à cette question est : les deux. Les études distinguent ceux qui parviennent à s’inscrire dans une filière payante et ceux qui restent dans la filière des emplois temporaires. En somme, les effets sont contradictoires et variables selon les groupes et un effet ne domine pas l’autre.
En définitive, ce volume contribue à la réflexion sur un champ d’analyse en émergence. À la veille de connaître des pénuries de main-d’oeuvre, il faudra veiller à ce que les intermédiaires sur le marché du travail couplés aux innovations technologiques contribuent à réduire les coûts, à favoriser les meilleurs appariements, à atténuer les effets de la sélection adverse et, finalement, à améliorer la gestion des problèmes à caractère collectif. L’analyse théorique et empirique effectuée dans ce volume trace la voie pour mieux gérer ce phénomène. En ce sens, ce livre fait progresser nos connaissances dans le champ des politiques publiques, mais il saura autant guider les responsables des ressources humaines dans l’appréciation des instruments de sélection que susciter la réflexion sur le rôle et la structure des instances syndicales. Avant de terminer toutefois, nous devons faire une mise en garde. Malgré des conclusions générales intéressantes, il convient de noter que les articles eux-mêmes sont pointus et requièrent une certaine familiarité avec la discussion et l’interprétation de résultats économétriques. C’est pourquoi nous disons que c’est un livre qui saura davantage intéresser les spécialistes de l’économie et des relations industrielles.