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Cet ouvrage est le deuxième tome issu d’une sélection de textes présentés à la conférence « Changes in Working Time in Canada and the United States », qui s’est tenu à Ottawa, les 13-15 juin 1996. Cette conférence avait été financée par le Canadian Employment Research Forum, Statistique Canada et le W.E. Upjohn Institute for Employment. La conférence suivait la publication d’un rapport d’une commission parlementaire sur la réforme de la sécurité sociale, qui indiquait que toute réforme de la sécurité sociale devait tenir compte de l’évolution des formes d’emploi et horaires de travail.
Dans ce deuxième tome, on s’intéresse davantage aux formes d’emploi et à la flexibilité des horaires, tout en analysant aussi les heures de travail, mais plutôt sur l’ensemble du cycle de vie que sur la semaine ou la journée, comme c’était le cas dans le premier ouvrage.
De fait, si les heures de travail hebdomadaires ont évolué, les heures effectuées à différents moments de la vie ont aussi changé, d’où l’intérêt des divers textes présentés ici. À partir de données sur le Canada et les États-Unis principalement, les auteurs mettent en évidence diverses tendances. Ils notent que les femmes avec enfants ont beaucoup accru leur activité sur le marché du travail. Ils observent aussi qu’un nombre important d’adultes interrompent leur carrière pour retourner aux études. Enfin, deux chapitres traitent de la retraite et des formes d’emploi chez les travailleurs vieillissants. L’ensemble de ces analyses s’inspirent de la vision économique traditionnelle axée sur l’offre de travail des individus, mais elles présentent parfois des éléments intéressants, quoique certains soient relativement prévisibles.
On observe ainsi que les individus essayant de concilier les responsabilités familiales et les études peuvent opter pour des emplois à temps partiel, temporaires, ou encore le travail autonome, des formes d’emploi qui leur offrent plus de flexibilité d’horaires et permettent d’articuler les diverses responsabilités. Les travailleurs âgés peuvent pour leur part souhaiter travailler à temps partiel pour faire une transition vers la retraite. Certains auteurs observent aussi que des travailleurs plus jeunes peuvent prendre des emplois temporaires ou à temps partiel pour faire face à des obligations financières particulières.
Il est clair que quelles qu’en soient les raisons, les formes d’emploi particulières ou non standard se sont accrues au Canada comme aux États-Unis. Un des chapitres les plus intéressants porte sur le travail autonome et le travail à domicile comme mode de travail « choisi » (présumément) pour obtenir plus de flexibilité dans les horaires, notamment par les femmes américaines. Cette hypothèse serait certes intéressante à tester pour le Canada ; nos travaux sur le télétravail indiquent toutefois que la flexibilité est l’avantage premier recherché par les hommes comme les femmes, mais Statistique Canada n’a pas, à notre connaissance, fait d’étude sur le travail autonome sous cet angle. L’auteure (Theresa Devine) indique aussi que les heures habituelles des femmes travailleuses autonomes sont souvent corrélées avec les heures habituelles de leurs maris, surtout lorsque ceux-ci sont travailleurs autonomes. Aux États-Unis, plus de la moitié des femmes qui avaient fait du travail autonome déclaraient que leur conjoint était travailleur autonome. Dans l’ouvrage, il n’existe malheureusement pas de comparaison avec le Canada sur ces sujets. On peut d’ailleurs regretter que les comparaisons ne soient pas systématiquement faites entre le Canada et les États-Unis. Chaque auteur présente son sujet, pour un pays ou un autre, ou les deux, apparemment selon son bon vouloir ou ses travaux antérieurs, alors qu’une telle conférence aurait peut-être dû servir à faire des comparaisons plus systématiques.
Dans un autre article assez original, Linda Edwards et Elisabeth Field-Hendrey étudient l’hypothèse selon laquelle les coûts fixes de travail joueraient un rôle dans le fait que les femmes travaillent à la maison ou non. Elles ont constaté que les femmes travaillant à domicile présentaient des caractéristiques fort différentes des salariées et que la nature de leur travail était aussi différente. Ainsi, les travailleuses à domicile étaient des travailleuses autonomes dans 62,9 % des cas, contre 3 % pour les femmes travaillant dans les locaux d’une entreprise. Les femmes travaillant à domicile avaient aussi beaucoup plus de flexibilité dans leurs horaires de travail hebdomadaires et annuelles. La conclusion des auteures laisse toutefois perplexe : elles indiquent que le travail à domicile fournit plus de flexibilité aux femmes qui ont des coûts fixes importants, ce qu’elles définissent en lien avec la présence de jeunes enfants (coûts de garderie), de personnes âgées vivant à domicile, ou de personnes handicapées, ou encore de longues heures de trajet pour aller au travail. Dans une étude sur le télétravail au Québec, nous avions constaté que la réduction du temps de déplacement venait au premier rang des avantages que voient les travailleurs dans le télétravail, alors que la conciliation emploi-famille ne recueillait que 5 % de suffrages. Ainsi, il nous paraît que l’étude de ces auteures pourrait être reproduite pour le Canada avec intérêt, étant donné les différences dans les politiques publiques (notamment de garde d’enfants), mais aussi dans le contexte du virage ambulatoire observé dans les dernières années.
Un autre article, de Wolfson et Rowe, utilise un nouveau modèle de Statistique Canada, le « Life Path Model », pour étudier l’activité de travail sur l’ensemble du cycle de vie. Son intérêt réside dans le fait que le modèle permette d’étudier l’activité sur de plus courtes périodes (les heures et les jours), plutôt que sur l’année, comme c’était plus souvent le cas avec les études sur le cycle de vie. Ceci permet de montrer que la part de temps occupée par le travail rémunéré est moins importante que ne l’indiquaient les modèles antérieurs.
Un article de Singh et Verma porte sur les préretraites dans une grande entreprise de télécommunications, soit Bell Canada. L’étude porte sur des personnes qui ont quitté l’entreprise entre 1985 et 1995, avec un régime de pension et souvent aussi une prime financière de départ. Les auteurs ont observé que 39 % des répondants étaient retournés au travail après leur départ de Bell et étaient toujours en emploi, alors que 2 % étaient au chômage et 59 % étaient sortis de la population active. De l’ensemble des personnes retournées sur le marché du travail, 82 % étaient retournées dans une forme non standard d’emploi. Les auteurs présentent des statistiques descriptives, mais utilisent aussi un modèle logit pour expliquer les choix des préretraités. Ils constatent que les régimes de retraite qui réduisent les prestations lorsque les retraités gagnent des revenus tendent à réduire l’emploi, et surtout l’emploi à plein temps.
Enfin, cinq articles portent sur des décisions de travailler à différentes étapes du cycle de vie. Les études sont intéressantes, mais souvent de portée plus limitée en termes d’importance pour l’analyse du marché du travail.
L’ouvrage est donc globalement intéressant pour quiconque s’intéresse au marché du travail, aux formes d’emploi et aux heures de travail, mais on doit évidemment regretter les longs délais de publication qui, surtout pour les analyses de données statistiques sur l’emploi, font que les données utilisées sont déjà vieilles d’au moins huit ans. Quoi qu’il en soit, les questions posées dans les articles, certaines observations faites sur les États-Unis, concernant le travail autonome et le travail à domicile notamment, méritent que l’on s’y attarde et que l’on se pose éventuellement la question avec des données canadiennes ou québécoises.