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En plein coeur de la mondialisation, les études comparant plusieurs régions et pays du monde, parfois contrastés, sont plus que jamais d’actualité. Les travaux portant sur le genre n’échappent pas à cette tendance. Cet ouvrage collectif, regroupant dix-huit contributions, s’interroge sur la place des femmes et des hommes dans le monde du travail, tant en Europe qu’en Amérique latine. Plus précisément, ce livre tente de dégager dans une perspective internationale les logiques de genre en regard du travail, de l’emploi, de la formation, du chômage et de la vie familiale. Tant les similitudes que les différences régionales et nationales sont regroupées autour de trois grands thèmes.
Le premier thème fait état de la féminisation du marché du travail en Europe et en Amérique latine. D’entrée de jeu, le portrait global de la place des femmes et des hommes sur le marché du travail en Europe du point de vue de l’emploi, du chômage et de la précarité est établi (Maruani). De même, la situation des femmes sur le marché du travail au Brésil est mise de l’avant tout en présentant des comparaisons régionales contrastées sur le plan socio-économique (Bruschini et al.). De manière générale, ces premiers textes font ressortir deux constats transversaux. Tout d’abord, la féminisation grandissante du salariat, favorisée par une scolarité accrue, est une mutation majeure de la fin du XXe siècle. En parallèle, malgré ces avancées, les inégalités familiales et professionnelles entre les hommes et les femmes, en termes notamment de disparités salariales ou de précarité, persistent. De fait, quel que soit le pays étudié, la ségrégation et la discrimination demeurent typiques de la situation du salariat féminin.
Au-delà de ce diagnostic général, les autres textes de ce premier thème reposent directement sur des comparaisons entre les pays. Ainsi, une analyse des trajectoires de chômeurs à Paris et à São Paulo fait ressortir la ségrégation associée à des attributs comme le sexe (surtout à Paris) et l’origine ethnique (surtout à São Paulo) des individus (Guimarães et al.). De même, une comparaison sur les inégalités de genre sur le marché du travail mexicain et brésilien met l’accent sur la ségrégation sectorielle et professionnelle entre les sexes, plus importante au Mexique qu’au Brésil en raison d’une concentration plus prononcée des femmes mexicaines dans les activités les moins valorisées du secteur tertiaire (Salas et Leite). Il ressort également que certaines grandes entreprises au Brésil, en Italie et en Norvège ne se soucient guère des demandes d’égalité des chances de la part des travailleuses et cela, en dépit de leur adhésion aux politiques officielles d’égalité professionnelle (Cappellin). Quant aux résultats de l’analyse sexuée sur le coût du travail en Amérique latine, ils démontrent toute l’importance d’élargir les législations de l’État en matière de protection de la maternité ainsi que les politiques des entreprises pour une meilleure conciliation entre le travail et la famille et une plus grande application des droits par le biais de la négociation collective (Abramo et Todaro). La contribution de Lallement, quant à elle, tente de cerner les apports et les difficultés des comparaisons internationales appliquées à la sociologie du genre.
Le deuxième thème de l’ouvrage est consacré à une variété de pratiques et de politiques en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Une étude sur les temps de travail des hommes et des femmes en Europe met en lumière le partage inégalitaire des tâches domestiques et familiales qui incombent encore le plus souvent aux femmes, malgré la croissance de l’activité professionnelle féminine (De Henau et Puech). Même si certaines variations sont notables entre les pays, plusieurs autres auteurs soutiennent ce même point de vue selon lequel la femme demeure la principale responsable de la famille (Scalon et al.; Rizavi et Sofer).
Une série d’autres contributions sur ce même thème se penchent sur l’attitude des femmes face à la maternité et à l’emploi en étudiant l’impact de la présence d’un enfant sur les perspectives de travail des femmes et la nécessité d’élargir les politiques familiales en Europe, notamment sur le plan des systèmes d’accueil des enfants (De Henau et al.). Ou encore, une comparaison régionale au Brésil soutient que les politiques publiques doivent se préoccuper de tous les enfants socialement vulnérables, tant les enfants des familles monoparentales que les enfants pauvres issus de configurations familiales plus conventionnelles (Sorj et Fontes). Une perspective théorique présentant l’origine et la définition de la conception de la division sexuelle du travail conclut cette seconde partie de l’ouvrage tout en dégageant les différences entre plusieurs pays sur le plan de l’évolution des modalités de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle au Brésil, en France et au Japon, qu’il s’agisse de pratiques, de politiques familiales ou de norme sociale liée à l’emploi (Hirata et Kergoat).
Le troisième thème est axé sur le genre, les métiers et les carrières professionnelles. Il débute par un article dressant l’évolution historique depuis le XIXe siècle des mutations économiques et sociales en Europe qui ont conduit les femmes à percer les professions diplômées (Schweitzer). Cette même auteure précise que nous vivons actuellement une nouvelle mutation sociale visant une répartition plus égalitaire des tâches entre les femmes et les hommes dans la sphère privée. En parallèle, cette mutation est lente compte tenu de la persistance du « plafond de verre » et de la résistance de la part des hommes à investir les sphères féminines traditionnelles (les soins par exemple). Les autres auteurs s’attardent sur les conditions de travail des femmes dans certaines professions, particulièrement au Brésil et en France. Ainsi, l’étude des rapports de genre dans les professions artistiques met en évidence la précarité croissante dans le domaine de la danse et de la musique de ces pays (Segnini). D’autres comparaisons entre la France et la Brésil portent, quant à elles, sur les changements en cours dans les relations et les conditions de travail des enseignants du secondaire (Neri de Souza) ou encore sur les relations entre la vie domestique et la vie professionnelle à partir d’une étude sur les ingénieurs du secteur des télécommunications (Georges). Finalement, en se penchant sur la pluralité des modèles de féminisation des professions supérieures, cette fois en France et en Grande-Bretagne, Le Feuvre fait valoir la diversification des expériences des femmes accédant aux « anciens bastions masculins ».
En définitive, cet ouvrage regorge de données sur la vie professionnelle et la vie familiale en Europe et en Amérique latine, menant à une plus grande compréhension de la question de l’inégalité entre les hommes et les femmes. Même si certaines différences existent entre les pays étudiés, les contributeurs de cet ouvrage convergent vers le constat d’une féminisation accrue du salariat, incluant les professions diplômées, combiné à la persistance d’iniquités entre les genres. Dès lors, les disparités salariales entre les hommes et les femmes, la ségrégation des emplois, la division sexuelle du travail, la question de la précarité et du chômage féminin, la difficile conciliation entre la sphère professionnelle et la sphère privée sont autant de phénomènes relevés quel que soit le pays à l’étude.
Même si ces constats ne sont pas nécessairement nouveaux et que certaines redondances sont parfois à déplorer, c’est le fait de faire appel à une perspective internationale mettant à l’avant-scène de nombreuses comparaisons entre les pays, à première vue sans lien apparent, qui rend l’ouvrage convaincant, enrichissant et accessible à toute lectrice ou lecteur se préoccupant de la logique du genre sur le marché du travail. Cette mise en commun, considérablement enrichie par l’apport de diverses disciplines, que ce soit la sociologie, l’histoire ou l’économie, conduit à de véritables pistes de réflexion et de solutions concrètes pour les politiques publiques, et ce, pour tous les pays étudiés.