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La parution en 2008 de deux ouvrages en langue française arborant des titres quasi- identiques pourrait laisser croire qu’ils s’adressent à un même lectorat, mais une lecture attentive révèle qu’ils sont davantage complémentaires que redondants. Le premier peut être considéré à plusieurs égards comme une introduction au second qui pousse beaucoup plus loin l’analyse du système français de relations professionnelles et de la construction d’un système de relations professionnelles au niveau européen.
L’ouvrage de Michel Lallement, sociologue du travail et auteur prolifique, constitue la nouvelle édition d’un ouvrage publié pour la première fois en 1996 dans la même collection. Fidèle à la vocation de cette collection qui vise à présenter une synthèse des connaissances sur un sujet, l’ouvrage décline en cinq chapitres une présentation sommaire des fondements théoriques d’une sociologie des relations professionnelles, et de leur évolution récente principalement en France mais également aux plans européen et international. Le premier chapitre présente un bref historique des principaux systèmes nationaux de relations professionnelles nés de l’industrialisation en Europe et aux États-Unis, et de leur diffusion au siècle dernier à travers la domination politique et économique exercée par les principaux pays industrialisés à l’échelle mondiale. Au deuxième chapitre, l’auteur passe en revue les travaux canoniques qui ont contribué selon lui à l’élaboration d’une sociologie des relations professionnelles. Cette liste sélective (Marx et Durkheim, les Webb, Commons et Perlman, Dunlop, l’école d’Oxford, Kochan, Katz et McKersie, Touraine, Reynaud) témoigne de la volonté de l’auteur d’intégrer les traditions anglo-saxonnes et françaises d’analyse sociologique des relations professionnelles. Le troisième chapitre analyse l’évolution des stratégies et des structures organisationnelles des trois acteurs centraux – employeurs, syndicats, États – des systèmes de relations professionnelles des pays industrialisés au cours des trois dernières décennies. Les principaux constats dégagés par l’auteur sont la crise récente et la recomposition du syndicalisme tant au plan international qu’en Europe, aux États-Unis, et au Japon, l’hétérogénéité des organisations d’employeurs au niveau européen, et le recul des interventions économiques et réglementaires de l’État dans le champ des relations professionnelles.
Les deux derniers chapitres sont consacrés aux principales fonctionnalités des systèmes de relations professionnelles. Le quatrième chapitre intitulé « Conflits et négociations » fait état de deux tendances fortes caractérisant l’évolution récente des principaux systèmes nationaux de relations professionnelles, soit le déclin des taux de syndicalisation et des conflits de travail, et la décentralisation vers l’entreprise des négociations collectives. L’auteur souligne au passage l’émergence, du moins en France, de nouvelles formes de conflictualité dans les relations du travail et il clôt ce chapitre par une brève analyse de la consolidation depuis le début des années 1970 d’un système européen de relations professionnelles. Le dernier chapitre consacré au rôle des relations professionnelles dans la régulation des marchés du travail emprunte tant aux travaux de Weber et de Piore en sociologie économique qu’à ceux de Clegg sur les déterminants institutionnels de l’action syndicale et de Freeman et Medoff concernant l’impact du syndicalisme sur les conditions de travail des salariés et la productivité des entreprises. L’auteur constate l’émergence récente de nouvelles régulations dans les pays industrialisés pour accroître la flexibilité du travail, qui se manifestent notamment par une déréglementation et une privatisation des entreprises publiques, des restructurations industrielles et une délocalisation des emplois, des négociations de concessions, des nouvelles formes de coopération patronale-syndicale qui coexistent avec des stratégies patronales d’évitement syndical.
Antoine Bevort et Annette Jobert signent un ouvrage plus approfondi que le précédent au plan de l’analyse des relations professionnelles en France et en Europe. L’ouvrage est divisé en deux parties, la première consacrée aux acteurs et aux institutions du système français de relations professionnelles, tandis que la seconde partie porte sur les conflits de travail, la négociation collective, et les nouvelles régulations à l’oeuvre en France et au niveau européen en matière de relations professionnelles. Les trois premiers chapitres portant sur l’action des organisations syndicales, du patronat et de l’État offrent un portrait actuel des orientations stratégiques et des structures organisationnelles des principaux acteurs du système français de relations professionnelles. Dans les deux chapitres suivants, les auteurs se livrent à une analyse poussée de certaines institutions caractéristiques du système de relations professionnelles en France. Ils traitent d’abord des institutions représentatives du personnel dans le secteur privé qui comprennent les délégués du personnel élus par les salariés dont l’existence légale remonte à 1936, les représentants élus aux comités d’entreprises mis en place par une ordonnance de 1945 et dont les pouvoirs ont été graduellement étendus, les délégués syndicaux et les sections syndicales d’entreprises qui sont des acquis de mai 1968, et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail voués à la prévention des risques professionnels. Dans la fonction publique s’ajoutent des instances de concertation auxquelles participent les organisations syndicales qui y disposent d’une représentativité plus forte que dans le secteur privé. Les auteurs soulignent que ces institutions génèrent un système de représentation duale des salariés pouvant affaiblir la représentation syndicale, en comparaison avec les systèmes de canal unique de représentation syndicale de pays tels que la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada. Ils analysent au chapitre suivant les institutions de gestion paritaire par les organisations patronales et syndicales des régimes de retraites, de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle et de la justice du travail par le biais des conseillers prudhommaux élus par les salariés et les représentants des employeurs. Les auteurs notent que l’État exerce une tutelle de plus en plus étroite sur ces institutions paritaires par le biais de sa contribution à leur financement.
La deuxième partie de l’ouvrage débute par un chapitre retraçant les grandes étapes de la structuration du système de relations professionnelles en France jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Sarkozy en 2006. Si plusieurs jalons historiques sont associés à des conquêtes syndicales (accords de Matignon de 1936, programme du conseil national de la résistance de 1944, accords de Grenelle de 1968), les auteurs estiment que la crise économique apparue en 1975 a affaibli durablement les syndicats dont les effectifs n’ont cessé depuis lors de décliner. Au chapitre suivant portant sur les conflits sociaux, les auteurs soulignent que le déclin du nombre annuel de jours individuels de grève depuis 1975 en France ne doit pas occulter d’autres formes de conflictualité (manifestations, pétitions, recours en justice, freinage, absentéisme) témoignant de la dégradation du climat social. Ils relèvent au cours des deux dernières décennies un déplacement des grèves vers le secteur public, l’importance des conflits liés au maintien des emplois dans le secteur privé, l’émergence de mouvements de grève échappant au contrôle des syndicats, et l’influence croissante de l’opinion publique sur les mouvements grévistes au cours de cette période. Les auteurs font le constat au chapitre suivant que si la branche professionnelle demeure le niveau privilégié des rapports collectifs du travail en France, trois autres espaces de négociation collective se sont développés depuis les années 1980 : l’interprofessionnel, l’entreprise et la région. Après deux décennies d’accalmie, la négociation interprofessionnelle a été relancée au début des années 2000 dans le cadre du programme de refondation sociale de la principale organisation patronale, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). L’obligation annuelle de négocier sur les salaires instituée en 1982 a contribué à l’essor de la négociation d’entreprise, mais la détérioration de la situation économique depuis le début des années 1990 a fait apparaître de nouveaux enjeux de négociation à ce niveau. Les auteurs notent également que le dialogue social territorial constitue un nouveau champ de négociation pour les organisations patronales et syndicales sur des sujets variés tels le développement économique régional, l’innovation technologique, et les réseaux d’entreprises au plan régional. Ils concluent ce chapitre sur une analyse de la loi de 2004 qui introduit un droit d’opposition des organisations syndicales majoritaires aux accords collectifs négociés à différents niveaux, une réforme importante du droit des conventions collectives en France.
Les deux derniers chapitres sont consacrés à la construction d’un système européen de relations professionnelles et aux nouvelles régulations professionnelles en France et dans les pays européens. Les auteurs notent d’abord que l’Europe des relations professionnelles s’est consolidée au cours des deux dernières décennies grâce à l’appui et la participation active des partenaires sociaux. Dès 1958, le patronat des pays membres de la Communauté économique européenne s’est doté d’une organisation représentative, l’Union des confédérations d’industries et des employeurs de l’Europe (UNICE), devenue Business Europe en 2007. La création en 1973 de la Confédération européenne des syndicats (CES) regroupant aujourd’hui près de 80 confédérations syndicales nationales, et l’affiliation en 1991 en son sein de 13 fédérations syndicales européennes d’industries, ont contribué à l’essor d’un système européen de relations professionnelles. La législation sociale européenne s’est développée principalement à travers les directives de la Commission européenne prescrivant des normes minimales pour les pays membres dans trois grands domaines : la libre circulation des travailleurs, l’égalité de traitement entre hommes et femmes et la lutte à la discrimination, et la santé et la sécurité au travail. La directive de 1994 sur les comités d’entreprise européens est considérée par les auteurs comme l’une des réformes majeures au plan des relations professionnelles. Ils estiment que ces comités instituant une représentation transnationale des salariés et bénéficiant de droits d’information et de consultation en matière de gestion économique et sociale ont renforcé les capacités d’action et de négociation syndicales au sein des entreprises multinationales en Europe. Le dernier chapitre analyse certaines transformations économiques et sociales en cours dans les pays européens, telles les nouvelles formes d’organisation du travail valorisant l’autonomie et la compétence qui vont de pair avec une croissance des emplois précaires. Selon les auteurs, ces changements ont un impact plus marqué sur les relations professionnelles en France en raison d’une plus forte hiérarchisation des rapports sociaux et de la faiblesse du dialogue social dans ce pays. Ils confrontent ainsi les expériences récentes de « flexicurité » en Hollande, au Danemark et en Autriche, associant la flexibilité du licenciement à une sécurité financière accrue des salariés licenciés, aux positions divergentes des organisations patronales et syndicales françaises sur la flexibilité du travail. En conclusion, les auteurs font un plaidoyer en faveur d’une réforme des relations professionnelles en France fondée sur l’instauration d’une représentation syndicale élective, la validation des accords collectifs basée sur une adhésion syndicale majoritaire, et une gouvernance partenariale des entreprises faisant une plus grande place aux représentants des salariés.
Au terme de cette brève recension, deux remarques s’imposent. D’abord, il faut souligner le caractère très euro-centrique de ces deux ouvrages qui traitent peu des relations professionnelles dans les pays industrialisés hors Europe, et encore moins des relations professionnelles dans les pays émergents comme la Chine, le Brésil et l’Inde. De plus, ces ouvrages ne présentent pas des résultats originaux de recherches sur les relations professionnelles en France et en Europe, mais plutôt une synthèse des connaissances existantes et des travaux de recherche récents sur ces sujets. Il s’agit donc essentiellement d’ouvrages de soutien à l’enseignement dans le domaine des relations professionnelles qui visent cependant des catégories différentes de lectorat. L’ouvrage de Lallement s’adresse à un large public intéressé aux relations professionnelles en France et dans les pays européens, et à des étudiants universitaires inscrits à un cours d’introduction aux relations professionnelles. Outre des mises à jour concernant les contextes, les acteurs et les institutions, il reprend pour l’essentiel le contenu de la première édition parue en 1996. L’ouvrage de Bevort et Jobert, sans doute le plus complet à ce jour sur l’état et les enjeux actuels des relations professionnelles en France, est principalement destiné aux étudiants universitaires des cycles supérieurs et aux spécialistes des relations du travail en France qui y trouveront les matériaux et analyses indispensables à une compréhension fine de leur système de relations professionnelles. Les deux ouvrages s’avèrent également utiles aux chercheurs et étudiants universitaires qui, en France et ailleurs, s’intéressent aux comparaisons internationales des systèmes de relations professionnelles. Ils pourront y puiser des informations et des analyses originales sur le système français de relations professionnelles, et les éléments essentiels à une mise en perspective des enjeux et des défis actuels des relations professionnelles en France par rapport aux principaux pays européens.