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Plusieurs années de recherches scientifiques dans le secteur de la sélection du personnel ont permis de produire une multitude de méthodes d’appréciation du personnel, telles que les tests d’habiletés cognitives, les échantillons de travail, les inventaires de personnalité, les centres d’évaluation, les données biographiques. Malgré les appuis empiriques concernant l’efficacité de ces divers outils d’évaluation du personnel, les employeurs continuent de chercher des solutions de rechange à ces procédures d’évaluation, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, le succès en emploi exige des caractéristiques spécifiques, telles que la manifestation des comportements de citoyenneté organisationnelle, l’aptitude à travailler en équipe ou la capacité d’adopter une approche client. Ces caractéristiques ne sont pas nécessairement mesurées directement à l’aide des différents outils de sélection du personnel notés plus haut. Une seconde préoccupation des employeurs vise l’impact négatif (adverse impact) chez les groupes minoritaires, de certains outils de sélection du personnel. Cette inquiétude apparaît surtout face aux tests d’habiletés cognitives. Un troisième problème appréhendé est lié à l’administration de ces tests ainsi que des inventaires de personnalité: il concerne spécifiquement la réaction potentiellement négative des candidats à l’égard de ces approches d’appréciation du personnel. Finalement, l’élaboration et l’utilisation de plusieurs de ces méthodes d’évaluation du personnel réclament un investissement et des coûts importants. Les organisations désirent des instruments de sélection du personnel qui soient rapides à concevoir et qui puissent identifier correctement les personnes compétentes tout en réduisant les impacts négatifs chez les groupes minoritaires et les réactions négatives parmi les candidats.
Dans une tentative de satisfaire ces différentes exigences, les organisations ont recours à l’entrevue qui s’avère l’outil privilégié pour procéder au choix des candidats. Plutôt qu’utiliser l’entrevue traditionnelle de sélection, Pettersen et Durivage recommandent aux employeurs de se concentrer davantage vers l’application de l’entrevue structurée axée sur l’emploi afin d’apprécier le profil comportemental, les aptitudes, les habiletés, les connaissances ainsi que les compétences des candidats. Les auteurs intègrent avantageusement les approches de « l’entrevue situationnelle » ainsi que de « l’entrevue comportementale » afin de traiter de l’entrevue structurée.
Les auteurs s’appuient abondamment sur une solide documentation scientifique et offrent ainsi aux praticiens un livre qui expose en détail chacune des étapes du processus de l’entrevue structurée: (1) l’analyse de l’emploi; (2) la détermination, les règles de pondération et le caractère éliminatoire des critères de sélection; (3) l’élaboration du guide d’entrevue; (4) la conduite de l’entrevue; (5) l’évaluation des candidats; et (6) la décision d’embauche. Les principaux chapitres du volume développent chacune de ces étapes. De plus le livre est généreusement illustré d’exemples, de procédures et de directives afin de guider les praticiens dans l’élaboration et la gestion de ce type d’entrevues. Les annexes du livre enrichissent efficacement la portée pratique des notions présentées dans le livre. Un cd-rom d’apprentissage accompagne également le document de manière à permettre la maîtrise des compétences requises pour mener efficacement une entrevue structurée. Pettersen et Durivage réalisent ainsi le premier ouvrage francophone complet sur l’entrevue structurée qui intègre plus d’une vingtaine d’années de recherche et de pratique sur cet instrument de sélection.
Le volume est divisé en deux parties. La première partie explique les principales limites de l’entrevue traditionnelle. Parmi les difficultés de ce type d’entrevue, Pettersen et Durivage mettent en évidence l’absence d’une définition uniforme et complète des compétences et des qualités requises chez les candidats. Ils soulignent également que la réaction initiale de l’interviewer est de catégoriser rapidement les candidats comme étant qualifiés ou peu qualifiés, et ce sur la base d’informations limitées. Ils soulignent qu’une entrevue structurée axée sur l’emploi qui repose sur le modèle KSAO (connaissances, aptitudes, habiletés et autres qualités personnelles) ou sur l’approche par compétence contribue à éliminer les préjugés ou les stéréotypes personnels, l’effet de halo, la prédisposition à pondérer davantage l’information négative. Ils font ressortir que la personnalité des candidats, leurs comportements non verbaux ainsi que leurs tactiques de gestion des impressions influencent l’appréciation de l’interviewer lors d’une entrevue traditionnelle. Les auteurs nous indiquent que plusieurs études révèlent que l’entrevue structurée, par la standardisation des questions et des procédures, réduit l’incidence de ces multiples facteurs sur le jugement de l’interviewer (Roth et al., 2005). Enfin ils notent que la structure de l’entrevue contribue à limiter l’accès à une information périphérique ou auxiliaire susceptible de contaminer le jugement de l’interviewer (Huffcutt, Roth et McDaniel, 1996 ; McDaniel et al., 1994 ; Searcy et al., 1993).
Pettersen et Durivage exposent de façon très convaincante les retombées positives de l’entrevue structurée. Plus spécifiquement, ces auteurs dressent une recension scientifique exhaustive pour appuyer la rentabilité de ce type d’entrevue pour les organisations. Par exemple, les études empiriques démontrent que l’entrevue structurée possède une excellente validité équivalente à celle des tests d’habiletés cognitives (Schmidt et Hunter, 1998). De plus, la méta-analyse de Cortina et al. (2000) démontre que l’entrevue structurée possède une validité incrémentielle qui dépasse celle de la combinaison des tests d’habiletés cognitives et du facteur « conscience professionnelle » qui émane d’un inventaire de personnalité (le NÉO-PI-R). Sue-Chan et Latham (2004) indiquent que l’entrevue structurée permet de prédire les aptitudes interpersonnelles associées au travail d’équipe et l’intelligence émotionnelle des candidats. Toujours dans la même veine, l’entrevue structurée contribue à prédire les comportements de citoyenneté organisationnelle (Latham et Skarlicki, 1995). En résumé, l’ensemble des résultats empiriques souligne que l’entrevue structurée amène de meilleures décisions d’embauche et favorise un meilleur rendement parmi les employés. Cet outil de sélection possède une très bonne validité prédictive pour l’ensemble des emplois incluant les postes de cadres et de professionnels (Huffcutt et al., 2004 ; Klehe et Latham, 2005). Il est approprié de mentionner également que les tribunaux accordent une grande importance à la standardisation du processus de l’entrevue, objectif juridique que l’entrevue structurée permet d’atteindre (Hackett, Lapierre et Gardiner, 2004).
Malgré cette valorisation de l’entrevue structurée, Pettersen et Durivage sont sensibles aux obstacles individuels et organisationnels liés à l’implantation de cette procédure de sélection. Plusieurs raisons semblent expliquer la faible utilisation de l’entrevue structurée (voir aussi Dipboye, 1997 ; Van Der Zee et al., 2002). Au-delà de la méconnaissance de la documentation scientifique sur ce thème de recherche, plusieurs praticiens croient à tort que l’entrevue structurée limite sérieusement l’usage de l’intuition, restreint leur contrôle de l’entrevue ainsi que leur autonomie. Une procédure d’entrevue standardisée peut être perçue par les praticiens comme une démarche monotone. Ces derniers présument également que l’entrevue structurée ne remplit pas les fonctions d’attraction organisationnelle. Finalement, les professionnels en ressources humaines ou en psychologie industrielle/organisationnelle ne sont pas suffisamment sensibilisés aux conséquences positives de l’entrevue structurée sur la productivité de la main-d’oeuvre; ils sont donc généralement réticents à investir les ressources nécessaires pour implanter un tel processus de sélection.
La seconde partie du livre traite spécifiquement des étapes du processus d’entrevue structurée. La première étape repose sur l’analyse de l’emploi. Cette démarche est cruciale puisqu’elle orientera ultérieurement l’élaboration des questions situationnelles ou comportementales de l’entrevue ainsi que les procédures d’évaluation. Pettersen et Durivage insistent sur l’importance de la qualité du processus d’analyse de l’emploi. En effet, plusieurs études démontrent que les entrevues fondées sur une analyse de l’emploi possèdent une validité prédictive supérieure par rapport à l’entrevue traditionnelle (McDaniel, Schmidt et Hunter, 1988 ; Wiesner et Cronshaw, 1988). La discussion de l’approche méthodologique des incidents critiques est limpide. Bien que Pettersen et Durivage traitent de la contribution de l’approche par compétence dans l’élaboration du processus d’entrevue structurée, les auteurs n’ont pas approfondi son application à l’aide d’exemples. La seconde étape vise à clarifier les critères de sélection en faisant appel au modèle KSAO. Les étapes de l’analyse de l’emploi ainsi que de la conception des critères de sélection peuvent être soumises à une procédure de validation de contenu à l’aide d’experts en la matière (subject matter expert) ou des acteurs impliqués lors du processus de sélection du personnel.
La troisième étape se concentre sur l’élaboration du guide d’entrevue. Pettersen et Durivage privilégient une certaine flexibilité au moment de la standardisation des questions et de leur séquence. Les questions sont polarisées vers l’analyse des comportements du candidat qui s’avèrent pertinents pour le rendement au travail. Les études actuelles qui comparent la validité des questions situationnelles « ce que le candidat ferait » avec les questions comportementales « ce que le candidat a fait » n’ont pas apporté de conclusions définitives quant à la supériorité d’un format particulier de questions. Taylor et Small (2002) constatent que les questions comportementales possèdent une validité supérieure. À l’opposé, plusieurs méta-analyses indiquent que les questions situationnelles ont une validité élevée (Conway et Huffcutt, 1997 ; McDaniel et al., 1994 ; Searcy et al., 1993). Pettersen et Durivage ne tranchent pas le débat, mais ils affirment que l’utilisation conjointe de ces deux formes de questions accroît la validité de l’entrevue structurée. Les auteurs proposent, en plus du guide d’entrevue, un guide de correction fondé sur des échelles à ancrages comportementaux. Finalement, Pettersen et Durivage formulent un ensemble de recommandations concernant les techniques de communication et la manière de poser les questions en entrevue. Ils discutent également des préparatifs de l’entrevue (durée, nombre de questions, introduction auprès des candidats, accueil des candidats, remerciements des candidats).
La quatrième étape traite en profondeur de la conduite de l’entrevue. Les thèmes abordés sont les suivants: les conditions facilitantes pour l’entrevue (l’aménagement des lieux, le climat, etc.); les techniques pour maintenir la structure et garder le contrôle de l’entrevue; les techniques pour préserver l’estime de soi du candidat et pour faciliter la prise de note (comment distinguer un fait d’une interprétation); et la forme d’entrevue en comité. Pettersen et Durivage soulignent que la rigueur et la démarche professionnelle dans la conduite de l’entrevue sont liées positivement à l’image et à l’attraction organisationnelle, ainsi qu’à la perception d’équité par les candidats. Ce chapitre rappelle aussi l’importance des compétences interpersonnelles de l’interviewer lors de la gestion du processus d’entrevue structurée.
Les étapes cinq et six examinent respectivement la démarche pour apprécier les candidats et réaliser la prise de décision. Pettersen et Durivage présentent les approches d’évaluation les plus courantes: (1) évaluation globale; (2) évaluation de chaque critère de sélection; et (3) évaluation de chaque question. Les auteurs recommandent l’application simultanée des deux dernières approches. Ils retracent une diversité de facteurs susceptibles de fausser l’évaluation, tels que l’apparence physique des candidats, leur comportement non verbal, les normes personnelles des interviewers, la pondération systématique des informations négatives. Pettersen et Durivage formulent un ensemble de recommandations pour réduire ces erreurs. Ils abordent également l’évaluation des candidats par un comité d’interviewers. L’étape de la prise de décision permet de déterminer lequel des candidats est retenu pour le poste ou lequel peut poursuivre le processus de sélection. À cette étape de la prise de décision, il s’agit de pondérer les avantages ainsi que les limites potentielles d’embaucher tel candidat spécifique à la lumière des critères de sélection. Il aurait été intéressant d’intégrer une section complète sur l’interprétation des informations sur les candidats afin de compléter judicieusement les étapes de l’évaluation et de la prise de décision. Une telle voie permet d’apprécier la complexité de la prise de décision en sélection du personnel.
En somme, l’excellent ouvrage de Pettersen et Durivage constitue une référence indispensable autant pour les praticiens en ressources humaines et en psychologie industrielle/organisationnelle que pour les étudiants et les étudiantes qui poursuivent un cours en dotation du personnel. Malgré les robustes appuis empiriques qui attestent la viabilité du processus d’entrevue structurée, près de 70 % des organisations continuent d’adopter l’entrevue traditionnelle. Le livre de Pettersen et Durivage peut vraisemblablement modifier l’état actuel de la pratique en sélection du personnel. La rigueur scientifique ainsi que l’orientation pratique exemplaire du livre de Pettersen et Durivage permettent de le qualifier de ressource essentielle dans le cadre d’un programme de formation destiné aux interviewers.